Larenor

   Le lendemain matin, Eliman craignait un peu de ne pas retrouver Edlana au réveil, ce qui était déjà arrivé plusieurs fois. Mais non, la jeune elfe était là, dans la grande salle inondé par le soleil, une tasse fumante dans les mains. Du bruit provenait de la cuisine, où Ukkraq s'affairait pour préparer un solide petit déjeuner, selon son habitude. Eliman alla embrasser Edlana, humant avec délices l'odeur de mûre sauvage qui provenait de la tasse. Ukkraq entra dans la pièce, un grand plateau entre les mains. Il le déposa sur la table avant d'ouvrir les bras à son fils ; l'enfant adorait son père. Souriant avec attendrissement, Edlana entreprit de déposer sur la table tout ce qui se trouvait dans le plateau : les grands bols d'épaisse faïence bleue, l'assiette où s'empilait les petites crêpes rondes arrosées de miel, les tranches de pain tout frais, le beurre, le miel, des confitures de cassis et les petites galettes de céréales agglomérées par du miel. Deux mains lui entourèrent la taille et elle se retourna pour faire face à Ukkraq. Il l'embrassa doucement sur la joue en murmurant, rieur :
    - Le baiser du matin !
   Edlana sourit et prit place dans le grand fauteuil à haut dossier qui se trouvait au bout de la table. Ukkraq s'assit en face d'elle et Eliman s'installa entre eux deux. D'autorité, l'enfant commença à beurrer les tartines d'Edlana, tandis que Ukkraq disposait devant elle trois petites crêpes, un bol empli de lait et quelques galettes. Edlana les laissait faire, un sourire amusé flottant sur ses lèvres. A chaque fois qu'elle venait, c'était le même rituel : ses deux hommes, comme elle les appelait, se disputaient pour avoir le plaisir de la servir, lui interdisant de faire quoi que ce soit. Eliman posa gravement devant elle deux tartines beurrées, une au miel et une aux confitures de cassis, selon son habitude. Les confitures de cassis étaient les seules tolérées dans la maison, pour la bonne raison que c'étaient les préférées d'Edlana. Et pour la jeune elfe, c'était une détente et un bonheur total que de se reposer dans le cocon chaleureux de tendresse de ces deux hommes après les longues journées de chevauchées solitaires. Elle savoura le pain frais, à la croûte croquante et à la mie fondante, et faillit pleurer tellement il était bon. Elle savait que Ukkraq l'avait fait lui-même, car pour son fils, il avait appris bien des choses et une de ses tâches préférées consistait à faire la cuisine.
   Mais le petit déjeuner s'acheva et Edlana se leva avec un vague sentiment de regret. Pour elle, rien ne ressemblait plus à une maison que celle d'Ukkraq. Elle y était chez elle. Etouffant le soupir qui lui montait aux lèvres, elle monta se changer rapidement et revêtit sa tenue habituelle : armure de cuir marron, hautes bottes de cuir à rabats, dans lesquelles disparaissait son pantalon de peau marron, jambières qu'elle fixa par-dessus ses bottes, et poignets. Elle boucla la lourde ceinture qui supportait son épée, qu'elle avait nommée Inlandsis. Elle noua grossièrement ses longs cheveux et redescendit, ses sacoches sur l'épaule. Ukkraq avait déjà sorti les chevaux de l'écurie et sellé Népenthès et son grand cheval alezan brûlé. Edlana lança ses sacoches sur le dos de sa jument blanche et gratifia le cheval d'Ukkraq d'une rapide caresse.
    - Comment s'appelle-t-il ? demanda-t-elle, curieuse.
   Ukkraq marmonna une vague réponse qu'elle n'entendit pas et elle lui demanda de répéter.
    - Erythr d'Elmakandor, fit-il plus fort, dardant un regard furieux sur elle.
   Edlana en resta sans voix : c'était son propre nom ! Elle s'appelait Edlana Erythr d'Elmakandor, même si la plupart des gens ne connaissaient que son prénom.
    - Oh ! fit-elle seulement.
   Ukkraq mit son fils en selle, puis monta à cheval à son tour. Edlana fit de même et les deux chevaux partirent de concert.
    - Où est ton chaton ? fit soudainement Ukkraq.
    - Ilyar ? s'étonna Edlana.
   Elle se pencha légèrement en avant.
    - Népenthès, où est Ilyar ?
   La jument blanche leva très haut la tête et souffla fortement, avant de se frotter les naseaux contre sa patte antérieure gauche.
    - Dans ma sacoche gauche, traduisit Edlana.
   Elle souleva le rabat et la petite tête ébouriffée d'Ilyar apparut. Il eut un miaulement interrogateur en tournant ses yeux verts vers Edlana. La jeune elfe fronça le bout de son joli nez et le chaton rentra de nouveau sa tête dans la sacoche. Ukkraq eut un sourire amusé, puis reporta son attention sur la route. Soudain, il eut une exclamation :
    - Elly ! Regarde !
   Edlana fut doublement surprise : d'une part, parce que Ukkraq n'utilisait pas très souvent ce surnom, et d'autre part, parce qu'elle avait commencé à s'absorber dans la création d'un chant mêlant deux des accords les plus complexes qu'elle avait créés, le douzième et le vingt-cinquième. Pestant en son for intérieur, elle s'arracha à sa composition et regarda dans la direction indiquée par Ukkraq. Elle oublia immédiatement sa musique et plissa les yeux.
    - Il a l'air en mauvaise posture, commenta-t-elle calmement.
    - Plutôt, oui, rétorqua Ukkraq en lançant Erythr d'Elmakandor au galop.
   Népenthès le suivit sans mal.
    - Edlana ! reprit Ukkraq. Est-ce qu'un elfe peut rester pacifiquement à côté d'un orque ou d'un gobelin ?
    - Tu rêves ! A peine se voient-ils qu'ils se sautent à la gorge mutuellement.
    - C'est bien ce que je pensais. Observe le groupe là-bas.
   Edlana obéit ; quelques minutes auparavant, elle n'avait fait attention qu'à la figure principale, fièrement campée sur son destrier, mais maintenant, son regard était attiré par celles qui se pressaient peureusement derrière le destrier. Ses yeux s'écarquillèrent.
    - Par tous les dieux maudits ! jura-t-elle fort peu élégamment. Mais ce sont des enfants !
   Elle tourna la tête vers le groupe de paysans hostiles qui se dirigeait vers le chevalier et elle comprit la situation. Elle se pencha en avant, stimulant Népenthès de la voix et laissant Ukkraq en plan.
   Un peu plus loin, le chevalier, la main refermée sur son épée, regarda venir vers lui le nouvel arrivant. Les enfants se pressaient contre lui, agrippant ses jambes.
    - Protège-nous, maître..., répétaient-ils comme une litanie.
   Le chevalier ne bougeait toujours pas. Il observait les deux agresseurs : d'une part, les paysans avec leurs fourches et leurs faux, de l'autre, le cavalier au cheval blanc, que son compagnon venait de rejoindre. Quand il fut sûr de son jugement, il fit légèrement pivoter son destrier, pour faire face aux deux cavaliers : ils arriveraient les premiers. Mais quand ils furent à portée de voix, il eut la stupéfaction d'entendre :
    - Holà, chevalier ! Aimeriez-vous quelque renfort ?
   Ce n'était pas tant la proposition qui l'étonnait que la voix qui la lançait : juvénile et féminine ! Il ouvrit les yeux plus grands encore : oui, le cavalier vêtu de marron était bien une femme, et même une elfe, mais si mal attifée qu'il ne l'avait pas reconnue.
    - Ce n'est pas de refus, répondit-il d'une voix rendue caverneuse par son heaume qui ne laissait voir que ses yeux.
   Aussitôt, les deux cavaliers se portèrent à ses côtés, mais l'humain fit d'abord descendre l'enfant qui se tenait en croupe. Ukkraq prit son épée, mais Edlana ne bougeait pas. Elle observait les paysans entre ses yeux mi-clos. Quand elle les jugea assez proche, alors elle entra en action.
   Le chevalier s'efforçait de rester calme. Il craignait plus pour les enfants que pour lui. Une fois qu'il serait mort, les paysans tueraient sans doute aussi tous les enfants. Il jeta un regard en arrière, leur signifiant de reculer, et assura son épée dans sa main. Et soudain, une musique s'éleva. Elle était jouée par une simple flûte, mais la complexité du motif était presque envoûtante. Insidieuse, elle se glissait partout et le chevalier sentit son envie de se battre s'effriter. En face de lui, les paysans s'étaient arrêtés et secouaient la tête d'un air mécontent, comme pour chasser la musique de leur esprit. Alors le musicien s'avança et le chant se fit plus fort. Le chevalier reconnut la jeune femme elfe ; elle guidait sa monture uniquement avec ses jambes, les rênes pendantes sur l'encolure, et un chaton plantait ses griffes de bébé dans sa cuisse. Ses doigts n'hésitaient pas sur la flûte et les notes s'envolaient, claires et légères, pour former ce complexe motif apaisant et pacifique.
   A la fin, vaincus, les paysans rebroussèrent chemin, l'air à moitié hébété, et la mélodie se modifia partiellement pour devenir plus impérieuse. Edlana termina par une envolée de notes presque sauvages, arrachant la flûte de ses lèvres en même temps.
    - Bravo, Edlana ! s'exclama Ukkraq, admiratif.
    - Qu'est-ce que c'était ? s'informa le chevalier, passablement estomaqué.
    - Les quinzième et vingtième accords imbriqués, répondit Edlana, rayonnante. A la fin, j'ai remplacé le vingtième, celui apaisant, par le troisième, qui ordonne.
    - J'ai étudié la musique, reprit le chevalier, tout au moins la base, et je n'ai jamais entendu parler de ces accords.
    - Normal, répondit Ukkraq, grillant Edlana de vitesse. C'est elle qui les a créés ; elle est en train de révolutionner le monde de la musique !
    - Il faut toujours que tu exagères, grommela Edlana en se laissant glisser de cheval.
   Ilyar profita du fait qu'elle lui tournait le dos pour grimper sur ses épaules. Ukkraq et le chevalier mirent eux aussi pied à terre.
    - Voici Edlana Erythr d'Elmakandor, dit Ukkraq, Eliman, mon fils, et je suis Ukkraq l'Errant.
    - Mon nom est Larenor Hisn Réalgar, répondit le chevalier d'un ton un peu guindé. Je suis chevalier cyrique. Et voici mes... mes enfants, conclut-il d'un ton d'autant plus ferme qu'il avait hésité juste avant.
   Il ouvrit les bras et les six enfants s'y précipitèrent. Il y avait là quatre garçons et deux filles : un orque, un gobelin, un nain, un humain tenant sa petite soeur par la main et une elfe. Le chevalier les désigna tour à tour :
    - Réak, Géalan, Olyun, Sylif et Myleen, et enfin, Aelfilia.
    - Groupe on ne peut plus disparate, commenta Ukkraq en contemplant l'elfe entre le gobelin et l'orque.
   Ces deux derniers se sentaient mal à l'aise, car ils savaient que leur race était mal perçue par les autres. Avec un léger sourire mystérieux à l'adresse d'Eliman, Edlana porta sa flûte à ses lèvres. C'était un air en clef majeure, assez guilleret, d'une simplicité extrême, aucunement comparable avec celui qui avait mis les paysans en déroute, mais d'une profondeur étonnante. Comme pour répondre à la musique d'Edlana, Ilyar commença à ronronner, les arbres se mirent à bruire doucement, mais surtout Réak et Géalan se sentirent soudain à égalité avec les autres. Larenor voyait l'orque et le gobelin gagner en confiance avec la musique et, stupéfait, il se tourna vers Edlana dont les doigts légers couraient toujours sur la flûte. La mélodie se fit plus douce, s'attardant longuement sur la dernière note avant de s'éteindre définitivement.
    - Quels accords, cette fois-ci ? demanda Ukkraq alors que Edlana retirait la flûte de sa bouche.
    - Neuf et dix, répondit la jeune elfe en faisant disparaître son instrument.
    - J'aurais juré qu'il n'y en avait qu'un.
    - Le neuvième est un peu spécial. Peu l'entendent. J'ai défini onze accords sur ce modèle.
    - Moi, je l'ai entendu, intervint Aelfilia. Il s'intercalait entre les notes du dixième accord.
   Edlana parut assez surprise, mais ne fit aucune remarque. Elle se tourna vers le chevalier.
    - Qu'allez-vous faire, maintenant, sire Hisn Réalgar ?
    - Je dois continuer ma mission, répondit Larenor d'une belle voix grave. Mais elle met les enfants en danger...
   Ukkraq eut un sourire en coin.
    - Il est vrai que les missions des Cyriques sont rarement de tout repos...
   Mais Larenor ne l'écoutait pas ; il gardait les yeux fixés sur Edlana et ses doigts tambourinaient machinalement sur le pommeau de son épée.
    - Edlana Erythr d'Elmakandor, répéta-t-il. Seriez-vous la poétesse-elfe Edlana ?
    - En effet. Mais...
    - Mon frère m'a parlé de vous.
   Devant l'air stupéfait d'Edlana, il ôta son heaume, découvrant un visage étonnamment jeune, encadré de boucles noires. Le regard d'un bleu glacier, que l'ombre du heaume avait jusque-là caché, parut être familier à Edlana.
    - Val ! Je veux dire... Valinosque !
   Larenor sourit.
    - Oubliez son prénom officiel, suggéra-t-il. Il n'est pas très connu.
    - Chevalier cyrique, reprit la jeune elfe, les yeux un peu perdus dans le vague. Même s'il n'en avait pas l'air.
    - Il semble un peu manquer de sérieux, n'est-ce pas ? approuva Larenor.
   Edlana acquiesça d'un signe de tête en repensant au jeune homme qui avait suivi le même chemin qu'elle pendant quelques mois : il ne portait pas l'armure cyrique, mais ressemblait plutôt à un dandy égaré dans la forêt, un mince fleuret au côté, les cheveux noirs trop longs attachés sur la nuque par un noeud de velours et le sourire irrésistible. Ses habits raffinés, ses manières un peu affectées, ses paupières à demi refermées cachaient en réalité une silhouette athlétique, une gaieté sans bornes et un regard iceberg à l'acuité dérangeante. Autour du cou, sous sa tunique, il portait le médaillon cyrique : pendentif rond représentant une épée enflammée, suspendu à une grosse chaîne. Le temps aidant, il avait jeté le masque avec Edlana et une solide amitié les avait liés.
    - Il n'est plus Cyrique, continuait Larenor.
    - Que lui est-il arrivé ? s'alarma aussitôt Edlana, qui savait combien Valinosque aimait prendre des risques.
    - Rien ! Il est passé chez les Orasiens, qu'il sert d'une bien étrange manière.
    - J'imagine, fit Edlana, retrouvant son sourire. En espionnant dans les hauts lieux !
   Les chevaliers cyriques étaient adorateurs de Shuqra, la déesse de la sagesse, alors que les Orasiens étaient fidèles de Vitriana, la déesse de la mémoire. Ukkraq écoutait la conversation d'une oreille, discutant avec les enfants de son côté.
    - Vous ne pouvez pas les garder avec vous, Larenor, déclara-t-il d'un ton catégorique.
    - Ils n'ont plus que moi, soupira le chevalier. Et je refuse de les laisser sans défense !
   Edlana éclata de rire et adressa un sourire malicieux à Eliman ; Ukkraq avait toujours été étonné de l'entente qui existait entre son fils et Edlana : ils se comprenaient toujours à demi-mot, et un regard ou un sourire suffisait pour dire ce qui aurait nécessité de longues phrases d'explication. Edlana souleva le jeune gobelin de terre et le hissa sur le dos de Népenthès. La jument, étonnée, tourna la tête et renifla avec curiosité le pied qui pendait.
    - Je vais leur trouver une nouvelle maison ! annonça la jeune elfe. Ma soeur adore les enfants.
   Myleen, la petite fille, se mit à pleurer.
    - Je ne veux pas quitter Géalan ! hurla-t-elle, tandis que Sylif, gêné, tentait de la calmer.
   Edlana prit un air surpris.
    - Mais il n'est pas question de vous séparer. Elior vous gardera tous les six.
   Aelfilia regardait Géalan sur le dos de Népenthès et fit un pas en avant pour mettre sa main dans celle qu'il lui tendait. Amusé, Ukkraq les vit faire, alors que Edlana, agenouillée, consolait Myleen en la serrant contre elle. Le jeune homme prit Aelfilia par la taille et la déposa en croupe derrière Géalan.
    - Amitié rare, chuchota-t-il.
    - Il m'a sauvé trois fois la vie, répondit Aelfilia en entourant la taille du gobelin de ses bras et en appuyant sa joue contre son dos.
   Myleen enfin calmée, Edlana se releva et haussa un sourcil cuivré en contemplant le spectacle offert par Népenthès et ses deux jeunes cavaliers. Puis son front se plissa et une barre apparut entre ses deux sourcils ; Ukkraq crut que ses préjugés d'elfe devant cette amitié que les deux races concernées auraient jugée contre nature refaisaient surface, mais ce n'était pas cela. Elle eut un sourire ironique et se tourna vers Réak. Le pauvre orque se recroquevilla misérablement sous le regard doré ; alors, tous ses instincts elfiques protestant contre ce geste, Edlana se baissa et ouvrit les bras à Réak. Le jeune orque n'en crut pas ses yeux, puis se précipita vers elle, des larmes coulant sur son visage ingrat. Réak était un des plus jeunes enfants du groupe, avec Myleen, et sa vie au contact d'Aelfilia avait effacé sa haine ancestrale des elfes. Edlana se releva, tenant toujours Réak dans ses bras et l'assit sur le dos d'Erythr d'Elmakandor. Soulevé par les bras puissants d'Ukkraq, Olyun suivit le même chemin. Imitant les deux aventuriers, Larenor hissa Myleen et son frère sur son propre destrier. Eliman se retrouva sur les épaules de son père avant d'avoir eu le temps de protester et chacun prit les rênes de son cheval.
    - Quelle direction, ma dame ? demanda respectueusement Larenor.
   Edlana chassa une mèche indisciplinée qui venait caresser sa joue.
    - Votre frère m'appelait Edlana tout court, fit-elle, et vous ferez pareil.
   Sur une pression de la main de sa gentille propriétaire, Népenthès s'ébranla et Erythr d'Elmakandor lui emboîta le pas.
   Après une heure de marche et de discussion animée, Larenor fronça les sourcils.
    - Edlana, j'ai l'impression que nous faisons route vers le royaume des elfes d'argent.
    - Exactement.
    - Mais Réak et Géalan vont se faire tuer !
    - Certainement pas ! réagit Edlana avec indignation. Ils sont sous ma protection.
   Un doigt léger lui caressa le cou et, tournant la tête, elle rencontra le regard vert d'Ukkraq.
    - Ceux qui sont sous ta protection sont aussi sous celle d'Ysolder, n'est-ce pas ? murmura-t-il.
   Edlana acquiesça d'un frémissement de paupières, puis reporta son regard sur la route qui s'étendait devant elle. Elle espérait que c'était toujours ainsi. Elle n'avait pu se résoudre à avouer à Ukkraq comment s'était réellement passé son départ de Silveranost : Ysolder avait tout d'abord repoussé Elior, continuant à suivre Edlana, et la jeune elfe, après avoir intrigué pour lui jeter sa soeur dans les bras, s'était échappée par une nuit sans lune, évitant tous les gardes et toutes les protections du territoire.
   Ukkraq reposa Eliman à terre et le petit garçon vint aussitôt marcher gravement à côté d'Edlana, sa main dans celle de la jeune elfe. Sur Népenthès, Aelfilia s'était endormie, la tête appuyée avec confiance contre l'épaule de Géalan qui évitait de bouger de peur de la réveiller. Edlana contemplait de temps en temps le spectacle qu'offrait le jeune gobelin dont l'épaule était auréolée d'un halo de cheveux roux et ne disait rien. Combien d'elfes se seraient précipités pour arracher Aelfilia sans se soucier de la réveiller ?
   Le chemin continua et bientôt, se dressa devant eux la barrière naturelle quasiment infranchissable de Silveranost. Edlana confia les rênes de Népenthès à Eliman en lui recommandant de faire bien attention et transféra Ilyar dans les bras de Réak. Larenor l'arrêta avant qu'elle ait pu faire autre chose.
    - Silveranost n'est pas ouvert à tous et les elfes d'argent ne donnent pas facilement le droit d'entrée.
    - J'ai une façon de m'annoncer et tout Silveranost la connaît, sourit Edlana en retour.
   Elle se mit à la tête du petit groupe et sortit sa flûte. Ses doigts coururent un instant sur le bois de l'instrument sans que sorte une seule note. Ukkraq nota le léger tremblement de la jeune elfe et, donnant rapidement les rênes de son étalon à Larenor, il vint se placer derrière Edlana et la força doucement à s'appuyer contre lui. Le tremblement se calma progressivement et Edlana se dégagea.
    - Et maintenant, que commence la magie ! dit-elle d'une voix peu assurée.
   Les premières notes qui s'élevèrent étaient bien faibles, mais la musicienne prit de l'assurance et la musique prit son envol. L'air ressemblait assez au dernier qu'elle avait joué en clef majeure, mais n'avait pas d'effet sur ses compagnons qui sentirent une subtile différence. Un halo de lumière argentée entoura soudainement Edlana, puis disparut tout aussi brusquement, mais la simple flûte de bois s'était transformée en un magnifique instrument d'argent. Les sonorités prirent une ampleur et une richesse nouvelles, tandis que Edlana se lançait dans un motif plus complexe, abandonnant le dixième accord pour conjuguer le trentième avec le sixième, ainsi que, plus insidieux, comme le neuvième précédemment, le dix-huitième s'intercalant entre les notes. Mais personne, sinon Aelfilia, ne s'aperçut de la présence du dix-huitième accord.
   Lentement, bougeant les branches au rythme de la musique, la barrière d'arbres ouvrit un passage, mais Edlana ne faisait toujours pas le moindre mouvement. Ses doigts couraient sans plus hésiter sur le métal lisse et étincelant, tandis que le sixième accord prenait le pas sur le trentième, en un appel presque suppliant. Alors une magnifique licorne fit son apparition à la lisière, puis vint au trot cadencé s'agenouiller devant Edlana qui s'assit sur son dos sans cesser de jouer. L'animal mythique se redressa et sembla attendre. La musique se modifia de nouveau. C'était une mélodie en clef mineure et il n'y avait qu'un seul mode audible, un des sept complexes, le douzième. La licorne se mit en marche et le petit groupe la suivit. Devant eux, un chemin s'ouvrait pour se refermer juste derrière les sabots du destrier de Larenor qui fermait la marche.
   Edlana n'arrêta de jouer que lorsqu'ils furent en vue de la belle cité de Silveranost, Celebrin. Dès que la jeune elfe mit pied à terre, la licorne disparut et la flûte redevint un simple instrument de bois. Un mince silhouette se précipita au devant d'eux et, à la chevelure d'argent, Ukkraq reconnut Ysolder. Celui-ci prit le visage d'Edlana entre ses mains et l'embrassa sans lui laisser le temps de réagir.
    - Ne refais jamais cela ! lança-t-il lorsqu'il accepta enfin de la laisser aller. Oh, Edlana ! Comment as-tu pu me faire une chose pareille ?
   Edlana ne répondit même pas à sa question.
    - Voilà Elior, dit-elle simplement.
   Vaincu par le regard doré qu'elle posait sur lui, Ysolder fit un pas en arrière et porta enfin le regard sur les étranges compagnons d'Edlana. Il eut un brusque sursaut.
    - Edlana ! Il y a là un gobelin et un orque ! Tu as osé mener jusqu'à Celebrin un gobelin et un orque !
   La jeune elfe alla récupérer Ilyar, puis prit Réak dans ses bras pour le poser à terre.
    - Ils sont sous ma protection, Ysolder.
   Les yeux exorbités, le prince héritier des elfes d'argent regardait Réak s'accrocher à la jambe d'Edlana. L'arrivée d'une nouvelle venue modifia l'atmosphère.
    - Edlana ! s'exclama une voix heureuse.
   Une elfe se précipitait pour étreindre la jeune poétesse.
    - Oh, Nashkil, j'ai cru que mon coeur allait s'arrêter de battre quand je me suis aperçue que tu avais disparu !
   Elior, soeur cadette d'Edlana, appelait rarement sa soeur autrement que Nashkil, qui signifiait chérie, utilisant parfois l'étrange diminutif de Nalya. Edlana se dégagea doucement et sourit à cette soeur qu'elle avait élevée.
    - Je t'ai ramené des orphelins, dit-elle.
   Elior regarda autour d'elle et, à l'inverse de Ysolder, ne fit aucune remarque sur la présence d'un gobelin ou d'un orque. Au contraire, remarquant que Réak, ivre de fatigue, tenait à peine debout, elle le prit dans ses bras avant d'inviter tout le monde à la suivre.
   La grande maison où vivait Elior était assez proche du palais, tout en lui laissant une grande liberté. Les enfants s'entassèrent tous sur le divan que leur désigna la jeune elfe, tandis que Edlana, Ukkraq, Larenor et Ysolder prenaient place dans des fauteuils. Ukkraq prit soin de s'installer entre Edlana et Ysolder, tandis que Larenor s'asseyait de l'autre côté de la jeune elfe. Elior regarda sa soeur d'un air critique.
    - Tu as encore maigri, constata-t-elle d'un ton accusateur. Tu ne te nourris pas correctement.
    - Elior, nous parlerons de cela en privé, rétorqua Edlana sans se troubler.
   Ukkraq observait ceux qui se trouvaient autour de lui : d'abord Larenor, qui avait ôté son heaume par politesse, avec ses boucles noires retombant dans le cou, son visage si jeune par rapport à la sagesse de ses yeux bleu glacier, son nez un peu busqué, ses pommettes un peu saillantes et ses joues creuses, portant la tenue traditionnelle des Cyriques : armure de plates complète, d'un métal léger, argenté et noirci, aussi souple qu'une deuxième peau, le manteau noir étroitement drapé autour des épaules sans entraver les mouvements et, signe distinctif, la grosse chaîne soutenant un pendentif rond représentant une épée enflammée.
   En face de lui, Elior, qui ressemblait tant à sa soeur tout en étant très différente : elle était blonde, très blonde, avec une longue chevelure soigneusement coiffée, et si son visage était aussi beau que celui d'Edlana, voire plus, le regard d'un vert pailleté d'or n'avait pas le magnétisme des profondeurs dorées de sa soeur. Elior était mince, de la minceur proverbiale des elfes, et plutôt grande, alors que Edlana la dépassait de quelques pouces et était plus qualifiée de maigre que de mince. Dernier détail, Elior affectionnait les bijoux, alors que sa soeur n'en portait jamais.
   Enfin, Ysolder, prince héritier des elfes d'argent : grand, mince, bien découplé, suprêmement élégant avec ses cheveux argentés coupés courts et ses yeux bleu saphir. Son visage délicatement ciselé avait le plus pur type silveranost, mais la tristesse de son regard n'était pas coutumière à ce peuple plutôt heureux de vivre. Sa main, belle et déliée, jouait nerveusement avec la plume d'argent qu'il portait autour du cou.
   Elior regarda tout son petit monde et la joie de retrouver sa soeur, qu'elle adorait, la transfigurait, illuminant son visage. Le silence régnait dans la pièce et la tension était presque palpable.
    - Elior, fit Edlana, rompant enfin le pénible silence, voici Ukkraq et son fils Eliman, ainsi que Larenor Hisn Réalgar, chevalier cyrique.
   La jeune elfe eut un léger signe de tête, accompagné d'un délicieux sourire. Elle regarda Eliman.
    - Ainsi, c'est lui, Eliman, dont tu me parles si souvent !
   Edlana rougit légèrement et ne répondit rien, laissant sa soeur détailler l'enfant avec attention : casque de cheveux cuivrés aux mêmes caractéristiques que ceux de son père, yeux fauves aux curieux reflets verts, air grave et tendre qui lui allait étrangement bien, accentué par le regard protecteur qu'il posait souvent sur Edlana. Elior s'accroupit devant l'enfant et prit ses mains dans les siennes.
    - Tu aimes beaucoup Edlana, n'est-ce pas ? demanda-t-elle doucement.
   Eliman confirma en hochant la tête, attachant son regard aux reflets troublants sur le beau visage régulier d'Elior.
    - Alors nous nous entendrons bien, reprit la jeune elfe, car quiconque aimant ma soeur trouve naturellement un chemin jusqu'à mon coeur. Personne n'est plus digne qu'elle d'être aimée.
   Elle jeta un coup d'oeil en direction d'Edlana en disant cela, mais le jeune poétesse ne broncha pas. Elle gardait le menton au creux de ses paumes et fixait Aelfilia et Géalan qui discutaient à voix basse. Elior se redressa.
    - Qui sont les autres enfants ? demanda-t-elle sans parvenir à dissimuler totalement le tremblement de sa voix.
   Larenor prit la parole après s'être légèrement éclairci la voix.
    - Des orphelins que j'ai recueillis au hasard de ma route. Ils sont devenus mes enfants.
    - Vous les avez trouvés séparément ? intervint Ysolder à la surprise générale. Il semble pourtant avoir une bonne cohésion dans le groupe.
    - Seuls Myleen et Sylif étaient ensemble. Mais il est des gestes qui effacent une haine ancestrale.
    - Géalan m'a sauvé trois fois la vie, annonça Aelfilia de sa voix claire, ses doigts entrelacés avec ceux du jeune gobelin.
    - Aelfilia m'a soigné quand j'étais blessé, ajouta Géalan, tremblant à moitié de sa propre audace.
    - Elle m'a consolé quand je pleurais, balbutia à son tour Réak, complètement terrifié.
   Olyun ne disait rien, mais son regard témoignait qu'il avait lui aussi bénéficié du grand coeur d'Aelfilia. Ysolder se leva et regarda Edlana, un air douloureux s'imprimant sur son visage.
    - Edlana, en l'honneur de ton retour, il y aura un banquet ce soir. Je t'enverrai Livaniel pour t'aider.
   Ukkraq fut surpris par l'éclat de colère qui passa dans les yeux d'Edlana. La jeune elfe se releva et alla vers Eliman, ignorant complètement Ysolder qui ajouta doucement :
    - On se voit ce soir, Elior.
   Il partit silencieusement et il fallut un petit moment pour que l'atmosphère se détente. Elior arborait un sourire légèrement crispé et Edlana semblait fâchée. Ukkraq se leva à son tour, imité par Larenor, et vint récupérer Eliman, caressant la joue d'Edlana dans le même mouvement. Il vit que les lèvres de la jeune elfe tremblaient, mais il n'osait rien faire devant tous ces regards étrangers.
    - A tout à l'heure, chuchota-t-il sans presque bouger les lèvres.
   Elle acquiesça et ne fit rien pour le retenir quand il sortit, suivi de Larenor et des enfants. Edlana et Elior restèrent seuls, en silence, puis Elior dit :
    - Ysolder t'aime toujours, Nashkil.
   Il n'y avait pas la moindre amertume dans sa voix, pas le moindre reproche. Edlana alla à la fenêtre, selon son habitude, suivant des yeux le dos d'Ukkraq qui s'éloignait, et sa voix était calme quand elle répondit :
    - Ne dis pas de bêtises, Elior. Il croit m'aimer encore, mais bientôt mon souvenir s'effacera dans sa mémoire.
   Elior caressa de sa douce main la longue chevelure emmêlée de sa soeur.
    - Pourquoi es-tu toujours si dure avec toi ? reprocha-t-elle doucement. Tu mérites tellement mieux que la vie que tu te donnes...
    - Je me donne la vie qu'il me faut, Elior. Tiens, je t'ai ramené quelque chose.
   Elle ouvrit ses sacoches et en tira une bourse brodée d'or. Elior l'ouvrit et fit tomber dans sa paume un merveilleux collier d'émeraudes monté sur or et diamants.
    - Nalya... C'est magnifique, bien trop magnifique pour moi !
   Elle se jeta au cou de sa soeur, serrant ses longs doigts sur le collier inestimable. Edlana lui rendit son étreinte avec plus de réserve, puis la repoussa doucement.
    - Allons, Elior, ce n'est qu'une babiole. Ça faisait longtemps que je ne t'avais pas ramené d'émeraudes.
   Elle refusa de penser au jour où l'homme qui l'avait achetée lui avait mis le collier autour du cou en disant :
    - Ce bijou est ce que je possède de plus précieux au monde. Maintenant, c'est toi et ce collier te revient en toute légitimité. Fais-en ce que tu veux, il t'appartient.
   Elle l'avait porté un jour, pour faire plaisir à ce propriétaire fou amoureux d'elle, puis elle l'avait rangé en se disant que Elior le porterait mieux qu'elle. Sa soeur lui sourit à travers les larmes qui commençaient à perler au bout de ses longs cils.
    - Nashkil, qu'as-tu fait depuis ton départ de Silveranost ? Tu as tellement maigri, tellement pâli... Tu n'es plus que l'ombre de toi-même...
   Edlana repensa fugitivement à tout ce qu'il s'était passé : elle était partie au galop, volant un cheval aux elfes avant de le libérer au moment de quitter la forêt, puis, à la ville voisine, elle avait acheté Népenthès ; partie pour une réunion de bardes, elle avait été capturée comme esclave avec de nombreuses autres femmes et elle se souvenait encore des chaînes à son cou et à ses chevilles, de la faim et de la soif qui l'avaient torturée sous la chaleur de Jalis, le soleil jaune, des plaintes incessantes qui l'entouraient, des coups et de l'odeur de mort. S'échappant par un coup de chance inouïe, elle était partie à la recherche de Népenthès, avait dû infiltrer une guilde qui avait la mauvaise habitude de se réunir dans les égouts et d'interdire le repas du soir, et elle avait enfin pu aller à sa réunion de bardes. Là, ils s'étaient tous investis dans leur musique, si profondément qu'ils étaient restés près d'une semaine plongés dans leur extase, sans boire ni manger, et n'avaient repris un rythme de vie normal qu'après avoir reçu une révélation d'Urien, le dieu-elfe de la poésie. Elle avait ensuite pris le chemin du retour et avait rencontré un riche seigneur qui s'était entiché de sa musique et de ses poèmes et qui lui avait tout offert pour qu'elle reste : son nom, la richesse, des bijoux, des terres, une tour en quartz rose, un merveilleux palais au dôme de cristal... Elle avait refusé et était allée droit chez Ukkraq. Elle rouvrit les yeux et sourit à sa soeur qui commençait à s'inquiéter de ce long silence.
    - Oh... comme d'habitude, tu sais. La vie d'aventurier n'a rien de bien passionnant à la longue.
   Le ton était léger et un sourire flottait sur les lèvres d'Edlana. Rassurée, Elior sourit à son tour.
    - Que veux-tu que je fasse des enfants ? demanda-t-elle sans transition.
    - Garde-les, donne-leur tout l'amour que tu peux et ne les sépare jamais. Surtout Aelfilia et Géalan.
   Elior acquiesça. La porte du fond s'ouvrit et trois hommes entrèrent. Le premier se figea puis, soudainement, il s'exclama :
    - Par tous les dieux, Edlana !
   Il fit deux pas en avant et souleva la jeune elfe pour l'enserrer dans son étreinte d'ours. Edlana rit et lui prit la tête entre ses deux mains.
    - Illynar ! Ça fait plaisir de te revoir ! Et Vehorn, et Mahalynka !
   Les trois hommes, jeunes et forts, sauf Vehorn qui était beaucoup plus mince, voire malingre, étaient les serviteurs qui s'étaient enfuis avec Edlana lorsqu'elle avait été esclave.
   - Tu m'as l'air bien fatiguée, remarqua Mahalynka d'un ton critique, tandis que Vehorn la serrait doucement dans ses bras.
   Edlana pressa ses lèvres contre l'oeil mort de Vehorn, puis recula pour faire une grimace amusée à Mahalynka.
    - Tu finiras par le guérir, si tu continues, Edlana, fit Vehorn en passant délicatement ses doigts sur l'orbite qu'elle avait embrassée.
    - Raison de plus pour que je continue ! fit gaiement la jeune elfe. Comment allez-vous tous les trois ?
    - Plutôt bien. Je ne dirais pas que c'est le grand amour avec les elfes, mais ils ne nous font pas d'ennuis non plus, commenta Illynar. Et toi, Edlana ?
    - Ça va. Il y a six nouveaux venus dans la maisonnée. Je compte sur vous pour donner un coup de main à Elior.
   Les trois hommes ne répondirent rien : c'était inutile. Edlana savait qu'ils se seraient fait tuer pour elle et que le moindre de ses désirs était plus qu'un ordre. Elle ne leur dit même pas qui étaient les nouveaux venus en question : ils feraient taire leurs préjugés pour elle.
   Elle s'étira un peu théâtralement puis jeta ses sacoches sur son épaule.
    - Bon, je vais vous quitter pour aller me reposer un peu. La journée est loin d'être finie !
   Vehorn eut un sourire compréhensif, tandis que Mahalynka grommelait quelque chose visiblement peu aimable. Ils savaient déjà pour le banquet et Edlana lut dans les yeux d'Illynar qu'ils comptaient aller mettre la main à la pâte pour que tout soit magnifique en son honneur. Elle étouffa un soupir et sortit de la maison d'Elior de son pas élastique pour se diriger vers le délicieux petit pavillon tout de quartz rose dont la porte n'avait pas de clef. En général, elle était toujours ouverte en grand, ou entrebâillée pour la nuit ; quand par hasard, le battant était fermé, cela signifiait que Edlana n'était pas là ou qu'elle ne voulait pas être dérangée. Elle poussa la porte et se trouva tout de suite dans la plus grande salle du pavillon, au sol recouvert d'épais tapis inestimables et quasiment uniquement meublée par des divans. Il y avait quelques petites tables et une magnifique tenture brochée d'or sur le mur du fond cachait un petit cellier. Dans un renfoncement, à demi-dissimulé par un rideau de perles en verre, on apercevait un petit escalier donnant sur une pièce beaucoup plus petite, qui donnait l'impression de se retrouver dans un cocon. Par cette pièce, on accédait à la chambre d'Edlana, qui avait été l'objet de tous les soins. Meublée avec un luxe discret, raffiné, typiquement elfique, elle mêlait harmonieusement féminité et sauvagerie, les deux facettes dominantes d'Edlana, et sentait bon le parfum de la jeune elfe, aux fragances de chèvrefeuille, de forêt, d'herbe et de mousse, où prédominait une pointe de mûre sauvage.

Texte © Azraël 1998 - 2002.
Bordure et boutons Hummingbird Dreams, de Silverhair, inspiré par un dessin d'Amy Brown

Amy Brown Fantasy Art

Silverhair