L'homme-lézard

Kal Homel : Pour la liberté

   Gor Kee devait revoir la jolie prisonnière qui hantait ses pensées. Il savait que Elizan pensait à elle aussi. La vue de cette jeune fille avait rappelé aux deux amis que leur vie ne se limitait pas aux combats de l'arène. Lors d'un combat, Gor Kee, qui affrontait un prisonnier d'une ville voisine, vit, aux pieds de Zamil Polea, la femme de Rhak Deor, le Quanyw de la ville, une mince jeune fille à la peau dorée. Quanyw était le titre le plus en vue dans la hiérarchie zarvale. Tout le monde aurait voulu être Quanyw, car on était le chef des chefs. La ville désignait en fait l'agglomération de plusieurs tribus, vivant en plus ou moins bons termes les unes avec les autres, chacune ayant un Quan à sa tête, mais le Quanyw était le Quan des Quans. Et la jeune fille avait été choisie pour être l'esclave personnelle de la Quanywa. Gor Kee savait ce que cela voulait dire : il avait déjà vu, plus d'une fois, de jeunes et belles zarvales jetées dans l'arène, jouées par des gladiateurs ou sacrifiées pour le plaisir. Et plus d'une fois, Elizan et lui avaient pensé prendre part aux jeux pour sauver quelques-unes de ses malheureuses, mais ils savaient que cela leur était impossible ; pour avoir le droit de prendre pour esclave l'ancien jouet de la Quanywa, il fallait faire la démonstration devant témoins que la captive n'était qu'un objet pour son vainqueur. Les zarvales faisaient rarement long feu dans les Souterrains, sauf Elya Jumy, mais celle-ci faisait partie des gladiateurs et aucun d'entre eux n'aurait osé lui manquer de respect. D'une part, parce que Elya Jumy était une fine lame et d'autre part, parce que Gor Kee et Elizan étaient ses deux champions attitrés et que chacun savait que les deux amis auraient préféré mourir plutôt que laisser quelqu'un porter la main sur Elya Jumy.
   Voir la jeune fille aux pieds de Zamil Polea perturba tant Gor Kee qu'il faillit se faire battre par son adversaire ; un sifflement impérieux en provenance de l'entrée lui fit reprendre ses esprits ; Elizan surveillait son ami et lui rappelait l'enjeu de chaque combat. Si Gor Kee remportait ce combat, il ne lui en resterait plus que neuf à gagner pour être libre. Alors Gor Kee reprit le combat avec plus de hargne, s'y plongeant de toute son âme, avec le secret espoir, peut-être, d'impressionner la jeune fille dorée. Le prisonnier de la ville voisine ne fit pas longtemps long feu devant pareille détermination, surtout que Gor Kee faisait partie des meilleurs combattants. Comme de coutume, le vainqueur se tourna vers la tribune du Quanyw et attendit la volonté de Quan des Quans. Le grand zarval écouta ce que sa femme lui disait et, en réponse à sa demande, il baissa le pouce. Gor Kee hésita un instant ; la mort n'était pas de coutume dans les arènes, sauf par accident, ou lors des Jeux, où tout combat ne se terminait que par la mort d'un des deux combattants. Le prisonnier, lui, n'hésita pas : il se rua presque sur la lame de Gor Kee qui ne put rien faire pour éviter le mouvement désespéré.
   Sous les applaudissements de la foule et ses hurlements, Gor Kee rejoignit les Souterrains. Elizan lui sourit au passage, prenant sa place. Lui aussi se battait pour sa liberté, car il était devenu gladiateur en même temps que son ami. Ils avaient tout fait ensemble, de leurs premiers pas à leurs premiers combats, leurs entraînements. Le style d'Elizan n'était pas comparable à celui de son ami, même s'il y avait quelques similitudes. Le style d'Elizan était très pur, calme, posé, terriblement efficace. Celui de Gor Kee n'était pas moins efficace, mais le jeune gladiateur jouait davantage sur sa rapidité ; il était sans cesse en mouvement, épuisant l'adversaire par ses attaques incessantes, alors que Elizan préférait attendre de pied ferme. Et, sous les yeux de Gor Kee, Elizan faisait une nouvelle fois la preuve de son efficacité ; il ne lui fallut pas longtemps pour étendre son adversaire à ses pieds, sur le sable rougeâtre de l'arène. Il s'agissait d'un homme à la peau dorée, sans doute de la même race que la jeune fille, et probablement capturé lors d'un raid. De nouveau, le Quanyw refusa le geste de clémence. La foule s'étonna, murmura, mais le Quanyw demeura inflexible. Elizan leva les yeux vers la Quanywa et lui lança un regard de pure haine ; il savait que la Quanywa ne lui avait jamais pardonné de l'avoir repoussée et qu'elle se vengeait de cette manière. Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait combattre Elizan et elle s'arrangeait pour toujours trouver quelque chose qui le dérangeait. Elizan abaissa les yeux sur son malheureux adversaire.
    - Désolé, murmura-t-il.
    - Fais ton devoir, répondit l'homme doré avec calme.
   Il se redressa, offrant sa poitrine au coup mortel. Elizan hésita encore un instant, puis s'exécuta, la mort dans l'âme. A l'entrée des Souterrains, Gor Kee et Elya Jumy le regardaient avec sympathie. Elizan regagna les couloirs sombres d'un pas lourd, souhaitant de toutes ses forces pouvoir se boucher les oreilles afin de ne pas entendre le rire perçant de Zamil Polea couvrir les cris de la foule.
   Ce fut au tour d'Elya Jumy d'entrer dans l'arène. Elle se tenait fièrement, en silence, sa main nonchalamment refermée sur sa longue épée. Elya Jumy ne venait pas de Kal Homel, mais de la ville voisine, Iriss Zaiv, et avait préféré faire partie des gladiateurs plutôt que devenir l'esclave d'un zarval de Kal Homel. Ce jour-là, elle combattait pour sa liberté : c'était son dernier combat et Zal Hyrda le savait, le regrettant amèrement : Elya Jumy était la seule femme aux arènes et ses combats étaient toujours très prisés. En lui rendant sa liberté, il allait perdre une de ses vedettes. Elizan et Gor Kee attendaient le moment où, calmement, elle clamerait les noms des Douze, annonçant ainsi que ce combat lui donnerait la liberté, soit par la mort, soit par sa victoire. Mais Elya Jumy ne disait rien ; elle se mettait en place au milieu de l'arène, attendant son adversaire. Le regard de Zamil Polea glissa sur la jeune zarvale et brilla d'un éclair mauvais. Elle se tourna vers Rhak Deor et lança quelque chose d'un ton acerbe ; dans sa colère, elle leva trop haut la main qui tenait la chaîne retenant son esclave et la jeune fille dorée fut à moitié étranglée. Elle porta les mains à son cou, tirant sur la chaîne pour pouvoir respirer. Ce fut Rhak Deor qui vint à son aide, forçant sa femme à baisser la main ; mais ce geste de clémence fut aussitôt suivi d'un coup de pied de la part de Zamil Polea.
   La foule s'impatientait ; certains spectateurs, qui suivaient Elya Jumy depuis ses débuts, savaient qu'elle allait livrer son dernier combat et s'étonnaient aussi de ne pas l'entendre se réclamer des Douze. Enfin, l'adversaire de la jeune zarvale entra et le sourire de Zamil Polea fut affreux à voir. Elya Jumy n'eut même pas un frémissement et pourtant, elle n'ignorait pas que le zarval géant qui se présentait à elle n'était pas l'adversaire qui lui était destiné à l'origine. Zal Hyrda n'aurait jamais essayé de tuer l'une de ses vedettes ; de plus, le nouveau venu ne portait pas la tenue habituelle des gladiateurs que même un prisonnier de la veille revêtait. Elya Jumy jeta un rapide coup d'oeil en direction de la tribune et d'un regard, fit comprendre à Zamil Polea qu'elle savait d'où venait son adversaire. Le géant était un des gardes personnels de la Quanywa et Elya Jumy sentit le piège se refermer autour d'elle. Si elle le tuait, la Quanywa la poursuivrait de sa haine le restant de sa vie ou même, pourrait exiger sa mort sur-le-champ. La jeune zarvale sourit à ses amis restés à l'entrée des Souterrains, rejeta fièrement la tête en arrière et se mit en garde. Sa longue chevelure bleue attachée en queue-de-cheval dansait dans son dos au moindre de ses mouvements. Son adversaire eut un sourire presque aussi affreux que celui de Zamil Polea quelques instants plus tôt et vint faire face à la jeune zarvale.

   Le combat fut sans pitié. Elya Jumy se battait pour sa liberté et rien n'aurait plus lui donner plus de hargne. L'autre se battait sur ordre de sa maîtresse, mais il savait que son châtiment serait terrible s'il échouait et que la jeune zarvale lui laissait la vie sauve. Comme Zamil Polea, il savait que Rhak Deor admirait beaucoup Elya Jumy et qu'il pardonnerait difficilement à sa femme d'avoir voulu la faire tuer. Aussi Ank Gyul était-il presque sûr que Rhak Deor ferait le signe de clémence, quelle que soit l'issue du combat, soit pour épargner Elya Jumy, soit pour que le zarval géant subisse un sort terrible imaginé par sa maîtresse au cerveau retors qui ne supporterait pas un échec.
   Elya Jumy était gladiateur depuis plus longtemps que Elizan et Gor Kee, mais elle s'était souvent entraînée avec les deux amis et son style avait su intégrer le meilleur de leurs techniques. Tantôt elle était calme et pondérée, répondant et parant de sa longue épée les coups portés par Ank Gyul, tantôt elle était bondissante et vive, attaquant à droite et à gauche. Les deux combattants étaient blessés, Ank Gyul au bras gauche et au côté, et Elya Jumy avait une estafilade au front, sans gravité, mais le sang qu'elle perdait par sa blessure lui tombait dans les yeux et l'empêchait de voir. Plus d'une fois, elle dut bondir en arrière pour s'essuyer rapidement les yeux, se barbouillant le visage de sang. La foule était étrangement silencieuse, suivant le combat avec anxiété. La plupart des spectateurs avaient pris parti pour Elya Jumy, d'une part pour ses qualités de combattante et d'autre part parce que Zamil Polea n'était guère aimée.
   Elizan et Gor Kee, eux aussi, étaient anxieux. Ils savaient qu'il s'agissait du dernier combat de la jeune zarvale et ils priaient au fond d'eux-mêmes pour qu'elle gagne sa liberté. Mais ils la voyaient faiblir sous les coups répétés et puissants d'Ank Gyul. Ce fait devenait de plus en plus visible, surtout quand le poignet d'Elya Jumy eut une faiblesse et ne dévia que partiellement l'épée de son adversaire, laquelle lui transperça l'épaule. Le cri de la jeune zarvale résonna presque sinistrement dans le silence de l'arène. Elle chancela, faillit lâcher son épée, mais se ressaisit à la dernière minute, reculant d'un pas pour éviter l'attaque suivante. Elizan et Gor Kee n'eurent même pas besoin de se concerter : d'une seule voix, ils entonnèrent le chant des gladiateurs, apportant ainsi leur soutien à leur amie. Mais une surprise de taille les attendait : une bonne partie de la foule reprit le refrain avec eux. Ank Gyul, se voyant abandonné de tous, eut un instant de flottement que Elya Jumy, qui avait repris courage, mit à profit aussitôt : en deux temps trois mouvements, par une suite d'attaques imparables, elle désarma son adversaire et le força à demander grâce. Les deux combattants se tournèrent vers Rhak Deor, la même question dans le regard ; Elya Jumy se doutait du sort horrible qui attendait Ank Gyul et elle avait pitié du géant vaincu. Avec un sourire, Rhak Deor leva le pouce. Ank Gyul eut un gémissement et enfouit son visage dans ses mains.
   Elya Jumy fit un pas en avant, son épée toujours à la main, belle et fière, malgré tout le sang qui la maculait et son bras gauche qui pendait à son côté sans mouvement.
    - Je suis Elya Jumy ! lança-t-elle pour respecter la coutume, même si elle savait que le Quanyw connaissait parfaitement son nom. Aujourd'hui, continua-t-elle de sa voix claire, les yeux fixés sur Rhak Deor, je combattais pour ma liberté. Pourtant, je n'ai pas clamé le nom des Douze, comme j'étais en droit de le faire. J'ai gagné ma liberté, Quanyw !
    - Tu as gagné ta liberté, Elya Jumy, confirma Rhak Deor en se levant. A partir d'aujourd'hui, il n'y aura plus douze noms, mais treize !
   Les acclamations de la foule vinrent appuyer les paroles du Quanyw. Mais Elya Jumy semblait avoir une autre idée en tête.
    - J'ai une faveur à demander à mon Quanyw, annonça-t-elle.
    - Mais que fait-elle ? s'agita Elizan. Elle est folle ! Il faut qu'elle parte, tout de suite, ou Zal Hyrda va mettre la main sur elle !
    - Je t'écoute, Elya Jumy.
    - D'après la loi, le vaincu lors d'un combat pour la liberté appartient au vainqueur. Je réclame la vie d'Ank Gyul.
    - Elle t'appartient. Fais de lui ce que tu veux, répondit Rhak Deor, après un léger froncement de sourcils.
   Zamil Polea se leva, voulut protester, mais le Quanyw la fit se rasseoir. Elya Jumy en avait appelé au Quanyw et Rhak Deor ne pouvait écouter ce que sa femme avait à lui dire.
    - Mais ce n'est certes pas la faveur que tu voulais me demander, Elya Jumy.
    - Deux de mes amis sont proches eux aussi de gagner leur liberté. J'aimerais pouvoir rester avec eux tant qu'ils seront gladiateurs, afin que nous soyons libres en même temps.
    - Et si jamais ils échouent ? objecta le Quanyw.
    - Alors ma vie n'aura plus aucun sens, répondit simplement Elya Jumy.
   A l'entrée des Souterrains, Elizan et Gor Kee se regardèrent, effarés. Anxieux, ils attendirent le jugement de Rhak Deor. Le Quanyw était décontenancé par cette demande inhabituelle.
    - Eh bien, Elya Jumy, tout gladiateur gagnant sa liberté à la pointe de son arme a droit à une faveur. Si le souhait que tu viens d'exprimer est ce que tu désires, tu es exaucée !
    - Mon Quanyw est grand et juste, répondit Elya Jumy en s'inclinant.
   Et puis, avec un cri de joie, elle leva son épée tachée de sang vers le ciel. Zal Hyrda arriva en trottinant près de sa vedette et entreprit de défaire la ceinture d'or que la jeune zarvale portait, ainsi que les bracelets rouges. Elya Jumy se débarrassa rapidement de son armure rouge, sous laquelle elle portait les cuirs habituels sur Erikra, avec la touche personnelle du peuple zarval. Chaque harnachement reflétait naturellement la provenance de celui qui le portait et le harnais d'Elya Jumy était d'un cuir teint en bleu et surpiqué de blanc, décoré par des pièces d'un métal blanc si bien poli qu'il en reflétait la lumière. Elle remit ensuite sa ceinture dorée.
   Elya Jumy, héroïne de la journée, revint vers les Souterrains, suivie par Ank Gyul, et sourit à ses amis qui l'attendaient. Juste avant de disparaître dans les profondeurs sombres, elle tourna une dernière fois la tête vers la tribune. Là, son regard accrocha celui de la jeune fille dorée et elle eut un geste d'encouragement. Les yeux de la prisonnière s'arrondirent d'étonnement, mais Zamil Polea tirant violemment sur sa chaîne, elle dut la suivre, à demi étranglée.

   Zal Hyrda les laissa, après s'être bien assuré qu'Elya Jumy n'allait pas s'envoler et qu'elle restait bien dans les Souterrains. Ils se réunirent tous dans les quartiers de la jeune zarvale, Ank Gyul restant soigneusement derrière elle, se comportant comme un parfait esclave. Agacée, Elya Jumy s'exclama :
    - Arrête ce petit jeu ! Tu n'es pas mon esclave !
    - Alors pourquoi m'as-tu sauvé, princesse ?
    - Parce que je me doutais du sort que te ferait subir Zamil Polea, répondit Elya Jumy en haussant ses belles épaules.
   Elle passa sa main humide sur son visage, pour ôter les traces de sang. Elizan voulut l'aider, mais Ank Gyul fut plus rapide. Il s'acquitta de cette tâche avec une étonnante douceur, mais Elya Jumy gardait les sourcils froncés.
    - Je viens de te dire que tu étais libre, gronda-t-elle.
    - Alors je suis libre de m'attacher à toi, princesse, répondit Ank Gyul de sa voix basse. Je n'aurais pas eu la même clémence à ton égard et même si tu m'avais plongé ta lame dans la poitrine, je t'aurais remerciée de mon dernier souffle.
    - Comment t'appelles-tu ?
    - Ank Gyul, princesse.
    - Et la nouvelle esclave de la Quanywa ? continua Elya Jumy, sachant parfaitement que Gor Kee brûlait de connaître le nom de la belle jeune fille.
   Ank Gyul eut l'air étonné.
    - Zamil Polea la nomme Ran Vinyr, mais Rhak Deor lui donne le titre d'Olyana, Princesse d'Iridium.
    - Ran Vinyr ! gronda rageusement Gor Kee, poings serrés, n'ignorant pas que cette appellation dans la bouche de Zamil Polea équivalait à une insulte.
    - Olyana..., fit rêveusement Elizan, sensible à la musique du nom.
    - Iridium, répéta Elya Jumy pour sa part. C'est le plus proche royaume doré d'Iriss Zaiv... Que sais-tu sur Olyana d'Iridium, Ank Gyul ?
   Le géant se gratta la tête, l'air embarrassé.
    - Pas grand-chose, princesse, répondit-il. Zamil Polea l'a prise pour contrarier Lhe Mandha, mais a été furieuse de constater que Rhak Deor aimait avoir de longues conversations avec elle.
   Elizan eut un sourire tordu.
    - Venant de Zamil Polea, le contraire m'eut étonné, grinça-t-il. Cette femme a un sens aigu de la possession.
   Ank Gyul regarda Elizan en plissant les yeux, quelque chose semblant l'intriguer.
    - Tu sembles connaître Zamil Polea, risqua-t-il, n'osant pas poser la question plus directement.
    - Oui, Ank Gyul, je connais Zamil Polea. Elle voulait m'épouser, à une certaine époque...
    - Et comment lui as-tu échappé ?
    - En devenant gladiateur, rétorqua Elizan sans perdre son sourire.
    - M'entraînant dans ta déchéance en même temps, grommela Gor Kee, mais l'éclat amusé de ses yeux démentait ce reproche apparent.
   Ank Gyul paraissait ne plus rien comprendre, alors Gor Kee reprit :
    - Pour éviter le mariage avec Zamil Polea, qui n'est pas femme à lâcher prise, Elizan s'est engagé comme gladiateur. Du coup, Zamil Polea s'est vengée sur moi, me faisant attaquer à longueur de journée et de nuit par ses sbires. Comme je ne savais pas vraiment me battre, j'ai préféré suivre le même chemin que Elizan ; de plus, j'aimais mieux être gladiateur avec lui que libre sans lui.
    - Et vous êtes gladiateurs depuis combien de temps ?
   Elizan se gratta la tête.
    - Ça doit bien faire huit ans maintenant. Nous sommes vedettes depuis six ans et Elya Jumy depuis huit ans. Elle était arrivée deux ans avant nous. L'entraînement des gladiateurs les plus prometteurs - j'emploie les termes de Zal Hyrda - dure deux ans. Zal Hyrda est intransigeant sur ce point. Si tu insistes, disant que tu n'en as pas besoin, il va lui-même prendre les armes et te démontrer vite fait que tu ne sais rien et qu'il vaudrait mieux pour toi suivre son enseignement.
    - Zal Hyrda est un grand combattant, acquiesça Elya Jumy. Je me souviens encore de l'humiliation qu'il m'a infligée il n'y a pas deux semaines !
    - Mais, protesta Ank Gyul, il y a huit ans, Zamil Polea était déjà Quanywa !
    - Je sais, fit Elizan. Mais elle me trouvait intéressant quand même et je suppose que Rhak Deor n'aurait pas fait long feu si j'avais accepté.
   Il haussa les épaules et sourit. Elya Jumy fixa Ank Gyul.
    - Et toi, Ank Gyul ? Depuis combien de temps es-tu avec Zamil Polea ?
    - Depuis dix ans, princesse.
   Il eut un pauvre sourire tandis que Elya Jumy acquiesçait d'un air compréhensif.
    - J'en ai vu de dures, mais je ne me plaignais pas. Zamil Polea n'encourage pas les remords et la pitié.
   Il haussa les épaules à son tour, puis son regard bleu eut une mauvaise lueur.
    - Je vois que vous prenez tous de l'intérêt à Olyana d'Iridium, commença-t-il. Si vous ne voulez pas qu'il lui arrive la même chose qu'aux autres esclaves de Zamil Polea, vous devez l'enlever avant que la Quanywa ne se lasse d'elle.
    - Mais comment ? s'exclama Elizan. Zamil Polea doit veiller sur elle avec jalousie et l'enfermer soigneusement !
    - Elle a péché par excès de prudence, reprit Ank Gyul avec un sourire. Elle enferme Olyana d'Iridium tous les soirs dans une geôle souterraine ; peu la connaissent, mais je faisais partie de ses gardes du corps préférés et donc, je connais l'emplacement de cette geôle. Or, ces souterrains communiquent avec ceux-ci !
   Gor Kee se leva.
    - C'est inutile. Quand je livrerai le combat pour la liberté, je réclamerai Olyana d'Iridium pour moi et Rhak Deor ne pourra pas refuser. On ne peut rien refuser à un gladiateur qui se libère.
    - Tu es fou, Gor Kee ! s'écria Elizan avec véhémence. Zamil Polea n'aura de cesse de t'avoir tué pour lui avoir infligé pareil affront !
    - Nous connaissons Zamil Polea, rétorqua Gor Kee avec un sourire amusé, et je sais comment son cerveau retors réfléchit. Elle ne m'aura pas, je te le promets ! De toute façon, je compte ramener aussitôt la princesse d'Iridium à son peuple.
    - Il serait beaucoup plus discret de la libérer à partir de son souterrain, objecta Ank Gyul.
    - Peut-être, mais Zamil Polea organiserait des recherches.
    - Les Souterrains sont en accès interdit, même au Quanyw, répondit Elizan.
    - D'accord, je vois que tout le monde est contre moi, donc j'abandonne mon idée.
    - Comment est-elle logée dans ces souterrains ? demanda Elya Jumy.
    - Elle a froid, faim et n'aime pas beaucoup les rats, dit Ank Gyul sans rire.
    - Où est sa prison ?
   Sans répondre, Ank Gyul s'accroupit et dessina rapidement un plan sur le sol de terre. Une croix marqua l'endroit où était détenue Olyana d'Iridium durant la nuit. Elya Jumy, Elizan et Gor Kee examinèrent soigneusement le plan, puis la jeune zarvale l'effaça du bout du pied.
    - Très bien, nous la délivrerons la veille de votre combat de libération, décréta Elya Jumy.
   Ils continuèrent à discuter de choses et d'autres, Ank Gyul intégré dans leur groupe sans commentaire, même si le zarval géant persistait à appeler Elya Jumy "princesse", qui était une marque de respect chez les zarvals.

   Mais la nuit venue, une mince silhouette se leva des quartiers des gladiateurs. Elle emprunta le chemin qui menait aux souterrains du palais quanyw. Elle frôlait les murs, regardant fréquemment derrière elle, marchant sans le moindre bruit. Et elle arriva devant une prison à la porte bien fermée par de lourds verrous. Mais la silhouette semblait n'en avoir cure. Elle continua le long du mur, puis pesa doucement sur une pierre. Un pan du mur pivota, donnant un accès dans la prison. La silhouette s'y glissa et referma la porte secrète derrière elle. Devant elle, sur une étroite planche de bois, la jeune fille à la peau dorée était recroquevillée, des fers emprisonnant ses poignets délicats. Elle se redressa à moitié en entendant du bruit et sursauta en voyant le jeune homme qui se tenait devant elle.
    - Je te reconnais ! fit-elle à mi-voix. C'est toi que j'ai vu le jour de mon arrivée !
    - C'est exact, Olyana d'Iridium, répondit le jeune homme d'une voix basse.
    - Que viens-tu faire ici ? reprit la jeune fille, d'un ton un peu agressif. Tu n'as pas répondu à mon signe, ce jour-là !
    - Je ne l'avais pas compris alors.
   Il s'avança vers la jeune fille et s'accroupit devant elle. Un rat lui sauta sur la jambe. D'un mouvement vif, il lui tordit le cou.
    - Ils attaquent tout ce qui reste sur le sol, expliqua Olyana en s'asseyant en tailleur.
    - Qu'ils m'attaquent, gronda le jeune homme, ils trouveront à qui parler !
   A peine avait-il fini sa phrase que deux autres rats bondissaient sur ses pieds. En deux temps, trois mouvements, il les étrangla de la même façon qu'il avait fait avec le premier.
    - Pourquoi être venu ? demanda Olyana. Et qui es-tu ?
    - Mon nom n'a pas d'importance, répondit le jeune homme. Quant à ma venue, j'ai appris les conditions de ta détention et je me suis dit que je pouvais peut-être adoucir ton sort.
   Il lui tendit du pain qu'elle prit avec reconnaissance.
    - Zamil Polea me nourrit à peine, expliqua-t-elle après la première bouchée.
    - Elle fait toujours ça avec ses esclaves, mais les zarvals ne mangent pas beaucoup. En temps normal, le manque de nourriture ne dérange pas beaucoup ses esclaves, car elles font partie de mon peuple.
    - Tu n'es pas un zarval ! protesta Olyana.
    - Bien sûr que si ! s'étonna le jeune homme. Je suis né ici, j'ai grandi ici et je ne connais que les coutumes zarvales. Mais j'ai une déficience génétique, acheva-t-il, un peu gêné.
   Olyana eut l'air sidérée.
    - Qui t'a dit cela ? C'est faux ! Tu es de ma race ! Tu n'as pas la même couleur de peau que moi, mais, indiscutablement, tu es un homme et non un zarval !
    - J'aimerais être de ta race, car tu es si belle..., murmura le jeune homme.
   Puis il baissa la tête, honteux.
    - Pardonne-moi, je n'ai pas le droit de te dire cela. Un zarval ne fait pas part de ce qu'il pense. Je t'ai apporté une couverture, continua-t-il avec précipitation, désireux de changer rapidement de sujet.
   Olyana l'accepta avec un sourire.
    - Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour t'être agréable, ma princesse ? demanda le jeune homme en se redressant.
   La jeune fille se raidit et le regarda d'un air stupéfait, que les ténèbres dissimulèrent à moitié à son interlocuteur.
    - Non, c'est bon, répondit-elle d'une voix un peu sèche. Mais Zamil Polea va trouver ici la couverture et les rats morts.
    - J'emporte les rats morts, fit doucement le jeune homme. Quant à la couverture, il y a ici une cache secrète, derrière cette pierre, et tu pourras l'y mettre. Je reviendrai, Olyana d'Iridium.
   Il disparut dans les ténèbres et fit fonctionner la porte secrète, avant de se couler dans les couloirs sombres, s'interrogeant sur la raison du changement d'humeur de la jeune fille.

   Avec le retour du soleil, revinrent les entraînements et le train-train quotidien. Une fois remis de sa joie de savoir que Elya Jumy restait encore, Zal Hyrda recommença à donner des ordres secs et à surveiller ses poulains. Il examina attentivement Ank Gyul et lui attribua Elya Jumy comme adversaire, confiant à la jeune zarvale le soin de former le nouveau gladiateur, sans même se préoccuper de savoir si elle voulait bien lui céder cet homme qui lui appartenait. Elya Jumy ne dit rien, sachant pertinemment que tant qu'elle serait dans les Souterrains, tout ce qui lui appartenait était aussi propriété de Zal Hyrda. Le rôle que le vieux zarval lui avait assigné était un honneur, car c'était comme s'il l'avait désignée comme son assistant, chose très rare parmi les gladiateurs. Gor Kee et Elizan, comme d'habitude, s'affrontaient ; même s'ils connaissaient par coeur le style de l'autre, chacun parvenait encore à étonner son adversaire. Elya Jumy s'étonna de l'air fatigué des deux amis, qui avaient d'ordinaire un très bon sommeil. Zal Hyrda les houspilla un peu pour la forme, car il n'avait depuis longtemps plus rien à leur reprocher. Même, il arrivait souvent que les deux amis remettent l'ordre dans les Souterrains quand les nouveaux gladiateurs entreprenaient de se révolter, écoeurés par cette discipline de fer. Gor Kee et Elizan tenaient à leur tranquillité et plus d'un jeune zarval avait reçu une sévère correction quand il s'était avisé d'empiéter sur leur terrain.
   Le soir, Olyana attendit son visiteur, dormant par intermittence, sans cesse réveillée par le bruit de course des rats. Mais il ne vint pas. La nuit suivante non plus. Mais elle trouvait de la nourriture dans la cache où elle mettait sa couverture chaque matin. Quand enfin elle le vit réapparaître devant elle, elle retint un cri de joie.
    - Comment vas-tu, Olyana d'Iridium ? demanda son visiteur.
    - Bien, mais je me demandais pourquoi tu ne revenais pas. J'ai eu peur qu'on t'ait arrêté.
   Le jeune homme resta silencieux un moment, puis dit :
    - Il vaut mieux éviter d'attirer l'attention en venant trop souvent, mais si tu souhaites ma présence, je viendrai plus fréquemment.
    - Comment viens-tu ici ? J'ai cherché partout et je n'ai pas trouvé de porte secrète.
    - Je préfère ne pas te le dire, Olyana d'Iridium. Zamil Polea peut être très persuasive et je ne voudrais pas qu'elle te change de prison, sinon je ne pourrais plus te libérer le moment venu.
    - Tu connais le palais quanyw par coeur ?
    - Presque.
    - Et la famille quanyw ?
    - Que veux-tu savoir ?
    - Qui est Ran Vinyr ?
   Elle ne put pas voir les traits du jeune homme se crisper.
    - Ran Vinyr était une esclave, qui appartenait à Rhak Deor, il y a déjà bien vingt ans de cela, avant que Zamil Polea ne soit son épouse. Rhak Deor en était amoureux fou, mais il ne pouvait pas légitimer son union avec elle, car elle n'était pas zarvale. C'était une femme dorée, acheva-t-il en détournant le regard. Or Zamil Polea convoitait le titre de Quanywa et tant que Ran Vinyr était vivante, il lui était inaccessible, car Rhak Deor refusait d'entendre parler mariage, son coeur appartenant tout entier à la jeune esclave. Zamil Polea l'a fait assassiner.
    - Rhak Deor le sait ?
    - Oui. Il hait Zamil Polea, mais le garde pour lui. Ran Vinyr est toujours vivante dans son coeur et c'est pourquoi Zamil Polea déteste tant le souvenir de la morte.
    - Craint-elle quelque chose de ma part ?
    - Elle peut craindre que Rhak Deor te trouve un air de ressemblance avec Ran Vinyr et l'évince pour t'établir favorite, répondit le jeune homme en haussant les épaules.
    - Comment connais-tu l'histoire de Ran Vinyr ? Tu n'as pas l'air d'être suffisamment vieux pour l'avoir vécue !
    - On se souvient toujours du bon temps... Rhak Deor n'est pas un mauvais Quanyw, mais il se laisse trop dominer. Les zarvals de Kal Homel préféraient l'époque où c'était Ran Vinyr qui le faisait passer par ses quatre volontés, plutôt que Zamil Polea. Ce qui accentue encore la haine de la Quanywa, car le peuple adore littéralement Ran Vinyr, même morte.
   Il se tut un instant, puis reprit :
    - Mais je ne suis pas venu ici pour te faire un cours d'histoire de Kal Homel. As-tu assez à manger ou souhaites-tu que j'en mette davantage dans la cache ?
    - C'est largement suffisant, rassure-toi.
    - Je dois m'en aller, maintenant, Olyana d'Iridium.
   Il s'inclina à demi devant elle et allait se retirer, quand elle agrippa soudain son bras, se redressant en même temps, posant son petit pied nu par terre.
    - Tu reviendras ? demanda-t-elle.
   Le jeune homme ne répondit pas tout de suite ; il se pencha et attrapa le rat qui allait se précipiter sur la jambe d'Olyana. Il souleva la jeune fille de son autre bras et la déposa sur sa planche de bois, avant d'étrangler le rat.
    - Je reviendrai, Olyana d'Iridium, dit-il de sa voix grave. Fais attention à toi.
    - Ne veux-tu vraiment pas me dire ton nom ?
   Il hésita un court instant.
    - Keezan, répondit-il avant de disparaître une nouvelle fois.

   Gor Kee et Elizan allaient bientôt livrer leur dernier combat. La veille, Elya Jumy rappela au petit groupe qu'ils devaient délivrer Olyana d'Iridium. Mais quand ils arrivèrent à la prison de la jeune fille, elle était vide. Olyana observait les nouveaux venus d'une cachette toute proche, se souvenant encore de l'arrivée de son visiteur.
    - Viens vite, Olyana d'Iridium !
    - Que se passe-t-il ?
    - L'on va venir te délivrer.
    - Et tu me fais déjà sortir ?
    - Oui ; parce que si tu t'échappes, les représailles de Zamil Polea seront terribles. Or, il ne faut pas que tu sois délivrée de son joug ainsi. Demain, un gladiateur combattra pour toi, demandant à t'avoir pour soeur.
    - Pour soeur ? s'étonna Olyana.
    - Oui. Cela signifie que tu n'auras pas à subir le rituel humiliant obligatoire lorsque l'on demande une esclave de Zamil Polea pour femme. Etre soeur d'un zarval, c'est faire partie de sa famille, en tout bien tout honneur. Ton vainqueur aura tous les droits sur toi, tous les droits qu'un père a sur ses enfants, pas davantage. Par contre, il y a un risque : l'adversaire de ton champion sera obligé de renchérir et te demandera probablement pour esclave. Ce qui veut dire que si ton champion perd, tu seras déshonorée.
    - Alors tu me tueras, n'est-ce pas, Keezan ?
    - Je te tuerai, confirma gravement le jeune homme.
    - Mais demain, ce sont les Jeux !
    - Oui, ce sont les Jeux. Et ce sera aussi le combat de libération de ton champion.
    - Un des amis d'Elya Jumy ?
    - Oui. Tu te souviens des combattants casqués qui sont passés juste avant elle ?
    - Bien sûr. J'ai d'ailleurs été étonnée ; tous les autres étaient sans casque, sauf ces quatre-là.
    - Ils font partie d'une catégorie de combattants assez spéciaux. Chez les zarvals, il y a quatre catégories de combattants. Le premier, le morgoun, porte juste l'armure rouge du gladiateur, une épée longue et n'a pas de casque. C'est le cas d'Elya Jumy. Le deuxième, le culiair, n'a pas de casque non plus, mais en plus de l'armure, ils ont des protections aux jambes, car ils se battent avec des fouets. Il n'y en avait pas lors du combat auquel tu as assisté. Le troisième, le sindar, porte l'armure rouge et un casque, se bat avec des lames courbes en général, normalement deux, et se base beaucoup sur sa vitesse. C'était le cas du premier des deux combattants casqués, Gor Kee. Il n'avait qu'une lame ce jour-là, mais il en aura deux demain. C'est lui qui combattra demain pour toi. Le dernier...
    - Mais la dernière fois, il avait un bouclier ! Comment pourra-t-il se protéger s'il combat avec deux lames ?
    - Il se protège avec ses lames, tu verras. Le dernier, le filynn, a également un casque, mais garde son bouclier. Son arme est plutôt une lame droite. Le deuxième combattant, Elizan, est un filynn. La dernière fois, Gor Kee a combattu en tant que filynn, parce qu'il n'y avait pas de sindar dans les prisonniers.
    - Pourquoi Gor Kee combattra pour moi, demain ?
    - En fait, ce ne sera pas Gor Kee qui combattra pour toi demain, mais moi. Il a accepté de me laisser sa place.
    - Tu es gladiateur aussi ? Un sindar ?
    - Oui. Mais moi, je suis loin de mon combat pour la liberté.
    - Mais si tu échoues, Gor Kee ne pourra plus être libre !
    - Bien sûr que si ! Il lui suffira de révéler la tricherie. Zal Hyrda sera furieux, mais d'un côté, il aura une vedette pour un combat de plus.
    - On reconnaîtra que tu n'es pas un zarval !
    - Non, ne crains pas cela. Je porterai un signe distinctif pour que tu me reconnaisses, entendu ?
    - Mais quand tu auras gagné... tu enlèveras ton armure, ton casque, et alors, ils verront !
    - Rassure-toi, ma princesse, il n'en sera rien. Maintenant, viens !
   De nouveau, Olyana se raidit, mais son ton resta doux quand elle murmura :
    - Etre à la fois un si grand guerrier et un tel enfant !
    - Qu'ai-je donc fait ? s'étonna Keezan.
   Olyana rougit.
    - Ce n'est pas important.

   Et maintenant, devant elle, elle voyait quatre silhouettes qui regardaient la cellule vide d'un air désolé.
    - Zamil Polea doit être au courant de nos intentions, fit une voix féminine, et Olyana reconnut celle d'Elya Jumy.
    - Ce n'est pas possible, aucun de nous n'aime Zamil Polea ! protesta une autre voix, plus rude, qu'Olyana connaissait également : celle d'Ank Gyul.
    - Comment allons-nous faire ? Nous ne pouvons pas la laisser entre les griffes de Zamil Polea et après-demain, il sera trop tard, nous ne pourrons plus rien faire. Je n'ai pas envie de me réengager comme gladiateur pour huit ans juste pour les beaux yeux de la princesse d'Iridium ! intervint une troisième voix.
    - Il nous reste ma solution, fit une quatrième.
    - Gor Kee, tu sais très bien que c'est une folie, gronda la troisième.
    - Gor Kee ! murmura Olyana, surprise.
   Mais pour elle, le nom de Gor Kee évoquait plus son visiteur nocturne que le gladiateur lui-même.
    - Elizan, je sais que tu as raison, mais nous n'avons plus que ça.
    - Pardonne ma question, Gor Kee, reprit Ank Gyul, mais pourquoi tiens-tu donc tant à sauver Olyana d'Iridium ? Elle t'est totalement étrangère.
    - Que Zamil Polea s'amuse avec les zarvals comme elle le souhaite, mais qu'elle ne s'avise pas de mêler des hommes à ça ! gronda Gor Kee. Olyana n'a certainement pas la résistance d'une zarvale et Zamil Polea est un bourreau. Ses manières avec ses esclaves m'ont toujours déplu, mais je n'osais pas intervenir. Prendre une femme pour jouet est plus que je ne peux le supporter. Les zarvals sont naturellement forts devant la souffrance et rien ne peut briser la fierté d'un zarval. Mais les humains sont plus fragiles. De plus, Zamil Polea hait les femmes dorées à cause de Ran Vinyr. Olyana n'a aucune chance de survivre si elle reste entre ses griffes.
    - C'est la première fois que je t'entends parler si longtemps, Gor Kee, fit Elya Jumy d'un ton amusé.
   Olyana devina que Gor Kee se tournait vers son amie et souriait.
    - Bon, retournons aux Souterrains, soupira Elizan.
   Les pas des quatre amis décrurent, puis un autre vint droit vers la cachette d'Olyana.
    - Viens, Olyana d'Iridium.
   C'était Keezan. Il la guida vers sa cellule et manoeuvra la porte secrète.
    - Il s'agissait d'Elya Jumy et de ses amis, fit Olyana, surprise.
    - Je sais. Mais leur idée n'était pas la bonne quand même. Ils ne voulaient pas m'écouter, j'ai joué cavalier seul.
    - Qui est Gor Kee ? Sa voix ressemble un peu à celle de Rhak Deor.
    - C'est son fils.
   Olyana s'arrêta net et regarda Keezan.
    - Tu veux dire que l'héritier quanyw est en ce moment même gladiateur ?
    - Bien sûr.
    - Et Elizan ? Comment se fait-il qu'un zarval porte un nom en un seul mot ?
    - Elizan est le fils d'une humaine et d'un zarval. Gor Kee et lui sont toujours ensemble pour brouiller les pistes. La mère de Gor Kee est Ran Vinyr et si Zamil Polea pouvait le prouver, elle ferait mettre à mort Gor Kee sans état d'âme, puisqu'il est l'aîné. Aussi, le fait que Elizan, avec son nom si caractéristique, soit toujours avec lui la fait douter, surtout qu'elle est amoureuse d'Elizan. Depuis huit ans et quelque.
   Il se tut. Ils étaient restés à la porte de la cellule, Keezan répugnant à laisser la jeune fille dans ce trou pour le restant de la nuit. Il la souleva de terre et l'emporta jusqu'à la planche de bois, son seul refuge contre les rats. Elle sentait contre sa peau les écailles de son armure rouge et le frottement des cuirs. Alors qu'il la déposait, elle le retint un instant.
    - Pourquoi prends-tu tant de risques que pour moi ?
    - Pour la même raison que Gor Kee, Olyana d'Iridium. De plus, un gladiateur se choisit en général une dame, dont il devient le champion jusqu'à sa mort, si elle l'accepte. Je te demande, Olyana d'Iridium, de bien vouloir être ma dame.
   Olyana le regarda un instant, penché sur elle, et elle sourit.
    - Je t'accepte pour champion, Keezan de Kal Homel.
   Keezan se redressa.
    - Courage, ma princesse ! murmura-t-il, et il s'en alla, sans voir le léger sourire qui venait flotter sur les lèvres d'Olyana.

Texte © Azraël 1999 - 2002.
Bordure et boutons Taurus, de Moyra/Mystic PC 1998.

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