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Ordreth
Le dernier soir vit la confrontation entre Orik et Simon. Le premier accueillit le deuxième par un :
- Tiens, voici le sculpteur !
Simon avait délaissé les somptueux habits blancs fournis par Veranyliarasha au profit de ses anciens, plus simples. Un petit détail fit hausser les sourcils à Sharly : Janus, le serpent venimeux, au lieu d'être sagement à la jambe du jeune homme, avait pris possession de sa main gauche. Justement, Simon tendait cette main à Orik pour le saluer ; l'ami de Veranyliarasha la saisit sans hésitation, mais un mouvement de recul en entendant Janus siffler. Simon eut un large sourire en serrant la main d'Orik et lui dit :
- Je suis heureux de faire ta connaissance, Ordreth.
Orik recula d'un bond, comme si Janus l'avait mordu. Sharly regarda son ami avec des yeux ronds. Sa déclaration avait l'effet d'une bombe ! Simon, très calme, toujours souriant, reprit comme si de rien n'était :
- La connaissance de l'adversaire apporte beaucoup dans un combat, n'est-ce pas, Ordreth ?
Le dieu du chaos resta un instant silencieux, puis éclata de rire. Il reprit son aspect coutumier, avec son éclat divin, et sa peau prit une teinte franchement argentée, tandis que ses yeux restaient rieurs.
- On peut dire que tu m'as bien percé à jour, Simon ! dit-il gaiement.
- Nylia, nous pourrions peut-être commencer le repas ? fit le jeune homme, flegmatique. Je dois me presser de terminer ta statue pour l'offrir à ton père... Orik, ou devrais-je dire Ordreth ?
Veranyliarasha devint d'une pâleur mortelle. Ordreth se figea un court instant, puis reprit sa bonne humeur.
- Pour une fois, Illustra nous a choisi un adversaire à notre taille, remarqua-t-il en souriant, et doté du sens de l'humour, contrairement à Azraël.
- Merci du compliment, répondit Simon, comme s'ils faisaient assaut de civilités.
- Maintenant, j'aimerais savoir comment tu m'as reconnu et comment tu as su que Nylia était ma fille.
- Son père est un homme qui aime les jeunes filles elfes. Premier point. Ensuite, d'abord elle dit que tu ne la juges pas digne de porter ton nom et après, elle déclare que tu veux une statue ; contradiction qui s'explique facilement si on pense qu'elle voulait éviter de déclarer qu'elle s'appelait Veranyliarasha Ordreth. Ce n'est guère discret. Troisième point, elle nous offre des vêtements à notre taille, fait surgir un atelier de sculpture alors que rien ici n'est sculpté. Comme quoi, elle était au courant de notre venue ; peu de gens connaissent notre mission, donc il fallait que soit Erza, soit toi soyez impliqués. Quatrième point, si tu ne veux pas qu'on la reconnaisse comme ta fille, évite de graver tes glyphes sur elle. Enfin, il y a l'instinct du sculpteur.
La dernière phrase rituelle quand on refusait de faire part de ses déductions, était : "Enfin, il y a l'instinct du chasseur", car tous savaient chasser, homme, femme ou enfant. En remplaçant chasseur par sculpteur, Simon avait renvoyé la balle à Ordreth, qui avait voulu l'humilier en insinuant qu'il n'était pas capable de se battre, mais juste de sculpter. Ordreth, décidément beau joueur, sourit de nouveau.
- Malgré ta perspicacité, je crois que j'ai réussi à te cacher un secret dans ce palais, annonça-t-il.
- Ah ? Tu veux parler du frère de Nylia, sans doute ? répondit Simon, nonchalant.
Le dieu sut admettre sa défaite avec panache.
- Décidément, je persiste à dire qu'Illustra a fait un bon choix. Erza va être ravie.
- Elle sera plus ravie que toi, en tout cas, puisque je ne suis pas destiné à être ton adversaire. Il me semble qu'un certain Azraël a pour tâche de s'opposer à toi.
- Il n'empêche qu'Erza va être ravie, répéta Ordreth.
- Hon hon, grogna Simon en signe de dénégation. Il me semble qu'elle n'aime pas les rebelles trop opiniâtres. Comme Ukkraq, Sirius, Kitiara et Edwynn.
- Tu as oublié Sirane et Tullo, rétorqua Ordreth, l'air mi-figue, mi-raisin.
- Non, je n'ai cité que mes modèles de héros. Sinon, il faudrait aussi rajouter Sirius et Solaris, les jumeaux de Sirius et Chantelys, qu'on a souvent tendance à oublier, et bien d'autres encore sans doute.
Veranyliarasha houspilla un peu Ayel pour qu'il hâtât le repas ; elle ne tenait pas à voir Ordreth et Simon en venir aux mains. Mais le jeune homme arrêta Ayel.
- Ce soir, ami, dit-il d'une voix tranchante, tu ne seras pas le serviteur. Prends ta vraie place, avec nous, à cette table, Ayel, fils d'Ordreth !
Veranyliarasha fit entendre un cri étouffé ; le dieu resta très calme. Il avait prévu cette répartie de Simon.
- Dis-moi, Simon, comment se fait-il que tu connaisses Sirius, Kitiara et les autres alors qu'ils ont vécu sur Solaris et non Yslaire ?
- Les prêtres adorent parler de ce genre de choses. Sachant que le dieu de Sha est Sirius, le dieu-elfe des bois, et que les héros que nous évoquons étaient ses protégés, forcément...
Au grand soulagement de Veranyliarasha, le repas toucha à sa fin. Ordreth dégusta sa boisson favorite sous les regards indifférents des autres ; ce breuvage était composé d'un mélange de venin de chimère et d'essence des tombes, deux poisons mortels auxquels il était le seul à être immunisé. Cette boisson lui redonnait des forces et avait un goût - immonde - qu'il appréciait fort.
Simon se leva, imité par les autres. Sha, très pâle, semblait avoir du mal à tenir de bout. L'air très décontracté, le jeune homme souleva sa soeur dans ses bras et sortit de la pièce, suivit par Sharly. Ayel, nerveux, bondit de table plutôt qu'il se leva et s'éloigna en hâte. Les aventuriers étaient réunis autour de Sha et même Carnage hennit tristement. Sharly essaya bien de la guérir, mais son pouvoir fut inefficace. Simon prit une profonde inspiration, releva la tête et fixa le centaure.
- Pars avec Sha maintenant. Laisse-moi Carnage au dehors du palais.
- Je ne te laisserai pas ! protesta Sharly.
- Ecoute-moi bien : il n'est pas question que Sha reste ici une minute de plus. Nous n'avons déjà que trop tardé. Moi, je dois détruire la statue de Veranylia.
- Que feras-tu s'ils te surprennent ?
Simon caressa doucement la tête plate de Physius avec un sourire suggestif. Sharly soupira et céda. Silencieusement, Sha, presque évanouie dans ses bras, il traversa le palais elfe. Il repassa dans la grande salle où Veranyliarasha disait à Ordreth :
- Je suis désolée, Orik, je pensais l'avoir plus séduit. J'aurais dû me douter qu'il passerait à l'offensive quand il est arrivé avec ses anciens vêtements.
- Moi, j'en suis très content, ronronna le dieu du chaos. Cela m'a permis de voir à quel adversaire j'avais affaire.
Sharly continua sa route, mais il se serait perdu dans le dédale des couloirs si Ayel n'avait pas fait irruption devant lui.
- Enfin, vous partez ! Suivez-moi, je vais vous aider à sortir ! Mais... où est Simon ?
- Il reste encore un peu, répondit Sharly, le front soucieux, resserrant son poing sur les rênes de Carnage. Il a un dernier cadeau à faire à Veranylia.
Ayel eut un léger frisson.
- Vous ne la tuerez pas, n'est-ce pas ? fit-il suppliant.
- Nous avons promis, Ayel.
L'homme guida le centaure jusqu'au grand portail à double battant d'or, qu'il ouvrit. Dehors, c'était la forêt et la liberté ! Sharly sortit au grand trot, attacha sommairement l'hippogriffe déjà transformé à un arbre et s'éloigna avec Sha.
Pendant ce temps, Simon s'était discrètement glissé dans les couloirs jusqu'à son atelier. Il ôta le drap qui cachait la statue et la regarda avec fierté.
- Ma plus belle oeuvre, sans doute, murmura-t-il.
Mais il pensa à Sha et, sans hésiter, il alluma un brasier au pied de la statue qui fut rapidement dévorée par les flammes. Le bois blanc vira au noir, teinté par la fumée, tandis que les sculptures disparaissaient. Simon resta jusqu'à l'anéantissement total de son travail, avec l'impression qu'une main se refermait sur son coeur. Il dispersa les dernières cendres, dirigea le feu vers les billes de bois intactes, sortit de la pièce et referma soigneusement la porte de bronze patiné. Il n'eut que le temps de faire quelques pas avant de rencontrer Veranyliarasha et Orik. Le dieu leva des sourcils étonnés.
- Quelle surprise ! Je te croyais dans tes appartements.
- J'ai une passion pour les promenades nocturnes dans les couloirs, répondit Simon avec insolence.
Ordreth eut un air amusé. Un rayon de lumière attira son regard sur le majeur gauche de jeune homme. L'anneau bleu foncé assez large, pailleté d'une myriade de lueurs, semblait lui être familier.
- L'Anneau des Constellations ! fit-il à mi-voix. Florian a donc réussi malgré tout ! As-tu rencontré un certain Nairolf ? demanda-t-il à voix haute.
- Oui. Entre deux flèches, si l'on peut dire.
- Entre deux flèches ? répéta Ordreth, interloqué.
- Sha a visé le bras la première fois ; la deuxième, il a été atteint à la gorge. Quant à Inar, sa compagne de route, j'ai le regret de t'informer qu'elle a eu quelques petits problèmes, Sharly ayant une incompatibilité avec les bêtes éclipsantes...
Furieux de la mort de son serviteur, Ordreth se jeta sur Simon et tenta de lui arracher son anneau. Deux choses le repoussèrent : d'abord, Janus, toujours entouré autour du poignet gauche du jeune homme et qui n'apprécia que fort peu d'être ainsi agressé, se redressa, menaçant, sifflant d'une façon peu engageante, et ensuite, l'Anneau des Constellations, qui possédait une autodéfense magique, envoya une violente décharge dans les doigts du dieu.
Celui-ci, blessé dans son amour-propre, commença une incantation qu'il n'eut pas le temps de finir, Simon ayant dégainé son fouet avec une rapidité inouïe ; la lanière claqua dans un bruit sec et brûla la joue d'Ordreth qui poussa un cri indigné. Simon, les yeux flamboyants, les épaules ramassées, le fouet à la main, lui faisait face, semblant ne pas le craindre. Veranyliarasha se précipita vers son père. Celui-ci se redressa et regarda fixement le jeune homme qui ne tremblait pas devant lui.
- Ainsi tu me tiens tête, à moi, un dieu...
- Mais mère m'a toujours reproché de ne pas avoir de respect, rétorqua Simon avec insolence, restant sur ses gardes.
- Tu ne manques pas de courage, reprit Ordreth, repoussant Veranyliarasha. Que dirais-tu d'un petit combat, à la loyale ?
- Pour le plaisir de tes beaux yeux ? fit Simon dans un rire bref. Non merci, d'autres...
- Attends un peu avant de refuser, dit négligemment Orik. Ma fille a fait une prisonnière que tu serais sans doute ravi de libérer. Si tu gagnes, tu partiras librement, avec elle. Et si je gagne...
- Je suppose que je serai condamné à tenir compagnie à Nylia jusqu'à la fin de ma vie ?
Ordreth eut un mauvais sourire figé.
- Ton cadavre lui tiendra compagnie, corrigea-t-il doucement. Il ira rejoindre ceux des autres.
- Oh ! La demi-elfe se débarrasse donc de ses invités !
- Surtout de ceux qui n'ont pas résisté à son pouvoir des ténèbres et qui sont devenus ses esclaves.
- Les soupirants gênants. Il n'aurait pas fallu qu'ils rebutent les suivants :
Veranyliarasha s'approcha de Simon. Elle était vraiment séduisante. Fugitivement, le jeune homme se demanda comment une telle beauté pouvait être maléfique, puis il se souvint que les humains ne tombaient pas sous la loi édictée par Stellarys.
- Que t'ai-je fait, Simon, pour que tu me traites ainsi ?
- Rien, très chère Nylia. Tu m'as juste ensorcelé. Tu as raison, c'est de ma faute, j'aurais dû être plus vigilant. Alors, Ordreth, ce combat ?
- Tu acceptes donc ?
- Je ne vais pas laisser une innocente entre vos griffes.
- Alors viens !
Le dieu entraîna le jeune homme dans le labyrinthe des couloirs pour s'arrêter au beau milieu d'une longue galerie de tapisseries. Prévoyant, Simon recouvrit son pendentif de sa main, car celui-ci n'allait sans doute pas tarder à déceler une porte secrète ou dissimulée, selon la couleur du rayon.
Ordreth souleva une tapisserie et fit jouer un loquet invisible. Une porte pivota, dévoilant un escalier éclairé par des torches magiques. Sur l'invitation du dieu, Simon s'y engagea et déboucha dans une grande pièce nue, taillée dans une pierre rougeâtre. Un des murs était remplacé par une grille derrière laquelle se trouvaient plusieurs cellules. Dans l'une d'elles, deux grands yeux effrayés. Ordreth eut un rire amusé et fit sortir la prisonnière.
Il s'agissait d'une elfe, paraissant toute jeune, mais sans doute plus âgée que Simon, de petite taille. Ses longs cheveux dorés et pâles tombaient en cascade sur ses épaules, juste retenus par une tige souple de fleur, laquelle s'épanouissait au-dessus de l'oreille gauche, fragile corolle d'orchidée jaune. Elle était vêtue d'une longue robe blanche brodée d'or et d'argent, recouverte d'une grande cape mauve, qui rappelait le violet de ses yeux.
Simon eut un sursaut en la voyant : il s'agissait d'une elfe fée, les plus rares des elfes.
- Je suis à toi, Ordreth, dit-il d'un ton de défi.
En edmilia, le dialecte elfique le plus ancien, il ajouta :
- Ne sois pas inquiete ; je te sortirai d'ici .
La jeune elfe ouvrit de grands yeux, surprise qu'un humain connût l'edmilia, et murmura :
- Tu ne pourras pas vaincre. C'est un dieu.
Simon eut son sourire irrésistible de blancheur, mais ne répondit rien. Il se tourna lentement vers Ordreth.
- Allons-y. Je suis prêt.
Dans les mains du dieu apparut soudain une épée étincelante. Voyant cette arme, les yeux noirs de Veranyliarasha prirent un éclat moqueur. La jeune elfe, elle, avait le visage décomposé.
- Lutte loyale : toi avec ton fouet, moi avec mon épée.
Simon avait remarqué la joie de Veranyliarasha et le désespoir de l'elfe et il comprit que l'épée devait avoir quelques particularités assez spéciales. Sans perdre son air décontracté, il invita Ordreth à commencer.
- Tu joues avec le danger ! Avec la mort ! cria la jeune elfe.
- Oui, mais avec le sourire ! répondit Simon.
Ordreth leva haut son épée et se rua sur le jeune homme. Celui-ci l'attendait nonchalamment, ses longs doigts minces jouant sur le manche de son fouet. D'un mouvement félin, il évita la lame meurtrière et, se retournant, il enroula la lanière sèche autour de la jambe du dieu, ce qui le déséquilibra. Ne profitant nullement de son avantage, Simon se mit à caresser Physius, le gros python qui enroulait tranquillement ses anneaux autour du torse du jeune homme.
Ordreth se releva et attaqua de nouveau, mais avec moins de furie aveugle. Le fouet claqua de nouveau, déviant l'épée. Pendant quelques assauts, aucun ne varia sa tactique. Ordreth s'obstinait à frapper de la pointe de son arme qui n'était pas vraiment conçue pour cela. S'impatientant, Simon abattait son fouet vers le dieu et l'épée lui fut brutalement arrachée des mains. Simon lança son fouet à Orik.
- Changeons d'arme. Le combat est trop inégal.
Ordreth grinça des dents et fit claquer la lanière qui se dressa d'un air menaçant contre Simon. Celui-ci, sans se troubler, empoigna la lanière ardente de la main gauche - Janus ayant heureusement réintégré sa place autour de la jambe du jeune homme - et toucha Ordreth au bras. Un mince filet de sang coula ; le visage du dieu devint couleur de cendre et il laissa tomber le fouet que Simon s'empressa de récupérer.
- Redonne-moi l'épée ! supplia Ordreth. La lame... antidote dans le pommeau...
- Tu voulais me tuer par traîtrise ! De toute façon, tu ne crains rien, tu es immortel !
Ordreth secoua la tête en signe de dénégation.
- L'épée...
- Réponds-moi : tu n'es pas immortel ?
- Règle du jeu d'Erza : intervenir, d'accord, mais en étant vulnérable. Tu peux me tuer...
Simon était écoeuré. Une écume blanche souillait les lèvres d'Ordreth. Il jeta l'épée aux pieds du dieu.
- Débrouille-toi. Je repars, libre.
Il saisit l'elfe par le bras et repartit. Il remonta l'escalier et se retrouva dans les couloirs qui lui étaient devenus familiers. Sans hésiter, il se dirigea vers la sortie et croisa Ayel à qui il demanda :
- Les copeaux... ceux de ma sculpture... qu'en as-tu fait ?
- Brûlés.
- Ouf ! C'est bien. Adieu, Ayel.
Il reprit son chemin, suivi par l'elfe fée. Au dehors du palais, Carnage l'attendait, transformé, prêt à s'envoler.
- Je m'appelle Simon Brûle-Flammes. Je suis sculpteur et, à l'occasion, aventurier.
- Je suis Saïs Orchidée, elfe fée. Mon peuple te sera éternellement reconnaissant de m'avoir libérée.
Le visage de Simon se creusa ; il se rappela ses visions, les visages de ses amis elfes entourés de flammes et son coeur se serra.
- Ne retourne pas chez toi, petite Saïs. Tu... tu courrais de grands dangers.
Saïs leva ses yeux violets sur le jeune homme.
- Merci et adieu, Simon Brûle-Flammes.
- Adieu, Saïs Orchidée, murmura Simon, et puisse Illustra toute-puissante te protéger.
Il regarda l'elfe fée s'enfoncer dans la forêt et poussa un soupir. Se reprenant, il la chassa résolument de ses pensées et enfourcha Carnage. L'hippogriffe se cabra en jetant un long cri strident, s'élança au galop puis quitta le sol pour les airs. Il ne lui fallut que très peu de temps pour rattraper Sha et Sharly. La jeune fille, très pâle, était blottie dans les bras du centaure, les yeux clos.
- Comment va-t-elle ? demanda Simon dès que Carnage eut posé le sabot par terre.
- Son état ne s'est guère amélioré. Mais puisque tu nous as rejoints, nous allons pouvoir accélérer le rythme.
Serrant un peu plus la jeune fille contre lui, Sharly partit en un galop lent, puis augmenta progressivement sa vitesse. Carnage lui emboîta le pas sans hésiter.
- Il s'agit de s'éloigner le plus vite possible du palais elfe, expliqua Sharly.
- J'avais compris. J'espère que la forêt va relâcher son emprise sur nous. Je crois qu'elle ne tient pas à ce que nous partions.
- Je l'avais remarqué. Au fait, je voulais te féliciter pour ton attitude face à Ordreth ; j'avoue que tu m'as impressionné. Ce calme et cette maîtrise...
- L'instinct du sculpteur, Sharly, répondit nonchalamment Simon.
La lueur impertinente au fond de ses yeux démentait l'apparente froideur de ses paroles.
- Simon..., reprit Sharly, hésitant. Tu as mis beaucoup de temps pour brûler la statue. Qu'as-tu fait d'autre ?
- Oh ! Presque rien : une anodine petite conversation avec Ordreth.
- Mais encore ?
- Un combat pour le plaisir, ajouta le jeune homme d'un ton évasif.
Il repensa à ce que lui avait dit Ordreth, comme quoi il aurait pu tuer le dieu. Il savait que ce geste aurait pu sauver les elfes, mais que serait-il arrivé au panthéon ? Un déséquilibre parmi les dieux pouvait causer une catastrophe !
- Quel en était l'enjeu ? poursuivit Sharly avec entêtement.
- Une elfe fée, dit enfin Simon avec répugnance.
Le centaure haussa les sourcils de surprise.
- Une elfe fée ! répéta-t-il. C'est rare d'en voir.
- Saïs Orchidée, fit pensivement Simon.
Sharly allait faire une remarque, mais il aperçut une forme allongée par terre à sa droite. Sans hésiter, il s'arrêta dans un nuage de poussière. Carnage l'imita aussitôt. Simon comprit et bondit à terre. Il s'approcha de la jeune fille étendue au sol. Elle paraissait très affaiblie et n'eut pas la force de des débattre quand le jeune homme la souleva dans ses bras. Sharly, qui voyait très bien dans le noir, l'observa rapidement.
- Une dryade, remarqua-t-il. Trop loin de son chêne et depuis bien longtemps. Si nous ne la ramenons pas rapidement à son arbre, elle va mourir.
- Si Sha était en état, elle suivrait sa trace, fit Simon, découragé.
Sharly hocha la tête. Il se concentra et son pouvoir entra en action. Ce ne fut peut-être qu'un hasard, ou bien la main d'Illustra, mais la jeune fille gémit et se débattit, quoiqu'encore bien faiblement.
- Elle revint à elle ! exulta Sharly. Nous sommes trop loin pour subir l'influence maléfique de Veranylia !
Il insista, pour purifier entièrement l'âme de la jeune fille et brusquement, un halo bleu d'une douceur apaisante enveloppa ses mains.
- Les dieux viennent de reconnaître officiellement ton pouvoir, Sharly, fit Simon d'une voix tendue.
- Très pratique ! grogna le centaure. Comment veux-tu guérir discrètement les gens dans ses conditions-là ?
- Ah, la bonté des grands héros anonymes ! chuchota doucement Sha.
Ses grands yeux gris riaient devant la surprise de ses deux amis. Elle se dégagea des bras de Sharly et s'étira longuement.
- Mm... Ton pouvoir est fantastique, Sharly. Je me sens entièrement régénérée ! Je suis en pleine forme !
Ses yeux tombèrent alors sur la dryade.
- Pauvre petite ! murmura-t-elle.
Elle releva la tête, rencontra le regard des deux amis et comprit ce qu'ils attendaient d'elle.
Texte © Azraël 1996 - 2002.
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