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Le Sceptre de la Nuit
Sirius reprit lentement connaissance. Chantelys n'avait pas bougé. Le jeune homme leva la main vers l'elfe qui se tourna vers lui.
- Etes-vous vraiment la Gardienne du Cristal Bleu ? redemanda-t-il.
- Je ne prétends jamais aux titres que je ne possède pas, répondit Chantelys en haussant les épaules.
- J'ai un moyen de vérifier que vous dites la vérité.
Chantelys s'effraya en voyant l'éclat un peu halluciné des yeux fauves du jeune homme. Inconsciemment, ses gestes trahirent sa peur et Sirius le remarqua.
- Ne craignez rien, Gardienne, sauf si vous n'êtes pas ce que vous déclarez être.
La jeune elfe se maîtrisa et aida Sirius à se redresser. Il regarda fixement la prêtresse.
- Laissez-moi faire, dit-il.
Il tendit sa main vers le cou de la jeune fille et repoussa les longs cheveux blonds.
- Il fait trop sombre pour voir quelque chose..., murmura Chantelys en tremblant.
Les doigts du jeune guerrier parcouraient la nuque de l'elfe, cherchant probablement un signe quelconque permettant de la reconnaître. Enfin ils s'arrêtèrent à la racine des cheveux et elle sut quand ils sentirent le dessin de la lunule que la déesse Chantelys avait appliqué à sa protégée mais qui était invisible aux yeux des vivants.
- Comment saviez-vous ? bégaya la prêtresse quand le jeune homme eut retiré sa main.
- Sirius me l'a dit et il a doté mes doigts de la sensibilité suffisante pour trouver la trace de cette marque.
- Bien. Montrez-moi maintenant que vous êtes le petit-fils de l'Errant, exigea Chantelys.
Sirius la regarda avec étonnement.
- Tous savent que l'Errant a été tué par l'épée à la rune du sommeil éternel, reprit-elle, et que le fils d'Ukkraq a été marqué de cette rune à la base du cou, sur l'épaule gauche. Et moi, je sais en plus qu'il l'a transmise à ses descendants.
- Exact. Personne à part moi ne connaissait cette partie de l'histoire.
Sans quitter Chantelys des yeux, il enleva sa cuirasse et écarta le col de sa tunique grise. La jeune elfe s'approcha et vit en effet la rune qui marquait la famille de l'Errant depuis sa mort.
- D'autres que vous la portent-ils ? demanda Chantelys en se reculant.
- Ma soeur la possède également mais personne ne l'ennuiera sur ce sujet. Elle est prêtresse.
La porte s'ouvrit brutalement et Jerk fit son apparition.
- Ah ! Notre jeune héros s'est réveillé. Debout ! Gork t'attend depuis longtemps !
Sirius se leva d'un bond, jeta un dernier coup d'oeil à Chantelys et suivit le gardien. Aussitôt qu'il le vit, le géant se moqua de lui :
- Alors, le petit jeune homme a bien été soigné par sa douce amie ? Sois sûr que si tu es dans le même état qu'hier, je n'attendrai pas ton réveil pour m'occuper d'elle à ta place !
Jerk ne faisait aucunement attention aux discours de Gork, sans doute habitué à ses vantardises, mais Sirius gronda de fureur et se jura qu'il se battrait de telle façon que, même s'il était vaincu, le géant ne pourrait pas toucher à Chantelys. Gork fut surpris de l'impétuosité avec laquelle le jeune homme contrait ses attaques : il pensait vraiment qu'il était plus faible. Mais le colosse était un guerrier surentraîné aux combats de l'arène et Sirius ne faisait pas le poids face à lui. Il fut rapidement mis hors combat, comme la veille, bien qu'ayant réussi à tenir un peu plus longtemps. Cependant, il se débrouilla pour paraître dans un état plus lamentable qu'il ne l'était en réalité.
De nouveau, Gork le souleva pour le porter dans sa cellule et Sirius se laissa faire, comme s'il était réellement épuisé, alors que son sang bouillonnait de colère.
- Oh, mon père ! Permettez-moi de protéger une de vos prêtresses ! pensa-t-il à l'adresse de son dieu.
Cette fois-ci, Gork le posa doucement sur le sol. Le jeune homme avait les yeux clos et le teint livide. Chantelys poussa un cri et se précipita vers lui ; le colosse l'arrêta au passage.
- Il n'est pas en état, ma jolie. Laisse-le reprendre connaissance.
La jeune elfe voulut dégager son bras, mais l'étreinte de Gork était trop forte. Elle tremblait de peur ; le géant l'attira à lui avec une gentillesse étonnante.
- Ne lutte pas, c'est inutile. Personne ne peut te défendre.
- Je n'en suis pas aussi sûr que toi, Gork, fit une voix derrière lui en un grondement effrayant.
Le gladiateur fut si surpris qu'il desserra son emprise sur le poignet de Chantelys qui courut se réfugier auprès de Sirius.
Le jeune homme, ramassé sur lui-même, avait l'air d'un fauve prêt à bondir, avec les sourcils froncés, les mâchoires serrées et la chevelure cuivrée emmêlée qui lui donnait un air sauvage.
- Comment, tu es toujours debout ? s'étonna Gork. Je suis admiratif !
- Je ne te demande pas ton admiration, mais de laisser cette jeune fille tranquille. Je crois que je te l'avais déjà demandé hier et j'ai horreur de répéter ce que je dis, répondit Sirius avec calme, mais le ton peu aimable.
Il savait qu'il provoquait Gork au combat mais s'il n'avait pas d'autre choix pour protéger Chantelys, il le ferait quand même. Il sentait le sang de son ancêtre couler dans ses veines et lui redonner un courage tout neuf.
- Désolé, mon jeune adversaire, je n'ai pas la permission de te combattre en dehors de l'arène. La maîtresse serait très fâchée si je t'abîmais trop. Je regrette énormément.
- En parlant de permission, je ne pense pas que Jerk te laisse le droit d'ennuyer les jeunes prisonnières ?
- Jerk ne se mêle pas de mes affaires, grogna Gork.
Il regarda Chantelys une dernière fois et s'en alla. Sirius se laissa tomber sur le sol.
- Ouf ! Heureusement qu'il ne s'est pas battu avec moi, parce que vous auriez eu le privilège de me voir perdre sous vos yeux !
La jeune elfe se contenta de dire :
- Vous m'avez sauvé la vie.
Sirius leva la main pour arrêter le flot de remerciements qu'il sentait venir.
- N'exagérons rien, je l'ai juste empêché de vous embrasser !
- Si ce n'est pas ma vie, c'est mon honneur.
Chantelys en tremblait encore et Sirius, se redressant d'un bond, la prit doucement dans ses bras.
- Allons, Vénérée, l'épreuve est finie. Je vous jure que je ne le laisserai jamais approcher de vous une autre fois, même si ma fierté doit souffrir de me laisser battre alors que j'ai encore des forces.
Elle s'accrocha à lui presque désespérément et il la serra contre lui jusqu'à ce qu'elle se calme totalement. Alors il se recula et détourna la tête le temps qu'elle essuyât furtivement les larmes qui perlaient au bord de ses longs cils.
Plusieurs jours avaient passé. Sirius faisait de grands progrès et commençait à bien tenir tête à Gork, qui semblait avoir abandonné l'idée de porter atteinte à l'honneur de Chantelys. Dans la grande salle, Symaris tenait entre ses mains l'épée que Jerk avait prise à Sirius. C'était une arme incrustée de joyaux, dont le pommeau était orné d'une gemme bleue énorme qui palpitait d'une lumière intérieure.
- Cette épée est précieuse. C'est une arme de grande valeur, fit la Reine entre ses dents.
- Oui, Majesté. Pourtant son propriétaire ne paie pas de mine.
- Je sais. Je l'ai vu.
Jerk ne s'étonna pas outre mesure : même s'il savait que Symaris n'avait jamais approché Sirius, il n'ignorait pas qu'elle était au courant de tout ce qui se passait dans son château. Elle se redressa et s'enveloppa dans sa longue cape noire.
- Que devient-il ?
- Gork me dit qu'il se bat de mieux en mieux et qu'il sera bientôt en état de combattre dans l'arène.
- J'espère pour toi qu'il sera le meilleur, murmura songeusement Symaris. Oui, je l'espère.
Jerk sentit une sueur froide lui couler dans le dos. Il n'avait jamais craint quoi que ce soit pour sa vie jusqu'à maintenant, mais la jeune femme semblait attachée au nouveau prisonnier.
- Ma Reine, ajouta-t-il avec timidité, cette épée a un pouvoir : regardez, quand je vous l'ai amenée, ma main a été brûlée.
- Veille bien à ce que le jeune combattant soit en forme, répondit Symaris sans prêter attention à l'affreuse balafre qui marquait la paume du chef des prisonniers.
En s'en allant, Jerk grommela :
- Sans doute quelque personnage illustre que la Reine aura reconnu sans vouloir toutefois le libérer...
Symaris le regarda partir en hochant la tête.
Une fois Jerk disparu, elle descendit voir Thyrs.
- Où en est Noor ? demanda-t-elle sans préambule.
Le dragon ouvrit un oeil ironique.
- Ne t'inquiète donc pas, Majesté. Il vient juste de rencontrer la prêtresse.
- Laquelle est-ce ?
- Sirane, protégée d'Hypnoz. Saval l'a persuadée qu'elle avait été choisie par les dieux pour accompagner Noor. Elle a donc bien sûr accepté la mission. Ton frère ne semble pas insensible à son charme et cela me paraît être réciproque.
- Thyrs, tu seras toujours le meilleur pour faire exécuter aux gens ce que tu veux ! s'exclama Symaris, ravie. Ainsi, Noor est tombé amoureux d'une prêtresse du Soleil. Tous deux vont affronter les dangers d'Hydranis, le continent englouti, où le Sceptre a été caché par la déesse Hydana qui y habite. Au moment de leur retour, mon jeune guerrier sera prêt et pourra aller me chercher ce précieux objet. Nous serons tout-puissants et Noor ne pourra que se faire tout petit devant nos pouvoirs réunis. Ah, Thyrs, ton idée de souffler à Saval ce rêve qu'il a cru être des dieux est vraiment une idée de génie !
Le Dragon des Ténèbres adorait que l'on flatte sa vanité et il ronronnait de plaisir sous les compliments que lui décernait Symaris.
Celle-ci songeait à l'alliance que lui avait proposée son frère. Elle savait quel était le but réel de ce pacte : vaincre les forces du bien. Après avoir rencontré Sirane, Noor serait-il toujours aussi décidé à rayer le bien des ordres spirituels ? Car continuer dans cette voie l'obligerait à tuer Sirane et peut-être que l'amour serait plus fort que l'ambition... et alors, Symaris pourrait manipuler son frère à loisir en faisant pression sur lui. Mais Noor était très dissimulateur et il était fort capable de faire croire à tout le monde, y compris à l'intéressée elle-même, qu'il aimait Sirane. Thyrs était très doué en ce qu'il faisait, mais il ignorait tout des méandres du coeur humain. De plus, Symaris s'étonnait de cette soudaine envie de supprimer les forces du bien de la surface de la planète, car elle savait pertinemment que Noor avait choisi la voie du mal par la force de persuasion d'Allansia, et non par vocation. Or il semblait vraiment déterminé à s'allier avec elle ; c'était donc qu'il avait un but caché. Noor était quelqu'un de très secret. La jeune femme finit par conclure que son frère devait obéir à Zeloran dans cette histoire, comme dans toutes celles qui avaient précédé. Mais quelle était donc l'idée que le dieu du mal avait derrière la tête ? Symaris soupira, prit congé du dragon et remonta dans la pièce principale du château d'où elle pourrait surveiller le combat de Sirius. Ce n'était pas la première fois qu'elle prenait cette décision mais il devenait urgent de savoir si le jeune homme avait acquis les capacités suffisantes pour lutter contre Noor.
Sirane et Noor étaient partis depuis plusieurs jours déjà, la première montée sur un cheval blanc et le second sur un destrier noir. La jeune prêtresse chevauchait en silence, ne regardant jamais son compagnon de voyage. En son for intérieur, elle regrettait d'avoir accepté cette mission, mais sa foi était fière d'avoir été choisie. Quelques rayons de Jalis perçaient le rideau des arbres de la Forêt Envoûtée, qu'ils devaient traverser pour atteindre Hydranis, et la chaleur commençait à se faire sentir. Ils approchaient de la fin de la forêt, mais Sirane savait que la nuit tomberait avant qu'ils n'eussent atteint les plaines de Droth. Noor ne paraissait faire attention à rien et marmottait parfois des mots sans suite, sans doute des fragments de sortilèges qu'il apprenait afin de savoir parfaitement les utiliser si nécessaire. Soudain, un éclair attira son attention et il tourna la tête vers la main de Sirane, d'où provenait la lumière. Il eut un sursaut.
- Pourquoi portez-vous une opale, Vénérée ?
La jeune prêtresse baissa les yeux vers son doigt orné d'une bague en argent supportant une opale blanche et répondit d'un air étonné :
- Pourquoi n'aurais-je pas le droit d'en porter une ?
- Vous n'êtes certainement pas sans ignorer que l'opale porte malheur à son possesseur !
Sirane haussa les épaules avec dédain.
- Superstition que tout cela ! Je possède ce bijou depuis longtemps et il ne m'est jamais rien arrivé !
Noor la regarda avec intensité et força son cheval à se rapprocher de celui de Sirane.
- Pourquoi refusez-vous de me regarder, Vénérée ? demanda-t-il doucement.
Elle planta ses grands yeux brun-noir dans ceux du mage et répondit fermement :
- Je ne refuse pas de vous regarder ; je n'en vois tout simplement pas l'intérêt, voilà tout ! Dois-je vous rappeler que je ne vous accompagne que pour trouver le Sceptre et non pas pour que nous nous séduisions mutuellement ?
Noor éclata de rire ; cette jeune prêtresse, avec son aspect frêle et délicat, se révélait être une tigresse et ce second côté lui plaisait autant que le premier.
- Vénérée, je ne cherche nullement à vous séduire, je vous assure ! Mais j'aimerais que le chemin soit rendu plus agréable par une conversation, plutôt que de marcher en silence.
- Le silence apprend parfois beaucoup plus qu'une longue conversation, répliqua Sirane, mais je veux bien que nous discutions.
Le jeune mage la sentit se détendre et il fut surpris par son air farouche et tendre à la fois. Il se gourmanda intérieurement :
- Allons, Noor ! Ce n'est pas le moment de perdre la tête pour une petite prêtresse quand le pouvoir absolu est à portée de tes doigts ! Songe d'abord au Sceptre et si tu n'arrives pas à détacher tes pensées de ta compagne de voyage, dis-toi que tu pourras te tourner vers elle quand tu seras maître de tout, là où tu seras son seul recours si elle veut vivre.
A cette pensée, il se sentit mieux, même s'il ne voulait pas s'avouer qu'inconsciemment, il refusait de prononcer le prénom de la jeune prêtresse.
Le ciel commença à se teindre de bleu-vert et Jalis déclina vers l'horizon.
- Nous allons nous arrêter ici, décréta Noor.
Sirane regarda la clairière entourée d'arbres tordus. Dans cette forêt, toute la nature semblait tourmentée et les animaux qui acceptaient d'y vivre étaient plutôt rares. La prêtresse s'assit par terre et enserra ses genoux de ses bras, regardant Noor allumer un feu. Elle sentait autour d'elle la présence des créatures de la Reine des Ténèbres ; elle savait pertinemment qu'elle ne pourrait rien faire contre les squelettes toute seule et se rapprocha du mage. Celui-ci regarda autour de lui et murmura :
- Ils sont là. Voyez-vous leurs yeux briller ?
Sirane aperçut des éclairs sanglants percer les ténèbres qui les entouraient maintenant.
- Les lueurs rouges ? demanda-t-elle, les lèvres blanches.
Noor lui jeta un rapide coup d'oeil.
- Oui, confirma-t-il. La Reine leur a scellé des gemmes dans leurs orbites pour leur donner un aspect inquiétant et ainsi faire éviter la forêt aux curieux de passage. De plus, ses troupes sillonnent souvent les lieux pour capturer les gens et les envoyer dans ses arènes ou... pour les tuer sur place.
Sirane ne lui demanda pas comment il savait toutes ces précisions et resserra l'étreinte de ses bras autour de ses genoux. Elle refusait de s'avouer qu'elle avait peur, mais rares étaient ceux qui pouvaient se flatter d'avoir rencontré les squelettes de la Reine sans trembler.
Noor semblait très calme. Il sentait la présence des serviteurs de la Reine de plus en plus proches mais ne réagissait pas. La jeune prêtresse saisit dans sa main l'amulette sacrée d'Hypnoz constituée d'un joyau translucide et incolore que la lumière des étoiles faisait briller d'un éclat d'azur ou d'argent. Elle n'avait jamais compris pourquoi les astres nocturnes avaient un quelconque effet sur le pendentif solaire, mais toujours était-il que le contact avec la pierre lumineuse la rassurait. Noor chuchota :
- Les sentez-vous venir ? Ils sont tout près de nous maintenant...
Sirane ne lui répondit rien et murmura une prière à Hypnoz. Le mage se leva et fit quelques pas. Ce fut instantané : les squelettes se précipitèrent sur la jeune prêtresse qui cria. Elle tendit en avant le joyau solaire. Les créatures s'arrêtèrent. Ils étaient revêtus de cottes de mailles et portaient un tabard noir orné de motifs argentés.
- Hypnoz, si ma foi peut me sauver, fais quelque chose pour moi !
Le dieu n'intervint pas. Les squelettes tendirent leurs doigts décharnés et tordus vers la jeune fille qui serra contre elle l'amulette sacrée.
- Je suis une prêtresse du Soleil, vous ne pouvez rien contre moi, même si mon dieu m'a abandonnée !
Noor regarda Sirane et sa main s'ouvrit vers le ciel.
- Zeloran, je suis Noor, le plus puissant mage du mal, ton fidèle serviteur. Ma voix t'ordonne de faire fuir ces créatures !
Mais le dieu du mal resta aussi silencieux que celui du soleil. Les squelettes eurent un rire grinçant et s'approchèrent de Sirane.
Noor se plaça devant elle et renversa la tête en arrière.
- Symaris, Reine des Ténèbres, cria-t-il, m'entends-tu ? Symaris, rappelle tes serviteurs ! Reine des Ténèbres, obéis-moi ou je les renvoie au néant !
Les squelettes, qui s'étaient arrêtés au nom de leur maîtresse, ricanèrent de plus belle. Ils adoraient tourmenter leurs victimes avant de les tuer et leur rire avait de quoi faire se dresser les cheveux sur la tête de l'aventurier le plus éprouvé. Noor préparait son incantation quand la voix amusée de Symaris se fit entendre :
- Je t'entends, mon frère. Je vais t'aider. Thirsis, maître squelette, écoute ma voix et obéis-moi : Sylvir !
A ce mot, les squelettes reculèrent, sans pour autant quitter les jeunes gens des yeux. Celui qui était le plus près de Sirane profita de la confusion pour saisir le poignet de la prêtresse et tenter de l'entraîner. Elle cria quand la main glacée de la créature lui brûla la peau. Noor se tourna vers le fautif et se prépara à le détruire. Mais Thirsis le devança.
- Laisse-moi faire, dit-il avec difficulté, comme s'il avait oublié l'usage de la parole. Cette affaire ne regarde que moi. Il m'a désobéi, c'est à moi de le punir.
Le maître squelette tendit sa main ouverte vers son subordonné et murmura :
- Par mes anciens pouvoirs et mon droit de destruction sur mes semblables, qu'il retourne à la poussière : Marnann !
Le squelette se désagrégea devant les yeux des jeunes gens. Thirsis les regarda.
- Je me souviendrai que vous êtes protégés par ma Reine, dit-il en s'inclinant.
Ses gemmes rouges flamboyèrent d'un dernier éclat et la horde des créatures se fondit dans les ténèbres.
Noor se tourna vers Sirane, qui gisait sur le sol, inanimée. Il s'agenouilla à côté d'elle et l'examina ; elle ne semblait être qu'évanouie. Il prit son poignet où la main du squelette apparaissait nettement en blanc sur la peau brune de la jeune prêtresse. Noor savait qu'elle serait marquée toute sa vie de ce stigmate et que son poignet à cet endroit-là serait insensible. On pourrait y appliquer un brandon enflammé qu'elle ne sentirait rien. Il serra la fine main dans la sienne et chuchota :
- Ma soeur, heureusement pour toi qu'elle n'est pas morte, car tu n'aurais jamais vu le Sceptre de la Nuit et je m'en serais servi pour te détruire !
Sirane souleva lentement ses longs cils noirs sur ses grands yeux d'Erèbe. Elle rougit quand elle vit que Noor tenait sa main. Celui-ci l'attira tendrement à lui.
- Reposez-vous contre moi le temps de reprendre totalement vos esprits...
Il força gentiment la jeune fille à poser sa tête délicate sur son épaule. Elle ne se débattit pas et respira profondément l'odeur d'herbes sauvages mêlée à celle des feux de bois rares qui émanait de la robe du mage. Noor, presque inconsciemment, caressa doucement la longue chevelure noire pareille à la moire des étangs les nuits sans astres et Sirane se détendit complètement.
Sirius combattait avec plus de hargne qu'il n'en avait jamais eu. Gork restait très calme, mais les cris des spectateurs le stimulaient. Le grand jour était arrivé : maintenant le jeune homme mince battait le colosse à chaque fois, car il avait vraiment fait des progrès stupéfiants depuis les deux jours où Gork l'avait ramené inconscient. Chantelys avait obtenu de Jerk qu'il la plaçât dans une cellule d'où elle pourrait voir le combat : en effet, elle avait les yeux au ras du sol de l'arène et, en passant le bras à travers les barreaux, pouvait toucher le sable roux. Elle suivait le combat avec anxiété, car elle s'était attachée au jeune guerrier et le voir mourir sous ses yeux aurait été pour elle un crève-coeur, d'autant plus qu'elle se serait retrouvée sans défense. Elle ne parvenait pas à oublier le jour où il s'était redressé devant Gork malgré sa fatigue et son état pitoyable et où le colosse avait cédé plus par admiration devant son courage que par obéissance à Jerk.
Une autre personne suivait le combat avec intérêt : c'était Symaris. Elle était dans sa tribune tendue de noir, fermée par un rideau de la même couleur, de telle façon que personne ne pouvait voir qui s'y trouvait, mais elle-même avait une parfaite vue d'ensemble de la situation. Elle appréciait la technique de combat à mains nues de Sirius et eut un sourire de satisfaction quand Gork, qui avait longtemps été son préféré et le meilleur, toucha terre. La foule fut en délire. Certains réclamèrent la mise à mort du vaincu, mais Sirius hocha la tête en signe de dénégation. Gork était devenu son ami et il refusait de le tuer. Chantelys, de sa cellule, poussa un soupir de soulagement en voyant l'issue du combat et regagna rapidement son cachot où Sirius la rejoindrait bientôt. Plusieurs jeunes femmes rêvaient de la mince silhouette de ce jeune gladiateur, qui, depuis une semaine, gagnait sans interruption et qui venait d'atteindre le sommet en battant le champion, et aucune n'aurait dédaigné l'approcher de près pour plonger leur regard dans ses yeux à la couleur du fleuve mêlée de reflets de jade.
Gork le quitta à la porte de sa cellule.
- Adieu, ami. Nous ne nous reverrons plus. Tu vas maintenant être obligé de te consacrer exclusivement au combat à l'épée et affronter un autre champion. Peut-être que si tu combats encore à mains nues, je serai ton adversaire, mais la reine ne va certainement pas me faire ce plaisir-là.
Sirius serra vigoureusement la main gauche du gladiateur.
- Adieu, Gork. Le jour où je serai libre, la première chose que je ferai sera de venir te libérer.
- Ne rêve pas trop. La reine ne libère jamais ceux qui gagnent et les perdants reçoivent leur liberté d'une bien étrange manière.
Sirius savait que Gork avait perdu plusieurs de ses amis parce qu'ils avaient trouvé meilleurs qu'eux.
- Ne crains-tu pas que cela t'arrive un jour ?
- Peut-être, mais à ce moment, je serai très vieux !
Gork partit après un dernier regard à son ami aux longues jambes qui avait triomphé d'un colosse trapu.
- Bonne chance, ami, et que les dieux soient avec toi ! murmura-t-il.
Il ne savait même pas le nom de son adversaire, car Sirius ne tenait pas à ce que tout le monde sache qu'il était le protégé du dieu-elfe, et il ne pourrait s'en souvenir que sous le surnom de Gladiateur Invincible que lui avait attribué la foule dès son premier combat.
Quand Sirius rentra dans sa cellule sombre, Chantelys lui tendit sa tunique grise. Il hocha la tête.
- Non merci, Vénérée. J'ai trop chaud.
Il enleva sa cuirasse de cuir, se laissa tomber par terre et appuya son dos nu contre le mur froid et humide. La jeune elfe le regardait de ses grands yeux verts.
- C'était un beau combat, dit-elle d'une petite voix.
Sirius sourit.
- Merci, Vénérée, mais je ne crois pas que vous vous y connaissiez beaucoup en combats.
Chantelys l'admit en souriant ; ses yeux ne quittaient pas la rune sur l'épaule gauche de son compagnon de cellule. Le jeune homme, infatigable, se redressa d'un bond et prit l'elfe par les épaules.
- Venez, Vénérée, je veux vous voir à la lumière !
Elle lui obéit et vint se placer sous la petite lucarne qui distribuait parcimonieusement la lumière, ou plutôt la chaleur, de Jalis. Sirius était en face d'elle et ses mains étaient toujours sur ses épaules. Il contempla le doux visage délicat de la jeune elfe, ses beaux cheveux blonds ondulés, ses oreilles en pointe et le goût avec lequel elle était habillée : entièrement en vert, avec une tunique tombant jusqu'aux chevilles, aux manches longues accentuant encore la finesse de ses bras et avec une encolure arrondie dégageant bien son cou mince mis en valeur par une lunule d'or. Le bas des manches et de la tunique était constitué d'une bande blanche brodée. Sa taille svelte était entourée par une étroite ceinture double, brodée, et fermée par une émeraude étincelante. Une longue cape verte l'enveloppait. Ses pieds étaient chaussés d'élégantes babouches vertes brodées. Elle portait un bracelet d'or serti d'émeraudes au poignet droit et des bagues scintillantes à chaque doigt.
Chantelys regardait le jeune homme avec son air habituel de douceur, mais l'étreinte chaude de Sirius sur ses épaules la faisait trembler d'un froid intérieur. Elle tendit sa main vers le cou de son compagnon et frôla la rune du bout des doigts.
- Il faut que je vous confie un secret, murmura-t-elle.
Sirius laissa retomber ses mains et ses yeux fauves devinrent interrogateurs.
- J'ai ici un écrin qui ne doit tomber dans les mains de personne. Il contient le Cristal Bleu qui, comme vous le savez certainement, renferme l'esprit des anciens dieux-elfes qui ont été réduits en esclavage après que l'Errant eut tué Erza.
Le jeune homme fit un signe pour montrer qu'il se souvenait de cette partie de la légende de l'Errant : Erza, pour se venger d'Ukkraq, plus encore qu'en le tuant, avait réussi à emprisonner les dieux-elfes, ses amis. Seuls Sirius et Chantelys en réchappèrent. La Princesse de l'Ombre, à l'aide du Joyau des Ténèbres, transforma les dieux en esclaves sans âme. Mais avant qu'elle ait pu capturer leur esprit, Sorcerak intervint et appela les âmes divines à lui. Elles le suivirent sous forme d'un brouillard et, une fois retourné dans le temple d'Illustra, il créa un joyau pour combattre la gemme des ténèbres et y renferma les esprits des dieux-elfes. Il confia ce Cristal Bleu à Sirius et Chantelys dont les prêtres en devinrent les gardiens.
- Actuellement, reprit la jeune elfe, je détiens le Cristal dans un écrin de givre qu'un mot magique tient fermé. Si jamais vous sortez de cette prison avant moi, vous devrez emmener cet écrin avec vous et le rendre au temple.
Sirius promit. Chantelys soupira.
- Ce qu'il faudrait, c'est libérer les dieux de leur esclavage. Sorcerak leur rendrait leur âme et les elfes seraient en paix de nouveau. Mais personne n'osera plus lutter contre Erza !
Texte © Azraël 1995 - 2002.
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