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Viliometolc : Milenac
Plutôt que de se diriger directement vers Iridium, les quatre amis préférèrent prendre la direction d'Iriss Zaiv, la ville d'Elya Jumy. Même si elle ne le disait pas, la jeune zarvale avait sans doute envie de retourner chez elle, elle qui en avait été enlevée il y avait dix ans. Dans la précipitation de leur fuite, ils n'avaient pas pensé à prendre de provisions, mais, en fouillant dans ses fontes, Elizan découvrit que Lhe Mandha y avait pensé pour eux.
Le soir commençait déjà à tomber et, les hydraguis ayant bien couru, ils n'apercevaient déjà plus les murailles de Kal Homel.
- Ils ne nous poursuivront pas durant la nuit, dit Elya Jumy.
- Je n'en suis pas si sûr, rétorqua Elizan en secouant la tête.
Gor Kee descendit d'hydragui, puis lança un joyeux :
- Ouf ! Eh bien, je commençais à attraper chaud, là-dessous, moi !
Surprise par sa voix, Olyana se tourna vers lui. Elle bondit à terre et se jeta dans ses bras.
- Keezan ! Keezan ! Oh, c'est toi !
Elizan, Keezan et Elya Jumy furent aussi surpris les uns que les autres par sa réaction. Le jeune homme fut d'ailleurs si estomaqué qu'il n'osa même pas refermer ses bras sur elle. Puis, rouge de confusion, Olyana recula.
- Mais, je croyais que c'était Gor Kee..., dit-elle, désignant le casque que Keezan tenait à la main, dont la forme était faite pour cacher une tête de zarval.
- Oui... mais c'est moi qui ai combattu lors du quatrième combat.
Olyana ressentit comme une réticence dans la voix du jeune homme.
- Où est Gor Kee ? demanda-t-elle doucement.
- Il est mort, répondit brutalement Keezan.
Les yeux d'Olyana s'agrandirent démesurément.
- Lorsqu'il est tombé au troisième combat... il était donc vraiment blessé ! Mortellement blessé ! Vous avez donc triché pour gagner les Jeux ? acheva-t-elle d'une voix misérable.
- Pour quelqu'un qui ne connaît pas Gor Kee, nous avons triché, intervint calmement Elizan après un regard à Keezan. Mais en vérité, non ; Gor Kee aurait trouvé la force pour combattre lors de l'ultime duel, et de le gagner. S'il n'y avait eu que sa liberté en jeu, c'est ce qu'il aurait fait. Mais il y avait aussi ta liberté et il a accepté de laisser Keezan combattre à sa place, pour plus de sécurité. Sachant ton sort entre de bonnes mains, il n'a pas essayé de lutter pour survivre.
Olyana accepta l'explication ; passant près de Keezan, elle murmura :
- Je savais que c'était toi ; c'était toi que j'encourageais au quatrième combat, pas Gor Kee !
Keezan ne répondit rien ; il regardait son casque d'un air malheureux, comme s'il se demandait, après coup, s'il n'aurait pas mieux fait de le garder.
Elya Jumy était une mince zarvale aux écailles irisées, plus bleues que vertes, aux délicats reflets soulignés par ses cuirs bleus surpiqués de blanc et décorés de pièces métalliques blanches. Sa longue chevelure bleue attachée en queue-de-cheval dansait en permanence dans son dos, quelques mèches venant jouer dans ses yeux dorés à la pupille verticale. Souple, mince, vive et agile, elle n'avait pas son pareil ; toujours souriante, d'un grand sourire naïf et presque enfantin, toujours gaie, elle était pourtant prompte à dégainer. Agée de quelque vingt-cinq ans, elle avait été enlevée dix ans auparavant par des zarvals de Kal Homel et, refusant de se retrouver esclave, elle avait encore préféré la semi-liberté des gladiateurs, où elle s'était vite taillé une place.
Elizan avait presque la même carrure que Lhe Mandha ; ses écailles arboraient une curieuse marque blanche au niveau de la poitrine, ce qui avait fait que Zal Hyrda lui avait donné le bouclier à la bande blanche. Ses cheveux courts étaient d'une teinte de vert proche du bronze. Son visage était orné d'une longue balafre sur la joue gauche, souvenir d'un combat en tant que morgoun, cicatrice qui soulignait le saillant de ses pommettes. Il portait les cuirs propres de Kal Homel, teints en vert agrémenté de quelques dessins en or. Pas de pièce métallique sur ce harnachement qui, en dépit de ses jolis coloris, était purement fonctionnel. Au niveau de l'épaule, la lanière de cuir était surmontée d'un écusson vert et or. Calme et pondéré, Elizan formait une fine équipe avec Elya Jumy, même s'il était plus souvent avec Gor Kee qu'il tempérait.
Keezan n'avait pas la même couleur de peau que Olyana ; il était plus proche du brun que du doré, mais les cuirs de Kal Homel avaient quand même bel aspect sur lui. Il portait les cheveux un peu trop longs dans le cou, d'un châtain tirant sur le cuivré, et ses yeux gris avaient un reflet sauvage. Il n'était pas né avec des écailles, mais il portait une armure d'écailles vertes et bleues, imitant celles que Elizan ou tout zarval avaient sur le torse. Son harnachement avait le même écusson vert et or que Elizan, mais Olyana, si elle savait que cela signifiait un certain rang dans la hiérarchie zarvale, ignorait lequel exactement.
Olyana d'Iridium était une mince jeune fille à la peau dorée, à la longue chevelure noire libre et au maintien de reine. C'était surtout le fait de la savoir si fière qui avait surpris les trois amis lorsqu'elle s'était jetée dans les bras de Keezan. Ses yeux étaient d'un noir profond et magnétique, comme ceux de son peuple, et son sourire découvrait des dents parfaites, semblables à des perles. Son harnachement était de simple cuir marron, mais tressé avec un autre d'une teinte légèrement plus claire, et agrémenté de pièces métalliques dorées.
La joie d'Olyana de savoir qu'il s'agissait de Keezan et non de Gor Kee qui les accompagnait était presque palpable et les regards perplexes que Elizan et Elya Jumy jetaient à leur ami étaient fréquents. Keezan essayait visiblement de faire comme s'il le voyait pas, mais il avait l'air malheureux. Quand chacun commença à discuter pour savoir qui prendrait le premier tour de garde, Keezan intervint et ce fut lui qui s'assit d'abord auprès du feu alors que les autres s'allongeaient. Elizan se glissa près de lui et les deux amis discutèrent assez longtemps avant que le jeune homme ne renvoie le zarval vers sa couverture.
Quand Olyana se réveilla le lendemain matin, le soleil orangé était déjà levé. Elizan et Elya Jumy étaient assis à côté des vestiges du foyer, mangeant tout en discutant, alors que Keezan se tenait plus loin, appuyé sur le long bâton zarval, près des hydraguis. Olyana était une princesse, mais aussi une guerrière, et, plutôt que manger avant de monter en selle, elle saisit la part que lui tendait Elya Jumy puis, d'un bond, sauta sur le dos de son hydragui. Les autres l'imitèrent et ils repartirent.
Tard dans la journée, alors que rien derrière eux ne les faisait penser qu'ils étaient suivis, ils aperçurent les murailles d'une cité.
- Iriss Zaiv ? demanda Elizan à Elya Jumy, le jeune zarval n'étant jamais allé si loin de Kal Homel.
- Non, fit Elya Jumy, les fines écailles de son visage prenant une teinte plus pâle. Non, c'est une ville fantôme. Elle apparaît irrégulièrement entre Iriss Zaiv et Kal Homel et nul n'en est jamais revenu. C'est pour cela que peu de gens d'une des deux villes s'aventurent du côté de l'autre.
- Qui y habite ? interrogea Elizan, surpris.
- Personne ne le sait, voyons ! Je viens de te dire que personne n'en était jamais revenu.
- Tu vas bientôt le savoir, Elizan, intervint soudain Keezan. Regarde !
Suivant la direction que leur montrait le jeune homme, Elizan vit un groupe de cavaliers sortir de la ville. Leur monture était plus proche du mankor que de l'hydragui, mais était visiblement plus rapide que le mankor.
- Qu'allons-nous faire ? demanda calmement Elya Jumy.
Sa main se dirigeait déjà vers son épée et Keezan tenait ses cimeterres en main.
- Non, vous êtes fous ! protesta Elizan. Ils sont au moins trois fois plus nombreux que nous ! Il nous faut fuir, cela n'aura rien de déshonorant.
- Trop tard ! lança Keezan d'une voix qui chantait presque.
Elizan se retourna ; le jeune homme avait raison, ils étaient déjà cernés. Voyant que Olyana semblait désolée de ne pouvoir les aider, Elya Jumy lui lança son long bâton et lui expliqua rapidement comment s'en servir, alors que Keezan et Elizan étaient déjà en position de tir. Mais les explications de la jeune zarvale s'avérèrent vaines : ni Elizan, ni Keezan n'étaient de mauvais tireurs et pourtant les assaillants ne paraissaient jamais être blessés. Ayant vu un de ses tirs passer au travers d'un assaillant, Elizan laissa tomber son bâton et dégaina son épée. Keezan l'imita promptement et son hydragui s'élança vers ses adversaires.
A sa grande surprise, il s'aperçut que les habitants de la ville fantôme étaient des hommes comme Olyana, ou plutôt, comme lui, puisque la couleur de leur peau et de leurs yeux était très proche de la sienne. Il disparut sous le nombre alors que Elizan, arrachant de sa gorge un cri de pure fureur, se précipitait à son tour vers les hommes de la ville fantôme. Mais Elya Jumy soupira, tout en se portant à son secours. Elle venait de voir Keezan tomber et il ne s'était toujours pas relevé. Elizan venait également d'apercevoir le corps de son ami, mais n'eut jamais le temps de l'atteindre, fait prisonnier bien avant.
Les hommes bruns ramenèrent leurs trois prisonniers vers leur ville, alors que quelques-uns d'entre eux restaient en arrière pour s'occuper des cadavres. Elya Jumy remarqua rapidement que tous leurs geôliers se ressemblaient : même coupe de cheveux, à la teinte châtain cuivré, mêmes yeux gris sans expression, même harnachement de cuir naturel, presque les mêmes traits.
Ils furent enfermés dans une vaste pièce lumineuse, un gardien à chaque porte, en attendant de savoir ce qui les attendait. Leurs geôliers n'avaient pas prononcé un seul mot. Ils s'assirent directement par terre, un peu découragés.
- Où est Keezan ? demanda Olyana d'une voix timide.
- Il est mort, répondit brutalement Elya Jumy, sans chercher à atténuer la vérité.
- Il est simplement tombé ! protesta Olyana. Il n'est peut-être que blessé.
- Keezan est un gladiateur et la seule raison pour laquelle un gladiateur ne se relève pas une fois tombé, c'est qu'il est mort, rétorqua Elizan avec la même brutalité froide que Elya Jumy. De plus, vu que nos gardiens sont restés avec les corps après notre départ, même s'il n'était que blessé, il n'en réchapperait pas.
Elya Jumy se rapprocha d'Elizan, alors que Olyana, rompue de fatigue, s'endormait à même le sol.
- Je n'arrive pas à réaliser qu'il puisse être mort, murmura-t-elle comme malgré elle.
- Moi non plus, répondit Elizan en hochant la tête. Lui si plein de vie...
- J'ai un gros vide au fond de moi, avoua Elya Jumy, bafouant tous les principes zarvals qui disaient qu'il ne fallait pas dire ce que l'on ressentait.
Le jeune zarval lui entoura les épaules de son bras pour la réconforter.
- Je suis encore là, dit-il. Et j'essaierai d'être là jusqu'au bout.
Elya Jumy appuya sa tête contre la solide épaule de son compagnon.
- Oui, heureusement, tu es là...
Elle se tut et le silence tomba sur la pièce.
Ils sursautèrent en entendant la porte s'ouvrir. Leurs gardiens, toujours silencieux, les conduisaient dans ce qui leur semblait être un labyrinthe de couloirs, tournant et retournant sans cesse, si bien qu'ils finirent par perdre totalement le sens de l'orientation. Si, par hasard, ils parvenaient à échapper à leurs geôliers ils n'arriveraient jamais à retrouver leur chemin dans ce lacis de couloirs.
Ils débouchèrent dans une grande salle aux tentures pourpre et or, envahie de monde et, sur une estrade, assis dans un haut fauteuil, un grand homme mince les regardait venir à lui. Elya Jumy fut frappée par sa ressemblance avec Keezan : même teint bruni, même chevelure et le regard gris avait les reflets qu'elle connaissait. Elle supposa qu'il s'agissait du Quan de la ville fantôme et fut surprise par sa silhouette ; en général, les Quans zarvals, sauf Rhak Deor, étaient empâtés par leur vie de fêtes et de luxe et se couvraient de joyaux sans prix. Or, ce n'était pas le cas de cet homme, mince, visiblement en excellente forme physique, et dont le harnachement était plus simple que ceux des hommes présents dans la salle.
Le gardien qui les précédait s'agenouilla devant le Quan et toucha le sol de son front.
- Salut à toi, Milenac, Quan de Viliometolc ! déclara-t-il avec emphase, le front toujours dans la poussière.
Sur le visage de Milenac passa un léger nuage d'ennui. Il ne dit rien, attendant patiemment que l'homme se relève, ce qu'il fit avec une lenteur étudiée.
- Voici les prisonniers, Milenac, dit-il ensuite. Ils ont tué six des nôtres, aussi avais-je pensé les condamner sans t'ennuyer davantage et...
- Silence ! intima Milenac d'une voix sèche.
Son ton était rauque, presque rocailleux, et il semblait avoir du mal à prononcer les mots, comme s'il n'avait pas parlé depuis longtemps.
- Des guerriers qui ont tué six de mes braves méritent d'être rencontrés, Catequil. Surtout quand ils ne sont que trois... non, deux ! rectifia-t-il, détaillant attentivement Olyana.
- Nous étions trois à l'origine, Milenac, intervint Elizan.
Le dénommé Catequil blêmit de rage et frappa violemment le jeune zarval.
- Comment oses-tu parler à Milenac, Quan de Viliometolc, sans t'être agenouillé au préalable ? Vil esclave, je vais...
Mais Elya Jumy lui bondit dessus avant qu'il ait eu le temps d'achever son geste et le poignard que Catequil venait de dégainer changea de main, venant lui titiller la gorge. Aucun des gardes n'avait effectué de geste. Elya Jumy releva la tête.
- Que désires-tu que je fasse de lui, Milenac ? demanda-t-elle d'un ton de défi.
- Laisse-le aller, jeune fille, dit-il calmement en lui rendant son regard.
A regret, Elya Jumy se redressa, laissant tomber le poignard par terre, et revint aux côtés d'Elizan qui laissait le sang couler de sa joue blessée sans daigner l'essuyer Catequil se releva à son tour, mais Milenac ne lui accorda pas la moindre attention.. Il plissa les yeux observant les trois prisonniers.
- Catequil, ordonna-t-il, tu mettras les deux filles à mon service. Quant au guerrier, va donc demander à Akanchob s'il peut en faire un gladiateur.
Les épaules d'Elizan s'affaissèrent légèrement. Ses yeux rencontrèrent ceux d'Elya Jumy et, dans un regard, la jeune zarvale lui fit passer toute sa sympathie. Les gardiens l'emmenèrent dans les sous-sols et, de nouveau, Elizan se retrouva dans des souterrains peu éclairés où résonnait le bruit de l'acier.
L'homme qui l'accueillit était un vieil homme tout rabougri qui caquetait et ricanait d'une façon que Elizan trouva immédiatement énervante. Il tâta un peu les muscles du jeune zarval, eut une moue, ricana, puis caqueta :
- Huitzi ! Viens voir par ici !
Un géant s'approcha et Elizan pensa à Ank Gyul lorsqu'il avait affronté Elya Jumy : le même air cruel s'affichait sur ses traits de l'homme brun.
- Milenac veut savoir si cette bête étrange peut combattre, caqueta celui qui devait être Akanchob. Qu'en penses-tu ?
- Je suis un zarval, protesta Elizan, et non un animal !
Mais personne ne l'écoutait. Huitzi l'examina et eut un reniflement réprobateur.
- Il est un peu maigre, mais les muscles ont l'air solide. Si tu n'es pas un animal, esclave, sais-tu tenir une arme ? As-tu un nom ?
- Je suis Elizan de Kal Homel. Je sais me battre avec toutes les armes avec lesquelles il te plaira de me défier.
Le visage dur d'Huitzi se fendit d'un sourire ironique.
- Oh, l'esclave se rebelle ! Très bien, Elizan de Kal Homel, nous allons voir si tu es si bon que tu le prétends. Je ne suis pas un gladiateur ordinaire, moi, je suis ici pour mon plaisir, parce que j'aime me battre ! Et personne n'a encore jamais réussi à me vaincre !
Il claqua des doigts et un mince garçon lui apporta une lourde épée que Elizan n'aurait pas pu utiliser autrement qu'à deux mains. Puis Huitzi conduisit le jeune zarval dans un véritable arsenal : les murs étaient couverts de lames de toutes sortes, courbes ou droites, longues ou courtes, minces ou larges. Le géant eut un vaste geste du bras.
- Choisis tes armes, Elizan de Kal Homel ! Quoi que tu prennes, tu ne pourras pas me battre !
Elizan vit aussitôt qu'il n'y avait pas de bouclier et son côté filynn s'en attrista. Alors il prit deux cimeterres, même s'il préférait les lames droites, car un sindar ne combattait jamais autrement qu'avec des lames courbes. Huitzi eut l'air étonné.
- Je n'ai jamais vu quelqu'un combattre avec deux lames longues, observa-t-il, un peu méfiant.
- C'est une technique propre à ma race, répondit sobrement Elizan.
Huitzi se mit en garde et spontanément, Elizan l'imita. Il n'était pas heureux de se retrouver gladiateur, mais au moins, c'était un milieu qu'il connaissait.
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre : Huitzi affrontait un nouveau venu avec une curieuse technique de combat et, bientôt, un cercle de gladiateurs entoura les deux combattants. Elizan restait fidèle à lui-même, sobre et calme, mais, pour faire honneur à l'enseignement de Zal Hyrda, il s'obligea à utiliser le deuxième cimeterre ainsi que le faisaient les sindars. Et il avait fort à faire, car Huitzi maniait sa lourde épée avec force et précision, un peu comme l'aurait fait un morgoun, mais avec une arme plus meurtrière. Plusieurs fois déjà, Elizan avait cru que son poignet allait céder sous la formidable impulsion ; par contre, il avait réussi deux fois à toucher Huitzi, sans être lui-même indemne. Son bras gauche, celui de défense, était sérieusement blessé et la perte de sang l'affaiblissait.
Akanchob aussi observait le combat, voûté et ricanant. Ses petits yeux gris fer restaient vifs et ne perdaient pas le moindre mouvement.
- Arrêt du combat, caqueta-t-il soudain, alors que les deux adversaires venaient de se désengager pour reprendre leur souffle.
Immédiatement, Huitzi baissa son arme, pointe presque fichée dans le sol de terre rouge. Après un instant de flottement, Elizan fit de même et tourna son regard vers le petit vieillard.
- Alors, Huitzi ? reprit Akanchob.
- Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui tienne si longtemps devant moi, répondit le géant en hochant la tête. Et honnêtement, jamais je n'ai vu de si étrange technique de combat.
Akanchob s'adressa alors à Elizan :
- Bienvenue parmi nous, Elizan de Kal Homel ! Te voici maintenant gladiateur de Viliometolc.
Elizan eut un pauvre sourire.
- Et dire que je venais enfin de sortir des arènes de Kal Homel, murmura-t-il stoïquement. Zamil Polea avait raison, la vie n'est qu'un éternel recommencement.
Même s'il n'était qu'esclave, Elizan avait gagné un certain respect parmi les gladiateurs. Ce n'était pas tous les jours que Huitzi le géant trouvait sur sa route quelqu'un qui lui donnait du fil à retordre. Mais Elizan fut heureux de s'apercevoir que Huitzi ne lui en voulait pas. Un lien d'amitié se développa entre les deux gladiateurs, qui devinrent presque inséparables.
- Pourquoi donc restes-tu avec les gladiateurs, Huitzi ? lui demanda Elizan, le lendemain de jeux auxquels il n'avait pas participé, comme de coutume, car Akanchob trouvait qu'il était trop tôt pour qu'il entre en piste.
- Je te l'ai dit le premier jour : j'aime me battre. C'est presque la seule chose que je sache faire et il n'y a pas moyen d'assouvir cette passion à Viliometolc autrement qu'en étant gladiateur. Mais, contrairement à la majorité de ceux qui sont ici, je suis un homme libre.
Il se tut un instant, observant son interlocuteur. On avait pris à Elizan ses cuirs, pour lui donner le harnachement de Viliometolc, frappés aux armes de la cité. Le jeune zarval ne semblait pas s'en soucier outre mesure, mais quelque chose dans ses yeux à la pupille verticale disait à Huitzi que Elizan était préoccupé. Et puis, le jeune zarval parut se décider.
- Dis-moi, Huitzi, puisque tu es libre, as-tu eu l'occasion de voir les deux femmes qui ont été faites prisonnières en même temps que moi ?
- Elya Jumy d'Iriss Zaiv et Olyana d'Iridium ? interrogea Huitzi, un sourire illuminant son visage dur. Tu les verras, Elizan, je te le promets.
- Quand, Huitzi, quand ? s'exclama Elizan en bondissant sur ses pieds.
- Demain, Elizan, quand tu participeras pour la première fois aux jeux. Olyana d'Iridium a beaucoup de succès et bien des nobles auraient aimé l'acheter, mais Milenac ne veut pas. Il préfère la garder pour lui. Quant à Elya Jumy, il semblerait qu'elle ait été promue au rang de garde du corps.
Elizan retomba dans son indifférence première, observant son compagnon à son tour. Huitzi était un magnifique représentant de la race brune : aussi grand que l'était Ank Gyul, sans doute aussi large d'épaules, il avait les cheveux noirs et les yeux gris de son peuple. Son visage avait des traits durs, mais il souriait parfois d'une manière qui démentait cette dureté. Tout en lui n'était que force et puissance. Il portait les cuirs beiges de Viliometolc avec une aisance qui démontrait qu'il était habitué à avoir tant d'armes à portée de la main, car le harnachement incluait maints fourreaux de dagues ou épées courtes.
- Nous étions quatre à notre arrivée, Huitzi, dit enfin Elizan. Notre quatrième compagnon était un homme qui aurait pu appartenir à ton peuple, mais il portait une cuirasse d'écailles et les cuirs de Kal Homel. Il est tombé lors de l'affrontement qui fit de nous des prisonniers. Sais-tu quel fut son sort ?
Huitzi hocha négativement la tête.
- Je n'en ai pas entendu parler. Je peux me renseigner, mais s'il est vivant et entre les mains de Catequil, cela lui causera des ennuis. Catequil n'aime pas beaucoup qu'on se mêle de ses affaires. Je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais quand il t'a frappé et que Elya Jumy a riposté, personne n'a effectué le moindre geste pour l'en empêcher ou pour porter secours à Catequil. Il n'est pas très aimé, mais il est puissant. Milenac lui-même le craint.
- Si Keezan craint quoi que ce soit dans l'affaire, je préfère abandonner. Il n'a peur de rien, mais il doit être blessé et plus vulnérable que d'ordinaire. Donc, non.
- Comme tu voudras, fit Huitzi en haussant les épaules. Mais si j'entends parler d'un inconnu nous ressemblant, je t'en ferai part. Ceci dit, tu ferais bien de te préparer pour les jeux de demain.
Elizan sourit.
- J'ai déjà été gladiateur huit ans, Huitzi. Je ne crains plus rien, ni personne.
- Je pense que tu devras commencer en morgoun, reprit Huitzi à qui Elizan avait parlé des quatre catégories de gladiateurs, mais si tu finis, tu devras m'affronter. Pour ce combat, peut-être auras-tu le droit de combattre en sindar.
Elizan fit la grimace.
- Si Elya Jumy et Keezan étaient là, tu verrais ce que sont un vrai morgoun et un vrai sindar ! Pour ma part, je suis filynn et filynn je resterai jusqu'au dernier de mes jours. De toute façon, je ne serai pas un vrai sindar, puisque cette catégorie fait partie de la Garde Dorée et que je n'aurai pas de casque.
Huitzi sourit.
- Je sais tout cela, mais crois-moi, Elizan de Kal Homel, prépare-toi pour demain. Le plus grand choc pour toi ne sera pas dans l'arène.
Sur ces paroles énigmatiques, il quitta la cellule d'Elizan. Cette cellule en question n'avait rien à voir avec une cellule de prison ; c'était une pièce souterraine comme tout le quartier des gladiateurs, où quelques torches brûlaient aux murs nus. La pièce contenait le strict nécessaire : un lit, une bassine d'eau et suffisamment de place pour pouvoir s'entraîner sans avoir besoin d'aller à la salle d'entraînement.
Le système avait assez étonné Elizan : l'arsenal, comme il avait baptisé la salle où se trouvaient les armes, était en accès libre, chaque gladiateur pouvant s'y servir à sa guise. A Kal Homel, chaque gladiateur avait ses propres armes et en était responsable ; la clef de la salle servant d'entrepôt existait en un unique exemplaire, dont le propriétaire était Zal Hyrda. Lors des deux ans de formation d'un gladiateur, il ouvrait fréquemment la salle, puisqu'il formait le nouveau gladiateur à être polyvalent. Une fois ses points forts mis en évidence, il se voyait affecter un jeu d'armes qu'il gardait jusqu'à sa mort ou sa liberté. S'il perdait une arme ou en brisait une, il allait en acheter une sur ses propres deniers, généralement provenant de sa fortune personnelle, ou, s'il s'agissait à l'origine d'un esclave, avec l'argent qu'il recevait par mois. Cette pension était ridicule, mais elle s'avérait souvent utile.
Ici, à Viliometolc, c'était un esclave qui s'occupait des armes, un jeune garçon comme celui qui avait apporté son arme à Huitzi le premier jour. Elizan était surpris de voir que les esclaves étaient des hommes bruns également. Pour ce qu'il en savait, Elya Jumy et lui était les seuls zarvals à Viliometolc et Olyana la seule femme dorée. Il devait exister d'autres villes d'hommes bruns et Elizan pensa à Keezan. Se pouvait-il que le jeune homme n'ait rien d'un zarval ? Qu'il ait été capturé si jeune, presque bébé, qu'il croyait être zarval ?
Elizan marcha nerveusement dans sa cellule, s'efforçant d'oublier Keezan. Il pensa de nouveau au fait que ce soit des esclaves qui s'occupaient des armes et décida d'aller dans la réserve choisir ses armes pour le lendemain. Zal Hyrda lui avait durement appris à s'en occuper lui-même et il préférait les avoir sous la main le plus tôt possible.
Dans l'arsenal, il y avait le garçon brun, qui astiquait une longue épée. Elizan le salua et alla directement vers le mur des lames droites pour choisir son épée de morgoun. Acat, l'enfant, leva la tête de son travail et regarda faire Elizan. Le jeune zarval examinait soigneusement chaque lame, notant que certaines d'entre elles avaient des défauts que n'aurait jamais tolérés Zal Hyrda. Enfin, il en trouva une qui lui convenait, la mit dans son fourreau et opéra de même avec les lames courbes. Puis, dûment équipé, il ressortit, laissant Acat rêveur devant cette méticulosité.
Texte © Azraël 1999 - 2002.
Bordure et boutons Taurus, de Moyra/Mystic PC 1998.
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