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Ensorcelé
Veranyliarasha les attendait dans une grande salle tendue de bordeaux, au sol de pierre grise et au plafond diffusant une lumière bleutée. Au centre de la pièce, une grande table de bois foncé. La demi-elfe avait elle aussi revêtu des atours magnifiques : elle portait un haut en velours noir, aux longues manches larges terminées par deux fines bandes rouges, descendant très en pointe, bordé finement de rouge et rehaussé d'une flamme jaune ; sa taille mince était enserrée d'une large ceinture de cuir noir avec une boucle de bronze en forme de losange. La jupe était longue et vaste, d'une couleur bleu nuit, avec une fine bande rouge ornant le bas. Sur ses frêles épaules, une longue cape bleu nuit attachée sur le devant par une grosse boucle en or. Elle ne portait aucun bijou, excepté le diadème d'or qui retenait ses cheveux. Elle tendit vers eux sa belle main aux doigts effilés.
- Bienvenue dans mon palais, mes amis ! dit-elle de sa voix enchanteresse.
Le regard bleu de Sharly s'était fixé sur les glyphes représentés sur les mains de la demi-elfe ; s'il les reconnut, il n'en marqua rien. Indifférents, ses yeux vinrent se poser sur Simon. Il comprenait maintenant l'admiration qu'il avait déchiffrée dans l'expression du jeune homme et qu'il retrouvait de nouveau. Mais un sourire vint jouer sur ses lèvres : toujours aussi distrait, Simon n'avait pas remarqué que Physius et Janus avaient repris leur place favorite, le petit serpent jaune moucheté de vert autour de sa jambe et l'énorme python sur ses épaules. Machinalement, le centaure se demanda comment il pouvait oublier une telle masse.
Veranyliarasha avait installé chacun à sa place et, comme par hasard, Simon se trouvait près d'elle. Efficace et discret, Ayel leur servit des plats dont ils ne gardèrent aucune souvenance, uniquement préoccupés de faire bonne figure. L'atmosphère était chargée de lourds parfums capiteux où se distinguait nettement la fragance fraîche et piquante qui entourait Veranyliarasha.
Sha se tenait très droite, ses lèvres figées en une moue charmante, mais de mauvais augure ; ses yeux gris paraissaient plus foncés que d'ordinaire, car les nuages orageux s'y pressaient de plus en plus. Sharly surveillait la demi-elfe, l'air très détendu, fouettant nonchalamment l'air de sa queue en un mouvement lent et régulier. Simon, quant à lui, était complètement sous le charme de la belle hôtesse; ses yeux marron habituellement rieurs étaient emplis de tendresse.
A la fin du repas, Veranyliarasha renvoya ses invités, les autorisant à se retirer dans leurs appartements. Seul Simon eut le droit de rester près d'elle. Sharly fronça les sourcils.
- Je n'aime pas cela. Cette... femme est diaboliquement habile.
- Oui, acquiesça Sha. Mon pauvre Simon est bien démuni face à une telle virtuose de la séduction ! Lui qui ne connaît que le charme naturel des elfes, qu'il a toujours admiré en artiste, d'ailleurs...
Sha laissa le reste de sa phrase en suspens, Sharly ayant compris le sens global. Le centaure eut un grognement mécontent et sortit une flûte d'argent étincelant. Les notes qu'il joua étaient d'une pureté remarquable et se fondirent dans les airs, enchantant tous ceux qui se trouvaient aux alentours.
Simon, dans la grande salle, sourit en entendant cette musique.
- Sharly est véritablement un musicien exceptionnel.
- C'est vrai, appuya Veranyliarasha. Mais j'ai moi aussi mes musiciens, ajouta-t-elle plus bas. Viens, Simon.
Elle se leva et prit la main de jeune homme qui la suivit volontiers. Passant par des couloirs somptueux, richement ornés et éblouissants de pierres précieuses, mais étroitement imbriqués les uns dans les autres, ils atteignirent une autre salle au sol aussi poli qu'un miroir, aux murs recouverts de tapisseries brodées d'or. Veranyliarasha eut un rire cristallin.
- Les palais elfes sont toujours d'une incroyable complexité, s'excusa-t-elle. Parfois, moi-même, je ne m'y retrouve plus.
- Qu'importe, Veranyliarasha ! répondit Simon avec feu. Du moment que j'arrive toujours à t'y retrouver !
- Appelle-moi Nylia, Simon, murmura-t-elle en venant se blottir contre lui. J'en ai assez de la politesse guindée de mes serviteurs. J'aimerais un peu... d'intimité.
Le jeune homme la prit dans ses bras, ses yeux pleins d'adoration.
- Ne t'inquiète pas, Veranylia, chuchota-t-il très bas, n'osant pas encore utiliser le diminutif. Je serai tout ce qu'il te plaira.
La demi-elfe eut un sourire irrésistible et se serra un peu plus contre lui.
Une douce musique s'éleva d'un renfoncement, une mélodie un peu lente, très tendre, aux notes adoucies à l'extrême.
- Fais-moi danser, s'il te plaît, Simon, demanda Veranyliarasha.
Du bout des doigts, comme s'il conduisait une fiancée à l'autel, Simon la mena sur la piste et l'enlaça. Veranyliarasha ferma les yeux, mais les rouvrit bien vite : un sifflement menaçant venait de se faire entendre. Janus, autour de la jambe de Simon, manifestait ainsi son mécontentement. Le jeune homme se souvint alors de ses deux gardes du corps. Avec un pauvre sourire gêné à l'adresse de la demi-elfe, il déposa les serpents à terre et reprit la jeune femme dans ses bras.
Tous deux excellents danseurs, ils suivaient le rythme de la musique sans effort, virevoltant gracieusement, les mouvements souples, le pas léger. Veranyliarasha appuya tendrement sa tête contre l'épaule de Simon. La musique s'amplifia, acquérant une puissance stupéfiante, aux sons toujours très purs, mais le jeune homme, en son for intérieur, se dit qu'il préférait très nettement les mélodies sans prétention que Sharly inventait. Les trilles joyeux de la flûte d'argent lui manquaient.
Chassant cette idée de son esprit, il se concentra sur la musique qu'il entendait et entraîna Veranyliarasha dans un tourbillon audacieux. La demi-elfe eut un rire cristallin et le suivit avec plaisir. Quand enfin, la dernière note se fondit dans les airs, les jeunes gens s'arrêtèrent. Simon n'était nullement fatigué, mais quelque chose, sans savoir quoi, le gênait. Veranyliarasha le fixait de son regard noir magnétique.
- C'était merveilleux ! Tu es un danseur professionnel !
- Pas vraiment, corrigea-t-il, embarrassé. Je serais plutôt sculpteur.
La demi-elfe frappa l'une contre l'autre ses belles mains avec une joie enfantine.
- Sculpteur ? Oh ! J'en cherche un depuis si longtemps ! Mon père voudrait une statue de moi.
Simon nota quelque chose qui n'allait pas, mais cela s'effaça devant les paroles qu'il venait d'entendre : il croyait rêver ! Il n'avait jamais pensé qu'il aurait un jour un tel modèle !
Pendant ce temps, Physius et Janus, ayant fort peu apprécié leur séjour sur le sol froid, s'empressèrent de réintégrer leur domaine, en l'occurrence les épaules et la jambe gauche du jeune homme. Veranyliarasha eut un imperceptible froncement de sourcils, mais Simon ne s'en aperçut pas, trop occupé à l'examiner d'un point de vue artistique. La demi-elfe se tourna vers lui et s'en aperçut.
- Tu veux commencer tout de suite, Simon ? demanda-t-elle d'une voix caressante.
- Je réfléchis au matériau que je devrais utiliser. Du bois, en tout cas. La pierre est trop froide. Du bois blanc, dur. Du hêtre, du houx ou du charme. Oui, du charme.
- J'en ai ! s'écria Veranyliarasha qui semblait de plus en plus ravie comme une enfant venant de recevoir un nouveau jouet. Viens, Simon, je vais te montrer.
Elle le prit par la main et l'entraîna. De nouveau les couloirs enchevêtrés les uns dans les autres défilèrent et la demi-elfe s'arrêta devant une porte de bronze patiné. La pièce subjugua aussitôt Simon : c'était l'atelier de sculpture qu'il avait mille fois imaginé, avec un excellente lumière, des outils de toutes sortes, en parfait état, et tout un assortiment de billes de bois précieux et de blocs de pierre.
Sans hésiter, il se dirigea vers un matériau blanc, qu'il souleva et posa sur le socle réservé à cet effet. Il amena près de lui la table où étaient posés les outils pour tout avoir sous la main et s'abîma dans l'observation de la bille de charme. Veranyliarasha, qui s'était installée dans le confortable fauteuil réservé aux modèles, s'impatienta.
- Du calme, dit Simon d'une voix changée. Laisse-moi trouver la forme intérieure du bois.
Ce n'était plus le jeune homme qu'elle manoeuvrait à se guise, à qui elle faisait croire que la lune était dans ses yeux, comme aurait dit Sha, mais un artiste profondément absorbé par un travail qu'il adorait.
Enfin, Simon releva les yeux et sourit. Il jaugea rapidement la silhouette de son modèle et saisit un outil avec lequel il dégrossit la bille de bois. Ses gestes étaient précis et sûrs. Une vague forme humaine se forma dans le bois. Alors seulement, il se préoccupa de son modèle. Ce jour-là, il avait décidé de s'intéresser exclusivement au visage.
Veranyliarasha frissonna quand les mains du jeune homme touchèrent ses joues, mais celui-ci n'était pas capable de s'en apercevoir. Il lui fit prendre la pose qu'il souhaitait, modelant presque les lèvres joliment ourlées en un sourire d'une suavité innocente. Il la força à baisser à moitié les paupières, les longs cils bruns, épais et fournis, jetant leur ombre sur les yeux pudiquement baissés. Dans cette position détendue, voire nonchalante, mais avec ce visage si merveilleusement expressif, Veranyliarasha ressemblait à une jeune vierge effarouchée.
- Ne bouge pas, recommanda Simon.
Il installa un petit tabouret devant le morceau de bois, prit un outil et grimpa sur le meuble, de façon à recevoir une meilleure lumière, à mieux voir son sujet et à moins se fatiguer en ayant les bras à la hauteur de ce qu'il sculptait ; il avait plus l'habitude des miniatures. En prenant son temps, il commença à sculpter le bois, s'arrêtant parfois pour suivre des lignes invisibles du bout du doigt, les sourcils froncés.
La demi-elfe restait immobile, on aurait qu'elle s'était statufiée. Lentement, sous les mains habiles de Simon, un visage naquit, tout en finesse et en beauté. L'expression innocente qu'arborait Veranyliarasha était merveilleusement bien rendue. Le bois lui-même semblait épouser les formes de ce visage figé et prolongeait la ligne des paupières baissées, adoucissait le contour des lèvres sensuelles, soulignait la beauté du petit front bombé. Les copeaux de bois tombaient autour du jeune homme, tandis qu'il affinait certains traits.
Il changea d'instrument et s'attacha à transformer les angles trop marqués en arrondis. Le visage sculpté prit un aspect plus naturel, les pommettes saillantes adoptèrent une courbe plus satisfaisante et le sourire figé y gagna un charme ensorcelant. Telle quelle, la sculpture semblait presque réelle. Simon eut même l'impression que les paupières allaient se soulever sur un regard magnifique. Ce fut seulement alors qu'il descendit de son tabouret et posa ses outils.
Veranyliarasha s'étira et se leva avec une légère raideur. Les crampes l'avaient gagnée.
- Puis-je voir ?
- Non, répliqua Simon dans un grognement.
Avisant un grand drap blanc soigneusement plié, il le jeta sur la statue commencée qui disparut complètement.
- Je n'aime pas que l'on regarde mon travail avant que j'aie pu le finir.
Veranyliarasha et Simon sortirent de la pièce et la demi-elfe appela Ayel, qui apparut comme par enchantement. A quelque endroit que soit sa maîtresse, il restait à portée de voix. Il conduisit Simon à la chambre qui lui avait été affectée et le jeune homme se coucha sans avoir revu ses amis.
Le lendemain matin, Simon retourna à l'atelier. Il avait un bon sens de l'observation et il ne se perdit pas dans le dédale des couloirs. Ayant enlevé le drap, il resta à contempler songeusement la statue. Reprenant un outil, il apporta quelques modifications minimes au visage expressif. Simon était un perfectionniste.
Il appela Ayel, qu'il envoya chercher Veranyliarasha. La demi-elfe, à sa demande, revêtit une longue robe blanche plissée, au tombé impeccable, serrée à la taille par une étroite ceinture tressée. Elle prit la pose et Simon se mit au travail. Il ne parlait pas et sculpta d'arrache-pied. Ses mains caressaient amoureusement le bois brut qu'il transformait à sa guise. Il rendit parfaitement l'arrondi des épaules, la sveltesse du cou et l'attache délicate de la tête. Il lui fallut la matinée entière pour dégager du bois le haut du buste.
Sans pitié pour son modèle, passionné par ce qu'il faisait, il oublia purement et simplement l'heure du repas et s'attaqua à la chevelure de Veranyliarasha. Une cascade de vagues s'ébaucha dans le bois, dont les veines naturelles imitaient à merveille les mèches aux reflets roux qui parsemaient les cheveux de la demi-elfe. Une boucle impertinente vint jouer autour du lobe de l'oreille, tandis qu'une longue mèche s'étala paresseusement sur l'épaule droite. Comme fascinée, Veranyliarasha n'osa pas protester ; ses membres étaient totalement engourdis et son estomac criait famine.
Ce ne fut que lorsque que le soleil blanc, Arkis, se coucha et que Simon ne distingua plus son modèle que le jeune homme s'arrêta. Avec distraction, il remarqua que c'était le soir. Veranyliarasha et lui prirent un rapide dîner dans l'atelier même et chacun retourna dans ses appartements. Lorsqu'il passait sa journée à sculpter, le jeune homme se montrait peu sociable le soir et se couchait tôt.
Sitôt levé, avec Arkis, il retoucha de nouveau son travail de la veille avant de faire venir Veranyliarasha. Il ne songea pas une seconde à Sharly et Sha, qu'il n'avait pas revus depuis deux jours. Seule la sculpture l'intéressait. La demi-elfe voyait les plis de sa robe fidèlement reproduits dans le bois blanc, la statue devenait de plus en plus semblable à son modèle, avec son bras gauche gracieusement recourbé, semblant rectifier la mise de tunique sur l'épaule, la main droite aux doigts fuselés ouverte en signe de bienvenue et surtout le visage aux traits charmants.
Ainsi, de jour en jour, il continuait à sculpter. Ayel étant intervenu, il pensa enfin à prendre un repas au milieu de la journée et, le soir, le serviteur l'obligeait à venir rejoindre les autres. C'était là sa seule occasion de voir Sha et Sharly. La jeune fille avait compris ce que faisait son frère quand elle avait aperçu un copeau de bois blanc dans ses cheveux. Elle en avertit le centaure qui s'en inquiéta aussitôt. Il ne voyait son ami que le soir et en présence de Veranyliarasha, ce qui l'impressionnait et l'empêchait de dire le fond de sa pense. Simon avait cru comprendre que Ayel tenait compagnie à ses amis pendant la journée et cela lui suffisait pour avoir la conscience tranquille.
Il avait presque achevé la statue, éblouissante de blancheur, quand tout éclata. Il sembla tout à coup reprendre conscience, comme au sortit d'un long sommeil, et se souvint de sa méfiance. Il s'effraya des tentatives de séduction de Veranyliarasha, surtout que celle-ci, voyant la sculpture quasiment terminée, le conviait de plus en plus souvent à danser avec elle. Au cours des séances de pose, le jeune homme s'était enhardi à appeler la demi-elfe par son surnom et repris de défiance, il continua à faire de même, de peur qu'elle ne s'aperçût de sa lucidité.
Mais, un soir, il alla trouver Sharly.
- Je t'en prie, Sharly ! Reste avec moi, sinon je vais retomber sous son charme ! C'est une ensorceleuse. Elle m'a séduit une fois, elle réussira une autre fois.
- Je ne peux pas, Simon. Sha a de mauvais pressentiments qui la tourmentent sans jamais la laisser en paix. Elle a besoin de moi, répondit gravement le centaure.
Simon le regarda avec un air déçu.
- Très bien, dit-il. Je me débrouillerai seul.
- Simon ! appela Sharly alors que le jeune homme s'en allait. Pourquoi as-tu accepté de sculpter pour elle ?
- Elle m'a mis en face d'un bloc de bois avec les outils appropriés et elle s'est proposée en modèle. Mon orgueil d'artiste n'a pas pu résister.
- Méfie-toi d'elle, Simon. N'oublie jamais les glyphes sur ses mains.
- Que veulent-ils dirent ? demanda le jeune homme, intrigué.
Le centaure hocha vaguement la tête.
- Je t'expliquerai un autre jour. Mais veille à ne pas éveiller sa colère, fit-il simplement, ayant surpris un mouvement du coin de l'oeil.
Simon eut un sourire étrange tout en passant doucement ses doigts sur le corps froid de Physius.
- Ne t'inquiète pas pour cela.
Ses yeux eurent un fugitif éclat de colère et il s'en alla.
Un deuxième événement se produisit peu de temps après cette reprise de conscience : ce fut l'arrivée d'un jeune homme très séduisant, à la peau d'aspect légèrement métallisé. Dès qu'elle le vit, Veranyliarasha se jeta dans ses bras et l'accueillit avec les marques les plus sincères de joie. Elle le présenta sous le nom d'Orik, omettant son nom de famille.
Ce fut Sha qui le rencontra la première. Elle avait repris son justaucorps de cuir noir, à l'encolure lacée, ses bras étant recouverts de longs poignets de cuir et, aux pieds, de grandes bottes lui montaient jusqu'aux genoux. Son front était ceint du large cercle noir qu'elle portait toujours.
En la voyant, Orik sourit.
- Tu es Sha la guerrière, n'est-ce pas ? s'exclama-t-il d'une voix chaude. La soeur de Simon Brûle-Flammes, le sculpteur.
Sha le regarda étrangement, sans rien dire et, lentement, ses yeux gris reprirent une teinte orageuse.
- Simon est un guerrier, répondit-elle enfin. Mais on ne peut pas passer tout son temps à se battre et, à ses moments perdus, il sculpte. N'aie crainte, Orik, Simon sait se défendre.
Le jeune homme eut u sourire amusé.
- Merci bien de l'avertissement ! Je tâcherai de m'en souvenir.
Sha fronça violemment les sourcils et retourna dans sa chambre. Quand Sharly vint la retrouver, quelques instants plus tard, elle se tordait dans d'affreuses convulsions, l'esprit attaqué de toutes parts par des cauchemars horribles. Le centaure, bouleversé de la voir ainsi souffrir, la prit dans ses bras et la serra contre lui. Sha s'accrocha désespérément à lui, tentant de lui dire quelque chose.
- Attention... à Orik..., parvint-elle enfin à articuler.
Sa tête retomba en arrière et son corps s'affaissa. Le centaure l'allongea sur le lit et sortit au trot de la pièce. Ayel survint à cet instant et insista pour voir Sha ; Sharly dut lui expliquer ce qu'il s'était passé. L'homme se prit la tête entre les mains.
- Trop tard ! Je me suis décidé trop tard ! gémit-il.
Le centaure l'enjoignit de s'expliquer. Ayel sembla prendre une décision difficile ; il entra dans la chambre de Sha, dont il referma soigneusement la porte derrière lui et commença à dégrafer sa tunique. Quand il écarta le tissu, Sharly vit deux glyphes argentés, les mêmes que ceux de Veranyliarasha.
- Nylia est ma soeur, avoua Ayel, tête basse. Elle a le physique de notre mère et l'âme de notre père et moi, c'est le contraire. Par ces symboles, nous sommes inextricablement liés l'un à l'autre. Sharly, tu dois absolument persuader ton ami de partir d'ici, de fuir l'influence néfaste de Nylia, sinon Sha deviendra folle. Chaque jour qui passe renforce un peu plus l'emprise des ténèbres sur son âme.
Le centaure eut un air horrifié et il jeta un rapide coup d'oeil sur le sur le visage torturé de Sha ; il était visible qu'elle luttait contre cette possession. Ayel ouvrit la bouche, mais la referma sans avoir prononcé un mot. Il semblait garder encore un secret, qui pesait lourd sur sa conscience.
- Il reste encore une chose que tu dois savoir balbutia-t-il. Notre père... c'est... c'est Ordreth, acheva-t-il dans un souffle.
Sharly n'eut pas l'air étonné.
- Je le savais plus ou moins, dit-il tranquillement. J'ai reconnu vos glyphes argentés.
Ayel releva vivement la tête.
- Ne tue pas Nylia, je t'en prie ! Si elle meurt, moi aussi, mais surtout, c'est ma soeur et je l'aime, malgré tout ses défauts.
Le centaure effleura gentiment une blessure récente sur le bras de l'homme, laquelle se résorba aussitôt.
- C'est Veranyliarasha qui te frappe ainsi, n'est-ce pas ?
- Oui... Elle a parfois des accès de colère que je préfère qu'elle passe sur moi plutôt que sur les créatures avoisinantes. Elle a toujours des regrets après, mais elle n'a pas le don de guérison. Elle a été très heureuse de ce que tu m'aies soigné.
Sharly sourit, mais en cet instant, son esprit était ailleurs : il pensait à Simon, qui fréquentait assidûment Veranyliarasha depuis une semaine, lui qui n'aimait pas s'attarder en des lieux inconnus. Qui diable pouvait prévoir les dangers qu'il courait en restant avec la demi-elfe ? S'excusant rapidement et priant Ayel de veiller sur Sha, il se rua dans les couloirs au grand trot.
Heureusement, son chemin et celui de Simon se croisèrent. Le centaure expliqua succinctement ce qu'il venait d'apprendre. Si le jeune homme se montra inquiet au sujet des symptômes que manifestait Sha, il se contenta de rire lorsque Sharly évoqua Ordreth. Son ami crut qu'il se moquait de lui et protesta de sa bonne foi.
- Et les glyphes, qu'en fais-tu ?
Simon s'accorda encore une minute pour rire de tout son soûl, puis se calma enfin.
- Je les avais reconnus ! bégaya-t-il, encore secoué de rire. Tu me prends pour un ignare, ma parole ! Pourquoi crois-tu que je faisais semblant d'oublier Physius et Janus ? Je peux t'assurer que mon charmant python sait se faire assez lourd pour se rappeler à mon bon souvenir. D'accord, il m'arrive d'être distrait, mais il y a quand même des limites ! Tu as refusé de m'aider quand je te l'ai demandé, je me suis débrouillé avec les moyens du bords. Veranylia ne peut pas supporter les serpents. Je m'en suis rendu compte et j'en profite. Avant, quand j'étais encore sous son charme, ils se chargeaient eux-mêmes de me protéger, ainsi qu'ils l'avaient promis à Magie Noire.
Il se tut un instant, les yeux rêveurs, puis reprit :
- Nous partirons demain soir, en cachette.
- Pourquoi pas demain matin, ou même ce soir ? demanda Sharly, étonné.
- Parce que je n'ai pas fini ma statue.
- Tu ne dois pas l'achever ! gronda le centaure. Nylia ne doit pas avoir de sculpture venant de toi. Je pense qu'il s'agit d'un talisman contre Ordreth ou Erza et je ne tiens pas à ce qu'elle en ait un.
- Mon pauvre Sharly ! soupira Simon. Dès le premier copeau enlevé, j'insuffle un peu d'âme à un morceau de bois inerte. Ce n'est pas lorsque mon travail est achevé qu'il prend subitement cette faculté-là. L'âme de ma statue n'est pas encore complète et si je la détruisais maintenant, ce pourrait être catastrophique. Il faut attendre la fin ; ainsi j'aurai un contrôle total sur ma création et je pourrai l'annihiler sans risque.
Sharly sembla tomber des nues ; il était sûr que le jeune homme était trop captivé par la demi-elfe et voilà qu'il s'avérait avoir encore plus réfléchi que lui !
Simon occupa sa fin de journée et le lendemain pour terminer sa statue. Il avait fait dire à Veranyliarasha qu'il n'avait désormais plus besoin d'elle. La demi-elfe en profita pour passer de longues heures à discuter avec Orik, tandis que Sharly et Ayel se relayaient au chevet de Sha. Même Carnage, l'hippogriffe géant, semblait inquiet pour la jeune fille.
Texte © Azraël 1996 - 2002.
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