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Inuit
Le chemin continua, silencieux. La mort d'Elvanshalee les avait tous affectés. Julian surtout allait de surprise en surprise depuis qu'il avait rencontré Azraël et Zarth. Les deux amis avaient presque fait vaciller sa foi en Illustra, tant leur façon d'agir l'avait sidéré. Avec une désinvolture presque pénible, Azraël se battait contre des dieux, des démons, la mort même, et un chevalier du néant placé dans les même conditions n'aurait sans doute pas fait mieux. Zarth, silencieux et effacé, suivait Azraël comme son ombre, comme si un pacte tacite avait été passé entre le maître d'armes et son ancien élève. Zarth semblait savoir que Azraël l'entraînerait tôt ou tard dans une situation inéluctable, mais il l'acceptait simplement et paraissait même s'en réjouir. Julian s'interrogeait de plus en plus sur la nécessité de l'ordre du néant. Si de simples aventuriers comme Azraël allaient défaire les forces du mal sans raison apparente, à quoi servaient donc les chevaliers ? Ils n'en savaient même pas autant sur leurs adversaires que les aventuriers. Elvanshalee était une drow et pourtant, elle était de bon alignement. Comment savoir ? Comme pour répondre à ses questions, Zarth tourna vers lui ses grands yeux gris ombrés par le capuchon.
- Non, ta vie n'est pas réduite à néant, dit-il doucement. Ne prends pas exemple sur Azraël. Il n'a rien d'un homme ordinaire. Il est le protégé de certains dieux et surtout, il y a une main étendue au-dessus de sa tête.
Comme Zarth se taisait, Julian insista :
- Quelle main ?
- Celle de Méline, souveraine de Slar, dit enfin Zarth, comme à regret. Avant de la rencontrer, Azraël était déjà exceptionnel. Mais, depuis qu'elle est là, il se surpasse. On dirait qu'il renoue avec toutes ses anciennes connaissances par le plus pur des hasards, et j'en fais partie, mais je pense que tout cela s'inscrit dans une conspiration divine à plus grande échelle. Azraël change de plus en plus : quand je l'ai connu, il était très solitaire et très renfermé, une vraie bête sauvage. Il s'humanise et s'aperçoit que, en fait, il est attaché aux gens. Cela l'inquiète.
- Il est inquiet de devenir humain ? s'étonna Julian.
- Non. Il s'inquiète parce qu'il s'attache aux gens et que ça le rend vulnérable. Mais c'est surtout parce que ses amis risquent beaucoup. Tu ne peux pas imaginer le nombre d'ennemis qu'il a.
Zarth se tut à nouveau et, cette fois-ci, Julian respecta son silence.
Soudain, ils entendirent le bruit caractéristique de la corde d'un arc qui se relâchait. Chacun réagit selon le danger : Azraël, qui n'était pas visé, encocha une flèche à son propre arc, ressorti comme par magie de son sac ; Zarth, cible du trait meurtrier, fit chuter Entshilkan sur le côté, en une figure de cascade qu'il avait apprise à sa monture. Quant à Julian, il se baissa simplement pour éviter la flèche qui passa juste au-dessus de son dos. Furnerius s'élança en avant, alors que Azraël relâchait la corde de son arc. Un cri de douleur jaillit des taillis qui s'écartèrent devant le regard furieux d'un centaure. Azraël le regarda en mordillant pensivement sa lèvre inférieure : l'hybride ne semblait pas avoir été touché et pourtant, le jeune homme était sûr d'avoir atteint sa cible. Le centaure sortit majestueusement des fourrés et, sur son dos, tenant un arc de la main gauche, la main droite serrée sur son épaule opposée, une jeune fille retenait ses larmes. Les taillis s'écartèrent encore pour laisser le passage à un magnifique tigre à dents de sabre. Zarth s'était relevé et la jeune fille elle-même sentit qu'il se passait quelque chose d'étrange : ces trois hommes ne paraissaient pas surpris de son attaque, mais ils ne faisaient pas un mouvement pour attaquer le tigre, pourtant reconnu comme bête féroce. Celui qui tenait l'arc avait baissé sa main et un léger sourire venait flotter sur ses lèvres.
- Vous m'avez blessée ! lança-t-elle d'un ton vindicatif à l'adresse d'Azraël.
- Je ne manque jamais ma cible, répondit le jeune homme d'un ton paisible.
- Mais je ne vous visais pas ! reprit-elle, agacée par cette atmosphère étrange.
- Heureusement. Sinon, j'aurais atteint le coeur et je n'aime pas ignorer qui je tue. Quelle est la raison de cette flèche ?
La jeune fille parut décontenancée.
- Mais certainement, vous n'ignorez pas qui sont ces deux hommes ! Un drow et un chevalier du néant, deux représentants des races les plus maudites d'Yslaire !
- Vraiment ?
Le centaure fit un pas en avant.
- Vous êtes de mèche avec eux ! s'exclama-t-il.
- Bien sûr que non ! fit moqueusement Azraël. Je suis leur prisonnier et je joue les gardes du corps à mes moments perdus. Posez cet arc, jeune fille, je suis plus rapide que vous.
La jeune fille ne sut que faire. Le centaure tourna vers elle son torse humain.
- Fais ce qu'il dit. Il a raison. Cet homme est une vraie armurerie ambulante.
Il regarda de nouveau Azraël, mais alors que le jeune homme venait de mettre pied à terre, la jeune fille tendit le doigt vers lui.
- Attaque ! cria-t-elle à son tigre.
Sans plus s'occuper de sa blessure, elle bondit à terre et tendit de nouveau son arc en direction de Zarth et Julian.
- Zarth ! Calme-la ! cria Azraël avant de disparaître sous une masse de fourrure.
Ecrasé sous le tigre à dents de sabre, le jeune homme ne perdit pas courage : il avait déjà lutté contre Anthrax et si le combat avait été rude, il s'en était quand même sorti avec les honneurs. Quand il réussit enfin à se dégager, Julian avait entamé un combat contre le centaure et la jeune fille tentait de cribler Zarth de flèches ; le jeune elfe les évitait avec grâce, ses mains fendant l'air pour récupérer les précieux traits. Le félin se ramassa pour bondir, mais Azraël le devança, lui attrapa les crocs et, pesant de tout son poids, il le renversa lentement sur le flanc, malgré tous les efforts du tigre.
- Jeune fille, écoute-moi tout de suite, ou je tords le cou à ton gros chat ! lança-t-il.
Elle se figea, mais Zarth, distrait par l'intervention de son ami, ne put éviter tout à fait la dernière flèche, qu'il reçut dans le flanc. Sans un cri de douleur, il arracha le trait de sa blessure et essuya la pointe poisseuse avant de le mettre avec les autres.
- Arrête, Shaman, soupira la jeune fille. Il tient Zamurrad .
Le centaure relâcha l'étreinte qui tentait d'étouffer Julian et le chevalier du néant fit un pas en arrière.
- Avant toute chose, ce drow est Zarth Ka'Brézil, dit Azraël.
- Connais pas, fit la jeune fille avec indifférence.
Exaspéré par cette perte de temps et par une petite voix intérieure qui lui disait de ne pas tuer cette petite peste, Azraël s'exclama :
- Et la souveraine du feu, tu la connais ?
Avec mauvaise grâce, elle admit qu'elle avait entendu parler d'elle.
- Julian, tiens-moi ce tigre, ordonna-t-il.
Il s'approcha de la jeune fille tout en tirant sur un cordon noir passé autour de son cou.
- Et ça, tu connais ?
Il s'agissait d'un gros médaillon cerclé de noir, représentant une grande flamme stylisée dorée.
- L'emblème du prince consort ! laissa échapper le centaure malgré lui.
Il leva un regard incrédule vers Azraël.
- Vous êtres le prince consort de Slar ? demanda-t-il, ne pouvant en croire ses yeux.
- Effectivement.
- Mais alors, le drow...
- Zarth Ka'Brézil, de la maison des Maskelyne, maître d'armes de Slar et ami personnel des souverains. Julian d'Agenor, chevalier du néant, compagnon d'aventures.
- J'ai entendu parler du prince consort. Vous auriez pu tuer Inuit, dit lentement le centaure.
- Shaman, s'impatienta sa cavalière, qu'importe ce qu'ils sont !
- Inuit, tu dépends de Slar. Tu dois donc respect à ton souverain. Cet homme est ton prince.
Les grands yeux verts de la jeune fille se fixèrent sur Azraël.
- Mon prince, fit-elle avec air boudeur.
Zarth s'avança et lui tendit toutes ses flèches, qu'elle reçut avec stupéfaction. Shaman le centaure continuait à fixer Azraël.
- J'ai ouï dire que vous étiez extrêmement fort. Vous seriez d'accord pour un petit constat ?
Avec un soupir, Azraël ôta le fourreau qui pendait dans son dos, puis son baudrier et déboucla enfin sa ceinture. A chaque arme qu'il voyait, Shaman ouvrait un peu plus grand les yeux. Tout cela alla rejoindre l'arc et le carquois appuyés sur un arbre près duquel paissait Furnerius et le cimeterre à l'éclair fut posé devant le tout.
- Un véritable arsenal, murmura Shaman.
- Normal, avec tous les fous en liberté, rétorqua Azraël, irrité.
- Si tu gagnes le combat, je pourrai les tuer, Shaman ? demanda Inuit.
Azraël tourna vers elle son regard aussi dur que du silex.
- Zarth, si cette demoiselle tend un doigt vers ses armes, tu es prié de la tuer sans aucune forme de procès. J'en assume les conséquences.
Le ton d'Azraël fit froid dans le dos de Shaman.
- Inuit, tiens-toi tranquille ! intima-t-il d'une voix pressante.
Le centaure et le jeune homme se firent face. Julian ne put s'empêcher de comparer les deux antagonistes : Azraël, grand, mince, tout en noir, l'air très calme, avec son serre-tête noir lui cerclant le front ; en face de lui, Shaman, avec toute la puissance propre aux centaures, les muscles jouant sous sa robe noire, sa queue d'un vert vif - couleur plus qu'étonnante - fouettant nerveusement l'air. Il avait ôté son boléro vert foncé et or, mais avait gardé ses poignets de force, verts également. L'empoignade démarra brutalement. Shaman bondit sur Azraël, mouvant sa partie équine avec une surprenante rapidité, et referma ses bras musclés sur le jeune homme. Celui-ci sembla lui glisser entre les doigts et riposta d'un coup au plexus. Le centaure parut ne rien ressentir. Il attrapa le poignet d'Azraël et l'attira à lui. Pour avoir déjà combattu contre le centaure, Julian savait ce qui allait suivre : Shaman allait l'attirer contre sa large poitrine, l'enserrant jusqu'à l'étouffer. Mais Azraël, par une combinaison savante, tordit son poignet, et celui de Shaman par la même occasion, puis se dégagea. On aurait cru voir un ours contre un loup : Shaman, imposant et puissant comme un ours, se basait sur sa force et recherchait le corps à corps. Azraël, au contraire, plus mince et souple, comptait davantage sur son agilité et sa rapidité et évitait de s'engager, portant un coup, puis reculant. Shaman commençait à s'énerver devant cet adversaire fuyant. Tout s'acheva très vite : un cri strident déchira les airs, paralysant les combattants sur place. Zamurrad, le tigre aux dents de sabre, s'élança sur Azraël qui se baissa à la vitesse de l'éclair, et ce fut Shaman qui reçut le fauve de plein fouet. Inuit était debout à côté de l'arbre où se trouvaient les armes d'Azraël et elle regardait sa main droite complètement brûlée. Le jeune homme se tourna vers Zarth avec un air de reproche.
- Désolé, Azraël, répondit l'elfe noir avec un petit ton innocent. Elle a tendu la main vers tes armes.
- Ce cimeterre est dangereux, Zarth ! Je suis la seule personne, ou presque, à pouvoir le toucher sans risque !
- Donc il ne craignait rien. Cesse de pester comme ça. Je me suis dit que ça lui donnerait une petite leçon.
Azraël éclata de rire.
- Bien joué, Zarth. Je n'y avais pas pensé.
- Je l'aurais bien sûr empêchée de se faire davantage mal, ajouta le jeune elfe avec un petit sourire.
- Bien sûr, railla Azraël.
Et les deux amis, si semblables et si différents, se mirent à rire à l'unisson.
Shaman examinait la main d'Inuit.
- Elle est très gravement brûlée, accusa-t-il.
- Mon Dieu ! Voyez-vous donc cela ! fit Zarth, hilare.
Julian le regarda d'un air scandalisé. Le jeune chevalier du néant, s'il arborait presque toujours un incurable optimisme, prenait tout bien trop au sérieux, avec une nette tendance à tirer cela vers le tragique.
- Quel est donc ton dieu ? murmura-t-il malgré lui.
- Allons, Julian, reprit Zarth avec un soupir, ce n'est pas si dramatique que cela !
Azraël remettait gravement ses armes, rebouclant sa ceinture à sa taille, et prit négligemment son cimeterre marqué d'un éclair. Dès qu'il le vit s'approcher d'Inuit, Shaman prit un air menaçant. Il suffit à Azraël de froncer violemment les sourcils et de soulever légèrement son arme pour que le centaure juge plus prudent de lui laisser le passage libre. Mais la Pierre de Lune devint terne et émit un bourdonnement boudeur.
- Xetha ! intima sèchement Azraël.
Il se lança dans une diatribe virulente dans une langue que personne ne comprenait, très fluide et musicale, aux nombreuses voyelles. Elle avait un petit air de sifflement, avec tous les s et i qu'il y avait. Finalement, la source de l'éternelle lumière céda et la pierre reprit tout son éclat. Azraël saisit alors fermement le poignet d'Inuit qui cria et se débattit tant qu'elle put, mais l'étreinte du jeune homme était telle qu'elle fut obligée de poser sa main sur la pierre. Elle essaya par tous les moyens de se dérober à ce contact qui la terrifiait, mais elle ne put le faire que lorsque Azraël daigna desserrer son emprise. Son poignet était tout meurtri, et on y distinguait nettement l'empreinte des doigts de son tortionnaire.
- Tu as vu l'état de mon poignet ? lança-t-elle, vindicative.
- Si tu en es à te préoccuper de l'état de ton poignet, tu ne dois pas être bien gravement brûlée, fit Azraël par-dessus son épaule, rejoignant Zarth tout en remettant son cimeterre dans son fourreau.
Inuit regarda sa main avec stupéfaction.
- Oh ! C'est merveilleux ! Tu ne peux pas faire la même chose pour mon épaule ?
Azraël se retourna et la fusilla du regard.
- Non, je ne peux pas, répondit-il brutalement. Xetha n'aime pas ça.
Shaman s'approcha d'Azraël.
- Excusez-la, prince, fit-il maladroitement et le jeune homme se prit à penser qu'il ne devait pas beaucoup fréquenter les personnes royales, idée qu'il trouva stupide. Elle est très passionnée, mais elle a très bon coeur, en fait.
- Pas croyable, rétorqua Azraël, sarcastique. Elle aurait des bons côtés ?
- Tout le monde a des bons côtés, Egan, intervint Julian.
Azraël se tourna vers lui.
- Ça se voit que tu ne fréquentes pas les mêmes milieux que moi.
Julian blêmit sous l'insulte voilée. Il fit un pas en avant.
- Insinuerais-tu que je vis dans un environnement protégé ? demanda-t-il, l'air mauvais.
- Je n'insinue rien du tout, riposta Azraël d'un ton encore plus belliqueux. Si tu es trop timoré, ce n'est pas de ma faute !
Zarth comprit que s'il laissait les choses s'envenimer, Azraël tuerait probablement le jeune chevalier sans autre état d'âme. Pacificateur, il s'interposa.
- Un peu de calme, dit-il paisiblement. Arrêtez de vous donner en spectacle comme ça. Azraël, tu es en train de perdre ta légendaire impassibilité. Quant à toi, Julian, tu sais bien que la remarque d'Azraël était justifiée : tu fréquentes des milieux aussi corrompus que lui, mais pas de la même façon. Vous avez une approche différente, c'est tout.
Julian, par son état même de chevalier du néant, était quelqu'un de prompt au pardon ou au regret quand il le fallait, et il desserra lentement les poings.
- Tu as raison, Zarth, admit-il. Je me suis laissé emporter un peu vite.
Zarth savait qu'il ne fallait pas attendre d'Azraël qu'il présente des excuses et, d'un regard, il le fit comprendre à Julian qui acquiesça et alla rejoindre Dolgttrasir.
- Tu te montres très cassant en ce moment, y compris avec ces pauvres monstres des Abysses. Que se passe-t-il pour que tu te laisses dominer par tes sentiments ? demanda le jeune elfe noir.
Azraël ne répondit pas immédiatement. Il fouilla dans ses fontes et y prit un morceau de boeuf cuit qu'il mâcha longuement avant de dire :
- A chaque pas que je fais, un pan de mon passé s'effondre.
Zarth ne comprit pas tout de suite ce dont il parlait, puis, soudain, tout fut limpide. Tous ces morts autour d'Azraël emportaient un peu de son passé avec eux. La mort d'Elvanshalee avait dû l'affecter beaucoup plus qu'il ne l'avait laissé voir. Ce qui les unissait était certainement beaucoup plus profond qu'une simple promesse - d'origine étrangère - de fiançailles. Mais comment le savoir ? Azraël n'aimait pas expliquer ce qu'il faisait et, s'il acceptait de bonne grâce de se présenter, cela restait toujours très superficiel. Le jeune homme remonta en selle, caressant au passage Furnerius qui quémandait une caresse.
- Venez donc à Slar ! lança-t-il du haut de son gigantesque cheval de guerre. Méline sera ravie de mettre une couche de civilisation à cette petite sauvage.
Si les paroles étaient dures, le ton était plutôt léger et Shaman empêcha Inuit de se mettre en colère. Cet homme étrange le fascinait et, surtout, il ne fallait pas oublier qu'il était prince consort de Slar. Mais la fascination naturelle qu'exerçait Azraël était la plus forte : pourquoi passait-il son temps à défier les gens alors que, de ses propres dires, il ne cessait d'avoir des ennuis en chemin ?
- Nous venons, dit-il lentement. Je suis impatient de voir l'accueil que réserve la souveraine de Slar à une petite sauvage.
- Tu crois que tu es obligé de ramener tout le monde à Slar ? chuchota Zarth qui venait d'arriver à sa hauteur.
- Bah ! Quelques-uns en sont repartis...
Azraël n'acheva pas sa phrase : la plupart en étaient repartis les pieds devant ou n'y étaient même jamais arrivé : Magira, Estar, Julianne, Aynaud, Ozanam, Elvanshalee, Elias. Le nom du vieux ministre revint brutalement à l'esprit de Zarth. Alors que Méline conservait encore des doutes, le jeune elfe avait perdu les siens : il était sûr que Azraël l'avait tué.
- En route ! s'impatienta Azraël.
Le même sombre pressentiment que celui qui l'avait saisi alors qu'il revenait du domaine des panthères l'agitait férocement et il craignait au fond de lui-même de découvrir un nouveau carnage où une tête au halo d'or rouge reposerait au milieu d'une mare de sang. Il avait déjà vu Lymanee mourir une fois et il avait cru en devenir fou ; il ne tenait pas à ce qu'une telle chose survienne de nouveau, car il ne répondrait plus de ses actes.
- Que crains-tu ? murmura Zarth, alors que les deux amis chevauchaient en tête à un train d'enfer.
- Le pire, répondit sourdement Azraël sans le regarder.
Zarth comprit aussitôt : lui aussi se souvenait de ce jour où il avait vu s'ouvrir les portes de la mort alors qu'il se battait pour Méline et Azraël ne revoyait pas sans un serrement de coeur cette image qu'il avait gardée de Rapace portant Zarth dont la chevelure de blanche était devenue rouge par le sang. Il aurait dû être là ce fameux jour, mais ses trop nombreuses absences étaient l'occasion rêvée de s'emparer de Méline. Sans expliquer le pourquoi de son geste, il poussa Furnerius plus encore et le fidèle cheval de guerre, comprenant son inquiétude, ne se fit pas prier pour allonger la foulée. Dans un élan superbe, Entshilkan et Furnerius se tendirent dans leur effort. Julian ne fit aucune remarque ; il stimula Dolgttrasir et se maintint à bonne distance. Quant à Shaman, il n'avait aucune intention de se laisser distancer et il accéléra aussi.
Texte © Azraël 1996 - 2002.
Bordure et boutons Black Cat, de Silverhair
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