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Les premiers pas
Une fois la décision prise, ils retrouvèrent leur rapidité d'action. Leurs montures les attendaient sagement à l'écart. D'un bond, ils furent en selle.
- Crois-tu qu'il nous dira ce qu'il se passe ?
- Bof ! Il va encore faire plein de mystères, comme d'habitude.
En effet, le prêtre de Sorcerak, qui était celui qui savait toujours ce qu'il se passait chez les dieux, prit un air gêné et refusa de répondre clairement.
- Bien sûr, il y a toujours quelques petits problèmes divins... Les non-initiés n'ont pas le droit...
- Ecoute, l'interrompit Sha. Initiés ou non, l'heure est grave. Raconte-nous ce que tu sais ; c'est peut-être une question de minutes.
Le prêtre ne montra pas beaucoup de bonne volonté, jusqu'au moment où Simon mentionna négligemment l'apparition de Stellarys ; alors il céda, quoique avec répugnance.
- Il y a beaucoup d'enlèvements dans cette affaire. La Belle des elfes, à la place de qui Stellarys est apparue, a été enlevée par Ordreth, qui l'a endormie d'un sommeil artificiel. Premier volet. Erza a bien enlevé Sorcerak et le tient de telle façon qu'il ne peut pas se servir de ses pouvoirs de dieu. Deuxième volet. Enfin, troisième volet : Illustra ne peut pas réagir car Erza prétend posséder une arme encore plus puissante que le Sceptre de la Nuit et menace de l'utiliser : elle détruira Yslaire et l'âme de Sorcerak... irrémédiablement.
- Pourquoi Stellarys a-t-elle été chargée du message ? Elle fait partie des dieux pacifiques et n'est pas directement concernée.
- La Belle ayant été enlevée, ce fait à lui seul relevait de sa compétence. De plus, Sorcerak est un peu son grand frère et il n'était pas question pour elle de le laisser entre les mains d'Erza.
Sha hocha la tête.
- Cela ne nous dit pas pourquoi nous devons nus en mêler. Je suppose que Erza et Ordreth ont emmené Sorcerak et la Belle dans les hautes sphères divines.
- Euh... non. En fait, il est impossible à un dieu d'emmener un humain ou elfe dans son monde sans son consentement. Or la Belle n'était pas d'accord avec Ordreth et même inconsciente, sa volonté reste ferme. Quant à Sorcerak..., c'est un peu plus compliqué. Il faut trouver le passage qui conduit d'Yslaire au royaume d'Erza.
- Comme le tombeau des glaces sur Solaris ?
Le prêtre acquiesça.
- Oui. Et de là, vous pourrez délivrer Sorcerak.
- Et où se trouve la Belle ?
- Seul Ordreth le sait ! répondit le prêtre dans un geste fataliste.
Il rentra dans les profondeurs du temple sans ajouter un seul mot, signifiant par là que la conversation était terminée et qu'il n'avait pas le droit d'en dire plus.
Simon et Sha se regardèrent en sortant du temple.
- Sorcerak enlevé... Le dieu des vivants, pratiquement. Il va y avoir une panique monstre si nous ne faisons rien.
Simon eut un rire ironique en entendant sa soeur.
- Et tu comptes faire cela en deux coups de cuillère à pot ? Tu disposes d'une baguette magique, peut-être ?
- Pas besoin de magie. Notre intelligence suffira amplement.
Simon soupira.
- Nous sommes partis pour faire une folie !
- Mais tu as toujours aimé relever les défis.
- Allons-y ! De toute façon, je sais bien que je te céderai tôt ou tard. Autant éviter de perdre du temps.
- Il nous faut aller chercher Ravage et Laurane.
- Qui habitent en ermites au plus profond de la forêt et qui ne viennent jamais à l'élection de la Belle.
- Arrête de toujours protester ! Tu n'as qu'à lancer une bonne fois pour toutes ton Phénix au galop !
Simon obéit scrupuleusement et son fougueux étalon alezan doré démarra comme une flèche. Sha eut un léger cri de dépit et serra violemment les jambes ; Eclair, son cheval, prit le galop à son tour. Son frère l'attendait un peu plus loin, un sourire moqueur aux lèvres.
Les deux jeunes gens passèrent d'abord chez eux pour revêtir ce qu'ils appelaient leur tenue de combat, qu'ils tenaient pour partie de leurs parents. Sha revêtit un justaucorps de cuir noir, à manches courtes et à l'encolure lacée ; elle ajouta de longs poignets de cuir sur ses avant-bras et chaussa de grandes bottes noires. A sa taille, une ceinture où était glissé un fin poignard. Un carquois pendait négligemment à son épaule. Elle avait ceint son front d'un large cercle noir. Simon restait plus classique : pantalon noir, bottillons noirs très souples, tunique bordeaux et, par-dessus, une cuirasse de cuir noir. Son large ceinturon noir soutenait un long fouet incandescent et une dague. Ils remontèrent en selle et galopèrent sans interruption jusqu'à la Source Noire, où vivaient Laurane et Ravage.
La jeune elfe était assise auprès de la source, les yeux perdus dans le vague. Son frère était invisible. Laurane releva la tête et eut un sourire ravi en voyant ses amis. Mais son sourire se figea quand elle aperçut les tenues de combat.
- Des problèmes ?
- Plutôt ! Où est Ravage ?
- Il est parti chasser.
- Je vais à sa recherche. Sha, explique à Laurane ce qu'il se passe.
Simon, d'un coup de genou, fit retourner Phénix dans la forêt. Sha s'assit à côté de Laurane et commença à parler d'une voix basse et précise.
Simon connaissait bien son ami et il savait où il avait l'habitude de chasser. Phénix marchait tranquillement et, sous ses sabots, les branches craquaient allègrement. Une fine tête furieuse surgit d'un buisson.
- Eh, toi ! Ce ne serait pas possible de... Simon ! Quel bon vent t'amène ?
- Abandonne la chasse, Ravage. Je t'invite à une chasse au dieu. Ce sera plus périlleux, mais certainement plus passionnant.
- Je suis partant ! fit le jeune elfe, enthousiaste.
Il sortit de son buisson. C'était un elfe plutôt grand pour sa race, mais qui gardait la minceur propre à son peuple, malgré une musculature bien développée. Sa chevelure blond-roux lui descendait dans le cou et, sur le front, une mèche d'un blanc mousseux apportait un contraste du plus bel effet. Son regard vert avait le même éclat rieur que celui de Simon. Le fin visage aux traits un peu anguleux avait un air décidé que confirmait la bouche au pli ferme. Il était entièrement vêtu de peau naturelle, de la tunique échancrée jusqu'au ventre au pantalon enfoui dans des bottes de fourrure blanche mêlée de brindilles. La ceinture de cuir marron supportait simplement des carreaux d'arbalète. Car Ravage, contrairement au reste de son peuple, utilisait peu l'arc et préférait pour sa part l'arbalète qu'il maniait à la perfection et qu'il avait appris à recharger avec une célérité remarquable.
- Appelle ton cheval ; nous passons prendre Laurane et Sha.
Ravage répliqua avec dignité :
- Je te rappelle que Carnage n'est pas un cheval, mais un hippogriffe. Nuance.
- Ce n'est pas le moment de discuter sur des nuances, s'impatienta Simon. Il s'agit d'affronter Erza et Ordreth.
Les yeux de Ravage brillèrent de mille feux et il fit entendre un sifflement modulé auquel répondit aussitôt un étalon noir, dont les sabots fourchus et la mâchoire armée de crocs recourbés suffisaient à démontrer l'origine surnaturelle. Ravage bondit sur le dos de l'animal et suivit Simon.
Laurane fixait les eaux noires de la source. Il était impensable de trouver des frères et soeurs aussi différents que Ravage et Laurane. Autant le jeune elfe portait bien son nom, étant capable d'entrer dans des colères noires, autant sa soeur était la féminité incarnée. D'une minceur presque frêle, elle semblait minuscule par rapport à son frère. Ses longs cheveux d'un châtain clair doré étaient arrangés avec goût, soigneusement coiffés en une couronne autour de la jolie tête. Ses grands yeux, d'une couleur indéfinie entre le bleu et le vert, étaient aussi transparents que ceux de Stellarys. Elle portait une longue robe blanche brodée de vert, serrée à la taille par une fine ceinture dorée. D'étroites sandales de cuir blanc chaussaient ses pieds. Autour du cou, un superbe collier en or composé d'une lourde chaîne supportant un croissant de lune retourné où étaient incrustés deux rubis comme des yeux et où était suspendue, en son milieu, une plaque ovale entourée de deux autres plus petites. Le tout était merveilleusement ciselé. Quand Simon et Ravage firent leur apparition, elle leva un pauvre regard inquiet vers son frère.
- Je vais vous gêner dans votre aventure. Je ne sais pas me battre, je n'ai aucun pouvoir magique et la peur me paralyse sur place.
Ravage, d'un bond, fut au sol et entoura d'un bras les épaules de sa soeur.
- Voyons, ne t'inquiète pas pour ça. Nous veillerons sur toi, je te le promets.
- Comment vais-je voyager ? Je ne sais pas maîtriser un cheval, à part notre vieux Rylem qui est bien incapable de partir au galop.
Simon eut un sourire éblouissant.
- Pas de problèmes ! J'ai un ami charmant qui sera ravi de me rendre service. Il s'appelle Sharly.
- Mais comment...
- C'est un centaure. Attendre, je vais l'appeler !
Il fouilla dans ses fontes et en sortit une petite flûte qu'il porta à sa bouche. Les quelques sons aigus qu'il en tira devaient certainement vriller les oreilles de tous les habitants de la forêt.
Un bruit de galop ne tarda pas à se faire entendre. Un jeune centaure puissant, à la belle robe luisante baie, fit son apparition. Il s'arrêta juste devant Simon et redressa sa belle tête fière.
- Tu as besoin de moi, Simon ?
- Le transport d'une jeune fille.
Sharly tourna son regard pétillant vers Laurane.
- Aura-t-elle peur de tomber ?
- Oui, murmura Laurane.
- Alors je suis parfait pour l'emploi ! rétorqua Sharly en éclatant de rire. Nul autre que moi sait aussi bien mettre en confiance !
- Sharly, merci ! Tu es vraiment un ami.
Le centaure eut un sourire amusé.
Laurane, qui était rentrée dans sa maison, en ressortit avec des bijoux dans les mains.
- Notre père est féru d'objets magiques et les collectionne. J'ai pensé qu'ils pouvaient nous servir.
- Tu es précieuse, petite soeur ! fit Ravage.
La jeune elfe passa autour du cou de Simon un pendentif en pierre azurée, donna à Sha un anneau de platine incrusté de pierreries et à son frère un anneau gravé d'un poignard. Elle tendit timidement à Sharly un pendentif de malachite ; le jeune centaure lui fit un chaud sourire qui dissipa toutes ses craintes.
- A quo servent-ils, Laurane ? demanda Simon, faisant tourner son amulette entre ses doigts.
- Le tien indique les portes cachées, celui de Sharly est un amulette de l'Arrière-Monde, agissant contre les morts-vivants et celui de Sha permets de créer n'importe quelle illusion.
- Et toi, Laurane, tu n'en as pas ?
La jeune elfe mit sa main sur le collier qui parait son cou.
- Celui-ci a pour moi plus de pouvoirs magiques que tous les autres réunis.
Simon eut son sourire irrésistible.
- C'est flatteur pour celui qui l'a créé.
Ravage choisit une bague parmi les quelques bijoux qui restaient et la glissa au doigt de sa soeur.
- Non, Ravage ! Je ne sais pas quel est son effet !
- Eh bien, nous essaierons de le découvrir. Sommes-nous tous prêts ? Alors c'est parti !
Sharly eut une petite toux discrète. Ravage se tourna avec étonnement vers lui.
- Je déteste être indiscret, mais j'ai encore plus horreur qu'on oublie de me dire quelle est la quête que l'on mène, comme si j'étais une vulgaire monture. Alors si cela ne vous fait rien, je peux être mis au courant ?
- Excuse-moi, Sharly. J'ai la tête ailleurs, intervint Simon. As-tu entendu parler de l'apparition de Stellarys ?
- Ouaip ! C'était hier soir et je n'ai pas la mémoire courte à ce point.
- Hier soir ? Ah oui, tiens, c'est le matin. Je ne m'en étais même pas aperçu. Enfin, Erza et Ordreth ont enlevé d'une part, la Belle des elfes et d'autre part, Sorcerak. C'est là le plus ennuyeux. Les dieux ont les mains liées, car Erza aurait une arme qui surpasserait son sceptre. L'enjeu : la vie de la planète et l'âme de Sorcerak.
Le centaure avait écouté avec attention et son sourire s'était peu à peu effacé, redonnant à ses traits anguleux leur férocité naturelle. Il secoua la tête.
- Dans quel guêpier vas-tu te jeter, Simon ?
- Si seulement je le savais ! soupira le jeune homme.
Il regarda soigneusement son ami : ses cheveux noirs fous, un peu longs, encadraient son visage au dessin accusé, assez effrayant, et dans les yeux bleus, la lueur pétillante de gaieté s'était éteinte. Tel quel, Sharly était plutôt terrifiant et les muscles qui jouaient sous sa peau le faisaient ressembler à une jeune brute.
Mais le franc sourire réapparut bientôt sur les lèvres du centaure.
- Plus l'enjeu est élevé, plus la partie en vaut la peine, non ? Je suis prêt à tenter le tout pour le tout, et jusqu'au bout. Simon, si tu as besoin d'un compagnon d'armes, je suis ton homme !
- Sharly, décidément, plus je te connais, plus tu grimpes dans mon estime ! Il n'y a que toi pour réagir pareillement quand on t'annonce que tu vas aller risquer ta vie pour les beaux yeux de Sorcerak !
- Bah ! De toute façon, autant que ma vie serve à autre chose qu'à faire peur aux poulains de mon peuple !
- Mais tu n'es pas terrifiant, dit doucement Laurane en posant sa petite main sur le bras musclé de Sharly.
De la part de Laurane, qui s'effrayait facilement, c'était plutôt un compliment. Mais le centaure eut un sourire indéfinissable.
- C'est que tu ne m'as jamais vu en colère, jolie elfe !
- En route ! s'impatienta Ravage. Je ne vais jamais pouvoir tenir Carnage si vous restez à discuter !
Sharly souleva Laurane de terre avec une douceur surprenante et la déposa sur son dos.
- Appuie-toi contre moi et mets tes bras autour de ma taille. Si tu te sens glisser, dis-le-moi, mais essaie de ne pas crier, je pourrais avoir un geste malheureux. Tu y arriveras ?
- Je crois, oui. Merci.
Sharly eut un petit rire.
- Laurane et moi sommes prêts, Ravage. Nous n'attendons plus que toi.
Ravage rendit alors la main à Carnage, qui partit à une allure stupéfiante. Simon et Sha se regardèrent et lancèrent leurs chevaux sur les traces de l'hippogriffe.
- Aucune galanterie, commenta Sharly. Es-tu prête, Laurane ?
- Oui.
En entendant la petite voix de l'elfe, le centaure recouvrit les jolies mains de Laurane des siennes et partit d'abord au pas, puis passa à un petit galop assez lent, mais souple.
- N'hésite pas à dire si quelque chose ne va pas ! lança-t-il.
Sur ce, il accéléra l'allure, mais, pour rassurer sa cavalière qu'il sentait se serrer contre lui, il jeta un de ses bras en arrière pour la maintenir. Bientôt, il fut au maximum de sa puissance et de sa vitesse, qui devenait vertigineuse. Devant lui, il apercevait la croupe d'Eclair. Intensifiant encore son effort, il remonta à la hauteur de Phénix.
- Hey, Simon ! Ils sont de quelle couleur, les yeux de Sorcerak ? lança-t-il gaiement.
La première journée se passa sans incident. Ils se contenaient de cheminer dans la forêt suivant l'inspiration de Carnage qui emmenait le groupe à un train d'enfer. Sharly était au milieu de la troupe et Laurane n'émettait aucune plainte. A l'approche de la nuit, Carnage devint de plus en plus nerveux et Ravage ordonna une halte. L'hippogriffe n'allait pas tarder à entamer sa transformation nocturne. Tous s'arrêtèrent et Sharly déposa Laurane à terre. La jeune elfe réussit à sourire, pour calmer les appréhensions du centaure. Ravage faisait un feu, tandis que Simon dessellait les chevaux. Il prit quelque chose dans ses fontes, s'assit par terre, le dos appuyé à un arbre, croisa les jambes et s'occupa exclusivement de ce qu'il tenait dans ses mains. Il s'agissait d'un objet d'ébène à moitié sculpté qu'il faisait tourner entre ses doigts en l'examinant soigneusement. Avant apparemment trouvé un angle qui le satisfaisait, il attaqua l'objet avec un curieux instrument, faisant sauter de petits morceaux d'ébène à coups précis.
- Simon, fit Sha. Stellarys nous a dit que nous partirions à quatre. Or, avec Sharly, nous sommes cinq.
- Je suppose que Stellarys a négligé ce pauvre Sharly. De toute façon, nous sommes libres de faire ce qu'il nous plaît.
Le centaure vint se pencher sur l'objet que sculptait Simon.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Mais... c'est toi ! C'est si peu ressemblant pour que tu ne te reconnaisses pas ?
- Et tu comptes l'offrir à une jolie fille, comme d'habitude ? reprit Sharly en jetant un coup d'oeil sur Laurane.
Ravage surprit ce regard et se tourna vers sa soeur, qui avait posé sa main sur son collier comme pour le cacher. Le jeune elfe ignorait d'où elle tenait ce bijou ; un jour, il l'avait vue revenir avec le collier au cou et il n'avait pas posé de question. Quant à Sha, elle avait toujours vu Laurane avec ce bijou. Ravage regarda Simon d'un air perplexe et vit les gestes précis du jeune homme.
- Par Vanyar ! lança-t-il. Simon, est-ce toi qui as offert ce collier à Laurane ?
Sharly comprit aussitôt sa bévue.
- Shoïd ! Ils n'étaient pas au courant ! murmura-t-il.
Simon releva la tête de sa sculpture.
- C'est moi, en effet. Je venais de le finir quand j'ai vu Laurane pour la première fois. Comme je n'avais aucunement l'utilité de ce bijou, et Sha non plus, je lui ai donné. Il semblait lui plaire.
- Tu offres des fortunes aux inconnues, toi ? s'étrangla Ravage.
- Cela vaut mieux plutôt que d'embarrasser les tiroirs !
Sha ne disait rien. C'était bien de son frère de faire de tels cadeaux et d'en parler à personne ! Elle se leva, lui mit les bras autour du cou et l'embrassa sur la joue.
- Tu es le meilleur, chuchota-t-elle.
Sharly fit écho.
- N'as-tu pas honte de cacher de pareils talents ?
- Juste en sculpture ! protesta Simon.
- C'est sûr que pour la flûte..., rétorqua Sharly, impitoyable.
- Tu m'aurais donné un tambour, je m'en serais débrouillé. Mais une flûte ! Je n'ai pas ton talent, mais au moins, tu es sûr quand c'est moi quand je t'appelle. Personne ne peut m'imiter, tellement j'en joue mal !
Laurane avait retrouvé la flûte dont Simon s'était servi pour appeler Sharly et elle la tendit au centaure.
- Tu veux bien m'en jouer un morceau ?
- Mais je...
- Simon a dit que tu avais du talent.
Le centaure foudroya son ami du regard et Simon éclata de rire.
- Je crois que je viens de te rendre la monnaie de ta pièce !
- Je voulais que cela reste secret, Simon, grommela Sharly.
- C'était pareil pour moi, je te signale.
Dans un soupir, Sharly prit la flûte et la porta à ses lèvres. Des trilles joyeux et légers se fondirent dans l'air en une musique superbe. Le centaure avait vraiment un talent.
Ce fut donc en musique que deux inconnus se joignirent au groupe. Il s'agissait d'un jeune homme et d'une jeune femme, montés sur des hippogriffes transformés, et accompagnés d'un chien de guerre. Sharly les aperçut du coin de l'oeil et sa mélodie devint plus dynamique, aux sonorités pleines et fortes. Simon eut un gentil sourire ironique.
- Salut à vous, étrangers !
Les yeux ambre du nouveau venu croisèrent ceux du jeune homme et il dit lentement :
- Inutile de nous présenter, vous nous avez déjà reconnus.
- En effet, Varaxador, répondit nettement Simon.
Varaxador ! Il s'agissait donc du dieu du combat et la jeune femme qui l'accompagnait devait être son épouse, Brynhild. Sharly arrêta brutalement de jouer, arrachant la flûte de ses lèvres, et se rapprocha de Simon. Il ne souriait plus et on visage avait retrouvé son aspect peu avenant. Il craignait visiblement une attaque des dieux. Brynhild éclata d'un rire argentin et sauta à bas de son hippogriffe.
- Ne craignez rien de nous ! Illustra nous envoie.
- Tout le monde sait que vous faites parties de dieux neutres. Vous ne recevez pas d'ordres d'Illustra, intervint Sha, une lueur de défi brillant dans ses yeux gris.
- En théorie, oui, répondit doucement Varaxador. Mais Erza est allée trop loin en enlevant Sorcerak. C'est notre ami et nous ne tenons pas à ce qu'il lui arrive malheur.
- Et en quoi pouvez-vous faire quelque chose, puisque vous avez les mains liées par cette menace que Erza fait peser sur sa tête ?
Le dieu du combat eut un sourire éblouissant.
- Erza a toujours les mêmes règles du jeu : elle refuse que les dieux se mêlent du combat, mais elle accepte les mortels pour adversaires. Cela l'amuse.
- Pourtant, ils lui ont toujours donné du fil à retordre : Ukkraq d'abord, puis Sirius et ses amis.
- Mas tous l'ont payé de leur vie, rappela Brynhild.
- Que venez-vous faire ?
- Je croyais que Stel... Sunie t'avait annoncé notre venue, fit Varaxador, surpris.
- Pour m'apprendre à me battre ? Il suffira d'un sortilège d'Erza pour m'anéantir, alors c'est vraiment inutile de dépenser de l'énergie pour faire de moi un guerrier accompli !
Brynhild éclata de rire.
- Stellarys avait raison : vous êtes vraiment l'équipe qu'il nous faut ! Ce n'est pas pour te battre contre Erza que nous allons te former, mais pour que tu puisses vaincre les monstres qu'elle mettra sur ton passage.
Simon fit sauter un petit morceau de bois qui le dérangeait et releva la tête.
- Je crois sur ce point-là que Ravage saura parfaitement s'en tirer tout seul. Et au besoin, mon fouet viendra à son aide et suffira amplement.
Varaxador fronça légèrement les sourcils.
- Ne fais pas ta mauvaise tête, Simon ! N'oublie pas qu'un seul se présentera devant Erza. Les autres seront éliminés au fur et à mesure. Si Ravage est écarté avant toi, tu devras faire face seul.
- Et si c'est Laurane qui se retrouve devant Erza ? fit Simon, furieux. Vas-tu lui apprendre à se battre, à elle aussi ?
Varaxador regarda pensivement Laurane. La jeune elfe se força à soutenir le regard enflammé du dieu sans faiblir.
- Simon, reprit le dieu, ne me force pas à te révéler le futur. Je sais ce que je fais. Laurane n'aura pas besoin de mes services. Laisse-moi te guider, Simon.
- Non, Varaxador. Je suis têtu. Pourquoi Laurane ? Sera-t-elle écartée tout de suite ?
- Nous pouvons simplement te dire qu'elle possède un bijou qui la protégera plus efficacement que nos enseignements, intervint Brynhild.
- Alors elle ne craint rien.
- Elle ne craint rien de la part d'Erza ou d'Ordreth.
- Je vous obéirai.
D'un large geste, Varaxador éloigna les autres.
- De quelle arme sais-tu te servir ?
- Mon fouet et, à la rigueur, l'arc.
- L'arc ne sert que pour le combat à longue distance. Nous ne t'apprendrons que la lutte rapprochée. Sors ton fouet !
Simon obéit et déroula la longue et fine lanière incandescente. Face à lui, Varaxador dans son armure d'or.
- Attaque-moi ! N'hésite pas, je ne risque rien !
Le jeune homme fit claquer une ou deux fois son fouet, puis la lanière s'enroula soudainement autour de la jambe du dieu ; aussitôt, il tira et Varaxador, déséquilibré, serait tombé si Brynhild, dans un mouvement très vif, n'était venue le retenir. Le jeune dieu refit face et Simon attaqua de nouveau. Les seuls bruits que l'on entendait étaient les claquements du fouet et les pas précipités de la déesse.
- Tu ne cherches qu'à déséquilibrer l'adversaire ! fit Varaxador, mécontent. Ne peux-tu essayer de le tuer ?
- Oh, si !
Brusquement le dieu se sentit pris à la gorge : la lanière lui serrait le cou et lui chauffait désagréablement la peau.
- Parfait, Simon. Tu as une excellente rapidité de mouvement et tu manies plutôt bien ton fouet.
Brynhild délivra son époux de la lanière et se tourna vers le jeune homme.
- C'est maintenant moi que tu vas affronter.
Simon, qui jouait avec la fine lanière, la regarda d'un air ébahi. Brynhild eut un sourire carnassier.
- Vas-y ! Si tu me prends une fois en défaut, nous pourrons passer à une autre étape.
L'air hésitant, le jeune homme abattit son fouet vers la déesse. Mais celle-ci ne l'avait pas attendu et se ruait sur lui, ses yeux argentés brillant d'une étrange lueur inquiétante. Simon comprit qu'il lui fallait se défendre et son fouet fit de nouveau entendre le claquement sec qui lui était particulier. Brynhild ne se laissa pas démonter et attaqua d'un autre côté. Ses mouvements étaient aussi vifs que ceux de Simon et le jeune homme eut fort à faire pour ne pas être débordé. Au bout de quelques instants, ce chassé-croisé l'énerva prodigieusement et il fronça violemment les sourcils. Brynhild courait droit sur lui ; alors, d'un geste si rapide que personne, ou presque, ne le remarqua, il fit passer son arme dans sa main gauche et abattit le bras.
Brynhild s'arrêta net : son menton, coupé par le coup, saignait, et la lanière était enroulée autour de son cou, ce qui devait être dort désagréable, voyant l'air avec lequel elle regardait Simon. Celui-ci, d'un mouvement brusque, dégagea son fouet qu'il enroula tranquillement avant de le raccrocher à sa ceinture et dit sèchement :
- Je suis désolé, je ne voulais pas te blesser.
Sharly fit entendre un petit rire qui lui attira un regard noir de la part de Varaxador. Mais Brynhild, en entendant la réaction du centaure, reprit son contrôle et sourit.
- Ce n'est rien, voyons. Très efficace, ton changement de main. C'est un atout, d'être ambidextre. Je crois, Varaxador, que nous pouvons passer à l'épée. Tiens, Simon, voici la mienne.
Elle lui tendit une arme magnifique en argent étincelant. Rassuré, Simon prit l'épée et sourit à son tour. Face à lui, Varaxador dégaina lentement la sienne. Si le jeune dieu était un excellent combattant, Brynhild avait une rapidité de mouvements qui lui donnait un avantage sur son époux. Les deux épées se croisèrent, ainsi que les regards. Celui de Simon, marron, était tranquille ; celui de Varaxador, couleur d'or liquide, était flamboyant. Simon semblait mal manier son arme, mais son adversaire savait mesurer ses gestes et le jeune homme ne fut jamais blessé. Légère comme un oiseau, la pointe de l'épée de Varaxador touchait les parties du corps de Simon qu'il laissait sans défense.
- Contre, disait Varaxador. Encore touché. Contre. Ne laisse pas mon arme pénétrer ta défense. Contre-attaque. Reste vigilant, tu ne connais pas ton adversaire. Bien. Ne recule pas. C'est à l'adversaire de rompre.
Le jeune homme obéissait machinalement.
- Un pied que tu recules, c'est autant de terrain gagné par ton adversaire. A la guerre, il ne faut jamais perdre de terrain. Laisse-toi envahir par l'esprit de ton arme.
Simon redressa la tête, assura sa prise sur l'épée et sembla se transformer : il mena une attaque éblouissante, forçant Varaxador à reculer pied à pied, le désarma et posa la pointe de l'épée étincelante sur la gorge du dieu.
- C'est beaucoup mieux, reprit Varaxador, aucunement ému par la menace. L'épée est le prolongement de ton bras. Chaque arme a son esprit et si tu sais le manoeuvrer, tu seras toujours vainqueur.
Varaxador confia son épée à Brynhild qui vint se mettre en garde devant Simon. Le jeune homme se souvint qu'il tenait son épée, dont elle devait connaître l'esprit, et il ne pourrait pas la vaincre de la même façon que Varaxador. La technique de la jeune femme était très différente : alors que Varaxador restait calme et posé, guettant les moindres fautes adverses et ne reculant jamais, elle bondissait en tous sens, portant attaques sur attaques, feintant, reculant pour mieux avancer, forçant l'adversaire à suivre son rythme et à commettre la faute. Mais Simon avait retenu la leçon : il attendit, bien campé, l'épée dressée devant lui. L'élan de Brynhild se trouva cassé net et elle fut désarmée sans avoir compris comment. Varaxador rit doucement.
- Nous avons un bon élève, qui apprend vite.
La déesse reprit son arme et rendit la sienne à son époux. Elle regarda longuement Simon et dit gravement :
- Puissent Erza et Ordreth avoir pitié de vous tous !
- Pas de pitié, Brynhild ! lança aussitôt Sharly avec chaleur. De l'admiration !
- Alors la mort vous attend...
Sur ces paroles désabusées, les deux dieux repartirent comme ils étaient venus.
Texte © Azraël 1996 - 2002.
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