La gardienne des dragons

   David était déjà en route avec son cheval Furiande, une belle bête grise, à la crinière et la queue noires. Le jeune chevalier était arrivé en Arasourdie avec son étalon deux ans auparavant et nul ne l'avait vu monter un autre cheval, même le jour où Furiande, blessé, avait été jugé perdu par les médecins. David, mâchoires serrées, yeux bleus lançant des éclairs, avait gentiment forcé son cheval à rentrer au palais, le soutenant même lors du trajet et, une fois arrivé, il avait tout négligé pour sauver son cheval. Son obstination avait vaincu : Furiande avait retrouvé toute sa vigueur et, à le voir galoper crinière au vent, personne n'aurait cru qu'un jour il avait été proche de la mort.
   David se laissait emporter par son cheval, à qui il savait pouvoir faire confiance sans limites, et réfléchissait au problème posé par Alexis VI. L'idée de Crepkott n'était pas stupide en soi ; n'importe quel souverain eût été ravi d'avoir en son royaume un chevalier capable de défier un dragon, mais comment allait réagir Alexis VI ? Il était si imbu de lui-même, si susceptible, qu'il supporterait difficilement de se faire prendre la vedette par un de ses chevaliers.
   Le jeune chevalier soupira. Et la princesse Elisa ! Zarastra IV allait s'étrangler de fureur devant l'affront infligé à sa fille. Au lieu d'envoyer une escorte digne de sa promise ou même de venir en personne, Alexis VI envoyait le plus pauvre de ses chevaliers qu'il envoyait aux quatre coins du royaume toutes les semaines pour satisfaire ses caprices, et sans même un message à délivrer à la fiancée.
   Irrymation était située au sud de l'Arasourdie, non loin de la capitale, si bien que le voyage serait court pour une fois. Mais c'était ce qui tracassait David : où pourrait-il dénicher un dragon sur un chemin si fréquenté ? Il y avait tant d'animaux fantastiques qui vivaient à proximité de la frontière que cela aurait été d'une facilité déconcertante d'en ramener un si le roi avait désiré un animal quelconque, mais voilà, il voulait un dragon et, qui plus était, un dragon assorti à la princesse Elisa, aux écailles de la couleur de la chevelure de la promise, par exemple.
   Il était presque arrivé à la frontière entre les deux royaumes, Furiande ayant repris un pas paisible, quand un homme se dressa sur son chemin.
    - Salut à vous, chevalier. Accepteriez-vous de m'aider ?
   David accepta volontiers et se laissa glisser à terre. L'homme le mena jusqu'à un arbre gigantesque aux branches recourbées vers le sol et que des cordes semblaient prolonger.
    - Je m'appelle Thomas, dit l'homme. Thomas le Pendu.
    - David Dhenry, répondit poliment le chevalier.
    - Il faudrait que j'atteigne ma corde, expliqua Thomas le Pendu en montrant une haute branche hors de portée. Pouvez-vous grimper dans l'arbre et faire plier la branche jusqu'à ce que j'attrape la corde ?
    - Bien sûr.
   David commença aussitôt à grimper ; arrivé au niveau des premières cordes, il remarqua qu'elles se terminaient toutes par un noeud coulant, détail qui lui avait été dissimulé par l'éblouissement dû au soleil. Il choisit une branche solide située sous celle de Thomas et marcha dessus jusqu'à atteindre la partie flexible de la branche.
    - C'est bien celle-ci, n'est-ce pas ? cria-t-il à Thomas le Pendu.
    - Oui ! Oui !
   David nota distraitement qu'il semblait surexcité, mais n'y attacha pas d'importance. Le jeune chevalier était très distrait, surtout quand il avait quelque chose en tête. Il attrapa donc la branche et la tira à lui, la faisant ployer et rapprochant la corde du sol. Après quelques extensions et sauts ridicules, Thomas parvint à attraper sa corde et David bloqua la branche.
   Effaré, il vit Thomas mettre sa tête dans le noeud coulant et lui ordonner paisiblement de relâcher la branche.
    - Je m'y refuse ! s'exclama catégoriquement David. Je serai coupable de votre pendaison !
   L'autre éclata de rire.
    - Je ne m'appelle pas Thomas le Pendu pour rien, chevalier David ! Toutes les cordes que vous voyez ici sont celles de ma famille. Ils sont partis se promener, m'ayant laissé pour garder l'arbre. D'ailleurs, vous connaissez certainement cette espèce, on l'appelle l'arbre aux pendus. Quoi qu'il en soit, un homme, croyant sans doute bien faire, m'a dépendu. Or, il est absolument hors de question que ma famille me retrouve dépendu à son retour. La punition que j'encourrais serait terrible ! Donc, relâchez la branche, je vous prie.
   David considéra un instant l'homme aux larges épaules qui tremblait comme un enfant en pensant à un châtiment quelconque, puis songea qu'il était rare de rencontrer des pendus tenant absolument, eh bien ! à être pendus de nouveau.
    - Très bien, dit-il à contrecoeur. C'est vous qui l'aurez voulu.
   Et il relâcha la branche, qui entraîna Thomas le Pendu dans les airs. Un sourire extasié s'épanouit sur le visage du pendu en question. David resta un instant sur sa branche, prêt à couper la corde si Thomas changeait d'avis, mais ce dernier avait l'air positivement ravi. Haussant les épaules, David entreprit de descendre de l'arbre. Quand le jeune chevalier remonta à cheval, Thomas s'agita au bout de sa corde, comme si le vent le faisait danser, et David comprit qu'il s'agissait d'un adieu. Un pendu se respectant ne pouvait pas agiter les bras comme le commun des mortels. Le jeune chevalier se moqua de lui-même.
    - Ce n'est pas pour rien que l'on appelle ce royaume Absurdie, murmura-t-il pour lui-même.
   Il était vrai que, en Arasourdie, on ne disait pas " absurdité ", mais " absurdie ".
   La frontière avec Irrymation apparut devant lui. Il n'y avait qu'un seul garde, assis contre un énorme mille-pattes endormi. A l'approche de David, le garde se leva.
    - Salut à vous, chevalier ! dit-il. Veuillez me présenter.
   David, interloqué, ne sut que répondre. Puis il sourit intérieurement.
    - Furiande, je te présente le garde-frontière et son compagnon le mille-pattes, répondit-il solennellement.
   Le garde s'inclina respectueusement devant Furiande.
    - Enchanté, monsieur le marquis, susurra-t-il. Puisque votre valet ne semble pas savoir mon nom - on a tellement de mal à trouver du bon personnel de nos jours - je vais être obligé de décliner mes nom et prénom : Yxemerry de Lagardh-Unor. Puis-je connaître la raison de votre venue ?
    - Le marquis doit voir le roi Zarastra IV à propos de sa fille, la princesse Elisa, répondit David.
   S'adressant toujours à Furiande, le garde-frontière reprit :
    - Monsieur le marquis désire donc épouser notre princesse ?
    - Pas le moindre du monde, mon bon Yxemerry. Je suis ici sur l'ordre du roi Alexis VI d'Arasourdie.
    - Je suis navré, monsieur le marquis, mais vous allez devoir subir un interrogatoire serré pour franchir cette frontière.
    - Eh bien, allons-y. Monsieur le marquis s'impatiente, ajouta David alors que Furiande piaffait.
    - Quel est l'âge de la princesse Elisa ?
   David resta un moment sans voix puis, se dit que, fou pour fou, il pouvait répondre au hasard.
    - Un peu plus qu'hier et un peu moins que demain, je suppose, répondit-il doucement. L'âge de se marier en tout cas.
   Le garde parut considérer la réponse avec recueillement, puis l'accepta.
    - Quel est le passe-temps favori du roi ?
    - Celui qu'il pratique le plus souvent, naturellement.
    - Quel est le nom de la dame de compagnie de la princesse ?
    - Celui que la princesse utilise pour l'appeler, répondit David en haussant les épaules d'un air d'évidence.
   Le feu de questions continua encore longtemps, des questions auxquelles David aurait été bien incapable de répondre correctement, des questions aussi saugrenues que :
    - Que mange le neveu du roi en ce moment même ?
    - Des fraises, lança David sans hésiter.
   Yxemerry eut un instant de flottement.
    - Pourquoi des fraises ? demanda-t-il.
    - Pourquoi pas ?
   Après avoir répondu à la question vitale sur le nombre de marches du grand escalier dans les jardins - le nombre qu'en monte quelqu'un partant du pied de l'escalier pour aller au sommet d'une seule traite - David fut enfin autorisé à passer et Yxemerry de Lagardh-Unor salua le marquis Furiande avec force courbettes.
    - Je me demande, commenta David à voix haute un peu plus loin, si les gens que j'ai croisés avant étaient plus fous ou pas. J'en doute.
   Il grimaça gaiement.
    - J'en doute vraiment.
   Il retomba dans son idée fixe de trouver un dragon. Peut-être aurait-il dû se sentir flatté d'avoir été choisi - normalement, ce choix le désignait comme le plus courageux chevalier sous les ordres de Tréven - mais il savait très bien que Alexis VI l'avait nommé pour deux raisons : d'abord, tous les autres chevaliers étaient censés récupérer des terribles blessures que leur avait infligées le roi lors du tournoi - blessures tout aussi factices que le prétendu repos des chevaliers - et ensuite, point suffisant à lui tout seul, Alexis VI ne connaissait que son nom. Quel que soit le travail, dès qu'il avait besoin d'un chevalier, il appelait David : pour être exilé, pour accomplir des missions totalement saugrenues ou pour recevoir des distinctions... et tout chevalier soucieux de garder sa tête au bon endroit préférait se trouver loin du roi lorsque celui-ci tenait entre les mains une épée pour en frapper du plat les épaules du chevalier : la dernière fois, David avait bien failli perdre ses deux oreilles.
   David soupira de nouveau. Un dragon. Où diable allait-il pouvoir dénicher un dragon ? Une toux discrète le sortit de ses rêveries. Devant lui se tenait une mince jeune fille dont le poignet était glissé dans la boucle d'une fine laisse tressée de couleur vive, jolie et élégante, qui se terminait autour du cou d'un dragon bleu.
    - Tiens, nota distraitement David, un dragon bleu... Je préfère les rouges, ils sont plus grands...
    - La bénédiction du ciel soit sur votre tête, jeune fille, salua-t-il poliment. Pourriez-vous me dire si je suis encore loin du palais du roi Zarastra IV ?
    - Je peux vous le dire, acquiesça la jeune fille brune.
   Le silence retomba. Le dragon enroula sa queue autour de ses pattes et s'apprêta à faire un somme. David regardait la jeune fille d'un air interrogatif et elle comprit la question non formulée.
    - Vous en êtes tout près, répondit-elle de mauvaise grâce, mais vous n'y arriverez jamais ce soir.
    - Pourquoi donc ? s'étonna David.
    - Parce que la loi dit qu'il faut au moins trois jours de voyage pour atteindre Cenicien, la capitale. Nos savants l'ont calculé. Comme il ne faut pas transgresser la loi, vous vous feriez arrêter si vous atteigniez Cenicien en moins de trois jours. Notre roi est très bon et il ne veut pas arrêter tous ceux qui ne connaissent pas loi - les étrangers notamment - ou ceux qui ne savent pas compter jusqu'à trois. Alors personne ne peut atteindre Cenicien avant d'avoir passé trois jours sur le territoire d'Irrymation dans le but de venir à Cenicien.
    - Eh bien, jeune fille, que voilà une bonne idée ! approuva David qui n'en pensait pas un mot. Zarastra IV est très sage et très bon, en effet.
   David et la jeune fille s'affrontèrent du regard tandis qu'un léger ronflement montait de l'endroit où dormait le dragon bleu.
    - Jeune fille..., commença David.
    - Je ne m'appelle pas "jeune fille" ! s'exclama-t-elle. Mon nom est Osanne Ladonne et mon compagnon est Forgefeu. Je suis l'une des gardiennes de Cenicien.
    - David Dhenry, chevalier d'Alexis VI, roi d'Arasourdie, répondit placidement David.
    - Pourquoi un émissaire d'Alexis VI vient-il à Irrymation seul et sans escorte ? interrogea Osanne, méfiante.
   David soupira et mit pied à terre.
    - Parce que mon roi l'a décidé ainsi, répondit-il simplement.
   La jeune fille réfléchit un instant à ce qu'il venait de dire.
    - C'est une bonne raison, admit-elle. Pourquoi être venu ?
    - Zarastra IV a offert à la main de sa fille, la princesse Elisa, à mon roi.
   Il ne comprit pas pourquoi la jeune fille lui jetait un regard de commisération. A sa place, il aurait plutôt ressenti de la pitié pour la princesse Elisa.
    - Zarastra IV enverra une petite escorte avec sa fille, expliqua Osanne en montrant à David un endroit pour s'installer. Il y aura sûrement une des gardiennes avec elle, ajouta-t-elle.
    - Combien y a-t-il de gardiennes ? demanda David en enlevant la selle de Furiande.
    - Sept, répondit Osanne. Avec autant de compagnons. Demain matin, sans doute que Forgefeu ne sera plus là. Un autre le remplacera.
    - Pour quelle raison ?
    - Le choix du compagnon sur la route principale se fait en fonction de la couleur de la robe que sélectionne la princesse Elisa le matin. Par exemple, ce matin, elle était en bleu, donc Forgefeu a pris place avec moi.
    - Leur couleur est importante, pourtant ils ne portent pas de nom approprié.
   Osanne rit, un rire très gai et léger, frais comme le chant d'une cascade.
    - C'est parce que j'ai l'habitude d'abréger. Il s'appelle en réalité Bleu de Forgefeu. Il y a aussi Lavande de Forgenord, une de ses parentes. Rouge de Pierrefendre, le doyen, et Rose de Pierreroc, sa petite-nièce. Jaune de Souffle-Vent et Vert de Souffle-Terre, deux cousins et enfin, Blanc de Tremblemer.
    - Jolis noms pour des dragons, apprécia David. Des dragons..., répéta-t-il soudain. Si l'une des gardiennes part avec la princesse, un des compagnons viendra-t-il aussi ?
   Osanne secoua la tête.
    - Je ne crois pas, non. Les dragons sont bien plus importants que les gardiennes. Il est très difficile de capturer un bébé dragon et de l'apprivoiser.
    - Naturellement. Où capturez-vous vos dragons ? demanda David d'un ton détaché.
   Osanne se tourna et pointa le doigt vers une lointaine chaîne de montagnes.
    - Là-bas. Ces montagnes ne portent pas d'autre nom que celui de Monts des Compagnons. C'est le seul endroit où il est possible d'en trouver dans tout le royaume et je crois même que l'on pourrait étendre ceci à tous les royaumes avoisinants. Nous sommes le seul peuple à protéger les dragons, n'est-ce pas, Forgefeu ?
   Le dragon eut un vague grognement, mais n'ouvrit pas les yeux.
    - Combien de jours de voyage seraient nécessaires pour atteindre les Monts des Compagnons ? demanda David, caressant le nez de Furiande tout en regardant les montagnes.
    - Oubliez cela, chevalier David, fit Osanne en secouant la tête. Les Monts des Compagnons sont au beau milieu du territoire interdit et Draconiskaïa, la cité draconique, est protégée par de multiples pièges. Vous seriez mort avant même d'avoir vu l'ombre d'un compagnon.
    - Si le territoire est interdit, comment capturez-vous les bébés dragons ? s'enquit David, piqué au vif.
    - Le roi entretient toujours une équipe de chasseurs de dragons. Ceux-ci sont voués dès leur naissance à Draghnien, le dieu-dragon, et ne peuvent jamais changer de métier. Ils sont chasseurs de dragons de père en fils, sauf une fois, où l'un d'entre eux n'a eu que des filles. L'une d'entre elles l'a remplacé. Seuls ces chasseurs sont protégés des malédictions de Draconiskaïa et peuvent braver l'interdit planant sur les monts. Si jamais vous tentiez cette entreprise, Draghnien vous en châtierait tôt ou tard, soit par un échec, soit par une mort douloureuse.
    - C'est gai ! soupira David. Je me demande si Alexis VI savait qu'il m'envoyait à la mort en me confiant cette mission, ajouta-t-il pour lui-même. Ou Crepkott. Il me semble que Alexis V l'a enlevé d'Irrymation.
   Osanne était retournée près de Forgefeu et David s'assit par terre, décidé à prendre son mal en patience.
   Le soir tomba et Forgefeu choisit ce moment pour terminer sa sieste. Le jeune chevalier admira la beauté du dragon et eut un léger sourire en imaginant la tête d'Alexis VI en se retrouvant nez à nez avec Forgefeu. Osanne s'allongea entre les pattes de son dragon, la tête contre le flanc écailleux, et s'endormit aussitôt.
   David allait l'imiter quand Forgefeu tourna son regard doré vers lui.
    - Tu veux attraper l'un de mes congénères, petit d'homme, fit une voix rauque dans sa tête.
    - Oui, répondit David dans l'esprit duquel se formait l'image d'un homme en armure bleue et aux yeux d'ambre liquide.
    - Mais tu ne veux pas lui faire de mal, constata Forgefeu d'une voix un peu moins rude.
    - Non.
    - Pourquoi ton roi veut-il voir un dragon ?
    - C'est un caprice qu'il a eu, fit David en haussant les épaules.
   Il aurait été bien surpris de savoir que Forgefeu le voyait dans sa propre tête comme un dragon noir aux écailles étincelantes et aux yeux bleus, détail inhabituel pour un dragon, et qu'il avait bien du mal à interpréter le haussement d'épaules en gestuelle draconique.
    - Mon roi est très capricieux, continua David en essayant de dissimuler son mépris. Il clame sur tous les tons qu'il s'ennuie, mais il désire des distractions extraordinaires. Un dragon est réellement extraordinaire.
    - C'est un fait, acquiesça Forgefeu d'un ton presque ronronnant, visiblement flatté par cette remarque sincère. Si ton roi s'avisait de faire du mal au petit dragon, qui défendrais-tu ?
    - Je ne laisserai jamais mon roi causer le moindre tort à un dragon ! s'exclama David, scandalisé.
   Forgefeu le contempla un long moment, puis dit :
    - J'intercéderai auprès de Draghnien pour toi. Mais si tu renies ta parole, notre vengeance sera terrible !
   David hocha la tête.
    - Je comprends parfaitement, répondit-il d'une voix qu'il espérait être calme.
    - Dors, maintenant, petit d'homme. Nous te dirons quoi faire.
   Le jeune chevalier salua mentalement le dragon, puis s'allongea, s'endormant très vite sous le regard perçant de Bleu de Forgefeu.
   Le lendemain matin, Osanne était déjà debout quand David ouvrit les yeux. Mais Bleu de Forgefeu avait disparu ; à sa place se dressait un dragon aux écailles d'une douce couleur lavande. Ce devait être Lavande de Forgenord, la parente de Forgefeu. David cligna plusieurs fois des yeux et, entendant son maître bouger, Furiande vint vers lui à un pas tranquille, quelques brins d'herbe dépassant de ses grandes lèvres. Le jeune chevalier nota que Osanne ne portait plus sa longue robe bleue de la veille, mais une robe lavande qui s'harmonisait parfaitement avec la chevelure brune de la jeune fille. Osanne se tourna vers lui et sourit en le voyant réveillé.
    - Bonjour ! lança-t-elle gaiement. Comment vous sentez-vous ?
    - Plutôt bien. Et vous ?
   Osanne ne répondit pas. Elle désigna le ciel.
    - Le soleil est déjà haut, remarqua-t-elle avec un petit ton moqueur.
    - Je suis condamné à attendre trois jours, rétorqua David. Récupérer les heures de sommeil perdues me paraît une bonne idée pour faire rétrécir les journées.
   Osanne rit de nouveau.
    - Je voulais vous réveiller ce matin, mais Forgefeu a refusé. Il a dit que vous aviez parlé ensemble hier soir. Puis-je savoir de quoi il s'agissait ?
   David se leva, caressa rapidement Furiande, puis décocha un sourire charmeur à la jeune fille brune.
    - Vous le pouvez, répondit-il gentiment, une lueur impertinente au fond des yeux.
   Osanne rougit en repensant à sa remarque de la veille.
    - Nous avons parlé de dragons, reprit David pour mettre fin à la gêne de la jeune fille. Il va peut-être m'aider pour que je puisse remplir ma mission auprès d'Alexis VI.
    - Capturer un dragon ? s'enquit Osanne la voix légèrement tremblante.
   David eut un signe affirmatif.
    - Oubliez cette idée, David, je vous en prie ! Draghnien n'est pas tendre avec ceux qui défient ses règles. Et les sept compagnons vous feront payer cette profanation.
   A sa grande surprise, parce qu'il la croyait endormie, David entendit Forgenord expliquer calmement :
    - Non, Osanne. Forgefeu m'en a parlé. Nous allons aider le petit d'homme. Mon cousin m'a expliqué qu'il allait intercéder auprès de Draghnien. Je crois qu'il a confiance en ce petit d'homme.
    - Cousin ? interrompit David, s'adressant à celle dont on lui imposait l'image d'une belle femme vêtue de lavande. Mais Osanne disait que...
    - En réalité, Forgefeu et moi sommes des parents plus éloignés, mais pour simplifier, nous disons que nous sommes cousins. Forgefeu dit que tu protégeras notre petit.
    - Oui, je le ferai, promit David. Y compris au prix de ma vie.
    - Comment puis-je te croire ?
    - Je suis chevalier, sous les ordres de Tréven de Trévaine, capitaine d'Alexis VI, et en chevalerie, on a un code d'honneur. Ma parole est mon honneur, dame Forgenord.
   Le dragon le regarda un instant de ses yeux dorés, puis reposa sa tête sur ses pattes. Osanne regarda David avec des yeux stupéfaits.
    - Comment avez-vous fait pour mettre ainsi tous les dragons de votre côté ?
    - Je leur ai dit la vérité, Osanne. De plus, j'ai une certaine habitude de parlementer : mon roi m'envoie en mission toutes les semaines depuis bientôt deux ans et j'ai croisé des gens plus étranges que des dragons. Bien moins raisonnables, en tout cas.
   Le silence tomba entre les deux jeunes gens. David fouilla dans ses fontes pour trouver quelques galettes de blé pour son petit déjeuner ; Osanne refusa l'offre et le jeune chevalier mangea seul.
    - Pourrai-je atteindre le palais demain ou me faudra-t-il attendre un jour supplémentaire ?
    - Vous pourrez demain. Vous verrez sans doute Rose de Pierreroc en vous réveillant.
    - La princesse change de couleur de robe tous les jours ?
    - Oui. La seule qu'elle ne met pas est le blanc. Elle est blonde, voyez-vous, et elle estime que, avec du blanc, l'effet est trop terne Si bien que le malheureux Tremblemer ne bouge jamais. Il est le seul à ne jamais changer de gardienne et à n'avoir jamais gardé la route principale. Il en est totalement déprimé.
    - Son tour viendra, promit David. Au royaume d'Arasourdie, il y a une loi : les mariées sont toujours en blanc. Si vous continuez à choisir le compagnon de la route principale en fonction des tenues de la princesse, naturellement...
   Osanne sourit.
    - Je suis sûre que Tremblemer sera ravi de savoir cela !
   La journée se passa agréablement à discuter et la nuit tomba de nouveau.
   Le lendemain donna raison à Osanne : Forgenord avait bien été remplacée par Pierreroc. David sella rapidement Furiande et fit ses adieux à la jeune fille. Il lui semblait que Cenicien était toute proche et il avait hâte de remplir la deuxième mission que lui avait confiée Alexis VI pour pouvoir s'occuper de l'autre : trouver un dragon.

Texte © Azraël 1999 - 2002.
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