 |
Shyntlara
- Où en étions-nous, Shyntlara ? reprit Azraël comme si de rien n'était. Ah oui ! Où est le flacon contenant l'âme de Gaud ?
Shyntlara secoua la tête. Azraël serra les mâchoires et se força à rester calme.
- Shyntlara, c'est la dernière fois que je te pose la question, et après, tu regretteras d'être née. Tu regretteras même que Liriel ne se soit pas occupée de toi à ma place !
- Je suis désolée, Azraël, répondit la jeune drow.
Impavide, Azraël remit ses cimeterres au fourreau et referma ses mains sur la gorge de Shyntlara.
Au-dehors, Zarth s'impatientait. Finalement, il dégaina son sabre et s'engagea à son tour dans la galerie.
- Il n'y a pas eu de signal ! protesta Julian en le suivant.
- Si tu crois que Azraël est du genre à appeler au secours ! Il ne le ferait qu'en dernier recours, en étant sûr de mourir même avec les renforts. Pour lui, c'est déshonorant.
Les deux elfes noires les suivaient sans rien dire, Elvanshalee surveillant de près Lualyrr qui marchait comme indifférente à tout. En arrivant dans la grotte, Zarth eut une curieuse réaction : il rengaina paisiblement et s'appuya contre la paroi.
- Eh bien, dis donc ! commenta-t-il simplement.
Azraël daigna à peine tourner la tête.
- Ah ! Te voilà ! Je commençais à m'étonner de ton retard, lâcha-t-il.
Elvanshalee sursauta comme si elle venait d'être piquée par une guêpe.
- Azraël ! Qu'es-tu en train de faire ? Tu es fou ? Shyntlara ne représente pas le moindre danger pour toi !
Azraël relâcha son emprise sur le cou mince de la jeune drow qui s'affaissa à terre sans un mouvement et se tourna vers Elvanshalee.
- Ne répète jamais ça ! gronda-t-il. Personne ne représente de danger pour moi !
Mais Elvanshalee ne l'écoutait plus : elle se précipita auprès de Shyntlara et l'examina.
- Tu es fou ! continua-t-elle à vitupérer. Elle t'aime depuis la première fois qu'elle t'a vu, et même avant, et toi, la seule chose que tu trouves à faire, c'est de l'étrangler ! Je crois qu'elle ne respire plus !
- Le contraire m'aurait un peu étonné, remarqua placidement Azraël. Je te signale juste que si j'épargnais toutes celles qui m'aimaient, très chère Elvanshalee, je ne serais plus vivant à l'heure actuelle.
Elvanshalee se releva et darda un regard furieux en direction d'Azraël qui la dominait de deux bonnes têtes.
- Azraël, tu es un imbécile, déclara-t-elle carrément. Shyntlara était encore une enfant et tu viens de commettre un meurtre en toute gratuité. Malgré ce que les apparences pouvaient laisser croire, elle a été élevée dans la religion d'Eilistraee et n'a aucunement subi l'influence de son père ou de sa mère. Tu...
Azraël saisit la jeune drow par les épaules et se pencha vers elle pour que son visage soit à la hauteur du sien.
- Elvanshalee, ce que tu as failli être pour moi ne te permet pas de me dire tout ce qui te passe par la tête. Aussi, si tu tiens à ladite tête, tu ferais bien d'apprendre à retenir ta langue en ma présence, parce que j'ai le sang chaud ! Souviens-toi aussi que je suis un assassin et qu'un assassin se moque complètement de la religion de ses victimes.
Le souffle brûlant d'Azraël frappa Elvanshalee plus fort encore que n'aurait pu le faire une morsure de fouet. Le jeune homme se redressa, la lâcha et ajouta négligemment :
- Au fait, ta petite protégée bouge.
Elvanshalee étouffa un cri de surprise et retomba à genoux près de Shyntlara.
- Elle est sauvée ! s'exclama-t-elle, soulagée.
Azraël haussa les épaules d'un air d'évidence. Il ne daigna même pas se déplacer et s'appuya simplement à la paroi, les bras croisés. Le regard que lui jeta Elvanshalee était noir quand elle se redressa, soutenant Shyntlara qui tentait tant bien que mal de retrouver son souffle.
- Eh bien, Shyntlara, je peux savoir où se trouve le flacon contenant l'âme de ton père ? demanda Azraël d'un ton calme. Je suppose que tu n'as pas trop envie que je recommence. Tu dois comprendre à présent, quand je te dis que ma justice sera plus prompte que celle de Liriel.
Shyntlara releva la tête et l'éclat de son regard s'était éteint.
- Je t'en prie, Azraël..., parvint-elle à murmurer d'une voix brisée.
Le jeune homme secoua la tête, l'air attristé.
- Tss ! Comme c'est dommage...
Il fit un pas en avant, mais Elvanshalee se dressa devant lui, soutenant toujours Shyntlara.
- Non ! Je ne te laisserai pas faire ! Tu es pire que Gaud et Kaliffa réunis !
Le visage d'Azraël ne marqua pas une seconde l'insulte.
- Ne reste pas sur mon chemin, Elvanshalee, dit-il d'une voix égale, tu pourrais le regretter.
- Tu n'oserais pas !
- Ah non ?
En deux temps, trois mouvements, Shyntlara se retrouva poussée dans les bras de Julian qui était trop stupéfait pour réagir et Elvanshalee était serrée contre Azraël, une navaja lui titillant la gorge.
- Tu disais, Elvanshalee ? demanda gentiment Azraël.
- Tu es un monstre ! tempêta la jeune drow.
- Erreur, rectifia paisiblement le jeune homme. D'après Gaud, ma vie est vide de sens et je ne suis rien. Un rien de plus ou de moins...
La lame de la navaja remonta doucement le long de la gorge d'Elvanshalee qui n'osa plus rien dire.
Et puis, soudain, Azraël éclata de rire et repoussa la jeune drow, rengainant sa navaja.
- Ça, ma petite Elvanshalee, c'est pour m'avoir insulté en me comparant à Gaud, fit-il en continuant de rire.
Il se désintéressa totalement de la jeune drow et se tourna vers Shyntlara. Zarth continua à observer Elvanshalee, se demandant si elle allait continuer à s'opposer à Azraël pour protéger sa collègue, mais la jeune drow hésita, puis ses épaules s'affaissèrent. Azraël avait gagné une fois de plus. Le jeune homme relevait le menton de Shyntlara.
- Allons, petite, murmura-t-il, si tu me disais ce que je veux savoir ? Si tu crains tant que ça Liriel, reste avec moi et je te protégerai d'elle. Elle a plutôt tendance à m'éviter.
Shyntlara leva vers lui des yeux emplis de larmes et, pour la première fois de sa vie, Azraël vit une drow pleurer.
- Il y a un passage secret, dit-elle très vite. Là, il y a quatre clones de Gaud qui veillent sur une niche où se trouve la fiole. Mais elle est encore protégée par des pièges dans la niche. Le passage secret est juste derrière toi et l'ombre en est la clef...
A peine avait-elle fini de prononcer ces paroles qu'un nuage noir mouvant s'abattit sur elle, alors qu'elle poussait un cri de terreur folle en tendant les mains vers Azraël.
- Protège-moi ! Protège-moi, tu l'as promis !
Bouche bée, Azraël regardait l'horreur qui se déroulait sous ses yeux. Réagissant brutalement, il tendit les mains en avant et articula un borborygme irrité que personne ne comprit. Tout se figea en un immense nuage de cristal étincelant. Azraël regarda autour de lui ; tous avaient l'air horrifié. Elvanshalee était devenue toute pâle et même Lualyrr, qui devait pourtant avoir le coeur bien accroché en tant que fille de Kaliffa, avait l'air impressionné.
- Ainsi, c'est ça, murmura-t-elle.
Azraël fronça les sourcils et fit le tour du nuage. Il dégagea Julian qui avait été partiellement pris dans le cristal, mais sans dommage et plissa le front devant le problème qui se posait à lui.
- Azraël, il faut absolument que tu la tires de là ! fit la voix d'Elvanshalee.
- Moi qui comptais la laisser comme ça..., ironisa le jeune homme. Tu ne trouves pas que c'est décoratif ? Et puis, ça peut effrayer les voyageurs de passage...
Il s'approcha du nuage de cristal et regarda dessous. Le cristal s'arrêtait aux épaules de Shyntlara. Calmement, Azraël ôta ses gants et ses protège-bras, ainsi que son anneau noir, et coinça le tout sous sa ceinture de métal ouvragé. Précautionnement, l'air concentré, il glissa ses mains entre le cristal et les épaules de la jeune drow. A la stupéfaction des autres, le cristal ne fit aucune difficulté pour laisser passer ses mains ! Tout doucement, sans hâte excessive, Azraël travailla le cristal, le repoussant vers l'extérieur.
- Julian, ordonna-t-il d'une voix rauque, soutiens le nuage de cristal.
Le chevalier du néant obéit sans discuter, tandis que Azraël continuait son délicat travail. Patiemment, il dégagea les épaules de Shyntlara, puis s'attaqua à son cou. Il écarta le cristal du cou mince, si loin qu'on pouvait apercevoir la pointe du menton. Il recula un peu et reprit son souffle. Les autres le regardèrent d'un air soupçonneux ; il haussa les épaules et se remit au travail.
- Presse-toi, Azraël, lui enjoignit Elvanshalee, elle va étouffer, là-dessous !
- Tu vas me faire confiance, oui ou non ? répondit le jeune homme, irrité, sans s'arrêter de travailler.
Pas à pas, il s'attaqua au visage de Shyntlara et Zarth aperçut quelques gouttes de sang qui tombaient sur le sol, mais, prudent, il n'en souffla mot. Il ne restait plus à présent que la chevelure neigeuse de Shyntlara qui restait prisonnière de la gangue de cristal.
- Julian, fais exactement ce que je te dis. Tu vas pencher tout doucement le cristal en arrière, comme si tu voulais l'enlever de la tête de Shyntlara.
Le chevalier du néant suivit les instructions sans regimber ; il croyait beaucoup savoir sur les mondes obscurs et il s'apercevait avec une pointe d'étonnement que, par rapport à Azraël, il n'y connaissait rien. Le jeune homme avait ses mains posées à plat sur le front de Shyntlara et, quand Julian inclina légèrement le nuage de cristal, les cheveux neigeux se soulevèrent avec. Azraël fit glisser lentement ses mains en arrière et la chevelure retomba, libérée du cristal. Lissant les longs cheveux sous ses mains, Azraël, avec l'aide de Julian, libéra entièrement Shyntlara. Il la poussa alors en direction de Zarth et prit le nuage de cristal des mains de Julian qui ne savait trop qu'en faire. Doucement, il le posa au sol, en prenant bien garde surtout de ne pas le cogner. Elvanshalee s'occupait de Shyntlara et elle se retourna comme une furie vers Azraël.
- Tu as vu dans quel état elle est ?
Epuisé, Azraël se passa les mains sur le visage et aussitôt, il laissa de larges marques sanglantes sur ses joues. Elvanshalee se tut et le regarda, les yeux exorbités. Il la repoussa hors de son chemin.
- Ne reste donc pas là, tu vois bien que tu me gênes, fit-il, bourru.
Il s'approcha de Shyntlara, dont le visage était couvert de blessures plus ou moins profondes. Toute la partie que Azraël avait dégagée du cristal étincelait de mille feux, ayant gardé quelques éclats de cristal. Azraël dégaina son cimeterre de la lune, dont la pierre brillait d'une douce lueur laiteuse.
- Non, ma grande, pas tout de suite, murmura-t-il presque affectueusement.
Il tendit la pierre vers le visage de Shyntlara, mais le cimeterre tentait d'atteindre les mains du jeune homme.
- Xetha ! lança-t-il sèchement. Ça suffit ! Fais ce que je te dis, que ça te plaise ou non !
La Pierre de Lune fit entendre un bourdonnement boudeur, mais accepta de frôler le visage martyrisé de Shyntlara. La pierre irradia de plus en plus de lumière, tandis que Shyntlara retrouvait sa beauté originelle.
- Pour sa chevelure, il lui suffira d'un coup de brosse, dit Azraël.
Il rengaina son cimeterre dont la poignée était poisseuse de sang. Zarth, d'un mouvement preste, fit passer Shyntlara dans les bras de Julian et attrapa les mains d'Azraël, qu'il retourna. Ce n'était plus qu'une plaie. Il n'y avait pas un seul endroit où la peau était intacte.
- Que s'est-il passé ? demanda Lualyrr, curieuse.
Azraël ne prit même pas le temps de lui répondre ; il avait aperçu un mouvement du coin de l'oeil et il repoussa tout le monde derrière lui. Le nuage de cristal bougeait.
- Reculez tous ! ordonna Azraël d'une voix de stentor.
Ils obéirent tous sans discuter, jusqu'à ce qu'ils sentent la paroi rocheuse contre leurs omoplates. Ils fixaient tous le nuage de cristal qui vibrait doucement. Azraël semblait fasciné par les jeux de lumière sur les multiples facettes.
Texte © Azraël 1996 - 2002.
Bordure et boutons Black Cat, de Silverhair
|