L'homme-lézard

Prologue : La prisonnière

   Les chasseurs étaient à l'affût et guettaient leur proie. Celle-ci se trouvait être une jeune fille montée sur un solide mankor, un de ces animaux qui ressemblaient à un cheval, mais avec une grosse tête presque difforme, des yeux ronds proéminents, une courte crinière coupée en brosse et une lèvre inférieure pendante. Sa cavalière portait l'habit courant sur Erikra, soit un harnachement de cuir qui dissimulait juste ses formes, agrémenté de temps à autre par des pièces métalliques décoratives ; à sa taille, une épée courte pendait dans son fourreau, jouxtant le vif-éclair, cet étrange pistolet qui tirait des sortes de billes de verre à l'effet destructeur.
   Les chasseurs ne ressemblaient pas à la jeune fille. Il s'agissait d'humanoïdes à la tête proche de celle du lézard, le torse recouvert d'écailles bleues et vertes ; leur taille était ceinte d'une large ceinture en or et pour le reste, ils portaient la tenue d'Erikra. Ils tenaient un long bâton doré à la main, qui reposait sur le sol alors qu'ils se trouvaient sur le dos de leur monture, l'hydragui, qui ressemblait vaguement à un descendant de dragon muni de longues cornes.
   Le chef du petit groupe donna le signal et les cinq chasseurs se ruèrent dans le même mouvement sur la jeune fille. Elle tourna la tête en les entendant arriver sur elle et, après s'être figée un instant, elle porta la main à son vif-éclair. Le chef prévint le geste et pointa son bâton vers elle ; le mince filet de lumière qui en jaillit atteignit la fille au poignet et elle lâcha son arme avec un cri de douleur. Se voyant perdue, elle se pencha sur son mankor et le harcela pour qu'il prenne de la vitesse. Mais il était déjà trop tard : les hydraguis, plus rapides que le mankor, entouraient leur proie et la jeune fille comprit qu'elle devait se déclarer prisonnière.

   Le retour au campement des zarvals fut triomphal pour les chasseurs. La proie était belle et attirerait plus l'attention que les animaux habituellement capturés lors des chasses. Gor Kee était sur la grande place, choisissant un nouveau cimeterre pour remplacer le sien qu'il avait cassé dans un précédent combat, accompagné de son ami Elizan. Il vit la prisonnière et la regarda longtemps, stupéfait, semblant incapable de détacher ses yeux d'elle ; c'était une mince jeune fille, à la longue chevelure noire qui flottait sur ses épaules avec une vitalité presque animale, à la peau dorée et au maintien de reine. Son costume laissait voir la perfection de sa silhouette et, honteux de l'insistance de son regard, Gor Kee baissa les yeux pour les fixer sur le petit pied nu de la prisonnière. Elizan eut un sourire amusé devant la réaction de son ami et lui mit la main sur l'épaule.
    - Regarde-la, Gor Kee, il n'y a pas de mal à ça, dit-il. Regarde-la pendant qu'il en est encore temps, ajouta-t-il plus sombrement après un regard au chef des chasseurs.
   Gor Kee releva la tête et suivit le chemin pris par le regard de son ami. Il fit la grimace.
    - Lhe Mandha, murmura-t-il. Elle est perdue, n'est-ce pas ?
    - Selon toute probabilité.
   La jeune fille allait passer le portail du palais quand elle remarqua un détail incongru : là, parmi tous les zarvals, de l'autre côté de la rue, il y avait un homme, de sa race ! Il n'avait pas la même couleur de peau qu'elle, plutôt un teint bruni, mais c'était indiscutablement un homme et non un zarval ! Sentant une bouffée d'espoir monter en elle, elle adressa un signe discret à l'inconnu et retint son souffle, guettant la réponse. Mais l'homme resta impassible et paraissait n'avoir même pas remarqué le signe de reconnaissance. L'espoir dans le regard de la fille dorée se changea en mépris et elle passa la porte avec un air hautain qui ne cédait en rien à la honte de ses poignets enchaînés.
   Gor Kee avait remarqué le signe de la fille, ainsi que Elizan, mais aucun des deux n'avait réagi. A retard, Gor Kee se dit qu'elle attendait peut-être un mouvement qui lui aurait fait comprendre qu'elle n'avait pas que des ennemis en ce lieu, mais il était trop tard. La porte s'était refermée sur Lhe Mandha et sa prisonnière. Il haussa les épaules.
    - Viens, Elizan, dit-il, Zal Hyrda doit nous attendre.
    - Les entraînements, toujours les entraînements..., marmonna Elizan. Adulés, mais prisonniers !
   Gor Kee regarda nerveusement autour de lui.
    - Veux-tu bien te taire ! chuchota-t-il. Tu sais très bien ce qui t'arriverait si quelqu'un entendait cela !
    - C'est ce qui nous arrivera de toute façon, répondit Elizan d'un ton amer. Nous ne sommes que des gladiateurs, Gor Kee ! Nous finirons par trouver plus fort que nous.
    - Nous sommes proches de la liberté, maintenant. Plus que dix combats !
    - Combien se sont libérés de cette façon ?
   Gor Kee ne répondit pas ; ils savaient tous les deux la réponse. Dans les Souterrains, comme on appelait les couloirs des bâtiments de l'arène, tous se chuchotaient les noms de ceux qui avait gagné leur liberté à la pointe de leur arme. Ils étaient douze et on ne prononçait leur nom qu'avec respect, les uns à la suite des autres. Se réclamer d'eux était le signe d'une grande bravoure, mais c'était aussi un défi, car Zal Hyrda n'aimait pas beaucoup entendre ces douze noms. Généralement, un gladiateur qui savait aller à la mort se réclamait des douze grands et se battait avec toute la hargne qu'il possédait, bien que se sachant vaincu d'avance.
   Gor Kee et Elizan passèrent la porte des Souterrains. Les gardiens les laissèrent entrer : leur tenue était reconnaissable à distance et personne ne portait l'habit des gladiateurs pour le plaisir. Ces derniers revêtaient une armure d'écailles, semblable tout point aux écailles qu'ils avaient naturellement, mais de couleur rouge, et leur ceinture dorée servait en fait à empêcher le gladiateur d'enlever son armure. De plus, deux larges bracelets rouges cerclaient leurs poignets. Les deux amis allèrent directement dans la grande salle d'entraînement, où ils savaient trouver Zal Hyrda. Le vieux zarval examina soigneusement l'arme que Gor Kee s'était choisie, approuva d'un grognement et leur désigna un coin vide de tout combattant. C'était la zone réservée à Gor Kee et à Elizan et, avec un soupir vite étouffé, les deux amis se mirent en garde avant de répéter pour l'énième fois les mêmes mouvements d'attaque et de défense.

Texte © Azraël 1999 - 2002.
Bordure et boutons Taurus, de Moyra/Mystic PC 1998.

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