Retour à Vindemiatrix

   Il avançait donc dans les galeries de Vindemiatrix, tous les sens aux aguets, goûtant un peu ce retour en terrain connu. Il connaissait le moindre recoin par coeur. Pendant son année dans la cité drow, il avait amplement eu l'occasion d'explorer les alentours, tout en appliquant avec succès tout ce qu'il avait appris. Avec une petite équipe de drows ou, plus souvent, avec Zarth parfois accompagné de Shilka, ils avaient quasiment retourné chaque pierre. Azraël savait parfaitement où vivaient les monstres qui se trouvaient à proximité de Vindemiatrix, d'où le renseignement qu'il avait donné à l'ombre des roches. Il laissait légèrement courir ses doigts sur la roche, s'informant au passage, car les drows utilisaient assez fréquemment les murs pour transmettre des messages aux patrouilles. Il évita soigneusement l'endroit où vivaient les driders, ces drows ayant déplu à Liriel, la cruelle déesse des elfes noirs, et ayant été transformés en créatures hybrides mi-araignée, mi-drow. Il se dirigea vers un de ses lieux préférés, sorte de promontoire d'où l'on pouvait observer toute la ville aux mille lueurs féeriques sans être aperçu. Mais, en approchant, il ralentit considérablement le pas et porta la main à son cimeterre, le tirant à moitié de son fourreau. Il fit les derniers pas avec précaution, utilisant toutes ces techniques qu'il maîtrisait depuis des années. Il s'aperçut bien vite que les occupants de la petite grotte n'étaient que deux et il se détendit imperceptiblement. Il entra tranquillement dans la grotte et, aussitôt, une silhouette bondit dans sa direction.
    - Ce n'est pas le jour ! cria-t-elle d'une voix trop aiguë.
   Elle regard un peu mieux Azraël.
    - Mais vous n'êtes pas un drow ! s'étonna-t-elle d'une voix plus normale.
    - Excellente remarque, rétorqua le jeune homme d'un ton railleur.
   Au son de sa voix, la jeune elfe noire sursauta ; elle dégaina une courte épée qu'elle dirigea vers lui.
    - Reculez jusqu'au promontoire ! lança-t-elle sèchement.
   Azraël éclata de rire et détourna nonchalamment l'épée pointée sur son estomac.
    - Allons, Elvanshalee, dit-il calmement, est-ce une façon de traiter une vieille connaissance ?
   Le ton léger, ironique et mordant ne laissa aucun doute à la jeune drow. Elle hésita un instant, puis rengaina son épée.
    - Azraël ! Je ne t'avais pas reconnu. Tant de choses sont arrivées depuis ton départ que je n'aurais jamais pensé te revoir un jour. Vindemiatrix n'est pas un lieu agréable.
    - Ne détourne pas le sujet, Elvanshalee. Je te connais bien, la gourmanda gentiment Azraël. Pourquoi n'est-ce pas le jour ?
   Elvanshalee regarda autour d'elle d'un air coupable, se mordant la lèvre inférieure. Azraël la fixa un court instant, puis l'écarta et marcha résolument vers le fond de la grotte. Là, se trouvait un drider qui se terrait peureusement dans le recoin de plus sombre. Azraël n'eut pas le moindre frémissement en reconnaissant le visage du drow qui avait subi cette horrible transformation.
    - Salutations des ombres, Urlryn, déclara-t-il d'un ton neutre.
    - Que les dieux t'entourent toujours de ton manteau de ténèbres, répondit le drider d'une voix pitoyable.
    - Que s'est-il passé exactement ? interrogea Azraël.
    - Matrone Kaliffa, fit Elvanshalee avec une grimace, comme si ces deux mots expliquaient tout. Elle a décrété que notre religion offensait Liriel. Pourtant, Eilistraee n'a rien fait de mal !
    - Ma pauvre Elvanshalee ! Si tu n'as toujours pas compris que Kaliffa n'a pas besoin de prétexte pour tuer du drow, je me demande comment tu as pu survivre jusqu'à maintenant ! Au fait, où est ShriNeerune ?
    - A Vindemiatrix. Elle croit que je suis mort, répondit Urlryn d'un ton funèbre. Je n'ai pas voulu lui infliger ce spectacle.
   Le regard d'Urlryn était triste, mais résigné. Dans son dos, Elvanshalee utilisa le langage secret des doigts pour annoncer à Azraël que ShriNeerune était au courant et qu'elle venait parfois espionner Urlryn, sans oser se montrer. Elvanshalee était la jeune soeur d'Urlryn et ShriNeerune sa fiancée. Les deux jeunes drows étaient des fidèles de celle qu'elles appelaient Eilistraee et qui était en fait Marlann, la déesse-elfe de la poésie et du chant. Les dieux des elfes de la surface étaient beaucoup plus tolérants que leurs cousins à la peau noire, bien que les drows massacrassent leurs fidèles. Marlann éprouvait une sorte d'amitié pour les drows, mais, pacifique comme tous les dieux-elfes, sauf Sirius et Chantelys, elle réprouvait les horreurs et avait décidé de prendre en charge les drows qui refusaient Liriel en leur apparaissant sous la forme d'une très belle drow aux cheveux d'un argent luisant. Par le plus grand des hasards, ShriNeerune et Elvanshalee avaient toutes les deux les cheveux argentés, ce qui, malheureusement, les désignait comme adeptes du culte d'Eilistraee, même si tous les drows aux cheveux argentés n'étaient pas ses fidèles. Les grandes prêtresses de Liriel prétendaient qu'il fallait éliminer les autres religions pour faire plaisir à leur déesse et les adeptes d'Eilistraee avaient donc fort à faire pour survivre. Azraël fronça les sourcils.
    - Qu'est-ce que Kaliffa vient faire dans la transformation d'Urlryn ?
    - C'est elle qui m'a fait ça. Elle doit venir me chercher d'ici peu pour me conduire là où vivent les autres driders.
   Azraël plissa les yeux et réfléchit rapidement.
    - On va essayer de faire une petite surprise à Kaliffa, annonça-t-il.
   Sans rien ajouter, il alla jusqu'au promontoire.
    - Vilya ! appela-t-il mentalement.
    - Qu'y a-t-il, Egan ? répondit la voix désincarnée qui lui tenait habituellement compagnie.
    - Je crois que tu me dois une faveur, déclara-t-il.
   Il sentit en lui-même que Vilya frémissait à ce préambule.
    - Que veux-tu de moi ? demanda la voix avec appréhension.
    - Rends sa forme primitive à Urlryn, ordonna-t-il.
    - C'est impossible ! Urlryn n'est pas une de mes créatures.
   Azraël sortit lentement son cimeterre, les yeux fixés sur les lueurs féeriques à ses pieds ; il se sentait très calme, de ce calme qui l'envahissait au moment de ses actes les plus fous.
    - Dis-moi, Vilya, tiens-tu absolument à être en guerre ouverte avec Liriel ? s'informa-t-il paisiblement.
    - Pourquoi cette question ? fit la voix, inquiète.
    - Parce que si tu n'obéis pas, je vais exterminer la moitié des drows nobles de Vindemiatrix et bouleverser tout l'ordre de Liriel. Je suis sûr qu'elle appréciera de voir disparaître la première maison de Vindemiatrix.
    - Tu ne feras pas ça ! suffoqua Vilya.
    - On parie ? rétorqua Azraël d'un ton ingénu.
    - Ce n'est qu'un drow !
    - C'est un fidèle d'Eilistraee !
   Voyant que Vilya restait indécise, Azraël emprunta le petit chemin qui descendait vers la ville, cimeterre à la main, une lueur dangereuse dans les yeux. Aussitôt, une patrouille se présenta devant lui ; il n'eut qu'un bref sourire et para avec aisance les carreaux d'arbalète de poing qui fondaient sur lui, tout en subtilisant discrètement certains d'entre eux. Le drow le plus proche s'écroula brusquement, une large plaie à la gorge.
    - Que les ténèbres t'engloutissent ! lança un drow qui, à la carrure d'Azraël, avait compris qu'il n'était pas des leurs.
    - Lumière sur toi ! rétorqua le jeune homme en utilisant la malédiction drow la plus commune.
   Il y eut un bref instant de flottement, car Azraël avait parlé en drow. Les soupçons tombèrent aussitôt sur la Guilde, qui regroupait les seules personnes sachant tant de choses sur les drows. En effet, si tous les drows d'Yslaire se détestaient, ils avaient tous un point en commun : ceux qui, parmi eux, tentaient de fuir à la surface, étaient impitoyablement traqués et tués. Zarth était une exception, alors que Shayne passait pour morte et ne craignait donc rien. Aussi les fidèles d'Eilistraee étaient-ils sans cesse en butte au risque d'être tués, puisque leurs rituels devaient se passer à la surface. Profitant de l'hésitation de ses adversaires, Azraël plongea la pointe des carreaux récupérés dans la fiole contenant le poison Foudremort, puis enroula sa langue autour du carreau, pour la projeter en pleine face d'un drow, utilisant pour cela une vieille technique ninja. Les drows s'écroulèrent les uns après les autres et, dans leurs yeux, Azraël lut l'incrédulité de Vilya. Une elfe noire se présenta alors devant lui, armée du traditionnel fouet à têtes de serpent ; chose étrange, elle avait une chevelure d'argent et il ne fallut pas longtemps à Azraël pour la reconnaître.
    - ShriNeerune ?
    - Azraël, Liriel attend avec impatience de voir ton sang répandu en son honneur, déclara ShriNeerune, dents serrées.
   Le jeune homme évita le premier coup de fouet.
    - Que penses-tu de mon dernier sortilège, Azraël ? railla une voix familière.
    - Kaliffa ! J'aurais dû me douter que tu ne t'arrêterais pas en si bon chemin !
    - Matrone Kaliffa ! cingla la grande prêtresse. ShriNeerune, tue-moi cet inférieur !
    - Oui, matrone Kaliffa, fit docilement ShriNeerune.
   Azraël coupa toutes les têtes de serpent qui ornaient le fouet, mais recula, car ShriNeerune semblait prise de frénésie meurtrière, à la grande satisfaction de Kaliffa. Azraël ne voulait pas tuer la jeune drow, car il se souvenait encore du regard résigné d'Urlryn. Soudain, un son de cor retentit et Zarth apparut comme par magie aux côtés d'Azraël.
    - Occupe-toi de ShriNeerune ! cria Azraël, aucunement surpris, car il savait que le son du cor annonçait une aide d'Eilistraee. J'ai un petit compte à régler avec Kaliffa. Au fait, où as-tu laissé Julian ?
    - Eilistraee m'a promis de veiller sur lui, répondit paisiblement Zarth, mais le regard qu'il attachait sur Kaliffa manquait de chaleur.
   Face à la grande prêtresse, Azraël ne fit pas montre d'autant de retenue que face à ShriNeerune. Kaliffa était une des meilleures guerrières drows, mais la danse des lames d'Azraël était d'une rapidité jamais atteinte. De plus, la grande prêtresse de Liriel semblait paralysée par la présence de Zarth, derrière Azraël. Cette fois-ci, le jeune homme savait comment faire pour tuer ce genre de zombie : il décapita proprement Kaliffa, puis la tailla en rondelles. Au moment même où son cimeterre tranchait le fil de vie, ShriNeerune s'effondrait dans les bras de Zarth avec un grand cri.
    - En as-tu assez, Vilya ? demanda mentalement Azraël. Je peux continuer, si tu le désires.
    - Egan, non ! gémit la douce voix désincarnée. Qui cherches-tu donc à tuer ?
    - Je crois que tu n'es pas encore convaincue, reprit Azraël d'un ton sinistre.
   De nouveau, il leva sa lame ensanglantée en l'air, tandis qu'un cri déchirait son esprit.
    - Non ! Non, Egan, je t'en supplie, arrête ! Je ferai tout ce que tu voudras, mais arrête !
   Le bras d'Azraël eut comme une hésitation et la voix de Vilya devint presque un souffle.
    - Je t'en prie, Egan, par tout ce que tu aimes, je t'en conjure, arrête ce carnage ! Je redonnerai à Urlryn sa forme primitive.
    - Quand ? demanda Azraël, pas dupe de cette promesse.
    - Quand tu voudras. Je te le jure, Egan, je ne cherche pas à te tromper.
   La voix de Vilya était pleine de larmes et, lentement, comme à regret, le bras d'Azraël se baissa. Le jeune homme essuya consciencieusement sa lame et la remit au fourreau.
    - Comment va ShriNeerune, Zarth ? demanda-t-il d'un ton urbain, comme s'il ne se dressait pas au milieu d'un tas de cadavres.
    - Elle est choquée. Si tu ne t'étais pas chargé de Kaliffa, je crois que je le lui aurais fait payer.
    - Tu n'en aurais retiré aucun plaisir. Elle était pétrifiée devant toi. Elle s'est à peine défendue. Et puis, rappelle-toi que tu as quasiment promis de ne jamais tuer de drows.
   Zarth ne lui répondit que par une grimace. Azraël ricana, lui prit ShriNeerune qu'il souleva dans ses bras et repartit en direction de la grotte. Zarth le suivit d'un pas tranquille, la main sur son sabre, les oreilles aux aguets. Elvanshalee vint à leur rencontre.
    - Par Eilistraee ! Que s'est-il passé, Azraël ? Pourquoi as-tu ramené ShriNeerune ?
    - Vilya, il est temps de respecter ta promesse, fit mentalement Azraël.
    - Oui, Egan, répondit la douce voix désincarnée, et elle avait une note étrangement soumise.
    - Urlryn, viens ici ! appela Azraël. Tout de suite !
   L'autorité du jeune homme était telle que le jeune drider n'osa même pas essayer de discuter. Il sortit de la grotte, baissant la tête avec accablement. Un halo argenté apparut devant lui et une silhouette diffuse tendit les mains vers le corps du drider. L'apparition hésita un vague instant et tourna la tête vers Azraël ; celui-ci, percevant l'hésitation de Vilya, confia ShriNeerune aux bras de Zarth et posa la main sur son cimeterre, tout en gardant son regard dur fixé sur le halo argenté. La déesse comprit le message et soupira, puis se tourna de nouveau vers Urlryn. La main de lumière toucha le drider et le halo s'empara du corps difforme. Lentement, le pouvoir de la déesse fit son oeuvre et Urlryn se retrouva brusquement sur ses deux pieds, tel qu'il s'était toujours connu. Le hasard voulut que ShriNeerune ouvre les yeux à ce même moment, et les deux jeunes drows tombèrent dans les bras l'un de l'autre. Le halo se tourna vers Azraël de nouveau, puis s'estompa, mais la douce voix résonna dans l'esprit du jeune homme.
    - Es-tu content, Egan ? demanda-t-elle d'un ton boudeur.
    - Ne trouves-tu pas que ce spectacle vaut bien le risque que tu viens de prendre ?
    - Tu te ramollis, Egan, constata Vilya. Méline a trop d'influence sur toi.
    - Je ne me ramollis pas, Vilya, comme tu as pu le voir. Je laisse juste s'exprimer une partie de moi que j'avais toujours refoulée jusqu'à présent.
   Une grande drow à l'abondante chevelure argentée vint vers Azraël et, brusquement, le halo argenté reparut, la silhouette se faisant plus précise. La nouvelle venue saisit les mains de lumière de Vilya.
    - Sois remerciée, ma soeur, pour ce geste et sois assurée de ma protection si Liriel cherche à te nuire.
    - Ne t'inquiète pas, divine Eilistraee, intervint Azraël, si Liriel essaie d'attaquer Vilya, je la défendrai, en donnant ma vie s'il le faut. Liriel le sait bien et elle ne tentera rien contre elle.
   Eilistraee regarda longuement le jeune homme.
    - Loué sois-tu, toi qui fais trembler les dieux comme s'ils étaient des être faibles, murmura-t-elle. Puisse ton coeur toujours lutter pour les causes qu'il trouve justes en ce jour.
   Azraël accepta l'augure avec un léger sourire ironique, puis se tourna vers Zarth.
    - On y retourne ? demanda-t-il avec entrain. Julian nous cherche peut-être.
   Zarth acquiesça et les deux amis s'en allèrent, laissant Urlryn, ShriNeerune et Elvanshalee tout à leur joie.
   Julian dormait toujours et Azraël regarda pensivement le jeune chevalier ; le sommeil le dépouillait de son perpétuel sourire un peu moqueur et lui rendait un air vulnérable. Le jeune assassin songea que Julian devait avoir une force de caractère peu commune pour avoir accepté de devenir chevalier du néant. Zarth, moins rêveur, secoua Julian pour le réveiller.
    - Vu comment tu dors, lança-t-il en souriant, les drows auraient le temps de te tuer quinze fois avant que tu ne te rendes compte de quelque chose !
   Julian se redressa, un peu stupéfait.
    - C'est la première fois que je dors ainsi avec des gens que je ne connais que depuis peu !
    - Eilistraee a peut-être un peu trop forcé sur la dose, marmonna Zarth et Azraël, qui l'entendit, lui dédia un sourire malicieux.
    - En route ! ordonna-t-il. Nous avons du pain sur la planche. Zarth, tu peux me dire où tu nous emmènes exactement ?
   Zarth plissa les yeux et un sourire moqueur naquit sur ses lèvres.
    - Certainement pas. C'est la seule garantie que j'ai pour que tu ne m'abandonnes pas en route, vil assassin.
   Au ton insultant de Zarth, Julian crut que Azraël allait bondir pour punir l'insolent. Le jeune aventurier eut un rire bref, mais peu rassurant.
    - Comme si je pouvais te faire confiance, drow ! rétorqua-t-il avec un air souverainement méprisant. Tu es capable de nous mener droit dans l'antre d'un ver pourpre.
    - Et toi, tu m'abandonnerais sans remords à la première difficulté pour sauver ta misérable peau ! s'échauffa Zarth.
   Julian aurait bien voulu intervenir, pour calmer les esprits, mais il craignait une répartie sanglante, car les deux antagonistes n'avaient pas la langue dans leur poche. Alors il attendit patiemment, prêt à dégainer si les choses se dégradaient plus encore.
    - Ma peau vaut toujours plus que la tienne ! lança Azraël. Ta race n'est qu'une erreur de la création qui devrait être rayée de la surface du monde, sale racaille de drow !
    - Bon, reprit Zarth sur le même ton, tu crois qu'on a fait suffisamment peur à Julian pour arrêter ?
    - Peut-être bien, oui.
   Zarth et Azraël se tournèrent vers Julian, un même sourire aux lèvres, et le jeune chevalier soupira.
    - J'ai cru que vous alliez vous entre-tuer, avoua-t-il sans honte.
    - Encore heureux, sinon nous aurions fait tout ça pour rien !
   Azraël et Zarth éclatèrent de rire et repartirent tranquillement. Julian secoua la tête, surpris : ces deux-là étaient les plus étranges compagnons qu'il lui ait été donné de voir : ils ne prenaient rien au sérieux, se disputaient pour le plaisir, tout en sachant qu'ils ne pensaient pas un mot des insultes qu'ils se lançaient, se battaient pour un oui ou pour un non, ne prenaient aucune précaution tout en étant poursuivis par des ennemis plutôt coriaces. Il abandonna ses rêveries pour revenir dans la réalité : si ses compagnons comptaient y aller décontractés, ce ne serait certainement pas son cas !
    - Je ne vois pas du tout où tu veux aller, disait Azraël. Je connais ce coin par coeur et je n'y ai jamais quoi que ce soit méritant le nom de source de l'éternelle lumière.
    - Normal, lui assura Zarth. Tu ne peux pas la voir en passant simplement devant. Il faut savoir ce que tu cherches et connaître l'entrée secrète. Tu verras par toi-même, nous approchons.
    - J'ai hâte de voir ça, fit Azraël d'un ton quelque peu dubitatif.
    - Fais-moi confiance, répondit Zarth, mais la fin de sa phrase resta en suspens, comme s'il venait de se rendre compte qu'il avait dit une absurdité.
   Azraël tourna la tête vers lui et son regard avait une étrange expression. Il eut un sourire un peu triste.
    - Est-ce que j'ai jamais su un jour comment faire ? répondit-il doucement.
    - Je suis désolé, Azraël.
    - Tu n'as pas à l'être, Zarth. Ce n'est pas de ta faute si je suis comme ça.
    - Chut ! intervint soudain Julian. Vous entendez ce bruit ?
   Immédiatement, les deux amis furent sur leurs gardes. La main d'Azraël alla se poser sur la poignée de son cimeterre et son arme sortit à demi de son fourreau dans un sifflement métallique quasiment inaudible. A ce bruit, que Zarth avait parfaitement entendu, le jeune drow réagit brutalement.
    - Range ça tout de suite ! siffla-t-il comme un chat en colère. Cachez-vous, vite !
   Ahuri, Julian obéit sans discuter. Azraël fit plus de difficultés ; il accepta de se cacher sans protester, mais son cimeterre resta dégainé, le jeune homme le tenant de façon que l'éclat métallique ne puisse le trahir. Une procession passa dans les galeries de Vindemiatrix et elle semblait précédée de nombreux porteurs de torches, tant la lumière qui l'annonçait paraissait vive dans ces souterrains.
    - Trop tard, souffla Zarth, nous avons été repérés.
    - Je peux savoir ce qu'il se passe ? demanda Azraël d'une voix acide.
    - Ces lumières... ce sont les gardiens de l'éternelle lumière. Ils viennent nous chercher.
    - Parce que tu crois que je vais me rendre sans combattre ? gronda Azraël comme un fauve.
   Zarth secoua la tête, chagriné.
    - Qu'importe ce que tu fasses ; mieux vaut à la rigueur se rendre sans combattre, cela plaidera pour nous lors de notre jugement.
   Julian eut un hoquet.
    - Jugement ! Sur quoi peuvent-ils nous juger ?
    - Tu vois, tu as fait peur au petit, avec tes histoires, le réprimanda Azraël, même si Julian n'apprécia que modérément d'être qualifié de "petit".
   Le halo lumineux se rapprochait et les trois amis se renfoncèrent dans leur coin. Le groupe de nouveaux venus s'arrêta devant leur cachette.
    - Venez au dehors, ô guerriers, invita une voix qui semblait ne venir de nulle part. Ne craignez rien de nous.
   Azraël et Zarth échangèrent un regard et la main libre du jeune aventurier commença à tracer quelques signes en l'air. Zarth secoua la tête et fit un pas hors de la cachette. Aussitôt, deux silhouettes lumineuses se saisirent de lui. Julian, poussant un rugissement furieux, dégaina sa large épée et chargea les nouveaux venus. Azraël, prudent, resta en arrière. La lame de Julian passa au travers d'un corps lumineux, sans que le propriétaire semblât en ressentir le moindre problème. Mais cela n'arrêta pas la détermination de Julian ; Azraël s'aperçut alors que le jeune chevalier arborait maintenant un casque noir qui recouvrait son visage entier et qui était orné d'un scorpion argenté, reproduisant fidèlement le symbole sur sa poitrine. Visiblement, le chevalier du néant avait plus d'une fois rencontré de semblables cas, où sa lame ne rencontrait pas de résistance et où l'adversaire semblait invulnérable. D'une voix puissante, il entonna un sortilège d'Illustra, mais, d'un geste, une silhouette lumineuse l'emprisonna dans des liens impalpables qui l'empêchèrent de faire le moindre mouvement

Texte © Azraël 1996 - 2002.
Bordure et boutons Black Cat, de Silverhair

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