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Les fils de Tiernvael : Cinabre
Feuillemorte |
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Feuillemorte est un dragon hydride or-argent femelle. Elle a été adoptée par Azraël le 06 Janvier 2000 chez Downloadable Dragons.
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Cinabre et ses frères grandirent. L'aîné approchait de ses dix-neuf ans. Il passait la majeure partie de son temps avec Feuillemorte, la belle elfe qui l'avait quasiment élevé, ou avec Cinabre, le vieux dragon rouge ; il écoutait toujours avec attention les conseils que lui donnait son père et il faisait déjà partie des chevaliers cyriques, d'où il se distinguait par la ferveur qu'il avait à satisfaire Shuqra. Il partait souvent en mission, seul de son ordre, accompagné de Feuillemorte, et à chacun de ses retours, il ne manquait jamais de passer voir Cinabre avant de retourner chez ses parents.
La belle elfe ne le quittait jamais ; son regard d'or et d'argent était toujours posé sur lui, comme si elle avait assumé la charge de veiller sur lui, pour s'acquitter de la gentillesse dont Tiernvael faisait preuve à son égard. Le grand chevalier cyrique se souvenait encore des nuits que la jeune elfe avait passées à veiller sur Cinabre malade quand il était enfant, de la patience dont elle avait fait montre pour lui apprendre le savoir des elfes, de la bonté qu'elle avait toujours témoignée à l'enfant. Cinabre l'appelait dame Feuillemorte et agissait toujours avec un respect total à son égard. Quelques jeunes chevaliers cyriques ayant trouvé le moyen de médire de l'attachement de l'elfe et de Cinabre, le jeune homme avait vu rouge ; sans se départir de son calme, il avait consciencieusement rossé ses camarades, les avertissant que s'ils recommençaient à insulter dame Feuillemorte, le châtiment qu'il leur infligerait serait encore plus terrible. La jeune elfe l'avait pris à partie et lui avait expliqué avec beaucoup de gentillesse qu'il ne fallait pas réagir aussi violemment. Pour la première fois, Cinabre s'opposa à ses conseils et ne voulut jamais en démordre.
Tiernvael et Stil-de-grain observaient tout cela de loin, se gardant bien d'intervenir ; le dragon d'or admettait difficilement que Draghnien ou Shuqra pût avoir besoin de Feuillemorte et son humeur s'en trouvait affectée. Amoreena, elle, témoignait beaucoup de tendresse à Feuillemorte ; elle comprenait l'attachement de son fils aîné pour la jeune elfe et ne semblait pas lui en vouloir pour la préférence dont elle était l'objet.
Smalt avait quitté la maison deux ans plus tôt, à quatorze ans, pour commencer sa carrière d'aventurier. Tomax, treize ans, était déjà plongé dans les livres de magie, parlant rarement, mais quand Cinabre parvenait à le sortir de sa réserve, il était émerveillé de la sagesse de son frère.
L'année des dix-neuf ans de Cinabre fut riche en événements. Tout d'abord, Smalt revint à la maison ; il avait maigri, ses cheveux étaient bien trop longs, mais ses yeux brillaient comme des soleils. Pour son malheur, Amoreena remarqua une petite cicatrice au niveau du cou et le soumit à un examen complet ; elle faillit défaillir d'horreur : Smalt avait le torse traversé par quatre cicatrices, dont la dernière était visiblement assez récente. Il en arborait quelques autres ici ou là, mais ne semblait pas s'en soucier outre mesure. Quand Tiernvael vit l'état de son épée, il comprit que son fils avait dû sérieusement en découdre : le fil en était ébréché et la lame avait perdu de son tranchant. Sans rien dire, il la confia à l'armurier cyrique et en profita pour donner à son fils une leçon sur la façon d'entretenir son arme. Ensuite, Tomax, un des plus jeunes apprentis magiciens, parvint à lancer un sort particulièrement difficile, que son maître lui-même avait appris après de longues années d'étude. Cinabre félicita chaleureusement son frère et si le maigre visage de Tomax ne trahit pas la moindre joie, ses yeux sombres étincelaient de plaisir.
Peu après ces retrouvailles, Cinabre fut envoyé en mission ; comme d'habitude, Feuillemorte l'accompagna. Smalt aurait bien voulu faire de même, mais Amoreena le lui interdit formellement. Cinabre et Feuillemorte partirent donc tous les deux pour aller découdre un monstre qui terrorisait la région et faisait fuir les fidèles du temple de Shuqra, car il avait installé son antre dans le lieu sacré même.
Leur chemin ne fut pas très long, mais la nuit tombait déjà quand ils arrivèrent au temple. Cinabre refusait généralement d'observer l'ennemi avant de le provoquer ; il allait droit à lui et le défiait en duel. Malgré toute sa persuasion, Feuillemorte n'avait jamais pu le faire démordre de cette habitude, qui ressemblait étrangement à une manifestation du mauvais caractère du vieux dragon rouge. Se présentant à la porte du temple, ils rencontrèrent une jeune femme elfe d'une merveilleuse beauté. Malgré lui, Cinabre ne put s'empêcher de l'admirer.
- Ma dame, dit-il fermement, vous ne devriez pas rester ici. Un monstre rôde dans les environs et il pourrait s'attaquer à vous. Dame Feuillemorte, veuillez accompagner cette dame à l'abri, je vous prie.
La jeune femme elfe attacha sur lui le regard ardent de ses prunelles ensorceleuses.
- Soyez-en remercié, sire chevalier, murmura-t-elle d'une voix mélodieuse.
Cinabre inclina la tête ; malgré sa sévérité, il n'aurait jamais offensé une dame en ne lui prêtant pas toute l'attention nécessaire. Feuillemorte entraîna l'elfe inconnue à l'extérieur du temple, tandis que Cinabre dégainait son épée et entrait dans le lieu sacré. Il y trouva trois hommes dont l'un d'eux, un guerrier, se leva dès qu'il le vit.
- Où est Alis ? demanda-t-il aussitôt.
- Si vous parlez de la jeune femme elfe, répondit poliment Cinabre, je l'ai mise en sécurité avec dame Feuillemorte.
Le jeune homme restait maître de lui, mais il commençait à être sérieusement intrigué. On disait qu'un monstre avait élu domicile dans le temple même, or il n'y avait que ces trois hommes et la jeune elfe. Il n'aurait su dire quand la vérité commença à lui apparaître. Et puis, il entendit un appel :
- Cinabre ! A moi !
- Dame Feuillemorte !
Le jeune homme bondit hors du temple, oubliant complètement les trois hommes qui lui emboîtèrent le pas. Un peu à l'écart, Feuillemorte se débattait contre une étrange créature à la fourrure argentée. Cinabre n'en parut pas étonné : il avait compris qui était Alis en réalité. Il bondit sur la renarde-garou, l'écartant de Feuillemorte qui se releva, haletante. Elle aurait pu se débarrasser de son adversaire en reprenant sa forme de dragon, mais quelque chose l'avait retenue. Elle observa le combat entre Cinabre et la renarde-garou. Celle-ci reprit sa forme d'elfe et tendit les bras vers le chevalier en murmurant doucement des paroles enamourées. Cinabre la regarda, restant de glace, mais son code de chevalerie lui interdisait de tuer une femme. Il ne fit donc pas le moindre mouvement. Agissant alors avec une rapidité inouïe, Alis se jeta sur Feuillemorte et la renversa à terre, reprenant sa forme d'hybride renard, cherchant de ses crocs la gorge de la jeune elfe. Celle-ci n'eut même pas le temps d'avoir peur : une poigne de fer souleva Alis de terre et la lame de Cinabre ôta toute vie du corps de la renarde-garou. Les trois hommes se ruèrent sur lui ; abandonnant sa victime, Cinabre se tourna vers ses trois adversaires. Son visage mince ne montrait pas la moindre peur et dans ses yeux, il y eut une mauvaise lueur et toute la hargne du vieux dragon rouge envahit son sang. Il leva son épée magique, dont il ignorait totalement les capacités, son père lui ayant dit qu'il les trouverait au fur et à mesure. Les trois hommes chargèrent en même temps ; sans le moindre effort, Cinabre décapita le premier, blessa assez sérieusement le deuxième et plongea son épée dans le corps du troisième. Ayant mis ses adversaires hors de nuire, il alla s'assurer que la renarde-garou était bien morte, puis revint auprès de Feuillemorte. La jeune elfe était agenouillée par terre, encore choquée de l'attaque d'Alis.
- Oh, Cinabre ! parvint-elle à dire.
- Dame Feuillemorte ! Etes-vous blessée ? s'enquit le jeune homme en s'agenouillant à côté d'elle.
La jeune elfe se mit brusquement à pleurer. Embarrassé, Cinabre lui prit une main et la tapota doucement.
- Allons, dame Feuillemorte...
Timidement, il lui entoura l'épaule de son bras ; l'elfe se blottit contre lui avec un violent sanglot. De saisissement, Cinabre laissa tomber son épée.
- Tu pourrais faire attention ! lança une voix de mauvaise humeur. A-t-on idée de me traiter pareillement ?
Cinabre comprit immédiatement qui parlait quand il vit son épée se trémousser sur le sol. Il la reprit et la glissa dans son fourreau.
- Je suis désolé, dit-il de sa voix grave. Je ne sais pas quoi faire pour que dame Feuillemorte se calme.
- Prends-la dans tes bras, imbécile, fit la lame avec un reniflement dédaigneux, et serre-la contre toi. Tu ne connais donc rien aux femmes ?
- Non, admit Cinabre sans fausse honte.
- Mon précédent maître était très doué dans ce domaine, se rengorgea l'épée.
- Oui, eh bien, nous continuerons cette conversation une autre fois, rétorqua Cinabre avec fermeté. Tais-toi.
Néanmoins, il suivit les conseils de l'épée et serra doucement Feuillemorte contre lui, l'entourant de son autre bras. La jeune elfe, toujours secouée de sanglots, lui mit les bras autour du cou et cacha sa tête contre son épaule. Cinabre, totalement décontenancé, leva les yeux vers le ciel, comme pour y demander secours.
- O dame Shuqra, aide-moi ! murmura-t-il silencieusement.
- Shuqra ne t'aidera pas, fit la voix railleuse de son épée. C'est moi qui suis chargée de t'aider.
- Qu'attends-tu pour le faire ?
- Mais tu m'as dit de me taire ! protesta l'épée.
- D'accord, s'impatienta Cinabre. Mais utilise la télépathie, si tu as ce pouvoir, pour éviter que dame Feuillemorte ne t'entende !
- Pour qui me prends-tu ? s'exclama l'épée dans sa tête. Bien sûr que je dispose de la télépathie !
- Que dois-je faire ? demanda mentalement Cinabre.
- Pour l'instant, tout a l'air de bien aller, constata l'épée.
- Tu es vraiment impossible ! Je crois que je préférais quand tu te taisais et que tu te contentais d'être une simple épée.
- Tu as aussi mauvais caractère que Cinabre, le dragon rouge !
- Normal, rétorqua Cinabre. C'est mon parrain.
- Je viens de son trésor, dit l'épée avec fierté. C'est lui qui a demandé à ton père que je te sois donnée. Bon, visiblement, tu ne sais pas ce qu'il se passe avec Feuillemorte.
- Non, fit Cinabre. Elle a toujours été si maîtresse d'elle-même !
- Je suppose que Shuqra ou Draghnien a dû lui parler de sa mission et elle en a été bouleversée, expliqua l'épée d'un ton condescendant.
Cinabre serra les dents, se demandant ce qui le retenait de briser cette épée contre un rocher.
- Je vais éclairer ta lanterne, continua la lame de son ton supérieur. Shuqra a voulu que Feuillemorte soit toujours en ta compagnie parce qu'elle a été destinée à être ta femme.
Cinabre haussa les épaules.
- C'est sûr ! pensa-t-il. Cette épée est folle !
- Arrête de m'insulter, je te prie ! s'exclama l'épée, scandalisée.
- Tais-toi, ordonna Cinabre. Laisse-moi tranquille avec tes histoires sans queue ni tête !
Il reporta toute son attention sur Feuillemorte, dont les larmes semblaient ne jamais vouloir se tarir. Malgré lui, il repensa à ce que lui avait dit la lame. Doucement, il repoussa en arrière les deux plumes au niveau de l'oreille droite et caressa la belle chevelure d'or. Feuillemorte releva la tête et son regard d'or et d'argent empli de larmes frappa douloureusement le jeune homme.
- Je... je suis désolée, Cinabre, murmura la jeune elfe.
- Ce n'est rien, dame Feuillemorte, lui assura le jeune chevalier de sa voix grave.
De sa grande main, il effaça une petite trace de sang sur la joue de la jeune elfe. Celle-ci se mit à trembler.
- Vous ferais-je peur, dame Feuillemorte ? demanda Cinabre.
- Jamais de la vie, Cinabre ! protesta-t-elle. Tu t'es battu courageusement pour me défendre. Mais tu as peut-être eu tort.
Cinabre allait dire quelque chose, mais elle l'en empêcha.
- Non, attends, laisse-moi finir. Tu es en âge de te marier, maintenant, Cinabre. Tu as dix-neuf ans, une solide réputation et beaucoup de jeunes filles soupirent sur ton passage.
Le jeune homme rougit.
- Quand tu te marieras, ta femme pourrait prendre ombrage du fait que nous n'avons jamais été séparés. Tous savent que je ne fais pas partie de ta famille et ils se posent des questions sur ma présence.
- Dame Feuillemorte, je ne les laisserai pas vous calomnier !
- Je sais, Cinabre. Je te connais bien, dit-elle avec un sourire nostalgique. Aussi je pense que la meilleure solution serait que je m'en aille. Il est temps pour moi de partir pour ne plus entraver ta destinée.
Sans effort, Cinabre se releva, gardant Feuillemorte serrée contre lui.
- Il n'en est pas question, dame Feuillemorte, répondit-il et son visage se ferma plus encore que d'habitude. Si ma future femme vous considère comme une gêne, elle cherchera ailleurs un autre prétendant. Voilà tout. D'ailleurs, j'ai encore tout le temps pour me marier. Nous rediscuterons de tout cela plus tard.
- Non, Cinabre. Il n'y aura aucune proposition tant que je serai dans les parages. Les pères n'ont pas envie de voir leur fille bien-aimée évincée par... par une vulgaire elfe !
- Evincée ? répéta Cinabre, les yeux ronds. Je ne comprends pas.
Feuillemorte rougit à son tour.
- Tu n'écoutes donc pas les rumeurs, Cinabre ? Les gens pensent que je... que toi et moi...
Devant l'embarras de la jeune elfe, le chevalier cyrique comprit et son visage s'empourpra de colère.
- Ils osent ! gronda-t-il. Je vais leur montrer...
- Leur montrer quoi, Cinabre ? S'ils nous voyaient actuellement, ils seraient sûrs d'avoir raison, quoi que tu leur jures. C'est pourquoi je dois disparaître.
Cinabre resserra l'étreinte de son bras autour de la taille de la jeune elfe et secoua la tête.
- Non, dame Feuillemorte. J'ai suivi vos conseils pendant treize ans sans presque jamais discuter ; maintenant, vous allez suivre le mien. Vous reviendrez avec moi à la maison mère cyrique. Le premier que j'entends médire de vous, je le provoque en duel.
- Ils seront encore plus persuadés de la justesse de leur raisonnement, objecta Feuillemorte en essayant de se dégager.
Les yeux d'or liquide de Cinabre étincelèrent.
- Vous avez peur de moi, dame Feuillemorte, constata-t-il calmement.
- Ce n'est pas vrai, Cinabre, et tu le sais.
- Vous avez peur de ce que je pourrais faire, reprit le jeune homme. A vous ou aux autres. Suis-je donc une bête assoiffée de sang ?
- Non, Cinabre ! se défendit Feuillemorte, semblant au supplice. Non, ne crois pas cela !
- Alors pourquoi voulez-vous partir loin de moi ? Me suis-je mal comporté à votre égard ? Vous ai-je offensée sans le vouloir ?
- Mais je te l'ai expliqué ! Les calomnies...
- Elles ne me touchent pas. Elles ne devraient pas vous gêner non plus, puisque vous connaissez la vérité et que nous pouvons le prouver.
Feuillemorte baissa les yeux. Les questions de Cinabre et surtout, son regard aux profondeurs méditatives, toujours aussi candide malgré les épreuves qu'il avait traversées, la mettaient à la torture. Doucement, Cinabre lui releva le menton. En sentant la chaleur de la grande main brune contre sa peau, Feuillemorte laissa les larmes envahir ses yeux d'or et d'argent. Cinabre mit sa main tout contre la joue de la jeune elfe, effaçant de son pouce les pleurs au fur et à mesure qu'ils apparaissaient.
- Je t'en prie, Cinabre, laisse-moi partir ! Cela vaudra mieux pour nous deux, je te l'assure !
- Pourquoi voulez-vous partir ? répéta le jeune homme.
La lèvre inférieure de Feuillemorte se mit à trembler et elle détourna le regard. Lentement, Cinabre reprit :
- Je crois que je le sais. Vous voulez que je le dise ? Les calomnies des gens vous blessent parce que l'amour que vous me portez est aussi pur que vous et vous craignez de laisser échapper ce terrible secret qui vous discréditerait aux yeux de tous, et aux miens en premier.
Voyant que Feuillemorte essayait à tout prix de cacher son visage, Cinabre sut qu'il avait raison. Il posa ses lèvres sur la tempe de la jeune elfe. Celle-ci le repoussa avec l'énergie du désespoir.
- Jamais ! Jamais je ne te laisserai faire cela ! cria-t-elle en échappant à l'étreinte de ses bras.
Cinabre la regarda sans bouger.
- Dame Feuillemorte, pourquoi continuer à me fuir ? Je partage votre secret.
- Non, Cinabre ! Parce que j'en ai un autre, autrement plus terrible !
Voyant que Cinabre prenait un air perplexe, elle réunit son courage, et dans un cri de désespoir le plus total, elle reprit sa forme véritable de dragon hybride. Le jeune homme reconnut le dragon qui lui avait posé la première question lors de son initiation et son visage se ferma. Feuillemorte vit le changement d'expression sur les traits de Cinabre. Elle le regarda avec amour, puis parla avec une infinie douceur :
- Ecoute-moi, mon bien-aimé. Tu ne peux pas savoir la peine que je ressens à l'idée de te quitter, mais le moment est venu pour moi de partir. Tu es assez grand pour supporter mon absence. Sache que ton attitude envers moi fut la plus douce des consolations. Personne ne m'avait traitée comme tu l'as fait. Pour cela, sois remercié, même si cette gentillesse a fait naître dans mon coeur cet amour qu'il n'y aurait jamais dû avoir. Tu vois, maintenant que tu connais ma véritable identité, toi aussi, tu recules. Comprends-tu pourquoi les gens avaient peur de nous voir toujours ensemble ? Presque tous savent qui je suis et ils croyaient que tu étais au courant aussi. Ils s'interrogeaient sur celui qui paraissait aimer un dragon. Adieu, mon bien-aimé. Ne renie pas tout ce que je t'ai appris, même si tu me détestes. Pardonne-moi cette mascarade. Tu oublieras mon souvenir.
Le dragon hybride étendit ses ailes et se prépara à s'envoler.
- Dame Feuillemorte ! appela Cinabre.
Le dragon ferma les yeux ; dame Feuillemorte n'était plus.
- Feuillemorte ! cria le jeune homme, une étrange intonation dans la voix.
L'hybride tourna les yeux vers Cinabre.
- Ne pars pas, implora-t-il. Je t'en prie, ne pars pas !
Pour la première fois depuis qu'elle connaissait Cinabre, Feuillemorte vit le jeune homme pleurer alors qu'il tendait les mains vers elle. Malgré elle, elle se transforma de nouveau en elfe et s'approcha de lui.
- Ne pleure pas, Cinabre ! murmura-t-elle, bouleversée. Tu m'oublieras...
Il la regarda avidement, comme si elle allait s'évanouir dans les airs l'instant d'après.
- Ne pars pas, répéta-t-il. Reste avec moi...
Il tomba à genoux devant elle.
- S'il te plaît, Feuillemorte, ne pars pas...
- Relève-toi, Cinabre, dit la jeune elfe avec nervosité. Tu ne dois te mettre à genoux devant personne, voyons !
Mais le jeune homme, des larmes pleins les yeux, ne l'écoutait pas.
- Tu as dit que tu m'aimais, fit-il avec désespoir. Comment peux-tu partir si tu m'aimes ?
- C'est pour ton bien, mon Cinabre, balbutia Feuillemorte.
- Pour mon bien ! éclata Cinabre. Mais je vais mourir si tu pars !
En entendant ce cri du coeur, Feuillemorte s'élança et prit la tête du jeune homme entre ses mains.
- Répète, dit-elle, oppressée, répète ce que tu viens de dire !
- Si tu pars, c'est comme si tu me plantais un poignard dans le coeur, expliqua-t-il d'une voix brisée en se redressant. Je ne peux pas vivre sans toi.
Il ne faisait pas un mouvement pour l'attirer à lui, ni pour se dégager de ses mains ; il restait là, debout devant elle, la regardant de ses yeux emplis de chagrin. Avec un faible cri de joie, Feuillemorte s'élança en avant et plaqua ses lèvres contre celles de Cinabre. Le jeune homme ne bougea pas ; il croyait sans doute que c'était un baiser d'adieu. Mais la jeune elfe se blottit contre la large poitrine du jeune chevalier, l'entourant étroitement de ses bras.
- Oh, je ne croyais pas que tu m'aimais à ce point ! bégaya-t-elle. Je ne savais pas, mon Cinabre... Oh ! Si tu m'aimes en sachant qui je suis, je reste avec toi ! Je reste avec toi jusqu'à la fin des temps !
Rompant alors son immobilité, Cinabre entoura la jeune elfe de ses bras et la serra contre lui avec passion.
- Eh bien, tu vois ! gouailla son épée dans le silence de son esprit.
- Tais-toi ! lança fermement Cinabre.
Le retour de Cinabre ne passa pas inaperçu : il tenait la main de Feuillemorte étroitement serrée dans la sienne et son regard d'or se posait sur chaque personne qu'il rencontrait, comme pour la mettre au défi de faire une remarque. Les chevaliers cyriques accueillirent leur compagnon avec enthousiasme et le félicitèrent chaleureusement : avec le temps, le respect de Feuillemorte leur était venu et ils auraient tous donné leur vie pour elle. Aussi le premier inconscient qui se permit de railler l'amour que se portaient Cinabre et Feuillemorte se vit fusiller par le regard de tous les chevaliers cyriques présents à la maison mère et jugea finalement qu'il serait peut-être plus prudent d'aller faire un tour ailleurs.
Stil-de-grain regarda le nouveau couple avec des yeux exorbités et se tourna vers Tiernvael, la bouche s'ouvrant déjà pour protester. Mais il remarqua aussitôt le léger sourire satisfait qu'arborait le chevalier et il se tut, se promettant d'avoir ultérieurement une explication avec son dieu. Smalt félicita son frère, mais son regard était éteint ; Cinabre, qui connaissait bien son frère, lui broya amicalement l'épaule. Il savait que Smalt regrettait parfois la voie qu'il avait choisie, la voie des aventuriers méprisés par les gens, mais Smalt était trop torturé par l'appel de la liberté pour renoncer à l'aventure. Il repartit brusquement, sans prévenir, et, en se réveillant un jour, Tiernvael ne le trouva plus dans la maison.
Texte © Azraël 1997 - 2002.
Feuillemorte est arrivée de Downloadable Dragons en 2000.
Bordure et boutons Fire drake, de Silverhair
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