Les fils de Tiernvael : Smalt

Smalt de Cérulacier
Smalt
   Smalt de Cérulacier est un dragon bleu mâle. Il a été adopté par Azraël le 15 Décembre 1999 chez Downloadable Dragons.

   Smalt était souvent rejoint dans ses pérégrinations par le dragon bleu dont il portait le nom. Bien sûr, leur association ne passait guère inaperçue et, généralement, ils trouvaient les villages vides à leur passage. Les dragons bleus n'étaient pas réputés pour leur sociabilité et les hommes en avaient peur. Bientôt, la rumeur populaire désigna Smalt de Rougevallée comme "le sorcier bleu" et ce n'était guère un compliment dans leur bouche. Smalt en souffrait, mais il cachait sa peine sous des remarques ironiques qu'il lançait avec un petit sourire. Il passa dans un village, seul, Smalt de Cérulacier s'étant éloigné. Il s'assit à une table dans une auberge et commanda un repas. L'aubergiste le toisa de haut en bas, remarquant les nombreux accrocs dans ses vêtements et l'imposante épée qui pendait à son côté. Il n'était pas rare de voir des armes dans la ville, mais cela se réduisait généralement à une simple dague.
    - Je ne sers pas les aventuriers, déclara-t-il avec un reniflement de mépris.
   Smalt soupira et se releva. Il regarda un instant l'aubergiste, puis tourna les talons. En sortant de l'auberge, il remarqua une jeune fille qui traversait la route pavée, alors qu'un groupe de cavaliers arrivait au grand galop. Sans réfléchir, Smalt déboucla sa ceinture, laissant tomber son épée à terre dans un grand fracas métallique, et plongea sur la jeune fille. Il l'attrapa par la taille et roula sur les pavés en la protégeant de son mieux, hors de la route. Il avait à peine touché le sol que le premier cavalier passait près de lui sans lui accorder un regard. Dès que la troupe fut passée, Smalt se releva, tenant toujours la jeune fille serrée contre lui ; il la sentait trembler dans ses bras, alors qu'elle réalisait le danger auquel elle venait d'échapper. Elle remercia son sauveur avec effusion, mais Smalt, sachant bien ce qui allait se passer, coupa court à ses démonstrations et recula le plus vite qu'il put. Un homme surgit de sa maison et attrapa la jeune fille par le bras.
    - Rentre tout de suite ! gronda-t-il. Et toi, vaurien, que je ne te voie plus jamais approcher ma fille !
    - Mais, père ! protesta la jeune fille. Il m'a sauvée !
    - Fais ce que je te dis, Isaline.
   Mais la jeune fille se dégagea et s'approcha de Smalt. Elle le regarda dans les yeux, ces magnifiques yeux d'un bleu profond, et déclara gravement :
    - Qui que vous soyez, je vous dois la vie. Soyez-en remercié.
   Elle se pencha légèrement et déposa un baiser sur la joue froide de Smalt qui restait pétrifié de stupeur. Reprenant ses esprits, il répondit d'un ton un peu amer :
    - Vous feriez mieux de m'oublier, ma dame. Adieu.
   Il tourna les talons et revint devant l'auberge où il récupéra son épée qui gisait toujours sur les pavés. Isaline, de la porte de sa maison, le regarda boucler sa ceinture et reprendre ses affaires qu'il chargea sur son dos. L'aubergiste s'avança alors et posa sa main sur l'épaule de Smalt.
    - Reste ici, dit-il d'un ton bourru. Tu as gagné le droit de manger.
   Smalt le regarda avec des yeux stupéfaits.
    - Tu as sauvé Isaline et peu de gens auraient eu ton courage. Entre.
   Smalt le suivit docilement, essayant de comprendre ce qui avait bien pu faire pencher la balance en sa faveur.
   L'aubergiste n'eut pas à regretter sa générosité : toute la soirée, Smalt, retrouvant la gaieté qui lui était coutumière et qui cachait surtout une tristesse sans âge, raconta des histoires drôles et passionnantes, qui fascinèrent le public et l'aubergiste fit ce soir-là la meilleure affaire de toute une année. Mais le lendemain matin, à l'aube, son client avait disparu, laissant pour seules traces de son passage quelques pièces d'or qui payaient amplement la nuit qu'il avait passée à l'auberge. Smalt de Cérulacier rejoignit le jeune aventurier quand il fut hors de vue de la ville ; quand le regard d'or du dragon croisa les yeux bleus de Smalt, il comprit qu'une fois encore, il avait été l'objet d'une rebuffade.
    - Tu ferais mieux de venir vivre avec les dragons, grogna-t-il. Ils ne s'occupent pas de savoir si tu es aventurier ou non.
    - Je ne peux pas, Smalt. Je suis un homme, pas un dragon, hélas !
   Il eut un sourire moqueur qui servit à cacher sa tristesse. Son ami le dragon ne savait pas lui-même quelle était la profondeur de sa peine ; seul Cinabre s'en doutait, car son regard d'or aux profondeurs méditatives ne laissait rien lui échapper et il avait toujours en lui la sensibilité qui lui avait soufflé les paroles qu'il devait dire quand Feuillemorte était venue vers lui pour la première fois. Tout le long du chemin, Smalt plaisanta et rit, et son ami le dragon crut que sa peine n'avait été que passagère et son inquiétude se calma. Mais dans le coeur tourmenté de Smalt, il n'y avait plus de place pour la paix.
   Les deux amis continuaient leur errance et, de temps en temps, Smalt proposait ses services à de pauvres gens qui voulaient être débarrassés d'une bête malfaisante qui ravageait leurs cultures ou tuait les enfants. Il n'exigeait pratiquement rien en paiement, juste de quoi manger et une grange pour passer la nuit. Le dragon bleu partit après trois mois d'errance et promit de revenir avec des nouvelles toutes fraîches. Smalt le regarda partir avec un peu de tristesse : il aimait la liberté, mais il n'appréciait pas vraiment la solitude. Il continua sa route, tentant de noyer sa solitude et sa tristesse qu'il avait de plus en plus de mal à dissimuler dans les aventures les plus dangereuses qu'il put trouver. Son corps s'orna de nouvelles blessures auxquelles il ne laissait pas le temps de guérir et qui, mal soignées, devinrent de larges cicatrices rougeâtres. Mais son visage restait intact et ses yeux bleus brillaient toujours de malice. Les mois passèrent et Smalt de Cérulacier n'était toujours pas revenu. Lentement, comme à regret, Smalt prit le chemin du retour et il passa par la ville où il avait rencontré la jeune Isaline. En l'absence de Smalt le dragon, il s'était acheté un cheval, une bonne bête solide, taillée pour la course et la résistance. Il allait donc tranquillement sur sa monture, regardant autour de lui avec son grand sourire naïf éclatant de blancheur. En arrivant dans la ville, il remarqua aussitôt l'agitation qui y régnait. Fronçant les sourcils, il contourna soigneusement la grande place et laissa son cheval un peu plus loin, les rênes pendantes ; l'animal était bien dressé et il ne risquait rien. Il revint sur ses pas et alla voir ce qu'il se passait sur la grande place. On y avait érigé une sorte d'autel devant lequel se trouvaient trois prêtres vêtus de noir, attribut réservé aux sacrificateurs. Deux hommes traînaient une jeune fille en robe blanche, les yeux bandés, qui appelait :
    - Père ! Je t'en prie, père, viens à mon secours !
   Sa voix frappa Smalt en plein coeur : c'était la voix douce d'Isaline, déformée par la peur et le désespoir. Autour d'elle, personne ne faisait un geste pour se porter à son secours. Jouant des coudes, Smalt se rapprocha de la jeune fille prisonnière. Les deux hommes qui la maintenaient l'étendirent à moitié sur l'autel et l'un des prêtres leva au-dessus de sa tête une coupe emplie d'un liquide rouge sombre. Du sang. Smalt frémit. Lentement, avec des gestes dignes et réservés, le prêtre versa le liquide sur la gorge d'Isaline et sa robe blanche s'imbiba de sang. C'en fut trop pour Smalt. Alors que le prêtre levait son couteau sacrificiel en psalmodiant des paroles que le jeune aventurier n'entendit pas, le fils de Tiernvael bondit en avant, estourbit l'un des gardes, écarta l'autre d'un coup de pied et saisit la jeune fille dans ses bras puissants. Se retournant vers la foule, la tête fièrement dressée, le regard étincelant de colère, il rugit :
    - Place ! Place !
   Et il s'avança vivement, à grands pas, serrant contre lui le précieux fardeau dont il s'était chargé. Son visage était si terrible et si féroce que la foule s'écarta peureusement devant lui, refermant les rangs derrière lui ; il avait agi si rapidement que personne n'avait eu le temps de réagir, puis le prêtre frustré de sa victime s'exclama :
    - Rattrapez-les et ramenez-les-moi vivants !
   Quelques hommes en armes s'élancèrent derrière le fuyard, mais Smalt avait tout prévu. Il n'avait pas survécu jusque ici pour laisser tout au hasard. Il était déjà à cheval et la bonne bête intelligente partit sans même en attendre l'ordre, car elle sentait l'impatience de son maître. Serrant Isaline de son bras gauche et tenant les rênes de la main droite, Smalt guidait sa monture des genoux et jetait par-dessus son épaule de nombreux regards ; il finit par apercevoir un nuage de poussière. La poursuite avait commencé. Il n'y aurait pas eu Isaline, il se serait arrêté pour faire face, mais il venait d'arracher la jeune fille à ses tortionnaires et il ne comptait pas la laisser retomber dans leurs griffes. Il dirigeait son cheval vers le petit bois qui se dressait non loin de la ville, quand une grande ombre vint planer au-dessus de lui. Il leva la tête et poussa un soupir de soulagement en voyant Smalt le bleu planer paresseusement dans les airs.
    - Smalt ! Débarrasse-moi de mes poursuivants ! cria-t-il.
   Alors que le dragon partait déjà, il rajouta :
    - Et pour une fois, je te donne le droit de les faire griller !
   A la lisière du bois, il se laissa glisser de cheval et examina la jeune fille. Sa robe blanche était déchirée, souillée de sang et les cheveux blonds retombaient en désordre de chaque côté de son visage maculé de sang. Il ôta doucement le bandeau qui avait glissé et fut aussitôt frappé par le beau regard vert à l'éclat de bête traquée.
    - Qui êtes-vous ?
    - Un inconnu, répondit Smalt avec son sourire irrésistible. Ayez confiance, vous êtes en sécurité.
    - Mon père vous a chargé de me sauver ? demanda-t-elle avec anxiété.
   Lentement, plein de chagrin, Smalt secoua négativement la tête. Isaline s'effondra en pleurs contre lui. Smalt resta silencieux, serrant dans ses bras ce corps agité de sanglots violents, et il contemplait gravement la tête charmante qui s'était abandonnée contre son épaule. Soudain, Isaline releva la tête.
    - Pourquoi m'avez-vous sauvée ? demanda-t-elle d'une voix hachée.
    - Parce que, il y a un an, dans cette même ville, vous avez effleuré ma joue de vos lèvres, moi que l'on venait de chasser indignement d'une auberge, répondit simplement Smalt.
   Son visage mince encadré par ses cheveux d'un noir bleuté trop longs avait perdu toute la malice qu'il arborait habituellement et il avait pris un air sérieux et grave qui lui allait étrangement bien, lui donnant un vague air de ressemblance avec son père, le fier et solide Tiernvael. Isaline éclata d'un rire nerveux.
    - Et vous avez risqué votre vie pour ce simple geste ?
    - Oui.
   La réponse était nette et claire. Isaline, étonnée, regarda longuement l'étrange jeune homme qui se tenait devant elle, le regard d'un bleu profond aux yeux sans cesse en mouvement, les vêtements simples, usés et tachés de sang, la lourde épée au côté et les cicatrices qui constellaient son corps.
    - Pour un baiser, vraiment ! reprit-elle en riant.
    - Oui, répéta Smalt.
   Alors Isaline lui entoura le cou de ses bras et pressa ses lèvres contre les siennes. Smalt n'effectua pas un mouvement, ni pour se dégager, ni pour serrer plus étroitement la jeune fille contre lui. Isaline couvrit son visage de baisers, puis elle murmura :
    - Puisque pour un seul baiser, vous avez risqué votre vie pour moi, que ferez-vous pour tous ceux que je viens de vous donner ?
   Smalt l'écarta de lui et elle constata que ses yeux étaient mortellement froids.
    - Puisque vous placez votre confiance en moi, je vous donne ma vie et tout ce que je possède ; ordonnez et j'obéirai, sauf si cela va à l'encontre de mon honneur.
   Isaline fit un pas vers lui, mais il recula d'autant.
    - Non, ma dame, nous en resterons là. Je croyais avoir sauvé une pure jeune fille, je m'aperçois que l'ange de bonté et de pureté que je m'étais imaginé est bien expérimenté et j'ai la lubie de ne pas vouloir faire partie de votre palmarès.
    - Maudit ! gronda une voix derrière lui. Comment oses-tu insulter Isaline ?
   Smalt pivota sur ses talons, dégainant son épée dans le même mouvement. Il se trouva face à un jeune homme armé, qui le regardait avec des yeux brûlants de haine.
    - Qui es-tu ? demanda calmement Smalt.
    - Je suis le fiancé d'Isaline et je t'interdis de la toucher ou même de lui parler !
    - Beau fiancé, qui laisse sa promise être menée à l'autel pour être sacrifiée ! rétorqua ironiquement le jeune aventurier.
    - Sale bâtard d'elvinn, je t'interdis de dire cela ! rugit le jeune homme.
    - Tiens, cela faisait longtemps que je ne l'avais pas entendue, celle-là ! constata tranquillement Smalt. Bon, si j'ai bien compris, tu veux me trucider ?
   Le jeune homme hocha la tête, puis ouvrit soudain de grands yeux.
    - Un... un dragon ! balbutia-t-il.
   Smalt ne se retourna même pas.
    - Tout est réglé, Smalt ? demanda-t-il.
    - Oui, grogna le dragon bleu. Dans quels ennuis t'es-tu encore fourré ?
    - Rien de très grave, rassure-toi. Je vais m'occuper de cela tout de suite.
   Le jeune homme en face de lui plissa dangereusement les yeux.
    - Tu es le sorcier bleu ! l'accusa-t-il. Viens ici, Isaline ! Ne reste pas en sa compagnie !
    - Non ! fit la jeune fille d'un ton bravache. J'ai confiance en lui.
    - En quel état voulez-vous que je vous le rende, ma dame ? demanda poliment Smalt. Juste blessé, infirme, mort... ?
    - Juste blessé, peut-être ? suggéra la jeune fille.
   Le jeune homme pâlit.
    - Isaline ! souffla-t-il. Comment... Tu es à moi ! Tu n'as pas le droit de dire cela !
    - Je ne suis pas à toi ! cingla Isaline. Si j'appartiens à quelqu'un, c'est à cet homme, car il m'a déjà sauvée deux fois. Où étais-tu quand on me menait au sacrifice ?
   Furieux, le jeune homme se rua sur Smalt, mais le jeune aventurier s'y attendait. Il le reçut de pied ferme ; la lutte s'engagea et le premier sang coula. Smalt avait blessé son adversaire à la poitrine, mais il fut touché à son tour au visage. Vexé, il mit le jeune homme hors d'état de nuire en deux coups d'épée, puis essuya vaguement le sang qui lui coulait du visage avec sa manche. Prenant la bride de son cheval d'une main et le bras d'Isaline de l'autre, il quitta les lieux avec un regard dégoûté en direction du blessé. Smalt le bleu les suivit par la voie des airs. Le jeune aventurier se tourna vers Isaline, les sourcils froncés.
    - Etait-il vraiment votre fiancé ?
    - Il se proclamait tel, répondit la jeune fille, mais je ne l'ai jamais encouragé. Où allons-nous ? enchaîna-t-elle.
    - A la maison mère des chevaliers cyriques, répondit Smalt.
   Isaline ouvrit de grands yeux, mais ne fit aucune réflexion. Smalt la souleva de terre et la déposa sur le dos de son cheval, puis monta en selle à son tour. Il adressa un signe de la main à Smalt le bleu et lança son cheval au galop. Il remarqua que Isaline jetait de fréquents regards inquiets en direction du grand dragon bleu qui volait au-dessus de leur tête et que son cheval lui-même, pourtant bien dressé, ne pouvait s'empêcher d'être nerveux.
   A l'étape du soir, Smalt ne put pas offrir à Isaline le confort d'une auberge : ils étaient encore loin de la prochaine ville et de plus, Smalt préférait faire des détours, car il craignait que la fuite de la jeune fille n'ait été signalée dans les villes avoisinantes. Ils s'installèrent donc autour d'un feu assez discret et, par prudence, Smalt avait attaché son cheval, de peur qu'il ne tente de fuir la présence de Smalt le bleu. Dans le lointain, un loup hurla et Isaline frissonna, se rapprochant instinctivement de Smalt dont la présence la rassurait. Le fils de Tiernvael la vit faire et il sourit.
    - Me serais-je trompé ? s'interrogea-t-il. Serait-elle vraiment la jeune fille pure que j'imaginais ?
    - Comment vous appelez-vous ? demanda-t-elle soudain.
    - Smalt de Rougevallée, répondit-il machinalement. On me surnomme gentiment "le sorcier bleu".
   Il dit cela avec un grand sourire naïf qui cachait sa peine. Isaline eut un sourire timide.
    - Ce devrait être un compliment, remarqua-t-elle. Ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre quelqu'un capable d'apprivoiser un dragon bleu !
    - Je n'ai pas apprivoisé Smalt ! fit le jeune homme avec un grand éclat de rire. Il a été un des compagnons d'aventures de mon père, avec trois autres dragons, deux rouges et un d'or. Mes deux frères ont les dragons rouges pour compagnons et, visiblement, les rouges sont mieux acceptés que les bleus. En plus, il y a le fait que je suis aventurier. Mais je m'en moque. Smalt est le meilleur ami que j'ai jamais eu. Hein, Smalt ?
    - Bien sûr, fils de Tiernvael. Tu portes ma marque, répondit la voix rocailleuse du dragon bleu, surgissant de l'ombre.
   Le cheval hennit de peur et Isaline ne put s'empêcher de sursauter et de se rapprocher encore davantage de Smalt.
    - Qui exactement est votre père ?
    - Il vaut mieux que je ne le dise pas. Ma mauvaise réputation pourrait lui porter préjudice, fit Smalt en secouant la tête, mais sans perdre son sourire. Maintenant, dormez, ma dame. Les journées de cheval sont longues et épuisantes.
   Obéissante, Isaline s'allongea sur le sol. Elle entendit Smalt discuter à voix basse avec son dragon, puis s'étendre à son tour sur le lit de terre et de pierre dont il n'était séparé que par une mince couverture. Les bras croisés sous la nuque, Smalt regardait les étoiles briller dans le ciel. Il crut presque entendre la voix de sa mère qui lui montrait les constellations et lui racontait quel dieu chacune d'entre elles représentait. Il tourna alors son regard vers la constellation d'Ukkraq, l'homme devenu dieu, et chercha un instant l'étoile la plus brillante de la constellation, qui portait le nom de Sirius, le petit-fils d'Ukkraq, mort en sauvant les dieux-elfes des mains d'Erza, la mauvaise déesse. Il salua mentalement l'étoile et se sentit étrangement en paix. Amoreena disait que Sirius veillait sur les aventuriers qui le lui demandaient ; comme pour confirmer cette idée, l'étoile eut soudain un éclat plus brillant encore, comme si elle faisait un clin d'oeil à Smalt. Le jeune aventurier sourit et ferma les yeux sous la protection de Sirius. Il les rouvrit bien vite : Isaline s'était glissée près de lui avec sa grosse couverture et chuchotait :
    - J'ai froid.
   Elle se blottit contre lui et couvrit leurs deux corps de la couverture. Avec un soupir, Smalt lui entoura les épaules de son bras, puis il se rappela que la jeune fille ne portait que sa mince robe blanche souillée de sang.
    - Smalt, murmura Isaline, vous pensiez vraiment ce que vous avez dit avant le combat ? Que j'étais... expérimentée ?
   Dans la nuit, Smalt tourna la tête vers elle.
    - Vous soucieriez-vous de mon opinion ?
    - Ai-je vraiment l'air expérimentée ? insista Isaline et le mot semblait lui écorcher les lèvres.
   Smalt soupira de nouveau.
    - Comment voulez-vous que je le sache ? Je n'ai jamais eu affaire à des femmes expérimentées. Je trouve seulement qu'une jeune fille doit montrer plus de retenue et de dignité, ne pas marchander ses faveurs.
    - Vous m'avez prise au mot ?
    - Un elvinn prend toujours les autres au mot, répondit Smalt.
    - Je ne vous marchanderai pas mes baisers, reprit Isaline. Vous m'avez sauvée et vous avez donc gagné le droit de vie et de mort sur moi.
    - Pas de cela, ma dame ! réagit Smalt avec violence. N'offrez jamais votre vie à un inconnu !
    - Vous m'avez bien offert la vôtre, remarqua Isaline avec justesse.
    - Oui, mais moi, je suis fou.
   Isaline lui prit brutalement le visage entre les mains et s'approcha si près qu'il put distinguer le vert de ses yeux.
    - Ne répétez jamais cela en ma présence ! s'exclama-t-elle d'une voix contenue. Ce n'est pas vrai ! Vous êtes le meilleur homme que j'ai jamais rencontré !
   Comme pour prouver ses dires, elle pressa ses lèvres contre les siennes.
    - Je t'aime, Smalt, chuchota-t-elle en lui entourant le cou de ses bras.
   Sans savoir pourquoi, le jeune aventurier la crut et il la serra contre lui, avant de répondre maladroitement à ses baisers.
   Le lendemain matin, Smalt s'occupait de son cheval quand Isaline ouvrit les yeux. Il ne se retourna même pas en l'entendant se lever. Se souvenant de ce qu'il avait dit la veille au soir, la jeune fille évita d'aller se jeter dans ses bras comme elle en avait envie. Smalt brossait son cheval avec une ardeur un peu suspecte. La robe grise de sa monture luisait de propreté et on aurait difficilement pu y trouver une quelconque trace de poussière ou de boue. Tout en passant la brosse sur le dos de l'animal, Smalt réfléchissait à ce qu'il s'était passé la veille. Après les quelques baisers d'Isaline auxquels, à sa grande honte, il avait répondu, il avait laissé la jeune fille épuisée s'endormir et s'était silencieusement coulé hors de la couverture pour faire nerveusement les cent pas dans le campement. Puis, il était allé voir Smalt le bleu qui dormait paisiblement, enroulé sur lui-même. Le jeune aventurier s'était allongé contre son ami dragon et avait posé sa joue contre les belles écailles bleues. Il était resté là jusqu'à avoir retrouvé son calme, puis avait pris la garde. Il n'avait quasiment pas dormi de la nuit et la présence d'Isaline dans son dos n'arrangeait rien. Mais quand il se retourna, la brosse à la main, son grand sourire naïf illuminait son visage et rien de ses pensées ne transparaissait sur ses traits maigres.
    - Avez-vous passé une bonne nuit, ma dame ? s'informa-t-il calmement.
   Isaline resta aussi réservée que lui et ne montra pas sa déception.
    - Oui, merci, Smalt. Et vous ?
   Smalt hocha vaguement la tête et Isaline eut été bien en peine de dire quelle était sa réponse. Il souleva la jeune fille de terre et la déposa sur le dos de son cheval.
    - La route est encore longue, donna-t-il pour toute explication.
   Il bondit en selle et reprit le chemin qui menait à la maison mère des chevaliers cyriques. Les jours de route passèrent, semblables les uns aux autres. A un moment, où Smalt le bleu s'était éloigné pour chercher sa propre pitance, un homme se dressa devant eux et plongea son regard dans les profondeurs bleues de celui de Smalt.
    - Etes-vous celui qu'on appelle le sorcier bleu ? demanda-t-il.
    - Oui, répondit Smalt sans se troubler, lâchant discrètement une rêne pour mettre la main sur la poignée de son épée.
    - Bien ; j'ai une affaire à vous proposer, fit l'homme avec un sourire qui dévoila une rangée de dents aussi engageantes que la dentition d'un loup.
   Inconsciemment, Smalt sentit qu'il n'aimait pas cet homme et il se souvint de certains préceptes de son père :
    - Garde toujours tes impressions en tête, fils. Même les plus stupides peuvent avoir de bonnes bases.
   Oui, plus il regardait cet homme qui se faisait mielleux, plus il sentait qu'il aurait préféré le loup.
    - Vous êtes un aventurier en quête de richesses, n'est-ce pas ? continuait l'homme.
    - On peut dire cela, rétorqua Smalt sans s'avancer.
    - Alors vous allez être intéressé. Arrêtez-moi si je me trompe. Vous avez apprivoisé un dragon qui vous suit dans vos pérégrinations. Evidemment, cette compagnie vous cause des problèmes et tous vous rejettent. Pourtant, vous restez avec ce dragon. Pourquoi ? Bien entendu, cette constance ne peut avoir qu'une seule raison : vous espérez que, tôt ou tard, il vous conduira à son repaire et à son trésor. Eh bien, je peux vous donner cette richesse. Appelez votre dragon et laissez-moi agir. Je vous garantis que vous ne le regretterez pas.
   Smalt n'avait pas quitté une seule seconde son sourire, ni sa bonne humeur.
    - Vous êtes un alchimiste, n'est-ce pas ? fit-il seulement.
    - Oui. Que pensez-vous de ma proposition ? C'est raisonnable, non ?
    - Supposons que vous vous soyez trompé sur un point. Un seul point.
    - Lequel ? demanda l'alchimiste, qui commençait à s'agiter.
    - Je ne recherche pas le trésor de mon dragon. Ni un quelconque autre trésor. Donc, vous pouvez garder votre proposition pour un autre sorcier. Bonne chance !
   Il donna un coup de talon à son cheval, qui se mit docilement en marche. L'alchimiste grimaça.
    - Je me doutais que vous réagiriez ainsi, grinça-t-il. A vous de jouer ! lança-t-il d'une voix forte.
   Une vingtaine d'hommes surgit des fourrés environnants et, malgré toute sa résistance, Smalt fut submergé. Il se retrouva attaché à côté d'Isaline et l'alchimiste vint le voir.
    - Acceptes-tu d'appeler ton maudit dragon ?
   Un regard mortellement froid le transperça.
    - Non. Ni aujourd'hui, ni jamais.
    - Tu préfères mourir ? demanda l'alchimiste, incrédule.
    - Oui.
    - Et elle ? Tu veux que nous la tuions ?
   Smalt tourna un regard indifférent vers Isaline.
    - Je ne la connais pas. Je l'ai trouvée dans les bois et j'ai accepté de l'escorter jusqu'à la prochaine ville en échange du gîte et du couvert.
    - Hum ! Est-elle si importante que cela, pour que tu te déranges pour elle ?
    - D'après ce qu'elle m'a dit, elle est la fille d'un chevalier cyrique, reprit Smalt avant que Isaline ait pu ouvrir la bouche.
   L'alchimiste fronça les sourcils. Le simple nom des chevaliers cyriques faisaient réfléchir à deux fois.
    - Je ne veux pas d'ennuis avec les Cyriques, marmonna-t-il.
   Les Cyriques avaient une réputation détestable ; on les accusait généralement d'être des brutes sans foi ni loi, de torturer les prisonniers jusqu'à ce qu'ils avouent et la rumeur colportait des supplices tous plus horribles les uns que les autres en des termes très colorés. L'alchimiste se mit à faire les cent pas devant ses prisonniers.
    - Très bien, décida-t-il. Libérez la fille !
   Les liens d'Isaline tombèrent au sol et elle fut libre. Elle comprit sans problème le regard éloquent du marchand et s'enfuit aussitôt. L'alchimiste se tourna de nouveau vers Smalt.
    - Appelleras-tu ton dragon ?
   Smalt sourit poliment, mais c'était un sourire fatigué.
    - J'ai un dragon, moi ? fit-il d'une voix innocente.
   Un des hommes d'armes lui lança son poing en plein visage. Le goût du sang emplit la bouche de Smalt, tandis qu'un liquide chaud coulait sur sa joue. Il ferma les yeux et laissa aller sa tête contre l'arbre auquel il était attaché. Le temps passa et l'après-midi touchait à sa fin. Smalt n'avait pas rouvert les yeux et n'avait pas répondu à la question sans cesse répétée de l'alchimiste. Il avait reçu d'autres coups, qu'il avait encaissés sans la moindre plainte. Seul un bruit d'ailes dans les airs parvint à le sortir de sa torpeur. Il se redressa contre son arbre et leva la tête. L'alchimiste grimaça un sourire machiavélique.
    - Enfin ! Le dragon bleu !
   Smalt le bleu piquait résolument vers le campement. Le jeune aventurier se redressa le plus qu'il put et se mit à hurler :
    - Va-t'en de là ! Immédiatement !
   L'alchimiste tenta de le faire taire, mais Smalt parvint à l'éviter et continua à hurler de toute la force de ses poumons :
    - Par Sorcerak, tu m'as compris ? Va-t'en ! Je ne veux plus te voir, gros lézard ! Déguerpis tout de suite ou...
   Smalt n'eut pas le temps de continuer sa phrase : un des hommes d'armes de l'alchimiste venait d'abattre une masse d'armes sur son crâne. Smalt le bleu poussa un hurlement de colère, mais il ne pouvait rien faire, puisque son souffle aurait condamné son ami. Il plana paresseusement au-dessus du campement, puis s'éloigna. L'alchimiste pesta tout ce qu'il savait, puis se tourna vers l'homme d'armes.
    - Pourquoi l'as-tu presque tué ? Il peut nous être utile !
    - J'ai surtout pensé à le faire taire, avoua l'homme.
   L'alchimiste haussa les épaules et regarda Smalt, dont la tête ensanglantée pendait sur sa poitrine.
    - Soigne-le un minimum, ordonna-t-il.
   L'homme d'armes fit comme il avait toujours fait : avec un morceau de tissu d'une propreté douteuse, il banda sommairement la plaie pour réduire le flot de sang.
   Quand Smalt rouvrit les yeux, il faisait nuit noire et il avait un voile rouge devant les yeux. Il regarda autour de lui et vit que tout le campement, ou presque, dormait. Il tordit son poignet et attrapa une fine lame glissée sous sa ceinture. Lentement, il commença à couper ses liens, s'arrêtant de temps en temps pour reprendre des forces, car se concentrer sur sa tâche accentuait le voile rouge devant ses yeux. Soudain, une main lui prit la lame des doigts et continua son oeuvre. Quand il fut enfin libre, il manqua de s'effondrer, tant il était affaibli, mais quelqu'un se coula sous son bras pour le soutenir. Au doux contact de longs cheveux contre sa joue, il sut de qui il s'agissait.
    - Pourquoi avez-vous fait cela, Isaline ? demanda-t-il d'une voix rauque alors qu'elle l'aidait à sortir discrètement du campement. Je m'étais débrouillé pour qu'ils vous laissent en paix.
    - Je sais. Mais je ne voulais pas vous laisser entre leurs mains.
   Elle s'arrêta un peu plus loin, près d'un gros chêne où attendaient Smalt le bleu et le cheval.
    - Vas-y, Smalt, dit-elle simplement en regardant le dragon. Tout le camp est à toi.
    - Ils vont payer pour le sang qu'ils ont fait couler ! gronda le dragon en s'envolant.
   Smalt aurait voulu l'arrêter, mais alors qu'il levait le bras et ouvrait la bouche pour dire quelque chose, il roula au sol, évanoui. Isaline se jeta à ses côtés et se mordit la lèvre pour ne pas crier devant les blessures et les coups qu'il arborait. La blessure que celui se prétendant le fiancé d'Isaline lui avait infligée avait été rouverte et un vilain filet de sang noirâtre en coulait, tombant dans les yeux du jeune homme. Isaline s'absorbait tant sur sa tâche qu'elle ne s'aperçut même pas des éclairs qui zébrèrent soudain le ciel derrière elle, ni de la forêt qui s'enflammait. Les cris d'agonie ne la firent même pas réagir. Smalt le bleu revint se poser à côté d'elle.
    - Comment va-t-il ?
    - Mal, Smalt.
    - C'est de ma faute, fit sombrement le dragon. Si je n'étais pas là, il serait beaucoup plus tranquille.
   Isaline releva vivement la tête et plongea son regard dans les grands yeux d'or liquide.
    - Tu baisses les bras alors qu'il a failli perdre la vie pour te défendre ! siffla-t-elle. Est-ce ainsi que tu le remercies de sa constance à ton égard ?
   Le dragon bleu resta estomaqué devant cette remarque.
    - Mais Smalt est mon ami ! protesta-t-il. Seulement, à quoi sert une amitié quand elle porte préjudice à l'un des deux ?
    - Une amitié ne sert pas. Elle est. Crois-moi, si Smalt devait choisir entre une vie moins solitaire et son amitié pour toi, je sais quel serait son choix !
   Smalt le bleu regarda plus attentivement Isaline et les yeux verts avaient un éclat décidé qui n'y était pas avant. Pour défendre l'homme qu'elle aimait, la timide jeune fille se faisait tigresse.
   Quand Smalt rouvrit les yeux, la première chose qu'il vit dans la lumière naissante du soleil, ce fut la forêt ravagée. Il se redressa péniblement sur un coude et regarda autour de lui. Isaline dormait à côté de lui, les traits tirés, tenant encore la main du jeune homme dans la sienne, et le dragon bleu veillait non loin. Smalt se laissa retomber au sol sans force ; le moindre mouvement lui faisait mal. Isaline se redressa aussitôt.
    - Smalt ! Comment te sens-tu ? demanda-t-elle anxieusement en se penchant sur le jeune homme.
   Il tenta de sourire et eut l'impression qu'on lui étirait le visage dans tous les sens.
    - L'anéantissement total ! fit-il d'un ton qu'il espérait être réjoui, mais Isaline n'entendit qu'une sorte de croassement.
    - Ces brutes t'ont frappé à n'en plus finir, puisque tu ne pouvais pas riposter et leur montrer qui était le plus fort.
    - Je vois que vous vous entendez bien avec Smalt, reprit le jeune homme, qui fit semblant de ne pas avoir entendu la remarque de la jeune fille.
    - Pour te sauver, j'aurais fait bien pire ! Smalt est très gentil, quand on a la garantie d'être de tes amis.
   Smalt releva un peu plus ses paupières, négligeant la douleur qui en résultait.
    - Dame Isaline, ne me cachez rien, dans quel état suis-je ?
    - Ton visage est couvert de plaies, tu as une énorme blessure à la tête et tu es épuisé.
   Smalt referma les yeux et grimaça.
    - Dommage. Maman ne va pas aimer. Mon visage était la seule partie que j'avais réussi à préserver.
    - Smalt, qu'allons-nous faire ?
    - Retourner à la maison mère des Cyriques, bien sûr ! répondit le jeune homme en entrouvrant un oeil. N'est-ce pas ce que je vous avais dit ?
    - Si, bien sûr, mais dans ton état...
   Elle se pencha davantage sur le jeune homme et ses cheveux vinrent caresser les joues de Smalt. Dans les yeux bleus au magnifique regard, elle lut tout ce qu'il avait enduré depuis le jour où il l'avait sauvée pour la deuxième fois.
    - Depuis quand n'as-tu pas dormi, Smalt ? demanda-t-elle doucement.
    - Je ne sais plus.
   Il leva la main et la tendit timidement vers Isaline. Elle ne fit pas le moindre mouvement pour l'éviter. Doucement, il caressa la joue un peu pâlie et suivit du doigt la trace plus claire d'une larme.
    - Vous avez pleuré, constata-t-il. Pour moi.
    - Oui, pour toi.
    - Pourquoi ?
   Isaline se mordit la lèvre.
    - Je te l'ai déjà dit, Smalt. Parce que je t'aime.
    - Pourquoi m'aimez-vous ? Je suis un aventurier, tous les gens me redoutent, j'ai un dragon pour compagnon et, maintenant, mon visage, qui était peut-être la seule chose qui me restait et auquel je tenais assez, est défiguré par je ne sais combien de blessures. Que me trouvez-vous, Isaline ?
   Elle haussa les épaules.
    - Ton coeur, Smalt. Ton coeur, ton courage, ta fierté et ta solitude, la tristesse au fond de tes yeux que tu essaies de cacher au monde entier, ta soif de liberté, ton attachement à ton ami le dragon, ta compassion pour ceux qui ont pourtant moins souffert que toi... Tout un ensemble.
   Sans rien répondre, Smalt l'attira doucement dans ses bras et elle se laissa faire.
    - Vous me faites confiance, à moi, un aventurier ?
    - Aveuglément, répondit-elle.
   Smalt prit son visage entre ses mains et l'attira près du sien pour poser ses lèvres tuméfiées sur celles de la jeune fille. Sans plus sentir les douleurs qui le torturaient à chaque mouvement, il se redressa, gardant Isaline serrée contre lui. Elle fermait les yeux sous ses baisers et puis, soudain, elle sembla se souvenir de toutes les blessures du jeune homme. Elle recula un peu sans pourtant s'arracher aux bras du jeune aventurier.
    - Et moi qui oubliais tes souffrances ! Oh, Smalt, je suis désolée !
   Le jeune aventurier lui sourit et, dans ses yeux, elle ne vit plus de tristesse. Ils ressemblaient à deux soleils éblouissants. Il éclata de rire, fit un pas en avant et souleva Isaline de terre dans un mouvement d'une grande douceur, comme si elle n'avait pas pesé plus lourd qu'une plume. Semblant porter sans effort la jeune fille, il alla jusqu'à son cheval, sur le dos duquel il la déposa, puis monta lui-même en selle.
    - Holà, Smalt ! lança-t-il. Passes-tu donc ton temps à dormir, gros lézard volant ?
   Smalt le bleu ouvrit lentement un oeil doré.
    - Je vois que tu as retrouvé la forme, constata-t-il dans un bâillement qui faillit carboniser la nature autour de lui.
   Il se redressa et déploya ses ailes. Smalt lui décocha un sourire charmeur.
    - A la maison mère !
   Sans attendre que son cheval s'échauffe, il le lança au galop, son bras enserrant la taille d'Isaline.
    - Bien-aimée, murmura-t-il, tu risques d'entendre des réflexions peu agréables à ton sujet. On te blâmera pour avoir choisi l'aventurier au dragon bleu.
    - En quoi cela peut-il m'importer si tu restes près de moi ? demanda-t-elle avec un sourire adorable.
   La prévision de Smalt se réalisa. Si beaucoup firent bon accueil au jeune aventurier et à Isaline, d'autres, tout aussi nombreux, trouvèrent le moyen d'émettre des commentaires désobligeants. Cinabre remarqua alors qu'il s'agissait en général de ceux qui avaient désapprouvé son mariage avec Feuillemorte. Son regard d'or aux profondeurs méditatives prit un éclat de colère et le sang du vieux dragon rouge reprit toute sa force dans ses veines. La main de Feuillemorte se posa doucement sur son bras et il se força à se calmer. Les chevaliers cyriques firent bon accueil au frère d'un des leurs. Leur tolérance pour l'amour de Cinabre et de Feuillemorte avait été le premier signe de leur ouverture d'esprit et ils se sentaient très proches des aventuriers. Amoreena accueillit Isaline avec sa gentillesse coutumière, mais elle resta sans voix devant l'aspect de son fils préféré. Tiernvael se racla une ou deux fois la gorge, puis dit avec précaution :
    - Et si tu nous racontais ton histoire, fils ?
   Alors Smalt raconta et Isaline tomba sous le charme du conteur elvinn...

Texte © Azraël 1997 - 2002.
Smaltest arrivé de Downloadable Dragons en 1999.
Bordure et boutons Fire drake, de Silverhair

Downloadable Dragons

Silverhair