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Le Sceptre de la Nuit
Lorsque Chantelys reprit conscience, elle se trouvait dans une clairière qui lui semblait familière et, autour d'elle, les arbres brillaient d'étranges lueurs rouges. Un ricanement se fit entendre et elle sut alors qu'elle était revenue à son point de départ : la Forêt Envoûtée. Elle se leva d'un bond et sa première pensée fut pour Sirane et Sirius. Elle cria leur nom à tous les vents, mais seul l'écho lui répondit. Elle se laissa tomber à terre, découragée. Une voix la fit sursauter.
- Je ne crois pas que ce soit de cette manière que vous retrouverez vos amis.
Elle redressa vivement la tête et vit un jeune elfe, nonchalamment appuyé contre un arbre.
- Sircor ! s'exclama-t-elle.
- En personne ! répondit l'elfe en s'inclinant cérémonieusement. L'autre Sircor, c'est-à-dire le cheval, est revenu auprès de Sham et il nous a tout raconté. Je crains que les autres ne soient éparpillés dans la forêt. Le Sceptre a eu une réaction étrange. Il n'agit pas ainsi d'habitude. Sircor m'a dit que Sirane était malade. Est-ce vrai ?
- La maladie polaire. Mais c'est ce que Syrils a dit. Peut-être n'était-ce qu'un prétexte pour utiliser le Sceptre, car sans doute, l'a-t-elle maintenant en sa possession. Noor ne semble pas pouvoir faire grand-chose contre sa puissance.
- Vous ne paraissez pas fort bien disposée à l'égard de cette pauvre Syrils, remarqua Sircor en riant.
Chantelys ouvrait déjà la bouche pour lui parler de sa découverte, mais il prévint toute parole.
- Ne dites rien. Ce n'est pas à moi qu'il faut en parler. J'espère que, pour une fois, il vous écoutera. Il lui arrive d'être parfois borné comme ce n'est pas possible et cette Syrils lui a fait trop bonne impression à leur première rencontre. Il n'a pas changé d'attitude à son égard, malgré vos mises en garde. Oui, je sais, il a été moqueur et agressif, mais c'est une manie qui le prend même avec ceux qu'il aime beaucoup. J'en ai fait plus d'une fois les frais. Mais qu'est-ce qu'il me prend de bavarder ainsi comme une vieille pie ? Voyons, voyons, j'étais venu vous ramener Sircor. Où est passé ce maudit cheval ? Sircor !
L'étalon alezan arriva au petit trot et regarda le jeune elfe comme s'il se moquait de lui. Chantelys se hissa sur le dos du cheval et Sircor eut un regard d'approbation.
- En route, Vénérée ! Ne vous perdez pas en chemin, surtout ! cria-t-il, tandis que Sircor emportait la jeune fille au galop.
- Ne vous perdez pas en chemin, grommela Chantelys. Il en a de bonnes, Sircor ! Depuis quand y a-t-il un chemin précis dans cette forêt de malheur ?
Sirius, alors que le tourbillon d'énergie libérée par le Sceptre l'enveloppait, tenait la main de Sirane et il se réveilla donc aux côtés de sa soeur. Il constata avec surprise que le mince rayon de lumière qui lui parvenait à travers le feuillage de la forêt était bleu et il en déduisit que le règne d'Azaris avait commencé. La transition entre les deux soleils était quasi nulle et il suffisait généralement de quelques heures pour que l'étouffante chaleur de Jalis laisse place à la revigorante douceur d'Azaris. Chassant ces pensées, Sirius souleva Sirane dans ses bras et partit courageusement à la recherche des autres. Il entendit du bruit dans les buissons et espéra, sans raison aucune, que c'était Chantelys. Il vit surgir devant lui une jeune elfe aux longs cheveux blonds attachés par des feuillages et vêtue d'une robe verte et blanche. Un cerf blanc se tenait majestueusement à côté d'elle.
- Sham ! s'exclama Sirius à mi-voix.
- Oui, Sirius. Sircor et moi sommes venus vous aider.
- Sircor ! Où est-il ?
- Près de Chantelys, normalement. Ne t'inquiète pas, vous vous retrouverez, au moins pour affronter Erza. Tu dois d'urgence retourner au Château des Ténèbres. Symaris va prendre possession du Sceptre.
- Noor le lui a donc donné ?
- C'était dans son intérêt. Pense qu'il s'allie presque avec une déesse !
- Mais Furtifer n'a-t-il pas protégé le château contre l'arrivée du Sceptre ?
- Si, mais il fallait pour cela que Symaris y reste enfermée.
- Elle en est donc sortie ? demanda Sirius avec un demi-sourire, comme s'il se moquait gentiment de la déesse.
- Chantelys t'expliquera tout cela quand tu la reverras. Et, je t'en conjure, écoute-la ! Elle a compris la vérité et Symaris sait que le temps lui est compté, car ma prêtresse a déjoué son piège. Tu comprendras ce que je dis quand le moment en sera venu ! ajouta Sham en voyant le jeune homme froncer les sourcils. Adieu, Sirius, et hâte-toi !
Sham et le cerf disparurent dans les fourrés et Sirius se retrouva seul, Sirane toujours inconsciente dans les bras. Il reprit sa route, laissant son instinct le guider vers le Château des Ténèbres. Il savait qu'il traversait une haie de squelettes dissimulés. Il sentait leur regard de feu sur son dos et il se doutait que la Reine, si elle possédait maintenant le Sceptre, n'allait pas le laisser vivre. Malgré lui, il avait l'impression confuse que tout n'était pas clair. Il ne s'était jamais vraiment senti libre dans ses choix, comme si une volonté supérieure le poussait à agir. Mais jamais il ne supposa n'être que le pion de la Reine des Ténèbres.
Symaris avait laissé Noor dans le château et s'était rendue auprès de Thyrs pour lui montrer le Sceptre de la Nuit, objet de tant de convoitise. Elle était heureuse d'être revenue dans son château, car la malédiction avait été brisée quand elle en était sortie. Désormais, elle était libre d'agir à sa guise et elle était l'égale d'une déesse. Elle fit cependant part à son compagnon de son inquiétude quant au Sceptre.
- Il n'aurait pas dû nous séparer ainsi, fit-elle. Seuls Noor et moi sommes restés ensemble, parce que nous étions en contact l'un avec l'autre. Cette réaction est inattendue !
- Peut-être son séjour dans l'eau l'a-t-il affecté, hasarda Thyrs.
Symaris admit que c'était une hypothèse possible. Le dragon noir dit alors :
- Ai-je maintenant la permission de m'occuper de la prêtresse du Soleil ?
- Non, Thyrs ; Noor m'a demandé de la laisser encore en vie, pour une raison qu'il a refusé de m'expliciter.
- Il l'aime et tu sers son amour ! fit le dragon, rageur.
- Non, c'est autre chose. Il m'a dit qu'il n'avait pas le droit de me révéler ce que c'était, mais qu'il le faisait sur l'ordre de Zeloran lui-même et que c'était pour exécuter cette dernière mission que la présence de Sirane était nécessaire.
- Où est-elle en ce moment ?
- Dans la forêt. Montre-la-moi avec la Vasque de Vision.
Le Dragon des Ténèbres obéit et l'image de Sirius portant Sirane apparut sur le liquide magique. Symaris eut un regard attendri pour le grand jeune homme. Elle murmura :
- Thirsis, maître squelette, entends ma voix et écoute-moi : amène-moi ces deux jeunes gens, sans leur faire le moindre mal, entends-tu ?
- Je t'entends, ma Reine, répondit le squelette par la pensée. J'obéis.
Par la Vasque de Vision, Symaris vit Thirsis et ses squelettes entourer Sirius par de lentes et subtiles approches. Le jeune homme les sentit venir et il déposa sa soeur à terre pour dégainer son épée.
Ce fut à ce moment que Sirane reprit conscience. En apercevant les squelettes avec leur tabard noir orné de motifs argentés et Sirius prêt à combattre, elle se leva d'un bond, oubliant sa faiblesse due à sa maladie.
- Vous aviez dit que vous vous souviendriez que Symaris nous protégeait ! cria-t-elle à Thirsis.
- Ma Reine a donné d'autres ordres.
- Et quels ordres ? demanda Sirius, agressif. Entre autres, celui de nous tuer, j'imagine ?
- Ma Reine a dit de vous amener au château sans vous faire de mal.
Sirius rengaina Salmeera.
- Vous tombez bien, dans ce cas. Je voulais justement y aller.
Thirsis prit la tête de la file. Les deux jeunes gens étaient encadrés par deux colonnes de squelettes, mais la gemme bleue de l'épée de Sirius les effrayait, car elle avait la propriété de repousser morts-vivants et spectres. Symaris eut un petit rire devant la peur de ses squelettes. Thyrs, qui réprouvait l'attachement de la Reine pour le jeune guerrier, grogna et la Vasque de Vision s'éteignit.
Chantelys, montée sur Sircor, galopait vers le château, dont le cheval connaissait bien le chemin. Soudain, un jeune homme surgit devant elle et posa la main sur la bride de Sircor qui s'arrêta volontiers, comme s'il connaissait l'inconnu. Celui-ci était grand, mince, avec des cheveux blond-châtain en bataille et des yeux verts pétillants ; ses lèvres bien dessinées arboraient un sourire ironique qui n'était pas sans rappeler celui de Sirius. En fait, leur aspect général était plutôt semblable.
- Quelle est donc la raison qui pousse une aussi jolie jeune femme à galoper ainsi dans une forêt maudite ?
- Dites-moi d'abord ce que vous y faites vous-même !
- Je me promène, répondit l'autre avec un sourire carnassier. Et quand je m'ennuie, je provoque quelques squelettes. Cela me calme de leur donner le repos éternel auquel ils aspirent tant.
- Vous êtes fou ! lança Chantelys.
Le jeune homme soupira.
- Vous aussi, vous le pensez ! Qu'entendrais-je donc si je vous avais dit que j'étais aventurier !
Chantelys eut une grande inspiration.
- Ne seriez-vous pas...
- J'ai oublié de me présenter ? Quel goujat je fais ! Je suis Edwynn le Chagaye.
- Je suis l'amie de Sirius, répondit simplement Chantelys.
- Alors, je serai le vôtre, car Sirius est plus que mon ami, il est mon frère. Considérez que je suis à votre service.
- Je n'ai rien à vous demander. J'allais rejoindre Sirius.
- Mm. Vous n'avez peut-être rien à me demander, mais je suppose que je vous serai utile en vous débarrassant des squelettes qui vous entourent.
Chantelys regarda autour d'elle. Des dizaines de paires d'yeux rouges les fixaient.
- Vous en vous en sortirez jamais vivant !
- C'est mon problème ! sourit Edwynn. Partez, je me charge de les retenir.
Il fit un signe à Sircor qui démarra aussitôt. Chantelys essaya de l'arrêter, refusant de laisser le jeune aventurier lutter seul. Puis, elle finit par admettre qu'elle serait plus utile aux côtés de Sirius et elle pressa sa monture d'aller le plus vite possible. En effet, quelque chose lui disait que le jeune homme arriverait en même temps qu'elle au château.
Quand elle aperçut la sinistre silhouette noire et torturée de la demeure de Symaris, une longue colonne de squelettes franchissait le portail et, au milieu de tous ces os, Chantelys distingua la chevelure cuivrée de Sirius. Elle cria son nom à pleins poumons et le jeune homme stoppa la colonne. Sans demander l'avis à Thirsis, il s'avança vers Chantelys et la reçut à sa descente de cheval. Elle se serra contre lui, mais Sirius semblait pressé et il coupa court aux effusions.
- Vite, la Reine n'a peut-être pas encore pris possession du Sceptre !
Chantelys leva un visage baigné de larmes vers le jeune guerrier.
- Je voudrais tellement que ce soit vrai ! dit-elle en pleurant. Oh, Sirius, n'avez-vous donc pas compris que Symaris et Syrils ne faisaient qu'une ? Le Sceptre lui appartient depuis que vous l'avez ramené du royaume d'Hydana.
- Mais comment a-t-elle pu sortir de ce maudit château ? gronda le jeune homme, furieux. Eh bien, non, je ne m'avoue pas battu ! Syrils ou Symaris, ce n'est qu'une mortelle et je la défie ! Je le savais bien, qu'elles ne faisaient qu'une, mais j'espérai en l'orgueil de Noor pour ne pas lui donner tout de suite le Sceptre. Si cet imbécile n'est même pas capable de tenir tête à sa soeur, ce n'est vraiment qu'un lâche.
- Vous le saviez ? demanda Chantelys, ébahie.
- Evidemment, que je le savais, même si j'ai joué la comédie de l'idiot devant tout le monde ! Syrils était obligatoirement une magicienne, puisqu'elle a pu me rendre mon épée sans être brûlée !
Chantelys en était sidérée ; ainsi, il savait tout depuis le début, alors qu'elle était si fière d'avoir tout compris avant lui. Il l'avait bien eue, avec ses élans de générosité qui sauvaient Syrils de la mort. Car sans lui, la Reine des Ténèbres n'existerait plus ! Et qu'allait apporter sa bonté ? Ruines et destruction à la planète ! Piètre salaire, vraiment. Thirsis s'impatientait et les deux jeunes gens rejoignirent la colonne qui pénétra dans le château. Noor apparut aussitôt. Il se tourna vers le maître squelette et lui ordonna :
- Conduis ces deux-là au cachot, moi, je m'occupe de cette jeune fille.
Il saisit Sirane par le poignet et s'éloigna. Sirius voulut s'élancer, mais Thirsis s'interposa.
- Vous devez aller au cachot.
- Je croyais que vous n'obéissiez qu'à la Reine !
- Elle nous a dit d'obéir au mage jusqu'à nouvel ordre.
Les squelettes les conduisirent dans les profondeurs du château et Sirius s'aperçut avec étonnement que la galerie des cellules communiquait avec les souterrains où étaient enfermés les gladiateurs. Il croisèrent Gork qui regarda son ancien adversaire avec des yeux ronds. Sirius et Chantelys se retrouvèrent dans un cachot sombre, éclairé par le mince faisceau de lumière bleue d'Azaris qui leur parvenait par la petite lucarne.
- Retour au point de départ ! lança gaiement Sirius.
- Vous n'avez pas l'air très affecté par ce qui vous arrive !
- Je fais confiance à Sirane pour nous tirer de ce mauvais pas. Je ne crois pas que Noor l'ait déjà vue en colère, mais dans ces cas-là, elle est aussi têtue que moi ! Il risque d'y avoir de la dispute dans l'air !
En effet, Sirane avait refusé de bouger jusqu'à ce que Noor lui expliquât pourquoi il avait fait enfermer Sirius et Chantelys. Le mage avait essayé de la raisonner, mais c'était peine perdue.
- Vénérée, par Alatariel, montrez-vous compréhensive ! Je ne peux pas faire quelque chose avec votre frère sans cesse sur mes talons !
- Je veux que vous libériez Sirius, répondit Sirane, butée.
- J'ai besoin de vous et si vous ne m'aidez pas rapidement, je ne pourrai plus rien faire contre Symaris.
- Vous m'avez menti : vous lui avez donné le Sceptre. Vous vouliez soi-disant le détruire !
- On ne peut pas détruire un objet aussi puissant, il faut simplement qu'il soit bien utilisé. Mais prenez vite une décision ! Grâce à votre aide, je peux annihiler la force de Symaris, mais je ne peux pas le faire sans vous. J'ai enfermé Sirius pour le protéger de la Reine, d'une part, et parce qu'il nous aurait fait perdre du temps d'autre part. Oh, Sirane, croyez-moi, je vous en prie ! C'est une question de vie ou de mort !
La voix du mage s'était faite caressante, mais Sirane était encore trop en colère contre lui pour y être sensible. Il la prit par la taille et l'attira contre lui. Elle se laissa aller contre son corps sans se défendre, comme si cela lui était complètement égal.
- Sirane, ne lutte pas contre moi ; je ne veux faire que votre bonheur, à toi et à Sirius.
Il caressa doucement la chevelure roulée au long du cou et sentit que la jeune fille commençait à s'apercevoir de sa gentillesse. Il lui releva doucement le menton et fixa le splendide regard brun-noir. Il se pencha vers elle et leurs lèvres se rencontrèrent. Ses bras entouraient la taille mince de Sirane et il la sentait fragile dans son étreinte. Lorsqu'ils se séparèrent, il la garda étroitement serrée contre lui, mais la jeune fille n'avait pas perdu son air farouche et tendre à la fois. Ses larges yeux immobiles restaient méfiants.
Noor l'entraîna insensiblement dans une gigantesque salle taillée dans une pierre d'azur. Au fond, on voyait les contours d'une porte taillée dans le mur. Sirane se dégagea assez brutalement, mais Noor ne parut pas y faire trop attention. Il n'avait pas été repris par la fièvre qui l'avait saisi la première fois dans la forêt. Il avait utilisé son charme pour décider Sirane à le suivre et maintenant qu'il y était arrivé, ce que pouvait faire la jeune fille lui importait peu.
- Sirane, commença-t-il d'une voix vibrante, si tu acceptes de m'aider, nous pourrons ouvrir cette porte que tu vois devant toi et qui donne dans une pièce qui a été murée il y a bien longtemps. Et dans cette pièce murée, vit une créature plus puissante que Symaris, qui exaucera plusieurs de tes voeux pour te remercier de l'avoir délivrée. Veux-tu, Sirane, veux-tu m'aider à la libérer ?
- Si elle a été emprisonnée, sans doute avait-on une bonne raison. Ce ne serait pas prudent de la laisser sortir.
- Sirane, celui qui l'a enfermé n'a mis qu'une condition pour qu'on pût ouvrir cette porte : qu'un mage du mal et un prêtre du Soleil soient alliés dans cette décision. Sirane, c'est toi qui as été choisie. Notre alliance aurait pu être celle de n'importe quoi. Toi et moi, Sirane, nous pouvons entrer dans la postérité comme ceux qui auront libéré le monde la présence malfaisante de Symaris, Reine des Ténèbres !
- Vous sacrifieriez votre soeur de gaieté de coeur pour entrer dans la postérité ? répondit-elle d'une voix glacée.
- Ma soeur est morte quand elle est devenue Reine des Ténèbres et maintenant qu'elle est l'égale d'une déesse, je ne peux plus rien faire pour la ramener au bien.
- Je ne suis pas très sûre non plus que vous en ayez vraiment envie.
- C'est nécessaire pour le monde !
- N'est-ce pas votre désir de diriger le monde ?
- Réponds à ma question : es-tu d'accord pour m'aider à libérer l'entité vivant dans la pièce d'à côté ?
Sirane ferma les yeux et pensa à Sirius et Chantelys qui devaient se morfondre dans leur cachot.
- Pour que mon frère et la Gardienne du Cristal Bleu soient libres, j'accepte. Ordonne, j'obéirai.
- Il nous faut utiliser le pouvoir des Cinq Sphères.
La jeune prêtresse frissonna à cette évocation, car les Cinq Sphères étaient aussi difficiles à manier que les Huit Cercles.
- Nous devons invoquer les sphères l'une après l'autre. Tu es chargée de conjurer les sphères du Mystère, des Dons et du Feu. Je m'occupe de celles du Carnage et de la Peste.
Sirane s'avança vers la porte et dit doucement :
- Les mystères de la mort ont ouvert le bleu des cieux.
Mort, mort, mot-clé, montre le mystère à nos yeux.
Une sphère bleue apparut au dessus de la porte. Noor s'avança à son tour.
- Les carnages de sang ont ouvert le rouge de la chair.
Sang, sang, mot-clé, montre le carnage à l'univers.
Une sphère rouge vint se placer à côté de la bleue et Sirane reprit :
- Les feux des volcans ont ouvert le blanc de l'âme.
Volcan, volcan, mot-clé, montre le feu et les flammes.
Une sphère blanche rejoignit les deux autres et Noor continua l'incantation :
- Les pestes de fièvres ont ouvert le gris de la douleur.
Fièvre, fièvre, mot-clé, montre la peste à notre coeur.
Ce fut une sphère grise qui fit son apparition. Sirane prit son inspiration pour prononcer la dernière incantation, la plus longue, celle que le prêtre du Soleil devait obligatoirement dire pour que les sphères aient une puissance sur la porte. C'était l'ultime phase avant le non-retour. Quand Sirane aurait tout dit, il lui serait impossible de renvoyer les sphères à leur néant sans leur avoir fait ouvrir la porte. Noor sentit les hésitations de la jeune fille et s'approcha d'elle. Il effleura sa tempe de ses lèvres et murmura :
- C'est pour Sirius que tu le fais aussi, Sirane. N'hésite plus, le temps nous est compté. La Reine va bientôt sentir notre présence dans cette pièce dont les murs d'azur renvoient la chaleur de tout être vivant.
La jeune prêtresse étreignit l'amulette d'Hypnoz et il lui sembla que le joyau translucide brillait d'un éclat d'argent ; elle sut alors que la volonté des dieux était que cette porte soit ouverte.
- Les dons des dieux ont répandu l'or du coeur.
Dieux, dieux, mot-clé, montre les dons du bonheur.
Moi, Sirane, grande prêtresse de Soleil,
J'appelle l'astre aux rayons vermeils.
Ma voix franchit les néants du mal
Pour supplier les Cinq Sphères Astrales.
Par les cinq mots magiques, volcan,
Fièvre, mort, dieux et sang,
J'ordonne à la porte de l'azur
De s'ouvrir de ces murs.
Les cinq sphères se mirent à rayonner d'un éclat insoutenable et les deux jeunes gens durent fermer les yeux pour ne pas devenir aveugles. Dans un carillon victorieux, la porte tourna sur ses gonds et dévoila une porte de bronze. Noor, les mains tremblantes, la poussa et entra dans une vaste salle au plafond bas. Les murs et le sol étaient de marbre gris, mais la voûte rougeoyait comme un tapis de braise. Un autel de marbre noir se dressait au centre de la pièce, avec une flamme noire brûlant en son milieu. Des filaments naissaient du marbre et s'enroulaient en spirale autour de la flamme, projetant d'étranges ombres sur les murs. Noor murmura :
- La Pièce Noire ! Enfin ouverte pour l'éternité !
Lentement, une silhouette se forma derrière l'autel, se précisa au fur et à mesure et quand l'apparition tourna vers les deux jeunes gens un regard blanc, Sirane poussa un cri de terreur.
- Erza ! hurla-t-elle en gémissant.
La Princesse de l'Ombre éclata de rire.
- Oui, Erza, revenue sur la monde des mortels, bien que ce maudit Sorcerak m'ait tuée quand je vivais sous le nom de Serasys. Je ne pouvais revenir que par ce château, mais Sorcerak et Furtifer avaient décrété que seuls un mage du mal et un prêtre du Soleil pouvaient l'ouvrir. Une alliance théoriquement impossible ! Mais rien ne m'est impossible, à moi, la déesse du côté noir ! Pauvre petite Sirane, ne connaissais-tu donc pas la fameuse Porte de l'Ombre ?
Sirane, recroquevillée à terre, leva un regard lourd de reproches sur Noor.
- Vous m'avez trompée, dit-elle simplement.
Erza reprit :
- Ne lui en veux pas, il ne faisait qu'obéir. Et pourtant, j'ai bien cru à un moment que tu allais l'emporter, mais tu n'as pas compris l'avantage que tu pouvais tirer de son envie de rédemption parce qu'il t'aimait. Car il t'aime, sais-tu ?
- La rédemption par l'amour...
- Est aussi valable que celle par la foi, coupa la déesse. Quant à toi, Sirane, tu l'aimes aussi. Ne le nie pas, je sais lire dans les coeurs. Et maintenant, tu vas abandonner ta foi pour suivre ton amour.
- Jamais ! Ma foi ne m'a jamais trompée. La seule erreur que j'ai commise, c'est d'avoir cru que Noor pouvait dire la vérité. Le fait même que je l'aime n'est pas une erreur, car personne ne peut gouverner son coeur. Les fautes que j'ai faites, c'est parce que mes sentiments l'ont emporté sur ma foi et sur ma raison. Non, jamais je ne renierai être la grande prêtresse d'Hypnoz. Je crois que mon dieu me protège et s'il ne peut rien contre toi, Erza, il me donnera au moins une mort honorable.
Elle se tourna vers Noor.
- Oui, Noor, maintenant, je peux te l'avouer. Je t'aime et mon coeur ne vit que par toi. Mais je sais que je ne dois pas l'écouter, car tu as choisi la mauvaise voie. Noor, rejoins le Soleil et tu vaincras le mal qui est en toi. Tu peux encore te sauver !
Avec ses longs cheveux noirs pareils à la moire des étangs par les nuits sans astres, elle était vraiment très belle et Noor sentit un appel de son âme vers elle. Il la fixait de ses yeux entièrement bleus avec un regard suppliant, comme pour lui demander de l'aider à s'en sortir.
- Il n'est pas trop tard, Noor. Laisse-moi entreprendre ta rédemption...
Le mage attira la jeune fille dans ses bras et la serra très fort contre lui. Puis il la repoussa et rabattit son capuchon sur la tête. Le mal avait vaincu. Sirane tendit la main vers lui dans un dernier espoir et Erza aperçut la bague en opale à son doigt. Elle rit doucement.
- On a toujours prétendu que l'opale portait malheur à son propriétaire et je crois que la rumeur publique va encore se confirmer. Stupide croyance, je l'admets, mais les gens sont tellement superstitieux ! Sais-tu quel est le prix que Noor a payé aux puissances obscures ? Non, bien sûr ! Noor, montre-lui !
A regret, le mage dégrafa le haut de sa tunique et l'écarta. Sur sa poitrine, en lettres de sang, s'inscrivait le nom de Sirane.
- Il a porté ton nom en lui pendant toute sa vie, car ces caractères sanguinolents sont gravés très profondément en son corps, ricana Erza avec cruauté. Allansia les a mis à nu lors de son initiation, quand elle a vu qu'il devenait très puissant. Son tribut aux puissances du mal : souffrir éternellement par toi, souffrir que ton nom le ronge et lui empoisonne le sang. Il savait depuis longtemps qu'il tomberait amoureux de toi ; c'était écrit et vous n'avez pas pu échapper à vos destins !
Sirane, comme à chaque fois qu'elle sentait sa volonté vaciller, pensa intensément à Sirius et elle se rappela ce qu'il professait. Elle releva la tête et lança :
- Nous sommes maîtres de nos destins ! Personne ne peut influer sur notre vie future !
- Alors comment expliques-tu le fait qu'Allansia ait su qu'il allait tomber amoureux de toi ?
- Pur hasard ! répondit Sirane.
Erza haussa les épaules et ordonna d'une voix sèche :
- Noor, tu me sacrifieras la prêtresse une fois que j'aurai récupéré le Sceptre et le Joyau des Ténèbres.
- Ô Erza, permets-moi de te faire part du désir de Thyrs de s'occuper personnellement du sort de Sirane.
- La lutte éternelle du Dragon des Ténèbres et de son ennemi le Soleil ! Soit, j'accepte la requête. Mais qui sera la victime ?
- Le frère de Sirane est actuellement dans les geôles de la Reine. Elle te l'a gardé spécialement dans ce but.
A ces mots, la jeune prêtresse sursauta.
- Non, moi si vous voulez, mais pas mon frère ! Noor, je t'interdis de toucher un seul de ses cheveux !
- Crois-tu que j'ai quelque chose à faire de ce que tu veux ? Tu n'es pas en position de poser des conditions !
- Noor, je crois que je vais faire de toi mon grand prêtre, fit nonchalamment Erza. Que penses-tu de cette proposition ?
Etre grand prêtre d'Erza était un honneur, car c'était la déesse elle-même qui le désignait, mais peu avaient survécu à cette charge. Noor regarda Erza avec stupéfaction : la frêle jeune femme, très séduisante, caressait doucement le corbeau noir perché sur son épaule. Ses longues boucles noires l'enveloppaient comme dans un manteau de ténèbres et à côté d'elle, Allansia, toute séductrice qu'elle était, ne pouvait lui être comparée.
- Ma Reine, je te suis aussi dévoué que Sirane à Hypnoz. Fais de moi ce qu'il te plaira.
Sirane s'était redressée et elle siffla :
- Lâche ! Tu ne sais que ramper devant ceux dont la puissance est supérieure à la tienne !
La jeune fille reprenait courage devant le danger : il s'agissait de sauver Sirius de la mort. Inconsciemment, elle ne cessait de répéter le nom de son frère avec ferveur.
Texte © Azraël 1995 - 2002.
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