 |
L'évasion
Méline et Azraël se retrouvaient dans l'obscurité la plus complète. Dans le coin où elle se trouvait, Méline entendait la respiration saccadée d'Azraël et elle voulut se rapprocher de lui.
- Reste au loin ! lança-t-il sauvagement. Ne m'approche surtout pas !
Appuyé contre le mur, Azraël s'était à moitié redressé et tirait sur tous ses muscles afin de se débarrasser de ses liens. Tordant ses poignets dans tous les sens, ses longs doigts minces réussirent à saisir un noeud et s'y attaquèrent pour le desserrer. Mais il comprit vite que la magie de Farenir empêchait justement les noeuds de se défaire. Alors il tira sur ses liens, mais sa force humaine, pourtant considérable, n'y suffisait pas ; mais Azraël n'avait pas accepté cette pièce en toute innocence. Il se connaissait bien et savait qu'il ne pouvait pas supporter d'être prisonnier. Sa claustrophobie, exacerbée depuis qu'il avait retrouvé le pouvoir des assassins, le poussait à sortir d'ici et, sans même le vouloir, il entreprit sa transformation en hybride. Méline le sentit et se renfonça dans son coin, respirant le plus faiblement possible afin de ne pas le déranger. Elle comprenait maintenant pourquoi il n'avait pas voulu qu'elle se rapproche. Il était dangereux et ne voulait pas l'atteindre. Sa force décuplée, Azraël s'acharna sur ses liens. Ses mains étaient devenues des pattes griffues et les liens, même protégés par magie, ne purent rien faire contre les griffes aiguisées. En deux temps, trois mouvements, il s'était débarrassé de ses liens et arpentait la salle à pas rageurs, respirant de longues goulées d'air brûlant pour se calmer. Il redevint humain, prit sa tête entre ses mains et, tremblant de tous ses membres, il se força à reprendre le dessus sur lui-même.
- Tu ne gagneras pas, grogna-t-il intérieurement à l'adresse du fauve qu'il abritait au fond de lui-même.
Soudain, il se rappela les fenêtres et alla les examiner de près. Elles étaient scellées dans la roche. Alors, il redevint hybride, noua ses pattes autour des barreaux et tira de toutes ses forces. Il bascula en arrière au bout de la deuxième tentative, entraînant la fenêtre avec lui dans sa chute. Il se redressa aussitôt, tendant l'oreille. Il n'y eut aucun mouvement dans la tour. Ni Farenir, ni sa petite protégée n'avaient entendu quoi que ce soit. Il sourit et entreprit de nouveau la délicate entreprise de se calmer. Une fois que ce fut fait, il fouilla dans son sac qu'on lui avait laissé, y prit un parchemin sur lequel il traça quelques mots.
- Désolé, Farenir, mais on a un besoin urgent de Méline. Toutes mes excuses pour la fenêtre. Je reviendrai un de ces jours pour terminer la partie de spirales que je te dois.
Il ne signa même pas, certain que Farenir comprendrait le message. Il posa le parchemin par terre, prit dans son sac ses griffes de chat, puis alla délivrer Méline. Il s'approcha de la fenêtre.
- Tu pourras passer toute seule ? demanda-t-il à voix basse.
- Oui, répondit la jeune fille.
Azraël hocha la tête et se coula silencieusement à l'extérieur. Il enfonça ses griffes de chat dans la paroi de la tour et attrapa Méline quand sa tête parut à la fenêtre.
- Mets tes bras autour de mon cou et essaie de ne pas entraver mes mouvements, recommanda-t-il.
La jeune fille obéit, fermant les yeux devant la hauteur vertigineuse à laquelle ils se trouvaient. Azraël commença la descente et ses gestes étaient sûrs et efficaces. Méline sentit toute la pratique qui lui venait de la Guilde et, pour un peu, elle aurait béni les Fils des Ténèbres d'avoir tout appris à Azraël.
Tout en descendant, Azraël jetait de fréquents coups d'oeil en bas, n'étant pas sujet au vertige. Il vit des mouvements en bas et sut qu'il s'agissait de Furnerius et de Solitudines. Qu'était-il advenu du golem de fer ? Et puis, alors qu'ils étaient presque arrivés, il s'arrêta soudain.
- Que se passe-t-il ? demanda Méline, les yeux toujours fermés.
- Je viens de me souvenir de quelque chose, répondit succinctement Azraël.
Il jeta son bras en arrière et ramena la jeune fille devant lui. Avec ses dents, il ôta la griffe de chat à sa main libre et la tendit à Méline.
- Mets ça et enfonce les griffes dans la paroi, sans lâcher mon cou.
Méline obéit sans discuter, au prix d'une manoeuvre périlleuse. Azraël remonta ensuite un de ses pieds et détacha la griffe de chat opposée à celle qu'il avait déjà ôtée à sa main.
- Ta jambe ! ordonna-t-il ensuite.
La jeune fille avait compris et elle remonta le bon pied, prenant appui sur les épaules d'Azraël. Il lui fixa la griffe de chat.
- Essaie de te tenir toute seule contre la paroi. N'aie pas peur, je suis prêt à te rattraper. Est-ce que ça va ?
- Oui, répondit-elle d'une voix chevrotante, mais je ne tiendrai pas longtemps comme ça.
- Du moment que tu tiens le temps nécessaire..., grommela-t-il. Je vais sauter. Ne crains rien ; tout se passera bien si tu suis mes instructions à la lettre. As-tu compris ?
Elle acquiesça du menton, serrant les paupières de toutes ses forces. Azraël se détourna, le bras tordu en arrière, lâchant Méline. Il vit Furnerius arriver au petit trot et fit un grand geste du bras. Le grand cheval de guerre pila net et mordilla Solitudines pour qu'il recule. Se ramassant comme un fauve, Azraël s'élança dans le vide et se reçut à terre en roulant sur lui-même en prenant bien garde aux griffes de chat, de façon à ne pas être blessé. Il se redressa, un peu étourdi, mais pas autrement choqué. Il ôta rapidement ses griffes de chat qu'il lança négligemment dans son sac, accorda à peine une caresse distraite à Furnerius et s'avança vers la tour.
- Egan ! gémit Méline. Je vais lâcher !
- Non, Méline. Ecoute-moi bien. Fais tourner ton pied de façon à ce que la plante repose entièrement contre la paroi. Bien. Ensuite, retourne-toi doucement pour me faire face, sans lâcher la prise de ta main. Très bien.
- Je glisse, Egan ! fit Méline, terrifiée, si terrifiée qu'elle ne songeait même pas à utiliser sa magie.
- Mais non... Maintenant, fais exactement ce que je te dis, sans réfléchir. Prends appui contre la paroi de ton pied libre et propulse-toi vers l'avant, en lâchant tout. Vas-y !
Se sentant glisser, Méline obéit, incapable de réfléchir. Elle passa près de la paroi, trop près, et déclencha le piège que Azraël voulait éviter, mais, heureusement, la flèche traversa juste l'ourlet de sa robe sans l'atteindre. Le jeune homme la reçut dans ses bras, tremblante de peur. Il bondit aussitôt sur le dos de Furnerius, attrapa les rênes de Solitudines, et son cheval partit au petit trot.
Méline finit par se calmer, serrée contre la poitrine d'Azraël, qui galopait les cheveux libres dans le vent froid. Le jeune homme la fit passer sur le dos de Solitudines sans même ralentir l'allure et, sur un sourire complice, les deux jeunes gens se lancèrent dans les grandes étendus glacées de Ferkar. Furnerius prit un peu d'avance sur Solitudines, tout heureux de retrouver son maître et ami dont il avait été privé durant un jour entier. Sur les épaules de son étalon, Azraël remarqua quelques contusions et il sourit dans la nuit : la rencontre entre le golem de fer et les chevaux n'avaient sans doute pas été de tout repos pour le golem et il était sûr que la créature arborait de splendides marques de sabots sur sa carapace de fer. En fait, le froid avait été l'allié des chevaux, puisqu'il avait bloqué le golem sur place avant qu'il ait pu faire davantage de dégâts. Azraël leva le nez et rechercha son étoile, Sirius, qu'il n'avait pas vue la veille. Elle n'y était toujours pas et il fronça les sourcils de contrariété. Il eut même l'impression que d'autres étoiles avaient disparu en une journée.
- Stupide, grogna-t-il en lui-même. Tous ces événements t'ont tourné la tête, mon vieil Azraël.
Méline se retourna et aperçut, solitaire dans le ciel glacé, la tour de Farenir.
- Comment as-tu pu traverser une pareille étendue en une seule fois ? cria-t-elle au grand galop sur Solitudines.
- Tu oublies que j'avais deux montures ! lui répondit Azraël en se retournant. Mais j'ai repéré un petit bois où se trouve une colline au pied de laquelle il y a une grotte.
Méline ne répondit pas ; elle était toute à la joie de sentir le vent, même mordant, sur son visage, une sensation qu'elle avait cru devoir oublier pour le restant de ses jours.
- Egan n'est pas comme Farenir, songea-t-elle. Il connaît le prix de la liberté et ne pourrait songer à en priver quelqu'un.
Le petit bois annoncé par Azraël pointa la cime de ses arbres alors que Vilya faisait son apparition dans le ciel. Les chevaux, écumants, entrèrent sans se faire prier dans le sous-bois où régnait le calme le plus parfait. Une fois à la grotte, Azraël s'occupa d'abord de faire un feu, puis dessella les chevaux et les bouchonna vigoureusement. Ensuite il fouilla dans son sac en grommelant, tandis que Méline se tenait près du feu, saisie par le froid.
- Ah ! Je savais bien que je les avais prises ! s'exclama le jeune homme victorieusement.
Il sortit deux peaux d'ours toutes douces, d'une taille respectable. Il en posa une sur le sol à moitié gelé, près du feu, souleva Méline dans ses bras et l'assit avec douceur sur la peau. Elle lui jeta un regard reconnaissant. Il s'installa à côté d'elle sans façon et mit la deuxième peau d'ours sur leurs genoux, puis il se tourna vers la jeune fille, l'air content de lui. Elle eut un doux rire, mais il prit soudain un air embarrassé.
- Je n'ai pas pensé à prendre de nourriture, confessa-t-il. J'ai bien mes rations, mais elles sont aussi dures que du bois.
Méline sourit.
- Tu sais, contre la liberté, je veux bien me passer d'un repas et même de plusieurs s'il le faut.
- J'espère bien que non, lui assura gravement Azraël.
Ils plongèrent leur regard dans le feu et Méline coula sa tête sous le bras d'Azraël. Le jeune homme la repoussa sans méchanceté, mais sans la regarder.
- Egan ?
- Oui ? fit-il, les flammes dansant toujours dans ses yeux.
- Tu as peur ?
- De quoi ?
- De moi.
Il se tourna vers elle et eut un bref sourire.
- Tu sais ce qui est arrivé la dernière fois que l'un de nous a posé cette question.
- Oui. Et je n'en ai pas honte, répondit doucement Méline, tandis qu'une légère rougeur couvrait ses joues pâles.
Azraël replongea son regard dans les flammes en haussant les épaules d'un air triste.
- Egan, réponds-moi.
- Pourquoi veux-tu que j'aie peur de toi ?
- De ce que je suis, dit-elle avec un sanglot dans la voix. Un zombie !
Azraël la prit brusquement aux épaules.
- Ne répète jamais cela, m'entends-tu ! Jamais !
- Tu en as honte ? fit-elle d'une toute petite voix.
Azraël la lâcha et la regarda, l'air bouleversé.
- Oh ! Méline..., répondit-il seulement.
Il la prit dans ses bras et la serra très fort contre lui.
- Je vais te montrer, moi, si je crois que tu es un zombie, murmura-t-il à son oreille d'une voix étouffée.
Il couvrit son visage de petits baisers rapides, puis s'arrêta longuement sur ses lèvres. Il la renversa doucement sur la peau d'ours et remonta la deuxième peau sur eux.
Le lendemain matin, Azraël était sur le dos, le bras autour des épaules de Méline dont la tête reposait confiante sur la poitrine nue du jeune homme. Celui-ci n'avait jamais pu dormir avec sa tunique. Il contemplait le plafond de pierre brute qui se dressait au-dessus de sa tête, profitant du calme du matin. Alors un soupir gonfla sa poitrine et il tourna la tête vers la jeune fille qui dormait, abandonnée dans ses bras. Il frôla de ses lèvres le petit front pâle. Méline gémit et remonta son bras nu pour poser la main à côté de sa tête. Azraël tira encore un peu la peau d'ours pour qu'elle ne prît pas froid et resserra son étreinte autour des frêles épaules.
- Egan ?
- Oui, Méline ?
- C'est vrai que tu m'aimes encore ?
- Méline, c'est une question stupide.
- Tu ne m'en veux pas de ne pas être... normale ?
Azraël se redressa sur un coude, contemplant la jeune fille auréolée d'or rouge.
- Suis-je normal, moi ? demanda-t-il d'un ton faussement fâché. Méline, ce matin-ci semble t'être néfaste : tu viens de poser deux questions absolument inutiles.
- C'est que je t'aime tellement ! s'exclama-t-elle en lui jetant les bras autour du cou.
Le jeune homme sourit et se pencha vers elle pour l'embrasser.
- Oui, je t'aime, petite sotte. Je t'aime pour ce que tu es et je t'aimerais encore si tu étais un démon de la pire engeance, murmura-t-il de la voix rauque qu'il avait lorsqu'il était ému.
Méline sourit et ferma les yeux sous ses baisers.
Dix minutes plus tard, ils repartaient, après avoir fait disparaître toute trace de leur passage dans la grotte et s'être soigneusement occupés des chevaux. Solitudines et Furnerius trottaient de concert sur l'étendue glacée, hochant la tête en cadence. La traversée de Ferkar, le pays des glaces, s'acheva sans problèmes. Alors qu'ils abordaient Gazanhe, un détachement de barbares vint à leur rencontre. Azraël soupira, avec une nette impression de déjà vu. Jhaveri était à la tête de l'escouade.
- Prince, salua-t-il.
- Jhaveri, répondit Azraël d'un ton plus que sec.
- Je viens solliciter une faveur.
- Parle.
- Voudriez-vous bénir l'union de ma soeur et de Zaldias Dancel ?
Le ciel tombant sur la tête d'Azraël ne lui aurait pas fait plus d'effet. Il se redressa soudain, l'air beaucoup moins fatigué, et eut un sourire satisfait.
- Bien sûr, Jhaveri.
Le jeune barbare fit un signe de la main. Une haquenée blanche s'avança alors au petit trot et, sur son dos, se trouvait Sesilina, la jeune soeur de Jhaveri. Ses yeux d'aigue-marine brillaient de joie ; ses longs cheveux blonds étaient relevés en une souple masse tressée du plus bel effet. Derrière elle venait un fougueux étalon noir, qui portait Zaldias Dancel, selon la coutume barbare. D'un mouvement souple, Azraël descendit de cheval et s'approcha de Sesilina d'un air grave. Il recueillit la jeune fille quand elle se laissa glisser de cheval et la déposa à terre. Zaldias se dressa à côté de lui, son étrange regard à la couleur presque rousse posé avec tendresse sur la petite jeune fille à son côté. Azraël posa sa main sur leur tête, les rapprochant à les faire se toucher, et invoqua la protection de Vanyar. Puis il prit la main de Sesilina et la mit gravement dans celle de Zaldias.
- En ce jour, je te donne ma fille. Veille sur elle et que ton chemin ne diverge jamais du sien, dit-il selon l'antique rituel princier.
Les deux jeunes mariés tendirent respectueusement leur main vers leur prince et frôlèrent du bout des doigts le serre-tête d'alliage de tungstène et de tantale noirci.
- Merci, mon prince, murmura Sesilina.
- De rien, princesse, rétorqua Azraël sans le moindre humour. N'oublie pas que ton frère est maintenant le nouveau prince de Gazanhe.
Il remonta en selle d'un bond souple et attrapa Jhaveri par sa tunique.
- Maintenant, gronda-t-il, tu es prié d'oublier mon existence. Est-ce bien clair ?
Le clair regard d'aigue-marine de Jhaveri le fixa sans ciller.
- Je crois malheureusement que ça ne sera pas possible, répondit-il doucement.
Azraël le reposa à terre.
- Tête de bois, grogna-t-il.
Il toucha les flancs de Furnerius et le gigantesque cheval de guerre s'enleva aussitôt, suivi de Solitudines. Jhaveri ne détourna les yeux que lorsqu'ils devinrent si petits à l'horizon qu'il n'était même plus capable de les distinguer.
Le chemin jusqu'à Slar fut d'un calme remarquable. La réputation d'Azraël le précédait et les gens préféraient s'écarter quand ils voyaient le nuage de poussière annonciateur de sa venue. Méline avait rabattu son capuchon sur sa tête, peu soucieuse d'être reconnue. Les gardes ne firent pas de difficultés pour leur ouvrir les portes de la ville. Le visage mince d'Azraël était suffisamment connu pour servir de laissez-passer. Rapace surveillait les entrées du plus haut du palais et les deux jeunes gens eurent à peine le temps d'arriver que le jeune elfe se ruait vers eux.
- Enfin, vous voilà ! Les dieux soient loués ! Il faut faire vite, Méline : le peuple croit que tu es morte et que nous lui dissimulons ta mort pour prendre le pouvoir !
La jeune fille ne perdit pas de temps ; mentalement, elle appela sa couronne qui vint d'elle-même se poser sur sa tête, débarrassée du capuchon, et elle courut comme une folle sur l'esplanade du palais.
- Mon peuple bien-aimé ! cria-t-elle et la magie amplifia sa voix pour qu'elle porte loin.
Elle n'eut pas le temps de dire autre chose : il y eut une formidable acclamation, les habitants se congratulaient les uns les autres dans une explosion de joie : leur souveraine n'était pas morte ! Et puis, tout aussi soudainement, il y eut un grand silence : tout le peuple de Slar s'agenouilla dans la rue, sans se soucier du sol boueux et des vêtements qui allaient se salir. Méline en eut les larmes aux yeux.
- Mon peuple ! cria-t-elle de nouveau, mais sa voix était pleine d'émotion. Je suis bel et bien vivante, grâce à Egan Pendragon, mon champion. Mais aujourd'hui n'est pourtant pas un jour de liesse, continua-t-elle d'une voix plus grave, car des amis très chers ont donné leur vie pour me défendre.
Le peuple écoutait religieusement sa souveraine ; jamais plus qu'en ce jour il ne lui avait montré à ce point son amour pour elle.
- Mes amis, Magira, notre mère à tous, est morte, assassinée ! lança Méline, mise au courant quelques instants plus tôt par Rapace, et des larmes coulaient sur ses joues sans qu'elle songe à les arrêter.
Un grondement monta de la foule : malheur à l'assassin !
A ce moment apparut un cercueil porté par quatre elfes, dont Rapace et Crotale. Derrière venaient deux autres cercueils, ceux d'Estar et d'Aynaud. Méline n'étant pas là pour assister à l'enterrement de ses amis, les autres s'étaient débrouillés pour conserver au moins ces trois corps. Sans un mot, Méline suivit la procession, soutenue par Azraël, car elle était sous le choc de l'annonce de la mort d'Estar et de Magira. Tous leur emboîtèrent le pas et le silence tomba sur la ville. Dans la file, il y avait Cystis, encore bien faible, qui s'appuyait sur Urian dont le visage n'était plus qu'un masque de douleur, Zarth, chancelant, la tête entourée de bandages, Julianne et Santig-du qui puisaient du réconfort dans la présence de l'autre, et bien d'autres encore. Arrivés au pied d'un vieux chêne, les quatre porteurs déposèrent le cercueil de Magira à terre ; le trou était déjà creusé. Ils sortirent le corps frêle du cercueil et le déposèrent directement dans la terre, toujours vêtu de l'habituelle tunique rose pâle. Méline s'avança et fit quelques passes magiques au-dessus du trou. Un chant merveilleux s'éleva alors, teinté de tristesse, et une pluie de pétales blancs s'abattit sur le corps mort.
- Que l'autre monde te soit clément, mère, murmura Méline, des larmes traçant des sillons clairs sur ses joues.
Elle recula et le bras d'Azraël vint lui entourer les épaules. Le visage du jeune homme était figé en une expression de tristesse et de fureur. Chacun vint rendre hommage à Magira, à sa manière, puis on referma le trou et on dressa une stèle blanche au-dessus de la tombe.
La procession reprit ; Rapace et Crotale étaient retournés dans les rangs. Méline avait les yeux secs, son coeur n'avait plus de larmes à donner. Pour enterrer Estar, on choisit un frêne, car le jeune elfe utilisait presque exclusivement cet arbre pour confectionner ses arcs. De nouveau, le corps fut sorti du cercueil pour être mis directement en terre. Le visage mince du jeune elfe était calme. Pour lui, Méline ne trouva rien à dire. Elle murmura simplement :
- Je ne t'oublierai jamais, Estar...
Cystis s'agenouilla à côté de la tombe de son frère.
- Malheur aux troupes d'Ordreth ! cria-t-elle.
Urian vint à côté d'elle et, revoyant le visage de son cousin, il éclata en sanglots.
- Estar... Je te vengerai ! hurla-t-il en levant son poing vers le ciel.
Méline sentit son coeur saigner : Urian et Estar s'aimaient comme s'ils avaient été frères. Une panthère apparut à la lisière des arbres et son regard vert était empli de tristesse.
- L'animal de Sirius ! souffla Azraël. Le dieu rend hommage à Estar !
D'un bond, l'animal se propulsa aux pieds d'Urian et mit ses pattes sur les épaules du jeune elfe. Celui-ci entoura la panthère de ses bras et enfouit son visage dans la chaude fourrure accueillante.
Il ne restait plus qu'un enterrement. Aynaud fut ramené vers le cimetière situé juste derrière le palais, en un endroit peu fréquenté et ensoleillé. Le cercueil fut glissé dans le trou et de nouveau, Méline déchaîna sa magie : elle avait accepté cet homme pour père. Elle ne pensait à rien à de précis en lançant son sort et une pluie d'étoiles couleur de l'aurore tomba dans le trou. Il y eut un moment de battement : les étoiles de cette couleur étaient le symbole de Stellarys, la belle déesse-elfe. Le trou fut refermé et avec lui, disparut le dernier chevalier du chaos compagnon d'Azraël. Le jeune homme fit un pas en avant et dégaina son cimeterre.
- En ce jour, sur la tombe d'Aynaud Deslys, père de la souveraine du feu, je jure que je vengerai ces trois morts et par là même, tous les autres tombés pour défendre leur ville et leur souveraine.
La foule acquiesça en silence et tous s'éparpillèrent.
Texte © Azraël 1996 - 2002.
Bordure et boutons Black Cat, de Silverhair
|