- Qu'importe que le corps disparaisse, si l'esprit survit.
- Et j'ai vu... Erza.
- Tiens donc ! Notre vieille amie !
- Elle va revenir sur le monde des vivants, murmura Chantelys avec une voix qui semblait venir d'outre-tombe.
- Comme si son propre royaume n'était pas encore assez grand ! grogna le jeune homme pour toute réponse.
La jeune elfe le regarda avec attention : il avait les sourcils froncés, les mâchoires contractées et son regard fauve lançait des éclairs.
- Venez, Vénérée, dit-il d'un ton égal. Il est temps de repartir.
- Vous avez une grande maîtrise de vous, remarqua-t-elle, étonnée de s'entendre parler d'un ton aussi détaché.
Sirius haussa de nouveau les épaules et se tourna vers les chevaux pour éviter d'avoir à répondre. Le cheval gris était maintenant parfaitement calme. Néanmoins, le jeune homme jugea que Chantelys en avait assez vu pour aujourd'hui et il l'assit sur le cheval alezan.
Ils reprirent donc leur route dans la forêt inhospitalière. Les lunes disparurent trop vite au gré des jeunes gens, surtout pour Chantelys qui avait plus été privée de lumière que son compagnon. Elle s'étonna de ce que les ténèbres lui parussent moins sombres qu'auparavant, alors que la nuit devait être à son maximum d'obscurité.
- Nos yeux se seraient-ils habitués à la nuit ?
Sirius regarda derrière lui.
- Non. Ce sont les gemmes des squelettes qui troublent ainsi l'obscurité de la forêt. Nous allons nous arrêter ici.
- Pourquoi ne pas continuer ?
- Inutile. Nous n'aurions pas fait dix pas que ceux-ci nous sauteraient dessus. Autant essayer de nous en débarrasser tout de suite.
Il descendit de cheval et vint recevoir Chantelys pour la déposer sur le sol. Le cercle des yeux rouges se resserra. Sirius alluma un feu et s'assit à côté. Les chevaux se rapprochèrent de lui, frottant peureusement leur nez contre sa joue. La jeune elfe vint aussi se réfugier auprès du guerrier.
- Une fois que ma mission sera achevée, dit-il, je retournerai au château pour délivrer Gork.
- Vous le ferez vraiment ? Je veux dire : risquer votre vie et votre liberté pour ce gladiateur ?
- Je le lui ai promis, Vénérée. Et je tiens toujours mes promesses.
En face d'eux, les squelettes entrèrent dans la lumière. Sirius se leva et brandit une branche enflammée.
- Arrière, suppôts de la Reine des Ténèbres !
- Je ne crois pas que ce soit ainsi qu'il faille les chasser, dit une voix ironique derrière lui.
Le jeune homme se retourna et vit une guerrière aux longs cheveux bouclés noirs, le visage masqué par un casque, vêtue d'une longue cotte de mailles et d'une cape, le tout noir. Dans sa main, une épée en acier noir.
- Les faire reculer par la crainte du feu n'est pas la bonne méthode, dit-elle en s'avançant vers les jeunes gens.
Chantelys se leva et se glissa auprès de Sirius.
- Comment faut-il faire alors ? demanda-t-elle.
- Il faut leur enfoncer son épée dans la gorge ! gronda la nouvelle venue.
Sirius jeta un coup d'oeil navré à sa ceinture vide.
- Encore faudrait-il en avoir une, guerrière. Comme vous le voyez, nous en sommes démunis.
L'interpellée eut un sourire amusé. Elle enleva sa cape et décrocha l'arme accrochée dans son dos.
- Tenez, prenez celle-ci ! fit-elle en la lançant à Sirius.
Le jeune homme la reçut et poussa un cri de stupéfaction :
- Mon épée ! Mais comment... ?
- C'est la vôtre ? Je l'ignorais. Je l'ai trouvée dans ce château.
- Vous y vivez ?
- J'en suis une des guerrières, emprisonnée ici pour la vie. J'attends avec impatience le jour où quelqu'un nous délivrera de cette maudite Reine !
- Commençons déjà par ses créatures ! répondit Sirius en montrant les squelettes qui se rapprochaient toujours, bien que méfiants envers l'inconnue. Je ne suis pas sûr que nos lames les feront fuir.
- En effet ; ils sont de plus en plus audacieux, ces temps-ci. J'ai souvent entendu la Reine s'en plaindre et je me souviens qu'elle utilisait un mot magique pour les faire partir. Mais lequel était-ce ?
- Pressez-vous de le retrouver si vous ne voulez pas les alimenter en sang. J'ai déjà eu affaire à eux, je voudrais bien éviter de recommencer.
Sirius sortit son épée de son fourreau de bronze orné de volutes et rehaussé de corail. La gemme bleue du pommeau flamboya. Les squelettes firent entendre leur ricanement odieux et tendirent leurs mains vers le jeune homme qui, d'un coup précis de son épée, sectionna quelques os. Les victimes hurlèrent et se précipitèrent sur lui. Il s'adossa à un énorme chêne et se battit vigoureusement. Quand il en voyait un s'approcher un peu trop près de Chantelys, il bondissait comme un fauve et forçait le squelette à reculer promptement.
A un contre dix, le combat était forcément déséquilibré. Sirius se vit entouré par les squelettes, mais il était trop fier pour demander de l'aide à la nouvelle venue, car quelque chose lui disait de se méfier. Un détail, qu'il ne parvenait pas à identifier, lui trottait dans la tête, un détail important... Il sentit brusquement un poids sur son bras gauche ; il tourna la tête et plongea son regard dans les gemmes rouges du squelette qui venait de refermer la main sur son bras. Ils étaient aussi surpris l'un que l'autre, mais Sirius comprit le premier : le squelette avait la main sur son poignet de cuir et donc il ne sentait pas la brûlure habituelle ! Il se dégagea brusquement et coupa proprement la tête au fautif. Mais, dans ce mouvement, il baissa sa garde à droite et un autre squelette en profita pour l'assaillir. Cette fois-ci, Sirius ressentit jusqu'au fond de lui la brûlure glacée de l'étreinte macabre. Il serra les dents pour ne pas crier de souffrance. D'un coup de son épée, dont le gemme palpitante éloignait un peu les serviteurs de la Reine des Ténèbres, il trancha la main osseuse de son assaillant, laquelle tomba sur le sol dans un bruit de brindilles sèches se cassant. Le cercle des squelettes se resserra dangereusement et Sirius vit venir le moment où il ne pourrait plus rien faire quand soudain, une voix impérieuse s'éleva :
- Squelettes de la Reine des Ténèbres, entendez ma voix et reconnaissez-la. Je vous l'ordonne : Sylvir !
Les créatures reculèrent et disparurent dans les ténèbres.
- Eh bien ! On peut dire que votre mémoire ne revient qu'au dernier moment !
- Je suis désolée, mais le mot seul n'aurait pas suffi. Il fallait également que je me souvienne des phrases rituelles pour se faire reconnaître d'eux.
- Mais ils vous connaissent ?
- Comme guerrière, vaguement. Mais le fait que je sois une des guerrières de la Reine n'aurait servi à rien si je ne connaissais pas le mot magique. Ils vous ont touché ?
- Je crois, oui.
Il regarda son bras droit : le poignet était entièrement cerclé de blanc.
- Hum ! fit la guerrière. Je crains que votre poignet ne soit désormais insensible !
Sirius haussa les épaules tout en examinant soigneusement la nouvelle venue. Il était sûr qu'elle cachait quelque chose. Elle devait connaître beaucoup plus de magie qu'elle ne le prétendait, parce que... Il se souvint brutalement de Chantelys, qui devait être épuisée par cette journée harassante à cheval et il se tourna vers la prêtresse :
- Vénérée, vous êtes fatiguée. Reposez-vous. Je veillerai sur votre sommeil.
La jeune elfe le regarda avec gratitude et s'allongea sur le sol.
Sirius s'assit de l'autre côté du feu et la guerrière l'imita.
- Pourquoi n'enlevez-vous pas votre casque ? demanda le jeune homme.
- J'en suis dans l'incapacité totale. La Reine nous l'a fixé sur notre visage jusqu'à ce que nous quittions son service, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'elle soit morte. Mais, dites-moi, vous m'avez l'air d'être un bon combattant.
Sirius sourit en songeant aux combats contre Gork et au début d'entraînement à l'épée que la Reine des Ténèbres lui avait infligés.
- J'ai été bien formé.
- Pouvez-vous me rendre un service ?
- S'il entre dans mes cordes, nul problème.
- Voilà : je vous ai dit que la Reine nous bloquait, mes compagnes et moi, dans ce territoire délimité par la forêt. Il n'y a qu'un seul moyen pour tuer la Reine, car elle est invulnérable aux armes et aux sortilèges, et c'est le Sceptre de la Nuit.
- Un sceptre !
- Oui. Cet objet appartient en réalité à Erza, mais les dieux lui ont volé et l'ont confié à Hydana, déesse des eaux, qui habite à Hydranis. Or ce continent englouti se trouve dans une terre qui s'étend au-delà des brumes, dans le nord, au milieu des glaces. Je vous demande de retrouver pour moi le Sceptre et de me l'apporter, pour que mes compagnes et moi luttions contre la Reine.
- Je crois que je pourrai au moins essayer. Mais je mènerai ma mission à terme d'abord.
- D'avance, je vous remercie au nom de toutes les créatures que vous libérerez de son joug infernal.
- Dormez, maintenant, si vous ne voulez pas que la Reine vous demande où vous avez passé la nuit !
La guerrière rit et lui obéit.
A peine avait-elle fermé les yeux que Chantelys vint auprès de Sirius.
- Je n'ai pas confiance en cette femme.
- Elle a fait fuir les squelettes.
- Vous combattiez à ce moment ! Moi, je l'observais et elle attendait très visiblement de voir comment vous alliez vous en sortir. Elle connaissait le mot, j'en suis persuadée.
- En êtes-vous vraiment sûre, Vénérée ?
- Vous savez que je vous ai dit que je sentais une présence maléfique. Ce n'était pas celle des squelettes, car je la sens encore.
Sirius la regarda attentivement.
- Peut-être avez-vous raison. Mais vous n'avez rien à craindre, je veille.
Chantelys acquiesça et retourna dormir. Le jeune homme murmura :
- Ne vous inquiétez pas, Vénérée. Je n'ai pas vraiment confiance en elle non plus. Elle ment !
Sirius enleva sa cuirasse et sa tunique, puis reprit sa garde ; il fixait le feu dansant devant lui. Sans doute ce spectacle l'endormit-il, car quand il releva la tête et regarda autour de lui, la forêt était en feu...
Texte © Azraël 1995 - 2002.
Bordure et boutons Sword and Rose, de Silverhair