L'initiation de Cinabre

Urane de Chrysoppée
Urane
   Urane de Chrysoppée est un dragon d'or femelle. Elle a été adoptée par Azraël le 06 Janvier 2000 chez Downloadable Dragons.

   Tiernvael eut trois fils de son épouse aimée, la belle Amoreena de Rougevallée. Ils se nommaient Cinabre, Smalt et Tomax, en l'honneur des trois dragons qui avaient accompagné le chevalier cyrique lors de l'affrontement avec l'homme-dragon. Stil-de-grain était toujours présent aux côtés de Tiernvael.
   En grandissant, les personnalités des trois garçons s'affirmèrent : Cinabre devint un fier gaillard aux larges épaules ; la couleur flamboyante de sa chevelure rappelait irrésistiblement le rouge des écailles du grand dragon dont il portait le nom, ainsi que son magnifique regard d'or liquide aux profondeurs méditatives. Très tôt, Cinabre s'engagea dans la même voie que son père, tout en respectant profondément la déesse de sa mère, Birmane ; mais il avait aussi, par un certain côté, la hargne du dragon rouge : comme lui, il était sévère et perpétuellement de mauvaise humeur. Doté d'un solide sens de l'honneur et d'une perception aiguë de la responsabilité, il endossait sans protester des fardeaux trop lourds pour ses jeunes épaules. A cause de cela, son amitié était fort recherchée.
   Le deuxième fils, Smalt, était aussi fantasque que le dragon bleu. Il s'agissait d'un mince jeune homme à la chevelure d'un noir bleuté en bataille et au regard d'un bleu profond à l'éclat malicieux. Il adorait sa mère et aurait fait n'importe quoi pour elle. Mais il était incapable de tenir en place ; une soif de liberté le rongeait sans cesse et il se fit aventurier. Il revenait régulièrement, pour revoir sa mère qui comptait avec inquiétude le nombre croissant de cicatrices. Smalt était celui qui tenait le plus d'elle : il avait les yeux fureteurs des elvinns, leur agilité et leur faculté de conter.
   Le dernier fils, Tomax, était le plus mystérieux. Grand, maigre, il avait une chevelure d'un roux foncé et de grands yeux aux eaux sombres. Il s'intéressait à la magie et son parrain lui enseigna quelques sortilèges fort utiles. Sans négliger pourtant la culture physique, il se consacrait exclusivement à l'étude. Il était d'un naturel taciturne, mais sa conversation était d'une grande sagesse et son frère aîné aimait à s'entretenir avec lui. Sa réputation de magicien se fit rapidement.
   Après cette rapide présentation des trois frères, Elwing s'arrêta un instant. Tous étaient sous son charme et il constata avec soulagement que Mélibée était elle aussi fascinée. Même le regard du Rédempteur avait un éclat attendri.
   A vingt-huit ans, Tiernvael partit avec son fils aîné. Le petit Cinabre avait six ans, Smalt trois ans et Amoreena attendait la naissance de Tomax. Accompagnés comme toujours de Stil-de-grain, ils se rendirent à la grande réunion des dragons à laquelle les avait conviés Cinabre. A l'entrée de la grotte, un grand dragon vert se dressa devant eux.
    - Halte-là ! gronda-t-il. Les humains ne sont pas admis !
   Tiernvael et son fils se regardèrent, puis le grand chevalier posa la main sur l'épaule de l'enfant.
    - Dis-leur, mon fils.
   L'enfant fit un pas en avant et prononça d'une voix claire :
    - Je suis Cinabre de Rougevallée, fils de Tiernvael le Grand, seigneur du Dragonrubis, et d'Amoreena de Rougevallée. Mon parrain est Cinabre d'Erythriscalgion, seigneur dragon rouge et je réclame le droit d'entrée.
   Le dragon vert resta indécis sur la décision à prendre. Il se gratta pensivement le menton. Stil-de-grain, en svinn, forme qu'il semblait particulièrement apprécier, allait s'avancer à son tour, mais Tiernvael le retint.
    - Laisse, Stil, fit-il à mi-voix. Je suis Tiernvael du Dragonrubis, reprit-il à voix haute en se tournant vers le dragon vert. J'ai possédé l'Ormonde, je vous ai délivrés de l'homme-dragon et j'ai gagné le droit de porter la pierre du dragon.
   Sur sa poitrine, le rubis étincelait de tous ses feux.
    - Je suis Sinople de Glaucorie, déclara le dragon vert. Veuillez entrer, nobles voyageurs.
   Stil-de-grain bâilla et reprit sa véritable forme, ce qui surprit le dragon vert, puis se transforma de nouveau en svinn pour suivre Tiernvael et Cinabre dans la caverne. Quelques mètres plus loin, la caverne déboucha sur un gigantesque cirque rocheux, occupé par des centaines de dragons. Presque tous étaient réunis par races, répartis de telle façon que deux races se haïssant cordialement ne se trouvaient pas côte à côte.
   La seule exception était constituée par un petit groupe de trois gigantesques dragons, dont Cinabre. Tiernvael savait qu'il s'agissait des dragons ayant le statut de grand ver, c'est-à-dire qu'il avaient plus de mille deux cents ans. Le patriarche était Ruolz de Pyrargyrite, un vieil argent de mille cinq cent soixante-quinze ans, aux écailles patinées par le temps. Ensuite venait Cinabre, puis Chalco de Stannite, un dragon de bronze qui avait juste les mille deux cents ans requis.
   Tiernvael admirait l'organisation de cette réunion. L'idée datait de l'année où il avait tué l'homme-dragon. Les dragons avaient alors décidé de se réunir tous les deux ans sans distinction d'alignement, pour discuter des problèmes propres aux dragons. Tiernvael regarda autour de lui. Stil-de-grain avait rejoint les autres dragons d'or et tous les regards étaient fixés sur lui. Le chevalier, la main sur l'épaule de son fils, se dirigea sans crainte vers les patriarches.
    - Je suis Tiernvael du Dragonrubis, dit-il de sa voix tonnante, et je viens présenter mon fils aîné à mes alliés.
   L'enfant leva ses grands yeux ambre sur les trois patriarches. Cinabre s'éclaircit la gorge et déclara :
    - Lors de la naissance de cet enfant, fils aîné de Tiernvael le Grand, moi, Cinabre d'Erythriscalgion, ai accepté d'en être le parrain. Je demande à l'assemblée d'accepter mon filleul comme elle a accepté son père huit ans auparavant.
   Le silence accueillit les paroles de Cinabre. Ruolz se racla la gorge à son tour.
    - Frères, vous avez entendu la requête de notre frère rouge. Nous connaissons tous Tiernvael du Dragonrubis, chevalier cyrique. Cinabre d'Erythriscalgion l'a ainsi nommé le dix-neuvième jour du mois d'Argentan, lorsqu'il a délivré notre peuple du joug de l'homme-dragon, Ater de Nacarat. Pour ceux qui l'auraient oublié, je rappelle que Tiernvael du Dragonrubis avait entre les mains l'Exterminateur de dragons, la puissante Ormonde.
   Des grondements accueillirent ces paroles. Les dragons ne pouvaient pas supporter que l'on parle de l'Ormonde en leur présence. Malgré lui, le jeune Cinabre frémit et se rendit alors compte qu'il était totalement à la merci des dragons. La main de son père se fit plus lourde sur son épaule comme pour lui affirmer son soutien. Ruolz regarda l'assemblée d'un air glacial.
    - Bien sûr, je ne nie pas que ce jeune chevalier ait commis quelques erreurs avec l'Ormonde. Des dragons sont tombés sous ses coups : Eburnéen d'Albe, Kermès d'Erythr et d'autres encore. Mais Tiernvael du Dragonrubis n'a pas voulu continuer à détruire la race draconienne. Certains d'entre vous ne pourront jamais me croire, je le sais, mais il aurait pu sans peine rayer notre peuple du monde des vivants !
   Des protestations s'élevèrent de tous côtés.
    - C'est impossible ! décréta un dragon d'airain proche d'atteindre le statut de grand ver.
   Ruolz se tourna vers lui.
    - Mesure tes paroles, Aes de Cuprostannine ! Tu ne seras jamais patriarche si tu continues à penser cela ! Ce chevalier cyrique pourrait te réduire à néant !
   Le jeune Cinabre sentit la main de son père se crisper sur son épaule. Tiernvael savait ce qu'il risquait en laissant croire aux dragons qu'il avait toujours l'Ormonde, mais il ne pouvait pas désavouer Ruolz en public.
    - Je m'adresse maintenant aux dragons qui accompagnaient Tiernvael du Dragonrubis ; ceux-ci accordent-ils toujours leur confiance au chevalier ?
   Cinabre ne répondit pas : étant donné qu'il avait présenté la requête, il n'avait pas droit à la parole. Smalt le bleu, toujours aussi malicieux que dans les souvenirs de Tiernvael, s'approcha d'un pas dansant.
    - Tiernvael du Dragonrubis a mon entière approbation, quoi qu'il fasse, déclara-t-il.
    - Acceptes-tu son fils ?
    - Oui, bien sûr.
   Tiernvael s'approcha.
    - Merci, Smalt, de ta loyauté ! murmura-t-il.
   Le jeune dragon bleu sourit, dévoilant deux rangées de dents d'une taille impressionnante.
    - Ce n'est vraiment rien, Tiernvael. C'est un petit Cinabre ?
    - Oui, fit Tiernvael. Un petit Smalt attend à la maison.
    - C'est vrai ? Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?
    - Je t'ai fait rechercher partout à sa naissance. J'ai même utilisé la pierre du dragon, mais tu n'as pas répondu.
    - Quand était-ce donc ?
    - Il y a trois ans.
    - Oh ! Oui. J'étais prisonnier. J'ai mis beaucoup de temps pour me libérer et à ce moment, l'appel de la pierre du dragon avait cessé de se faire entendre.
   Tiernvael hocha la tête, puis risqua un coup d'oeil vers Tomax qui approchait d'un pas mesuré. Le dragon avait considérablement mûri depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. Le dragon rouge était un lointain cousin de Cinabre, comme Tiernvael devait l'apprendre beaucoup plus tard.
    - Salutations, Tomax, fit le chevalier cyrique.
    - Salutations, Tiernvael, répondit le dragon de sa voix rocailleuse. Ruolz, je me porte garant de Tiernvael du Dragonrubis et j'accepte son fils.
    - Moi aussi, fit Stil-de-grain qui venait de rejoindre le petit groupe.
   Cinabre et lui se saluèrent cordialement, ce qui parut extraordinaire aux autres dragons, sachant que les rouges et les ors se détestaient depuis des générations.
    - Que décide l'assemblée ? demanda Ruolz.
   Tiernvael contempla pensivement le vieil argent. On disait habituellement qu'il avait assisté à la création de la planète et même qu'il avait aidé Draghnien à installer les dragons. Devant Ruolz, Tiernvael n'avait aucun mal à croire cette rumeur. Le dragon semblait posséder la sagesse universelle.
    - Soumettons l'enfant à l'épreuve, suggéra un dragon d'or.
    - L'enfant est bien jeune, Urane, objecta Ruolz.
   Tiernvael reconnut le dragon d'or : il s'agissait de la soeur de Stil-de-grain, Urane de Chrysoppée.
    - Je sais, Ruolz, mais je pense que l'on devrait essayer.
    - Très bien, soupira le vieil argent. Approche-toi, enfant, et dis-moi ton nom.
   L'enfant se dirigea sans crainte vers le dragon d'argent, tandis que Tiernvael rejoignait Cinabre.
    - Je m'appelle Cinabre de Rougevallée. Mon père est Tiernvael le Grand, seigneur du Dragonrubis et chevalier cyrique. Ma mère est Amoreena de Rougevallée, prêtresse de dame Birmane.
   Tiernvael regarda son fils avec fierté : l'enfant se tenait bien droit, ses cheveux flamboyants rejetés en arrière et son regard d'or liquide avait la lueur méditative qui ne devait plus jamais le quitter.
    - Révères-tu un dieu, mon enfant ? demanda doucement Ruolz.
    - Oui, Vénérable. Il s'agit de dame Shuqra, la déesse de mon père.
   Tiernvael secoua la tête d'un air attendri : Cinabre refusait d'appeler les dieux par leurs seuls noms, jugeant cela trop cavalier.
    - Que penses-tu des autres dieux, mon enfant ?
    - Je les respecte, Vénérable. Chacun doit suivre ses convictions. Je déplore simplement que les dieux tels que dame Erza trouvent des fidèles pour les adorer. Mais peut-être que personne ne leur a jamais montré qu'ils faisaient du tort aux autres ?
   Le chevalier soupira : Cinabre n'avait que six ans, mais les principes de sa mère avaient fait leur chemin dans son esprit. Amoreena était incapable de concevoir que des gens puissent sciemment faire le mal ; pour elle, ils étaient dans l'ignorance et agissaient sans savoir. Tiernvael savait d'expérience qu'il en était bien autrement, mais il préférait que son fils découvre la réalité par lui-même.
   Après ces questions rituelles, où la voix claire et assurée de Cinabre avait déjà ébranlé plus d'un dragon, les autres dragons purent interroger l'enfant à leur guise pour juger de sa sagesse. Telle était l'épreuve qu'il devait surmonter pour être accepté.
    - Que penses-tu des hybrides ? demanda Feuillemorte, une hybride or et argent.
   L'enfant le regarda de ses grands yeux clairs.
    - Ma mère est une elvinn et mon père est un humain. Je suis ton frère, ami dragon, et un frère ne juge pas les siens.
   Le dragon hocha la tête et s'éloigna en baissant les yeux ; elle était si souvent en butte aux réflexions des autres qu'elle préférait les éviter. Un dragon noir s'approcha.
    - Ne crains-tu pas d'être accepté par des dragons de mauvais alignement ?
   Le jeune Cinabre leva vers lui son regard innocent.
    - Tu vas me faire mal, seigneur dragon ? demanda-t-il d'une petite voix.
    - Non.
    - Alors pourquoi te craindrais-je ?
   Le dragon noir ne sut que répondre à cette question si candide, si bien qu'il laissa sa place à un dragon vert.
    - Pourquoi veux-tu être accepté des dragons ? demanda-t-il d'un air arrogant.
    - Mon père m'a dit que les dragons étaient des amis fidèles. Je serais honoré de faire partie des leurs.
    - Tu veux profiter de notre puissance ! gronda le vert.
   Cinabre ouvrit tout grand ses yeux d'ambre.
    - Oh non, seigneur dragon ! s'exclama-t-il, blessé.
    - Je vous en prie, Jade, n'imputez pas à mon fils de pareils sentiments ! intervint Tiernvael. Il est incapable d'agir par intérêt.
    - Qu'est-ce que cela veut dire ? grommela Jade.
    - Sa mère est innocente et mon fils lui ressemble. Je suis sûr que s'il rencontrait un bébé basilic, il s'arrêterait pour le prendre dans ses bras.
    - Et toi, un chevalier, tu ne lui as pas montré quelle était la dure réalité du monde ? railla le vert.
   Le visage de Tiernvael se crispa légèrement, tandis que Cinabre glissait sa petite main dans celle de son père.
    - Je préfère le laisser le plus longtemps possible dans l'ignorance. Sa prise de conscience viendra bien assez tôt.
    - Je n'ai plus de question, marmonna le vert en s'éloignant.
   Tiernvael mit un genou en terre et attira son fils contre sa large poitrine cuirassée. L'enfant se serra contre son père avec confiance et le chevalier se releva, tenant Cinabre dans ses bras. Le jeune garçon appuya sa joue contre celle de son père et tous deux regardèrent l'assemblée de dragons. Ruolz se racla la gorge et demanda d'une voix enrouée :
    - Y a-t-il d'autres questions ?
   Personne ne répondit. Les dragons gardaient les yeux fixés sur l'enfant dans les bras de ce gigantesque chevalier en armes.
    - Bien, reprit le vieil argent. Puisqu'il n'y a plus de questions, nous allons procéder au vote. Qui accepte Cinabre, fils de Tiernvael ?
   Les dragons avaient été ébranlés par les réponses de Cinabre, qui semblait posséder une sagesse d'un autre âge ; seul Tiernvael se doutait qu'il y avait là la main de Shuqra. Ils répondirent tous unanimement qu'ils étaient d'accord.
    - Cinabre de Rougevallée, te voilà accepté par le peuple dragon.
    - Merci, Vénérable. J'espère que je me montrerai digne de cet honneur, répondit l'enfant de sa voix claire.
   Tiernvael le déposa à terre et lui enleva sa tunique. Cinabre le rouge s'avança vers son filleul.
    - Ce n'est qu'un rite d'initiation, dit-il avec un sourire d'excuse. Pardonne-moi pour la douleur...
   Le dragon leva sa patte antérieure. Tiernvael retint son souffle. Malgré toute sa confiance dans le dragon rouge, il ne pouvait s'empêcher de craindre le pire : d'un geste, il pouvait tuer son fils. L'impressionnante griffe déchira doucement la peau de l'épaule. Le jeune Cinabre serra les dents pour s'empêcher de crier, tout en regardant le grand dragon de ses yeux étonnés : il ne serait pas dit que le fils aîné de Tiernvael le Grand avait crié de douleur ! Le sang coulait de son épaule, mais il semblait n'en avoir cure. Il salua gravement Cinabre et rejoignit son père. Stil-de-grain vint vers eux, en svinn, et Tiernvael lui confia Cinabre. Le svinn utilisa son bâton de guérison pour soigner la blessure, mais il subsista une vilaine cicatrice rougeâtre. Tiernvael avait la même, sauf qu'elle était dorée, car faite par un dragon d'or.
   Elwing se tut. Il était épuisé.
    - Je crois que Daneris en a une aussi ! fit-il, excité, mais avec moins d'enthousiasme que d'habitude.
    - Oui, fit distraitement le Rédempteur. Une bleue. Mange ceci, cela te redonnera quelques forces.
   L'elvinn grignota consciencieusement le petit biscuit que venait de lui tendre le Rédempteur et il sentit une partie de sa fatigue s'envoler. Il reprit son récit avec ardeur :

   Feuillemorte s'approcha de Tiernvael alors que le jeune Cinabre regardait ailleurs.
    - Pardonne ma hardiesse, noble chevalier, commença humblement l'hybride.
   Tiernvael eut un drôle de regard et Feuillemorte recula.
    - Allons, ami dragon, fit Tiernvael d'une voix rassurante. Tant d'humilité ne te sied point. Que désires-tu ?
    - Me permettrais-tu de vous accompagner ? Ton fils m'a traitée en ami, j'aimerai rester en sa compagnie. Mais comme tu jouis déjà de celle de Stil-de-grain, je comprendrais parfaitement que tu refuses la mienne et...
   L'hybride bégaya et le regard que Tiernvael fixait sur elle ne l'aidait en rien. Le chevalier crut même que le dragon allait s'en aller avant d'avoir entendu la réponse.
    - Mais bien sûr, ami dragon, dit-il avec douceur. Ta présence à nos côtés nous honorerait beaucoup.
   Feuillemorte eut un léger soupir de soulagement.
    - Je vous retrouve au dehors, dit-elle.
   Tiernvael acquiesça et regarda l'hybride s'envoler. Il connaissait l'histoire de Feuillemorte, sans doute mieux que le dragon elle-même, puisqu'il savait qui étaient ses parents. Feuillemorte était l'enfant de Ruolz de Pyrargyrite et d'Urane de Chrysoppée. La différence d'âge entre eux était importante, puisque Ruolz avait mille cinq cent soixante-quinze ans et Urane huit cent dix-neuf. Feuillemorte faisait partie des jeunes adultes, avec cinquante-sept ans.
   Tiernvael soupira et prit son fils entre ses bras. Il échangea un dernier regard avec Cinabre le rouge et tourna les talons, suivi de Stil-de-grain. A la sortie de la caverne, Sinople de Glaucorie les salua quand ils passèrent devant lui. Quelques mètres plus loin, une mince silhouette se dirigea vers eux. Tiernvael s'arrêta.
   Il s'agissait d'une très belle elfe, aux cheveux d'or tombant jusqu'aux épaules, rejetés en arrière. Un cercle d'argent orné d'une belle pierre d'ambre entourait son front pour se perdre dans sa chevelure. Juste derrière l'oreille droite, deux plumes blanches aux extrémités argentées étaient fixées au cercle d'argent. De grands anneaux d'or à ses oreilles battaient contre ses joues au rythme de sa marche. Elle portait une longue robe sans manches d'un vert pâle ornée d'arabesques d'or. Une large ceinture d'or ceignait sa taille mince et était ornée d'un motif rappelant celui du large bracelet ouvragé glissé à son poignet droit. Une cape d'un rouge sombre bordée de fourrure blanche était jetée sur ses épaules, fixée par une broche représentant un dragon. Un mince bracelet d'argent dansait autour de son poignet gauche et trois de ses doigts étaient parés de bagues d'or.
   Tiernvael retint imperceptiblement son souffle : cette elfe inconnue était capable de rivaliser avec Stellarys elle-même, la déesse de la beauté. Stil-de-grain fronça les sourcils en voyant l'elfe.
    - Feuillemorte ! souffla-t-il en colère. Veux-tu bien repartir immédiatement !
   La jolie elfe baissa les yeux , mais secoua doucement la tête en signe de dénégation.
    - Non, Stil-de-grain. Le chevalier m'a permis de vous accompagner.
    - Je m'appelle Tiernvael, dame Feuillemorte, fit le jeune homme avec un sourire charmeur.
    - Tiernvael ! rugit Stil-de-grain. Ai-je bien entendu ?
    - Oui, Stil, répondit calmement le chevalier.
    - Je t'interdis de faire cela !
   Le regard que Tiernvael braqua sur son ami n'avait rien d'aimable.
    - Tu veux bien répéter, je te prie, Stil ? Je crois que je n'ai pas compris un mot : tu as bien dit "interdire" ?
    - Parfaitement !
    - C'est bien ce qui me semblait, reprit Tiernvael en hochant la tête.
   Aussi calme que Birmane, il offrit son poing à Feuillemorte qui y appuya sa fine main aux longs doigts effilés. Son regard à la curieuse couleur mêlant l'or et l'argent, comme ses écailles lorsqu'elle était dragon, avait une lueur inquiète. Tiernvael savait ce qui la perturbait ainsi : Stil-de-grain avait élevé Feuillemorte et elle craignait de lui déplaire. Le svinn empoigna brutalement son ami par le bras et plongea son regard doré dans le sien. Avant qu'il ait pu prononcer un mot, Tiernvael siffla :
    - Laisse-moi tranquille ! Si je fais cela, c'est que Shuqra le veut ! Elle a besoin de Feuillemorte, pour une raison qui m'est inconnue. Maintenant, fais-lui bonne figure si tu ne veux pas que Cinabre t'abrutisse de questions auxquelles tu n'auras pas envie de répondre. Je t'interdis de lui dire que Feuillemorte est en réalité un dragon. Me suis-je bien fait comprendre ?
   Ahuri, Stil-de-grain regarda son ami. Il lui sembla qu'un autre visage se superposait aux traits fermes et familiers du jeune chevalier. Un visage aux traits marqués, aux yeux profondément enfoncés dans les orbites, caractéristique accentuée par les pommettes saillantes et les joues creuses, le front plissé par une profonde réflexion, un visage qu'il connaissait encore mieux que celui de Tiernvael... Le jour se fit dans son esprit et il laissa retomber sa main.
    - Excuse-moi, je ne savais pas, dit-il.
    - Je l'avais remarqué, grommela Tiernvael d'une voix qui n'était pas la sienne.
   Sans plus s'occuper de cela, il s'éloigna, Cinabre dans ses bras et escortant celle qui allait devenir dame Feuillemorte.

Texte © Azraël 1997 - 2002.
Urane est arrivée de Downloadable Dragons en 2000.
Bordure et boutons Fire drake, de Silverhair

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