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Whiskers
Les jeunes gens n'allèrent pas loin ; ils s'installèrent confortablement pour passer le reste de la nuit. Sha s'endormit paisiblement, la joue appuyée sur le flanc chaud de Sharly. Carnage partit chasser, tandis que Simon s'asseyait près du feu, étendant ses longues jambes. Le calme s'abattit sur le petit campement.
Le lendemain, ce fut Simon qui réveilla ses amis. Les arbres étaient un peu moins resserrés et les rayons d'Arkis atteignaient plus les jeunes aventuriers. Ils se remirent en route parmi les racines torturées. Soudain, un homme surgit devant eux, l'air fou, épée à la main, qu'il dirigea vers eux dès qu'il les vit. Mais il s'effondra avant d'avoir pu les attaquer. Immédiatement, Sha sauta à bas de Carnage et se précipita à côté de l'homme.
- Simon, va me chercher de l'eau ! Sharly, va voir ce qui le menaçait et ramène-moi du bois, je te prie.
Simon hésita.
- Je ne veux pas te laisser seule avec cet homme, Sha. Qui sait ce qu'il pourra faire quand il reprendra conscience ?
- Rassure-toi. Tu me connais, Simon : je sais me défendre.
Elle lui sourit et le jeune homme partit, suivi du centaure. Sha se servit de la fin de sa gourde pour nettoyer les nombreuses plaies qui couvraient l'inconnu. Elle découvrit une profonde blessure à la poitrine, qu'elle pansa de son mieux. Au visage, l'homme avait un large bandeau noir qui lui passait sur l'oeil droit. Sha l'enleva pour finir de laver le sang. Sous le bandeau se trouvait une horrible cicatrice presque noire, déjà ancienne, qui traversait la figure du front à la mâchoire. L'oeil droit était mort. L'homme se réveilla alors que la jeune fille était penchée sur lui. Son premier geste fut de porter sa main à son visage. Quand il constata qu'il n'avait plus son bandeau, il agrippa le poignet de Sha avec violence.
- Tu as vu ma cicatrice ?
- Bien sûr, répondit la jeune fille en haussant les épaules.
- Eh bien, oublie-la ! lança-t-il avec sauvagerie.
Il tenta de se relever, mais Sha l'en empêcha.
- Laisse-moi partir, dit-il, une lueur meurtrière passant dans son oeil brun-vert. Je dois aller tuer mes poursuivants.
- Sharly s'en occupe. Reste tranquille.
- Qui est Sharly ?
- Un centaure.
- Que peut faire cet hybride contre la horde de bêtes assoiffées de sang qui me suivait ? cracha-t-il.
Sha connaissait à peine Sharly, mais c'était l'ami de Simon et elle faisait confiance à son frère.
- Ne t'inquiète pas. Je te conseille aussi de ne jamais l'appeler hybride avec le ton méprisant que tu viens d'avoir. Il n'aimerait pas du tout.
Avec fermeté, Sha força l'homme à se rallonger, finit de lui nettoyer le visage et lui remit son bandeau. Un léger bruit à travers les broussailles la mit sur le qui-vive.
Simon sortit tranquillement des buissons et sourit.
- Salut, l'ami ! Te sens-tu mieux ?
Sha eut un air amusé : son frère était toujours aussi hospitalier et le premier inconnu venu avait droit au nom d'ami. L'homme ouvrit des yeux étonnés.
- Oui, merci, répondit-il avec effort.
- Je n'ai pas encore trouvé d'eau, Sha, reprit Simon. Je venais juste voir si tout allait bien et si notre ami avait repris conscience. Je repars.
Il fit un léger signe de la main et s'enfonça de nouveau dans les fourrés.
- Comment t'appelles-tu ? demanda Sha.
- Whiskers. Et toi ?
- Les elfes m'ont surnommée Sha, mais mon vrai nom est Dunihazade.
- C'est un joli nom. Celui d'une elfe ayant été élue, si je me souviens bien.
- Oui... Dunihazade, le Belle maléfique... C'est pour cela que les elfes ont changé mon nom.
Whiskers récupérait vite et il parvint à se redresser en s'adossant à un arbre. Il s'examina et eut une grimace moqueuse.
- Ils m'ont bien arrangé, non ?
Sha sourit sans répondre.
- C'est amusant, fit-il rêveusement. Alors que je suis poursuivi, je suis en train de discuter paisiblement avec quelqu'un que je connais à peine et à qui je fais confiance. Confiance ! Quel mot étrange !
- Sharly s'occupe de tes ennemis, répéta Sha. D'ailleurs, Whiskers, pourquoi te poursuit-on ?
- Tu serais déçue, je crois, Dunihazade, dit doucement Whiskers.
- Est-ce donc si peu avouable ? fit la jeune fille en riant.
- OEil de Serpent, cela te dit quelque chose ?
- Bien sûr ! L'un des hommes les plus redoutés d'Yslaire, recherché par au moins quatre peuples, à côté de qui personne n'ose rester sans arme à la main, tant sa vitesse d'action et phénoménale, ayant commis une dizaine de meurtres inexpliqués. Oui, l'un des hommes les plus détestés, mais aussi sans doute le plus solitaire.
- Tu le plains ? demanda brusquement Whiskers, une expression indéchiffrable sur le visage.
- Pourquoi pas ?
- Non, Dunihazade, ce que tu as dit n'est pas tout à faire exact. OEil de Serpent a au moins deux amis ; et puis, il y a aussi une personne assise près de lui sans arme : toi.
Sha ne parut pas étonnée le moindre du monde.
- OEil de Serpent et Whiskers... Une seule et même personne. Amusant. Et on te poursuit pour te tuer, je suppose ? Des chasseurs de primes ?
- Un peu cela. Une horde de créatures mercenaires, payées par tous mes ennemis ligués. Personne ne peut tenir contre eux. Il y a quelques hommes de la Guilde parmi eux. Ton ami Sharly va durement en pâtir.
La Guilde des Fils des Ténèbres était célèbre et très réputée dans le milieu des assassins, si bien qu'on l'appelait simplement la Guilde. Sha haussa les épaules.
- Sharly serait capable de tenir tête à Erza elle-même, dit-elle sans trop savoir d'où elle tirait cette confiance.
Comme pour lui donner raison, un bruit de sabots se fit entendre et le centaure apparut. Il portait haut sa belle tête fière et son regard bleu pétillait de gaieté ; ses cheveux noirs un peu longs étaient fous et mêlés de brindilles. Ses traits accusés, très anguleux, étaient adoucis par le franc sourire qui s'épanouissait sur son visage. On voyait ses muscles jouer sous la peau luisante de sueur. Il tenait à la main l'arbalète de Ravage, mais surtout, il avait au côté une plaie béante qui crachait du sang et une dizaine de fines aiguilles plantées dans son flanc équin.
- Coriaces, tes poursuivants, l'ami ! fit-il avec entrain.
- Combien en reste-t-il de vivants ? demanda Whiskers, très calme.
- Attends ; laisse-moi compter.
Le centaure se plongea aussitôt dans des calculs assez compliqués qu'il sembla refaire plusieurs fois. Whiskers et Sha attendaient le résultat avec inquiétude ; le jeune homme avait refermé sa main sur celle de son infirmière.
- Un, annonça finalement Sharly, après un silence qui parut durer une éternité.
- Un ? répéta Whiskers avec un hoquet de surprise. Mais ils étaient une vingtaine !
- Vingt-trois exactement, dont quatre arbalétriers.
- Un tel exploit est impossible pour quelqu'un de... normal !
- Mais non. Cela nécessite juste une certaine dextérité au maniement de l'arbalète.
- Raconte, Sharly, fit Sha, impatiente.
- Ravage avait laissé son arme et les carreaux sur Carnage et j'en ai profité pour les récupérer. Je suis allé prudemment à la rencontre des poursuivants de notre ami. J'ai visé d'abord les arbalétriers qui tenaient leur arme chargée. Mes carreaux, tout en les tuant, les faisaient aussi tirer sur leurs compagnons. Je faisais donc d'une pierre deux coups. Il y en eut donc huit d'éliminés ainsi ; il en restait quinze et j'avais encore six carreaux. Il en mourut autant. Sur les neuf survivants, l'un d'eux partit en reconnaissance et se fit larder de flèches par ses alliés qui le prirent pour leur mystérieux agresseur. Pour les huit autres, il ne restait plus que le combat à mains nues, ce qui n'a pas été sans peine.
- Et tu n'as laissé qu'un survivant ?
- Il s'est enfui, fit piteusement Sharly.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire, reprit Whiskers. Comment as-tu fait pour éliminer les sept autres ?
- Simon a toujours dit que j'avais un bon coup de sabot...
En observant le centaure, Whiskers se dit qu'il ne devait pas avoir que cela : Sharly était jeune et puissant ; ses poings massifs devaient ne laisser que peu de chance à celui qui était en face. Mais, c'était sûr, ses larges sabots frappaient certainement très dur.
Simon refit son apparition. A la main, il tenait une outre gonflée d'eau et sur l'épaule, il avait jeté, comme négligemment, une créature ligotée.
- Salut, fit-il comme la première fois que Whiskers l'avait vu. Sharly, aurais-tu rencontré une horde d'êtres malfaisants, par hasard ?
Le jeune homme ne semblait étonné de rien.
- Touché, Simon ! rit Sharly. Des gobelins et quelques assassins. Le chef des premiers m'a échappé.
- Moi, j'ai trouvé cette chose sur mon chemin, dit Simon, très calme, laissant tomber son fardeau à terre. Je t'ai ramené de l'eau, Sha.
- Nom de Tseous ! s'exclama Sharly avec véhémence. Le chef des gobelins !
A terre, soigneusement ficelé gisait un hobgobelin. Celui-ci ressemblait beaucoup aux gobelins, ses cousins, mais, comme ceux de sa race, sa fourberie se lisait dans ses yeux. Les hobgobelins étaient beaucoup moins lâches que leurs cousins, qu'ils asservissaient généralement. Sha, sans se soucier du prisonnier, ouvrit l'outre et versa un peu d'eau dans le creux de sa main. Le hobgobelin tourna la tête vers elle ; ses yeux noirs eurent un éclat maléfique et l'eau se transforma soudain en une boue saumâtre.
- Comment as-tu fait pour capturer cette créature malfaisante ? demanda Whiskers, un grondement dans la voix. C'est un excellent combattant, formé à beaucoup de techniques de la Guilde.
- J'ai eu de très bons professeurs, répondit Simon. Qu'allons-nous faire de ton ennemi ?
- Laisse-moi lui régler son compte !
- A la loyale, dans ce cas. Pas question de le frapper alors qu'il est attaché.
Le hobgobelin ricana.
- Tu ne connais pas cet homme ! fit-il en s'adressant à Simon. Je ne sais pas sous quel nom il s'est présenté à toi, mais il s'appelle OEil de Serpent.
- Tiens donc ! répliqua Simon, nullement surpris. Nous serons donc entre serpents ! Physius, Janus !
Ce fut alors que Sha et Sharly s'aperçurent que les grosses cordes qui ligotaient le hobgobelin n'étaient autres que le corps de Physius, l'énorme python. Quant à ce qu'ils avaient pris pour un collier d'or, il s'agissait de Janus, le petit serpent jaune moucheté de vert. En un clin d'oeil, le hobgobelin fut débarrassé de ses "liens" et les deux serpents vinrent reprendre leur position favorite, l'un sur les épaules de Simon, l'autre autour de sa jambe. Le hobgobelin se redressa.
- Pourquoi fais-tu confiance à OEil de Serpent ?
Le jeune homme sourit. Dès son arrivée, il avait remarqué que la main de Sha était emprisonnée dans celle de Whiskers et il avait compris que sa soeur donnait une chance à l'assassin le plus tristement célèbre.
- Pourquoi te fais-je confiance ? répondit-il au hobgobelin.
OEil de Serpent se leva, oubliant ses blessures ; il chancelait et ne tenait debout que par un effort surhumain de volonté.
- Tu veux un combat loyal ? demanda-t-il sombrement.
- Tu as le droit de choisir un champion, si tu veux.
- Non... C'est ma vengeance.
- Bon, intervint gaiement Sharly. On va peut-être s'occuper de tes blessures, dans ce cas !
Whiskers le regarda avec étonnement : la plaie béante du centaure avait disparu et les aiguilles ne hérissaient plus le flanc brun. Sharly s'approcha de lui et lui mit les mains sur les épaules. Abasourdi, l'assassin sentit un afflux d'énergie se répandre dans son corps douloureux. Le sang s'arrêta de couler et les blessures se refermèrent lentement. Le centaure percevait ces progrès, mais il s'étonna de ce qu'une plaie résistât à son pouvoir et il insista. Whiskers comprit ce qu'il se passait et se dégagea doucement.
- Celle-là n'est pas guérissable, ami, dit-il doucement.
Ses forces régénérées, il s'avança vers le hobgobelin d'un pas plus assuré.
Mais la créature ne semblait pas pressée d'affronter Whiskers, sachant sans doute qu'elle n'aurait aucune chance contre lui. Elle se tourna vers Simon.
- Qui est le plus jeune d'entre vous ?
- C'est moi, répondit le jeune homme.
- Voilà. OEil de Serpent détient un secret qui ne peut être su que par quatre personnes. Nous sommes cinq. L'un de nous mourra forcément. Etes-vous prêts à courir le risque ?
Whiskers renvoya une mèche brune en arrière et, dans un mouvement d'une extrême rapidité, il glissa le doigt sous son bandeau. Simon lui jeta un coup d'oeil interrogateur au sujet de la question et Whiskers eut un imperceptible frémissement de la paupière gauche.
- Nous sommes prêts, dit Simon fermement au nom de tous.
- OEil de Serpent cache une cicatrice sous son bandeau et dans les chairs est prisonnière ce que nous appelons une pierre noire ou pierre des ténèbres.
- Est-ce là le terrifiant secret ?
- Ce n'en est qu'une partie, sourit le hobgobelin. Cette pierre possède des pouvoirs fabuleux et c'est la raison pour laquelle OEil de Serpent a tant d'ennemis acharnés. Seule sa mort nous permettra de récupérer la pierre.
- Si tous les ennemis d'OEil de Serpent connaissent cela, plus d'un devrait être mort.
- Chacun ne sait qu'un petit morceau de la vérité. La pierre de nuit donne sa force à son porteur. Broyée finement et mélangée au sang d'OEil de Serpent, elle donnera l'éternelle jeunesse et l'immortalité à celui qui boira cette mixture.
- C'est répugnant, fit Simon.
- Cela devrait être ta dernière remarque, grimaça le hobgobelin.
Soudain une douleur terrible le traversa et son visage se décomposa. Il leva un regard hagard vers Whiskers.
- Qu'est-ce que..., voulut-il demander, les lèvres blanches d'écume.
Whiskers, fièrement campé, semblant être seul contre l'univers entier, le dévisagea longuement avant de laisser tomber :
- J'ai retourné la pierre.
Le hobgobelin mourut dans d'atroces souffrances.
Simon se maîtrisa, contenant la colère qui l'agitait.
- Peut-on savoir ce qu'il se passe ? Ou plutôt, ce qu'il s'est passé ?
Whiskers sentit la note d'hostilité dans la voix du jeune homme ; il se tourna à demi vers Sharly dont le visage n'était plus qu'un masque impénétrable. Alors il quêta du regard le soutien de Sha qui lui sourit et fit un pas vers lui.
- Nous sommes les seuls à savoir que j'ai la pierre des ténèbres enchâssée dans ma cicatrice. Seuls dans tout l'univers. Dans sa position normale, la pierre tue le plus jeune quand cinq connaissent ce secret. Le hobgobelin le savait et il jouait donc avec ta vie, Simon. J'ai compris son intention et j'ai retourné la pierre dans ma cicatrice ; le sort a été inversé. Le plus vieux devait mourir et c'était lui.
Les traits de Simon se détendirent et, dans un geste spontané, il tendit la main à Whiskers.
- Merci, ami ! Quel est ton nom, que je m'en souvienne ?
L'assassin hésita un instant, essuya machinalement sa main sur son pantalon de cuir noir, comme pour y enlever toute trace de sang, et serra la main tendue de Simon.
- Je m'appelle Whiskers. J'ai pris le pseudonyme d'OEil de Serpent pour de multiples raisons qui...
- Cela ne nous regarde pas, ami, l'interrompit fermement Simon. Il me suffit de savoir que tu n'as pas fait mal à Sha et que tu as été loyal envers nous. Bienvenue parmi nous, Whiskers à l'oeil de serpent !
Sha eut un léger sourire : seul Simon pouvait transformer un nom de honte en compliment.
- Puis-je voir cette pierre des ténèbres ? intervint Sharly.
Whiskers hésita de nouveau, puis ôta son bandeau. Le centaure s'approcha et examina soigneusement la cicatrice, remarquant ce que Sha n'avait pas vu : une minuscule pierre noire au milieu des chairs et autour, du sang noir déjà coagulé, dû au retournement effectué par Whiskers.
- Hum ! Simon ! Crois-tu que, avec tes instruments, tu pourrais faire quelque chose ?
Le jeune homme rejoignit son ami et se pencha à son tour sur la balafre. Whiskers fut étonné de la légèreté des longs doigts minces qui suivaient la marque.
- Je pourrais certainement enlever la pierre et peut-être arranger la cicatrice, mais n'oublions pas que mon matériel est celui d'un sculpteur, pas d'un chirurgien !
- Je te connais, Simon ! Tu as toujours un petit surplus qui n'a pas grand-chose à voir avec la sculpture...
Le jeune homme eut un sourire amusé.
- Non, fit Whiskers. Je ne peux pas te laisser faire cela, Simon. Quiconque touche à la pierre risque la mort. Tu ne peux rien faire pour moi. Je vous ai apporté assez d'ennuis comme cela ; je dois repartir.
Il remit son bandeau, mais n'eut pas le temps de faire un pas, car Sha l'attrapa par le bras.
- Ne dis pas de bêtises, Whiskers ! Tu as sauvé la vie de Simon en retournant la pierre et tu as gagné ta place parmi nous.
OEil de Serpent contempla la jeune fille, la gorge un peu serrée. En quelques instants, elle avait pris une importance capitale pour lui. De sa main, il effleura le doux contour du visage et caressa les longs cheveux noirs nattés. Sha restait immobile, le fixant de ses superbes yeux d'un gris profond.
- Je ne peux pas, Dunihazade, murmura-t-il doucement. Je porte malheur à ceux que j'accompagne. Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose par ma faute. Tu resteras pour moi la Belle Dunihazade, mais jamais tu ne seras maléfique à mes yeux. Adieu, Dunihazade.
Les lèvres bien dessinées de Sha tremblèrent légèrement, mais elle se contrôla.
- Fais attention à toi, Whiskers, dit-elle simplement.
Sharly fit ses adieux à l'assassin, puis Simon dit :
- Reviens nous voir, Whiskers ! Pour toi, la porte de notre maison et celle de notre coeur seront ouvertes et un feu brûlera toujours. Nous t'attendrons avec impatience.
Stupéfaite, Sha reconnut la formule rituelle d'invitation du fiancé. Simon, sourit, de son irrésistible sourire éblouissant de blancheur, et Sha vint se jeter dans les bras de son frère.
- Merci, Simon, merci ! chuchota-t-elle.
- Que les dieux t'accompagnent, Whiskers ! lança le jeune homme à l'assassin qui s'éloignait. Je veillerai sur elle !
Les trois amis se retrouvèrent seuls. Carnage vint frotter son nez contre l'épaule de Simon qui le caressa machinalement.
- J'espère que Whiskers s'en tirera, fit rêveusement le jeune homme.
Sharly eut un rire gentiment moqueur.
- Te rends-tu compte que nous plaignons l'assassin le plus haï de toute la planète ?
- Tu ne sais pas ce qui l'a conduit à tuer ! rétorqua Sha avec vivacité.
- Du calme, Sha. Nous savons parfaitement que Whiskers n'est pas une innocente victime et tu le sais aussi. Mais franchement, tout dépend de la personnalité de ceux qui sont tombés sous ses coups. S'il s'agit de gens assoiffés de pouvoir au point de tuer pour avoir une pierre, il n'y a aucun regret à avoir de leur disparition ! lança Simon avec humeur. Sauf peut-être pour...
Il s'arrêta net : une sorte de gigantesque panthère noire, longue de trois mètres, venait de franchir le rideau de verdure qui les entourait. La bête gronda et les deux tentacules noirs qui partaient de ses épaules se dressèrent en l'air, menaçants. Simon attrapa aussitôt son fouet ardent.
- Sha, par tous les dieux, retiens Carnage ! hurla-t-il en voyant l'hippogriffe hennir et se cabrer. Il va se faire massacrer !
- Soyez plus mesuré dans vos paroles, mon ami ! remarqua une voix joyeuse.
Un homme de grande taille sortit des fourrés et attrapa un des tentacules, sans se préoccuper des dures masses osseuses qui le terminaient.
- Du calme, Rani, murmura-t-il d'un ton caressant.
La bête cessa de gronder, mais ses yeux d'un vert profond restèrent méfiants. Simon eut un sursaut.
- Personne ne peut apprivoiser une bête éclipsante ! cracha-t-il.
L'homme parut ne pas faire attention à ces paroles.
- Je suis le mage Florian et voici Rani, ma compagne de route, dit-il calmement.
La voix était polie et bien timbrée ; le regard vert clair semblait franc et le sourire engageant. Simon se détendit et commença à enrouler son fouet.
- Voici Sharly et ma soeur Sha. Je m'appelle Simon et l'hippogriffe, Carnage.
- J'ai entendu parler de vous, fit Florian en relâchant le tentacule de la bête éclipsante.
Simon n'eut pas l'air étonné ; du coin de l'oeil, Sharly remarqua qu'il avait toujours la main sur la poignée de son fouet.
- Illustra la grande déesse m'a expliqué votre mission, reprit le mage. Alors je me suis mis en route pour vous retrouver.
- Yslaire est grande, objecta Simon.
Florian rit ; un rire très gai, très jeune.
- Je suis un mage ! hoqueta-t-il. Les distances n'existent pas pour moi. De plus, Illustra est prête à tout pour que votre quête réussisse.
- Pourtant notre effectif a déjà diminué de moitié.
- Erza tient à ce que l'on respecte les règles de son jeu. Je n'ai toujours pas compris pourquoi elle s'acharnait ainsi. Elle n'aura jamais le pouvoir total.
- Jusqu'au jour où...
- Non, les dieux surveillent tous les mortels et savent trouver ceux qui pourront lutter contre Erza.
- Mais il suffira d'une fois...
- Dans ce cas, Ukkraq lui-même reprendrait le flambeau. Même en période de paix, il persiste à éviter Erza.
- Comment pourrait-il lui pardonner ? Elle l'a tué, ainsi que son petit-fils. D'autres de sa famille ont lutté contre elle : c'est dans leur sang.
Florian hocha la tête en souriant et rejeta en arrière une mèche noire.
- Vous avez perdu des membres ? s'enquit-il, se rappelant la phrase de Simon.
- Oui. Deux amis elfes, répondit Sha. Laurane et Ravage.
- Qu'est-il advenu d'eux ?
- Laurane a été emmenée par le roi-serpent et Ravage est resté à lutter contre le seigneur de la nuit éternelle.
Sharly restait silencieux ; il se sentait un peu exclus, car Laurane et Ravage n'étaient pas vraiment ses amis, juste des compagnons de route. Florian rit de nouveau.
- Je peux peut-être faire quelque chose ! déclara-t-il.
Il fouilla dans la sacoche qui pendait à son épaule et en ramena un petit miroir ovale entouré d'un cadre de bois précieux.
- Mm... trop petit, grogna-t-il.
Il appuya le miroir contre un arbre.
- Mera ! ordonna-t-il.
L'objet se mit à augmenter de taille et, en quelques instants, c'était devenu un magnifique miroir dans lequel on pouvait se voir des pieds à la tête.
- Voilà, voilà. Laurane, n'est-ce pas ? C'est bien ainsi qu'elle se nomme ?
- Oui, mais...
- Il n'y a pas de "mais" en magie, chère Sha. Harn Laurane, commanda-t-il.
Le miroir se brouilla et l'image qui apparut sur sa surface n'avait plus rien à voir avec celle de la forêt.
Texte © Azraël 1996 - 2002.
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