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Viliometolc : Pillan
Le lendemain, Elizan n'était aucunement nerveux. Il tâta son arme, vérifia qu'il l'avait bien en main et attendit patiemment son tour. Quand il entra dans l'arène, il cligna légèrement des yeux, ébloui par le soleil. Il regarda vers la tribune et comprit pourquoi Huitzi lui avait parlé de choc. Il y avait Milenac assis au milieu d'une cour de splendides jeunes femmes brunes. Derrière lui, à sa droite, se tenait Elya Jumy, belle et fière comme elle seule pouvait l'être, portant les cuirs usuels de Viliometolc, main sur son épée. Assise à côté de Milenac, visiblement à la place d'honneur, il y avait Olyana, dont la beauté dorée était encore plus mise en valeur par le riche harnachement qu'on lui avait donné. Dans la tribune du Quan se trouvait également un jeune homme qui ressemblait à Milenac de façon frappante. C'était Michek, le fils de Milenac, et il était manifestement très intéressé par Olyana.
Elizan se reprit, surprit le geste d'encouragement d'Elya Jumy et se prépara au combat. Les premiers furent pour lui d'une simplicité effarante, sans qu'il puisse juger si cela était dû à sa supériorité innée de zarval ou à l'entraînement acharné que lui avait imposé Zal Hyrda. La journée continua et les combats s'enchaînèrent ; contrairement à Kal Homel, tous les gladiateurs restaient sur le terrain, attendant leur tour. Elizan donna une magnifique démonstration de lutte zarvale, maniant sa lame avec une virtuosité admirable. Il sentait sur lui le regard d'Elya Jumy et cela suffisait pour lui donner le courage dont il avait besoin. Finalement, face à lui ne resta plus que Huitzi. Alors Acat, le jeune garçon de l'arsenal, lui apporta ses deux cimeterres. Elizan allait tomber en garde quand une main se posa sur son bras.
- Désolé, vieux frère, mais ce combat est pour moi, fit une voix douloureusement familière.
Sans résister, Elizan se laissa dépouiller de ses armes, puis se tourna vers le nouveau venu. Des yeux gris aux reflets sauvages, un sourire éclatant de blancheur, des cheveux trop longs...
- Toi ! souffla Elizan, n'en croyant pas ses yeux. Par tous les dieux, nous te croyions mort !
Keezan sourit.
- Je n'en étais pas loin, fit-il gentiment.
Surpris, Elizan regarda son ami. Une vilaine marque rouge traversait son abdomen, trace d'une blessure récente en cours de cicatrisation, visiblement plus ancienne que la lutte qu'il avait dû soutenir contre les hommes bruns ; d'autres balafres zébraient ainsi son corps brun, qu'il voyait exposé pour la première fois. En effet, Keezan ne portait plus la cuirasse d'écailles, ni les cuirs de Kal Homel ; son harnachement, usagé, mais de qualité, était celui de Viliometolc et frappé aux armes d'un noble, que Elizan soupçonna être Catequil.
La foule commençait à s'impatienter. Keezan fit un pas en avant et leva ses cimeterres pour réclamer le silence.
- Je sais que je n'ai pas combattu tous les gladiateurs, mais je vais affronter Huitzi à la place d'Elizan. C'est une dette entre nous et aucun homme d'honneur parmi vous ne peut s'opposer au règlement d'une dette.
Keezan savait ce qu'il faisait en disant cela : personne ne pouvait protester devant ce qu'il affirmait sous peine de passer pour un homme sans honneur. Elizan avait rejoint les rangs des gladiateurs et il tourna son regard vers la tribune secondaire où se trouvait, entre autres, Catequil. Il lui sembla que le désagréable noble affichait un sourire de mauvais augure et il comprit que Keezan devait agir pour le compte de Catequil.
Tranquillement, Huitzi vint au devant du jeune homme brun qui lui faisait face. Il n'avait aucun moyen de savoir qui était réellement le guerrier qui lui faisait face, ni combien deux cimeterres entre ses mains pouvaient être meurtriers. Pour lui, ce n'était qu'un garde aux emblèmes de Catequil et, en théorie, aucun homme brun ne connaissait le combat en sindar. Les deux hommes se mirent en garde, Huitzi armé comme de coutume de sa lourde épée. Dès les premiers engagements, le géant comprit que l'homme qui lui faisait face n'était pas un débutant en maniement des cimeterres. Il glissa un rapide coup d'oeil en direction d'Elizan qui lui confirma ce qu'il pensait. Alors le jeu d'Huitzi se fit plus serré.
Keezan ne fut pas sans remarquer la différence dans le jeu d'Huitzi et un sourire vint flotter sur ses lèvres. Elizan, qui l'observait, savait qu'il ne donnait pas toute sa puissance. Ses mouvements restaient vifs, mais le jeune zarval savait qu'il pouvait aller beaucoup plus vite. Et soudain, l'enfer se déchaîna autour d'Huitzi : Keezan accéléra et seul l'éclair argenté de ses cimeterres tranchait l'air. Huitzi fut surpris par l'avalanche de coups qui lui étaient portés, mais il réussit à faire face... au début. Vite débordé, il sentit un liquide chaud lui couler sur les bras et le torse. Les éclairs d'argent avaient maintenant des reflets de sang. Keezan précipita encore sa vitesse, semblant entrer dans une danse au rythme insoutenable. Et brusquement, Huitzi se retrouva à genoux dans la terre rouge, désarmé. Il attendit le coup de grâce, car il n'espérait rien de son démon d'adversaire. Il sentit la pointe de la lame lui titiller le cou, puis il entendit un éclat de rire aux sonorités gentiment moqueuses.
- Debout, Huitzi, fit la voix railleuse de Keezan. Ta mort ne viendra pas de ma main.
Lentement, Huitzi se releva, un peu stupéfait d'être encore envie et encore plus stupéfait d'avoir été battu. Keezan souriait et même s'il y avait une touche de moquerie dans ce sourire, le géant comprit que ce n'était pas méchant.
- Me croyais-tu donc si cruel ? demanda Keezan en riant de nouveau.
- Ton maître est cruel, lui répondit Huitzi gravement.
Keezan redevint aussitôt sérieux.
- Je n'ai pas de maître, dit-il d'une façon qui rappelait un grondement.
Il se détourna d'Huitzi et vint à Elizan, à qui il tendit ses cimeterres, poignées en avant. Elizan accepta les armes et vint rejoindre le géant, avec qui il s'avança vers la tribune principale. Catequil arborait maintenant un sourire plein de suffisance et de triomphe.
- Très bien, Elizan de Kal Homel. A qui dédies-tu ta victoire ? demanda Milenac, qui connaissait parfaitement le rituel par lequel Keezan avait donné les lauriers de sa victoire à son ami.
- A Elya Jumy d'Iriss Zaiv, répondit fermement Elizan, plantant son regard dans les yeux de la jeune zarvale.
Il y eut un instant de flottement dans la tribune. Un guerrier ne dédiait pas impunément sa victoire à une femme : quand il le faisait, c'était qu'elle était déjà sa compagne ou qu'il la demandait pour compagne.
- Qu'est-elle pour toi ? reprit Milenac d'un ton déjà plus sec.
- Elle est ma princesse, dit Elizan, à qui Huitzi avait appris le langage codé des humains.
Keezan vit que Elya Jumy tiquait légèrement et il sut que Olyana lui avait également parlé de la significations de ces deux simples mots.
- Qu'as-tu à répondre, Elya Jumy ? fit Milenac en se tournant vers son garde du corps.
La jeune zarvale se redressa fièrement, rejetant une mèche en arrière d'un mouvement d'épaules.
- Je ne peux qu'appuyer ce que dit mon guerrier, répondit-elle d'un ton tout aussi ferme que celui d'Elizan quelques instants plus tôt.
Elizan sentit un frisson de joie lui parcourir l'échine. Que ce soit pour les zarvals ou les humains, cette expression avait la même signification. Milenac eut l'air contrarié.
- Akanchob ! lança-t-il , visiblement de mauvaise humeur, tu m'amèneras tout à l'heure Elizan, Huitzi et aussi celui qui a battu ton champion.
Ce fut tout. Elizan sentit que Huitzi avait frissonné à son tour. Le géant se tourna vers lui.
- C'est fini. En m'appelant le champion d'Akanchob, Milenac vient de me signifier que j'étais destitué. Je vais être mis à mort et ton ami va certainement prendre ma place.
Au lieu de compatir à son sort, Elizan sourit, un sourire qui dévoilait deux rangées de dents pointues et étincelantes, puis il secoua la tête.
- Je ne crois pas, non, fit-il doucement. Nous abandonnons rarement nos amis, à Kal Homel.
Huitzi frémit de joie en comprenant ce que Elizan voulait dire, mais il garda quand même un léger doute : Milenac et Catequil étaient contre lui et Keezan n'avait pas l'air d'être vraiment du même côté de la barrière que lui. Mais le jeune zarval se retourna et attendit Keezan qui fixait la tribune principale d'un air quasi désespéré.
- Elle ne m'a pas accordé la moindre attention, fit-il à l'adresse d'Elizan.
Le jeune zarval savait qu'il parlait d'Olyana. Il lui mit la main sur l'épaule.
- Elle te croit mort, vieux frère, répondit-il à mi-voix.
Etrangement, Huitzi comprit de quoi il s'agissait.
- J'ai entendu Elya Jumy et Olyana parler ensemble, une fois. Olyana disait qu'elle n'avait plus envie de vivre. J'ai cru comprendre qu'elle avait perdu quelqu'un de très cher.
Mais Keezan semblait ne rien entendre. Il jeta un dernier coup d'oeil à la tribune principale maintenant vide, puis se dirigea lentement vers l'entrée des gladiateurs.
- Oh, par tous les dieux ! soupira Elizan. Et il suffit d'un joli minois pour transformer un fier guerrier en homme désespéré !
Huitzi lui sourit, amusé par sa réflexion alors qu'il venait de déclarer sa flamme à Elya Jumy. Mais Elizan semblait sérieux.
Akanchob les attendait et il les confia aux mains expertes d'esclaves qui devaient les rendre présentables pour la visite à Milenac. En un temps record, ils furent lavés, coiffés, leurs cuirs nettoyés. Seul Keezan n'avait pas été astiqué ; armes à la main, il avait rapidement fait comprendre aux esclaves que c'était dans leur intérêt de le laisser tranquille. Akanchob se désolait, mais Keezan se montrait inflexible. Il rengaina ses cimeterres, qui faisaient pendant aux multiples dagues de son harnachement. Ce fut alors que Elizan s'aperçut que Keezan était traité avec le même respect que Huitzi : il n'était pas esclave ! Il avait le droit de porter des armes, même en présence du Quan.
Ils suivirent le vieil homme à travers les souterrains, puis les couloirs. De nouveau, Elizan perdit le sens de l'orientation. Milenac était toujours au milieu de son essaim de femmes, dont Olyana, le visage impassible, et Michek était également présent. Il s'agissait d'un beau jeune homme qui aurait pu être le frère jumeau de Keezan et Elizan sut avec certitude que Olyana ne reconnaîtrait jamais Keezan, même s'il lui révélait son identité, car tous ceux qui entouraient la jeune fille lui ressemblaient beaucoup trop. Elizan regarda autour de lui et aperçut Catequil, qui arborait toujours son sourire suffisant.
- Eh bien, Akanchob, un nouveau guerrier défait ton champion dès le premier combat ? Que dis-tu de cela ? Huitzi est maintenant la risée de tous !
Alors Keezan se redressa et ses yeux flamboyèrent.
- Pardonne mon insolence, Milenac, Quan de Viliometolc, mais personne ne peut se moquer d'Huitzi. Cet homme est un grand combattant et peu seraient capables de tenir contre moi ainsi qu'il l'a fait. Aussi, si parmi vous, ajouta-t-il en se tournant vers l'assemblée, se trouvent des gens qui croient que Huitzi est un incapable et qui pensent faire mieux que lui, je serai ravi de leur démontrer le contraire !
Le défi sonna comme un glas dans la grande salle. Elizan ne reconnaissait plus son ami ; Keezan ne parlait jamais si longtemps, ni avec tant d'assurance !
- Qui es-tu, guerrier ?
- Je me nomme Pillan Camaxtli, répondit-il, mais tout le monde m'appelle Pillan.
- Je connaissais un Pillan, fit Milenac. Une mauvaise graine.
- Je l'ai tué, répondit Keezan d'un ton calme.
Le Quan hocha la tête.
- A qui appartiens-tu, Pillan ?
- A moi, fit Catequil en faisait un pas en avant. Cet homme fait partie de ma garde.
- C'est donc un homme libre. Pourquoi a-t-il combattu dans l'arène aujourd'hui ?
- Je voulais me mesurer au grand Huitzi, répondit Keezan sans laisser à Catequil le temps de répondre.
Elizan vit que le noble était soulagé ; il en fit part à Huitzi qui lui rétorqua qu'il y avait sans doute une histoire de paris là-dessous. Catequil adorait parier, sur tout et n'importe quoi, et ses paris préférés avaient lieu dans l'arène.
- D'après la loi, Elizan de Kal Homel, Pillan t'ayant donné sa victoire sur Huitzi, tu as gagné les jeux et tu es donc libre. J'ai coutume d'offrir une maison et des esclaves aux vainqueurs des jeux, sauf s'il s'agit du champion. Qui veux-tu, Elizan de Kal Homel ?
- Je ne veux pas d'esclaves, Milenac de Viliometolc. Je veux juste Elya Jumy, ma princesse.
Il se tut un instant.
- Et Olyana d'Iridium, car j'ai promis à un ami de veiller sur elle, ajouta-t-il.
Milenac fronça les sourcils.
- Je ne peux te répondre en ce qui concerne Olyana d'Iridium, car je l'ai donnée à mon fils Michek.
Le jeune homme se leva.
- Je suis désolé de ne pouvoir honorer la parole de mon père à ce sujet, Elizan de Kal Homel, car Olyana d'Iridium a accepté de m'épouser pour garantir la paix entre Iridium et Viliometolc.
Elizan n'eut pas besoin de regarder Keezan pour savoir le coup que venait de recevoir le jeune homme.
- Est-ce vrai, Olyana d'Iridium ?
La jeune fille se leva à son tour et le regarda de ses yeux emplis de tristesse.
- C'est vrai, Elizan.
Sans savoir pourquoi, le jeune zarval ne la crut pas ; peut-être allait-elle vraiment épouser Michek, mais ce n'était pas de son plein gré et il connaissait suffisamment Olyana pour savoir qu'elle se tuerait plutôt que d'accepter une union qui lui faisait horreur. A côté de lui, Keezan ne réagissait pas et Elizan inclina la tête, acceptant le fait. Satisfait, Milenac se tourna vers Elya Jumy et dit calmement :
- Va rejoindre ton guerrier, Elya Jumy.
Sans hésiter, la jeune zarvale descendit de l'estrade et vint aux côtés d'Elizan. Il n'y eut qu'un regard entre eux deux, mais tout était dit.
Puis Milenac regarda de nouveau Keezan, ignorant totalement Huitzi dont il avait sans doute demandé la présence pour pouvoir l'humilier, plaisir dont l'avait privé Keezan.
- Et toi, Pillan, tu es en réalité le véritable vainqueur d'aujourd'hui. Je ne peux t'offrir ta liberté, puisque tu n'étais pas gladiateur, mais dis-moi ce que tu désires et je ferai tout pour t'exaucer.
Inquiet, Elizan se tourna vers son ami ; Keezan avait le visage impassible et rien dans son expression ou son attitude ne trahissait la peine qu'il devait ressentir.
- Je ne souhaite rien pour moi, Milenac, mais si Catequil désire quelque chose, je lui cède volontiers ma place.
Le noble s'avança, son sourire devenu positivement diabolique.
- Je ne veux qu'une seule chose, Milenac, Quan de Viliometolc, dit-il vivement, c'est que ton fils Michek respecte son engagement.
Soupçonneux, Milenac se tourna vers son fils, qui se redressa, blême.
- Par l'accord d'Olyana, mon engagement est rompu ! fit-il d'une voix blanche.
Catequil secoua négativement la tête.
- Que non, Michek ! Même si Olyana est d'accord, ce dont je doute, tu as perdu ton pari et tu dois donc remplir ta part du contrat !
- De quoi s'agit-il, Michek ? demanda Milenac avec autorité.
- Un pari stupide, père, balbutia Michek.
- Michek a parié la belle Olyana d'Iridium que Huitzi ne serait pas défait par mon champion, expliqua Catequil d'un ton mielleux, son sourire allant s'élargissant. Il a perdu, donc Olyana est à moi !
Stupéfait, Elizan se tourna vers Keezan ; le jeune homme était toujours impassible, débout à côté de Catequil, écoutant parler de celle qui l'intéressait tant comme si elle n'était qu'une esclave. A la surprise de tous, le vainqueur d'Huitzi s'avança vers la jeune fille, lui prit la main pour la porter à ses lèvres, laissa quelque chose entre les doigts d'Olyana à l'insu de tous et murmura :
- C'est lui qui me demande de veiller sur toi et de vivre pour lui.
Elizan, qui se doutait de quelque chose, vit Olyana rougir, puis pâlir ; la jeune fille referma son petit poing sur une pièce métallique dont elle savait pertinemment la provenance, puis elle se leva.
- Si Michek refuse de tenir sa parole, dit-elle de son ton dédaigneux que Elizan connaissait, moi, je la tiendrai à sa place ! Catequil, tu as osé parié sur la princesse d'Iridium et même si cette pratique est répugnante, il ne sera pas dit que Olyana d'Iridium n'aura pas honoré sa parole !
Belle et dédaigneuse, Olyana attirait tous les regards, mais Elya Jumy voyait bien que l'éclat trop brillant de ses yeux était dû aux larmes qu'elle retenait tant bien que mal. Ses doigts se crispèrent davantage encore sur la pièce métallique que Keezan avait portée lors de son combat et elle se fit plus majestueuse encore. D'un pas, elle descendit de l'estrade, sans un regard pour Michek, et se porta aux côtés de Catequil. Le noble, légèrement étonné, jeta un regard perplexe à Olyana, puis à Keezan, se demandant visiblement ce qu'il avait pu dire à la jeune fille pour la décider à venir d'elle-même. Milenac était blême de fureur et Michek semblait proche d'éclater. D'un geste étudié, Keezan croisa les bras, ses mains reposant presque négligemment sur les poignées de ses cimeterres. Immédiatement, l'héritier quan se calma. Catequil eut un salut bref et tourna les talons, emmenant Olyana dans son sillage. Keezan, Elizan, Elya Jumy et Huitzi attendirent un court instant avant de leur emboîter le pas.
Elizan avait beaucoup de questions à poser à son ami, mais la première qui lui vint fut :
- Pourquoi donc as-tu dit que tu te nommais Pillan Camaxtli ?
Keezan eut un léger sourire.
- Camaxtli est le nom du premier guerrier que j'ai tué, un grand guerrier. Pillan est le nom du dernier que j'ai tué, moins connu, mais le premier nom est un nom qui change souvent. Le prochain homme brun que je tuerai me donnera aussi son nom, alors que Camaxtli restera toujours le mien. Vous devez m'appeler Pillan, maintenant. Keezan n'existe plus.
- Comment es-tu vivant ? intervint Elya Jumy. Je t'ai vu tomber et j'aurais juré que tu ne t'étais pas relevé !
- C'est bien le cas. Cette blessure - Keezan désignait la balafre qui lui marquait l'abdomen - me faisait trop souffrir et la perte de sang m'a tant affaibli que après quelques blessures causées par mes adversaires, je me suis effondré. Mais j'en avais tué trois et Catequil est loin d'être un imbécile. La plupart de ses hommes sont aussi des prisonniers, à qui il donne le rang de garde et d'homme libre. Les hommes bruns qui sont restés en arrière étaient à lui et ils m'ont pris pour un renégat d'une autre cité, quelque chose comme ça. Comme Catequil avait vu que je savais me débrouiller avec une arme, il a dit à ses hommes de me soigner et d'essayer de me sauver.
Racontant son histoire, Pillan, puisque tel était son nouveau nom, s'interrompait souvent ; il avait horreur des longs discours. Parfois, il laissait planer un silence interminable qu'il ne rompait que lorsqu'un de ses amis manifestait des signes d'impatience.
- Catequil est un mauvais homme, dit Huitzi.
- Non, contredit Pillan. C'est ce que toutes les apparences tendent à faire croire, mais c'est faux. Il est seulement très malheureux. Milenac lui a pris la jeune fille qu'il aimait pour la mettre dans sa cour. Or les femmes faisant partie de sa cour ne sont plus considérées comme célibataires et il ne pouvait donc plus l'épouser. Depuis, il voue une haine mortelle à Milenac et aussi à Michek, car c'est le fils de cette femme. Désespérée de cette honte, la jeune femme s'est suicidée.
Huitzi le regarda avec stupeur.
- Tu plaisantes, j'espère ? C'est Catequil qui t'a raconté cette histoire ?
- Non. C'est un de ses gardes. Catequil ne m'a pas dit grand-chose, sauf qu'il voulait que je gagne le combat contre toi.
- La rumeur colporte une histoire bien différente : Catequil aurait tué la jeune femme de Milenac, lequel l'aimait éperdument, et qui portait l'enfant du Quan ; pour se venger, Milenac aurait pris la fiancée de Catequil dans sa cour et lui aurait fait un enfant. Furieux d'être bafoué ainsi, apprenant la naissance de l'enfant, Michek, Catequil aurait poussé la jeune femme au suicide.
Mais Pillan secoua doucement la tête. Elizan n'avait rien à faire de qui était bon ou mauvais entre Milenac et Catequil. Il avait autre chose en tête. Il mit la main sur le bras de Pillan.
- Kee... Pillan, es-tu sûr de ce que tu fais ? Je veux dire, tu as l'air un peu bizarre depuis que nous avons été séparés. Est-ce que Olyana a quelque chose à craindre de Catequil ?
Pillan regarda longuement son ami, puis un léger sourire attristé vint flotter sur ses lèvres. Il effectua un mouvement pour se tourner vers Elya Jumy, mais n'acheva pas le geste ; sans doute ne voulait-il pas lire la même condamnation dans les yeux dorés de la jeune zarvale.
- Je sais ce que je fais, Elizan, je te le jure. Olyana d'Iridium n'a rien à craindre de Catequil, alors qu'elle avait tout à redouter de la part de Milenac et de son fils. Vous faites fausse route en soupçonnant Catequil.
Il prit congé d'eux assez brusquement et s'en alla sur les traces de Catequil. Elizan resta à le regarder disparaître, puis soupira. Huitzi avait l'air un peu abasourdi.
- Il a tellement changé ! s'exclama Elizan à mi-voix. Ce n'est plus le même homme ! Qu'a pu lui faire Catequil pour le faire changer de façon si radicale ? J'ai bien cru qu'il allait tuer Huitzi lors du combat ; pareil, le ton qu'il a eu en disant qu'il avait tué le dénommé Pillan, lui prenant son nom !
Elya Jumy mit sa main sur l'épaule de son ami.
- Elizan, fit-elle doucement. Il est suffisamment grand pour savoir ce qu'il doit faire. A mon avis, il n'a pas tant changé que cela, mais tous croient qu'il est de leur race et il agit de telle manière. La coutume chez les hommes bruns semble être de n'avoir que peu de respect pour la vie humaine. Que peut-il faire d'autre ?
- Nous avons du respect pour la vie humaine, intervint Huitzi, mais nous respectons plus encore les grands guerriers. Et, croyez-moi, votre ami en est un !
A ces mots, Elizan fronça les sourcils.
- Ce qui m'étonne, c'est la façon dont Pillan a réagi ; normalement, il connaît ses limites en combat, nous sommes à peu près de la même force. Mais là, lors du combat contre Huitzi, on aurait dit qu'il avait fait de brusques progrès, arrivant au niveau de Zal Hyrda. Je ne comprends pas tout.
- Il y a une autre rumeur sur Catequil, outre l'histoire de sa fiancée. On dit qu'il cache dans ses sous-sols un homme d'une habileté prodigieuse en combat et que celui-ci entraîne tous les gardes de Catequil, ce qu'il fait qu'il a les gardes les plus doués de tout Viliometolc. Je n'ai jamais eu l'occasion d'en rencontrer un, acheva-t-il d'un ton de regret.
- Et pourtant, c'étaient bien les gardes de Catequil qui nous ont fait prisonniers et Kee... Pillan en a tué trois à lui tout seul ! s'exclama Elizan, de plus en plus étonné.
Huitzi le regarda, surpris.
- C'est vrai, je m'en souviens maintenant, il l'a dit. Il est encore plus fort que je ne l'imaginais.
Elya Jumy intervint de nouveau.
- Elizan, le moyen le plus simple, c'est quand même d'aller lui demander. Pillan n'est pas un monstre et il nous répondra.
Le jeune zarval se tourna vers elle et lui sourit.
- Tu as toujours les bonnes idées, Elya Jumy, dit-il d'un ton qui paraissait démesurément cérémonieux à Huitzi mais qui, chez les zarvals, était d'une tendresse insoutenable pour ce peuple réservé.
Akanchob vint les rejoindre à ce moment. Il regarda son champion, puis lâcha d'un ton amer :
- C'est le déshonneur ! Milenac menace de m'enlever mon poste de chef des gladiateurs si je ne retrouve pas immédiatement un nouveau champion. Il faudra que celui-ci soit capable de battre le champion de Catequil. D'ailleurs, j'aimerais savoir où il a déniché pareille merveille. J'étudie soigneusement tous les hommes de Viliometolc et je n'aurais pas laissé passer un tel homme ! Je suis sûr que ce n'est pas un des gardes habituels de Catequil ; il n'a pas du tout le même style de combat qu'eux.
- Pillan n'acceptera jamais de se battre pour déterminer un nouveau champion, dit Elya Jumy d'un ton catégorique. Il voudra que Huitzi le reste toujours. Son but n'était pas de détrôner Huitzi, mais de libérer Olyana des griffes de Milenac et de Michek.
- Michek n'abandonnera pas la partie ainsi, répondit Akanchob. Il est tombé amoureux de l'esclave et il fera tout pour la récupérer. Je ne pense pas que cette histoire de mariage soit vraie, car Milenac n'aurait jamais accepté que son fils épouse une esclave, fut-elle princesse dans son pays.
- Si Michek tente de s'en prendre à Olyana, ou même à Catequil, il trouvera Pillan sur son chemin, fit Elizan en secouant la tête. Et Milenac risque fort de perdre son fils.
Akanchob acquiesça, puis partit avec Huitzi pour regagner les souterrains. Quant à Elizan et Elya Jumy, main dans la main, ils allèrent visiter la maison que leur offrait Milenac.
Texte © Azraël 1999 - 2002.
Bordure et boutons Taurus, de Moyra/Mystic PC 1998.
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