Veranyliarasha

   Azraël et la panthère progressaient de pair. Puis, alors que le soir tombait, ils se trouvèrent devant un palais elfe. Les mots de Simon résonnèrent dans la tête d'Azraël :
    - Je vis un palais elfe tout de pierre blanche, à l'architecture délicate et fine qui donnait l'impression de s'élancer vers le ciel. Et dans ce palais aux décorations somptueuses, vit une magnifique créature au coeur aussi noir que l'ébène...
   Azraël reprit forme humaine.
    - Attends-moi jusqu'à demain soir, Anthrax , murmura-t-il à la panthère. Je vais aller affronter Veranyliarasha la demi-elfe...
   Le gardien des panthères émit un feulement rauque, comme pour mettre son seigneur en garde. Mais il était déjà trop tard : les deux battants d'or du portail s'ouvraient.
    - La maîtresse des lieux vous prie de bien vouloir entrer, noble voyageur, dit un homme.
   Dans le doux regard brun, Azraël put y lire le désespoir.
    - Je vous suis, répondit-il avec une légère inclinaison de la tête.
   Il remarqua que le visage de l'homme était toujours défiguré par de nombreuses blessures. Pourtant Simon lui avait assuré que Sharly avait entièrement guéri Ayel.
    - Ma maîtresse souhaite vous voir immédiatement, fit timidement Ayel.
    - Faites, mon ami, faites ! répliqua nonchalamment Azraël.
   Malgré toutes ses armes, il arrivait à se donner l'air d'un courtisan raffiné, même si son dur regard noir démentait toute cette attitude.
   Il se retrouva face à une des plus merveilleuses créatures qu'il ait jamais vue : une chevelure d'un brun riche et chaud avec des reflets roux, de grands yeux noirs magnétique et toute la délicatesse d'un héritage elfique. Fugitivement, il se demanda si Shilka ne la surpassait pas. Il haussa intérieurement les épaules : se soucie-t-on de la beauté de ses victimes ? Sans étonnement, il s'aperçut que ses instincts carnassiers, si magnifiquement développés par la Guilde, revenaient en force. Il comprit quelle était la nature exacte de l'influence néfaste de la demi-elfe : elle réveillait le côté noir de chacun. Veranyliarasha le regardait avec une légère surprise : il n'avait pas dit un seul mot, plongé dans ses pensées. Avec insolence, il croisa les bras et s'appuya contre le mur. La demi-elfe se rendit compte que Azraël serait plus coriace que les précédents.
   Un gracieux sourire se dessina sur ses lèvres joliment ourlées.
    - Je m'appelle Veranyliarasha.
   Azraël nota la voix musicale, enchanteresse, mais resta silencieux.
    - Puis-je savoir votre nom ? s'enquit poliment la demi-elfe.
    - On m'appelle Invictus , répondit lentement Azraël.
    - Eh bien, Invictus, vous êtes mon invité. Parlez-moi donc de vous.
   Elle s'assit sur un trône d'ébène et le regarda, le menton appuyé sur sa belle main.
    - Il n'y a rien à dire sur moi, Veranyliarasha. Ma route est encore longue et je n'ai pas de temps à perdre.
   La belle demi-elfe se releva et vint vers lui, son regard embrasé d'un étrange feu.
    - Tu ne me trouves pas séduisante ? murmura-t-elle d'une voix rauque.
    - Très, répondit Azraël, mais la froideur de sa voix démentait ses paroles.
    - Je sais qui tu es, Invictus... Ton nom est célèbre, Azraël l'Invincible !
   Le jeune homme n'eut pas un mouvement. Bien d'autres auraient déjà pris la demi-elfe dans leurs bras.
    - C'est exact. Je suis bien Azraël.
    - Pourquoi m'avoir menti ?
   Le regard d'aigle s'abaissa sur Veranyliarasha et Azraël eut un rire bref.
    - La réponse tombe sous le sens.
   Vexée, Veranyliarasha ne dit plus rien, mais elle ne se sépara pas d'Azraël. Au contraire, elle sembla se serrer davantage contre le jeune homme. Celui-ci restait toujours de marbre. Ses yeux étaient perdus dans le vague et pour lui, le palais elfe avait disparu. Il n'y avait plus qu'une enfant avec une charmante moue boudeuse, couronnée d'or rouge et au tendre regard vert.

   Ce fut Ayel qui débloqua la situation en entrant dans la pièce.
    - Excusez-moi..., bégaya-t-il en reculant quand il vit Veranyliarasha contre Azraël.
   La demi-elfe fronça les sourcils.
    - Va-t'en, Ayel, et ne reviens que si je t'appelle !
   Azraël se redressa d'un coup de reins et attrapa Ayel par le coude.
    - Est-ce ainsi que l'on traite son frère, fille d'Ordreth ?
   Veranyliarasha devint d'une pâleur mortelle et tomba à genoux.
    - Ô seigneur...
   Ayel regarda Azraël avec curiosité ; le jeune homme eut son sourire ironique, découvrant sa canine gauche, et la peur dans les yeux d'Ayel disparut comme par enchantement.
    - Relève-toi, Nylia, dit-il enfin, utilisant le diminutif de la demi-elfe.
   Elle se redressa en tremblant. Les aventuriers qu'elle recevait ces derniers temps avaient une autre envergure : d'abord Simon qui, après avoir été séduit, avait défié son père et l'avait vaincu, puis cet homme étrange sur lequel son charme n'agissait pas.
    - Me voici à tes ordres, seigneur, murmura-t-elle.
   Pour elle, pas de doute : celui qui connaissait tout sur elle ne pouvait être qu'un dieu. Mais quel dieu ? Il avait dit s'appeler Invictus. Seul Vanyar pouvait prétendre à un tel nom. Elle fut satisfaite d'elle-même : elle connaissait désormais le secret de celui qu'on appelait Azraël.
    - Désires-tu manger, seigneur ? demanda-t-elle d'une voix douce.
    - C'est une idée, répondit Azraël.
   La froideur de sa voix aurait rebuté n'importe qui, mais Veranyliarasha était sûre de sa séduction. Elle claqua dans ses mains et Ayel s'activa aussitôt.
   Il installa Azraël dans un siège à haut dossier et Veranyliarasha le servit elle-même. Elle s'arrangeait pour que ses cheveux caressent la joue dure du jeune homme ou que leurs mains se rencontrent. Azraël semblait ne pas s'en apercevoir, mais il s'amusait fort de ces tentatives de le charmer. A la fin du repas, Veranyliarasha s'assit aux pieds d'Azraël et commença à chanter de sa voix si musicale :
    - A l'aube à la douce fragance
   Due à ta trop longue absence
   J'offre ces vers au chant triste
   Comme sortis du coeur d'une améthyste.

   Ecoute le vent dans les feuilles de cet arbre
   Et vois mon teint aussi pâle que le marbre ;
   Lis mon inquiétude au fond de mes yeux
   Et si tu ne les crois pas, interroge les cieux.

   Oh, quand tu étais parti, je t'ai tant appelé !
   J'ai tant rêvé, tant pleuré, tant crié !
   Car crier ton nom, c'est appeler au secours,
   Car crier ton nom, c'est reconnaître l'amour...

   Veranyliarasha laissa la dernière note s'éteindre avant de demander :
    - As-tu aimé, seigneur ?
    - Charmant, Nylia. Charmant.
    - Et c'est vrai, seigneur. Tu m'as manqué. J'ai l'impression de t'avoir attendu toute ma vie.
   Azraël ne parut même pas surpris de la déclaration. Il leva le menton de la demi-elfe vers lui.
    - Flatté de tant d'honneurs, répondit-il dans le langage laconique qu'il avait adopté.
   Veranyliarasha lui entoura le cou de ses bras et enfouit sa tête au creux de son épaule, comme pour cacher le rouge qui venait colorer ses joues. D'habitude, elle jouait avec ses invités, leur accordant ses faveurs, et elle n'était pas obligée de s'humilier ainsi. Pourtant, elle sentait qu'elle aurait accepté cet homme pour maître.
   Azraël se dégagea et se releva. Veranyliarasha resta à ses genoux.
    - Allons, Nylia, un peu de dignité !
   La demi-elfe lui entoura les genoux et y appuya son front.
    - Ne pars pas, seigneur, je t'en prie ! supplia-t-elle d'une voix entrecoupée de larmes.
    - Nous verrons cela demain, Nylia. Je suis fatigué.
   Aussitôt, elle se redressa.
    - Viens, seigneur, je vais te conduire.
   Quelques instants plus tard, Azraël admirait les magnifiques tentures bleu-vert de la chambre où il était.
   Il s'assit sur le lit, jouant machinalement avec une de ses navajas. La porte s'ouvrit et Ayel entra.
    - Seigneur... Vous avez parlé à Simon Brûle-Flammes, n'est-ce pas ?
    - Exact, mon bon Ayel, fit Azraël avec un sourire amusé.
    - Je suis heureux que vous résistiez à Nylia... à tous les sens du terme.
    - Je sais, Ayel. Veux-tu bien me rendre un service ? Je voudrais voir les " autres ".
   Ayel pâlit.
    - C'est une requête dangereuse pour votre état d'esprit, seigneur.
    - Ne crains rien pour moi. Que sais-tu d'un certain Azraël ?
    - Vous... vous êtes Azraël ?
    - Je croyais que tous me connaissaient de vue.
    - Si vous êtes à la hauteur de votre réputation, vous pouvez venir. Mais jurez-moi de...
    - Je sais, interrompit Azraël. Ne pas tuer Nylia. Simon m'a mis au courant.
   Ayel emprunta de nombreux couloirs, peut-être en espérant perdre Azraël, mais celui-ci avait un solide sens de l'orientation. Ils arrivèrent enfin devant une grande porte incrustée d'or. Ayel l'ouvrit et la porte tourna lentement sur ses gonds. Si préparé que fut Azraël, il ne put retenir un cri de stupeur quand Ayel alluma les torches.

   La salle était ronde, d'une taille gigantesque. Tout autour, une cinquantaine de statues semblant d'argent noirci se détachait sur le pur marbre bleu qui tapissait les murs. Azraël s'approcha vivement de la première statue. Ses doigts caressèrent le métal, suivant les traits à demi torturés, passant sur les yeux au regard désespéré comme s'il pouvait les fermer, le tout avec une sorte de tendresse sauvage qu'il ne s'était jamais connue. Les noms étaient inscrits sur les piédestaux des statues. Mais Azraël savait que ce n'était pas des statues ; c'étaient les corps des mort eux-mêmes, soigneusement traités pour être conservés et recouverts d'une gangue de métal qui épousait tous leurs traits, jusqu'à rendre l'expression du regard. Un soupir gonfla la poitrine du jeune homme.
   Il y avait là des elfes et des humains et certains noms n'étaient pas inconnus à Azraël. Des aventuriers prestigieux, à la bravoure renommée, avaient fini leurs jours ici, esclaves d'une dédaigneuse demi-elfe maléfique. Il regarda encore autour de lui. La salle pouvait encore accueillir le double ou même le triple de statues.
   Au-dessus de la tête des statues, il y avait une petite niche dans le mur. La plupart contenait un anneau.
    - Les cadeaux de Nylia, expliqua Ayel. Ceux qui n'en ont pas sont ceux qui se sont révoltés contre elle. Certains ont vu cette salle avant même de la voir. Ils m'ont juré qu'ils ne subiraient pas le charme de Nylia. Dès qu'ils se sont trouvés en sa présence, ils sont tombés à genoux devant elle, lui jurant un amour fou. Pauvres d'eux ! J'ai pourtant essayé de les prévenir.
    - Nul n'a tenté de s'échapper ?
    - La complexité du palais est telle qu'ils ne retrouvaient pas la sortie. Le quatorzième que vous voyez là, sans anneau, l'a fait et on l'a retrouvé mort de faim, complètement perdu.
    - Aucun n'a survécu ?
    - Si. Simon et ses amis. Il a d'abord été séduit, mais son art le protégeait. Sa passion pour la sculpture l'a sauvé.
    - Et ses serpents, ajouta Azraël.
    - Oui. C'est le seul.
   Azraël hocha la tête et regarda la dernière statue.
    - Ainsi, je serai le numéro soixante-deux.
    - Pas si je peux vous sauver avant ! Nul autre ne lui a tenu tête comme vous ! J'ignore pourquoi, mais...
    - Je vais te le dire. Je n'ai pas de coeur. Il n'a donc pas pu être ému par Nylia.
    - Tout être a un coeur. Ne protestez pas ! D'autres que vous me l'ont dit. Ils sont tous là aujourd'hui, statues de métal aux traits torturés. Tous des esclaves. Pour elles, ils auraient tué leur mère.
    - Je m'en doute. Je repars demain, Ayel.
    - Vous ne retrouverez pas la sortie.
    - Ne t'inquiète pas pour cela. S'il le faut, je détruirai ce palais pierre par pierre.
    - Vous ne pourrez pas vous éloigner d'elle.
   Azraël éclata de rire, un rire jeune et très gai.
    - Regarde-moi, Ayel : ai-je l'air de l'aimer ? Tu peux toucher mon coeur, il bat normalement.
    - Vous finirez comme les autres si vous ne partez pas immédiatement.
    - Je ne tiens pas à dormir à la belle étoile quand j'ai un palais à portée de la main.
   Ayel hocha la tête, peu convaincu : habitué à voir les hommes succomber au charme de sa soeur, il ne réalisait pas que Azraël était fait d'un autre acier. Tranquillement, le jeune homme regagna sa chambre où il se coucha sans plus tarder.
   Alors qu'il venait de s'endormir, la porte s'ouvrit tout doucement et quelqu'un entra silencieusement. Azraël dormait comme un fauve et il se réveilla aussitôt. Néanmoins, il resta immobile, regardant entre ses paupières mi-closes la silhouette approcher. C'était Veranyliarasha. Sa belle chevelure retombait librement en lourdes vagues sur ses épaules. Elle portait une tunique de soie légère laissant nus ses épaules et ses bras. Elle se pencha sur Azraël.
    - Que ton sommeil te soit doux, mon seigneur, murmura-t-elle.
   Elle le regarda dormir et un sanglot lui monta aux lèvres. Elle fit demi-tour sur ses pieds nus et poussa un cri de frayeur : une poigne de fer venait de s'abattre sur son bras. Azraël s'était redressé dans son lit et la fixait.
    - Seigneur..., balbutia-t-elle.
   Dans la semi-obscurité de sa chambre, Azraël put voir que le regard noir de la demi-elfe était suppliant. Il la força à s'asseoir sur le lit, tandis que lui-même se levait. Il était semblable à lui-même ; même sans ses armes, il était toujours aussi impressionnant. Ses gants et ses protège-bras étaient par terre, à côté de ses cimeterres et de ses navajas. Il prit un de ses protège-bras et entreprit de le lacer avec un calme olympien.
    - Eh bien, Nylia ?
    - Je suis désolée de t'avoir réveillé, seigneur...
   Azraël haussa les épaules. Veranyliarasha se précipita vers lui et lui laça elle-même ses protège-bras. Le jeune homme n'eut pas le temps de prendre ses gants. Elle s'était blottie dans ses bras. Il sentait trembler contre lui son corps mince et il s'aperçut que tout le portait à céder à la belle demi-elfe. Une seconde de concentration lui suffit pour chasser cette impression. La seule femme qu'il avait serrée dans ses bras avec transport était Méline et elle resterait la seule. Veranyliarasha lui mit ses bras autour du cou et lui offrit ses lèvres. Azraël se rappela Elinor Gentien et sa stupéfiante beauté. Elle aussi était tombée amoureuse de lui, mais elle avait voulu le retenir pour les protéger, elle et ses soeurs, et non pour le transformer en statue d'argent. Au moment où les douces lèvres de Veranyliarasha allaient se poser sur les siennes, il crut entendre un cri :
    - Egan, Egan, mon amour...
   Toute lucidité revenue, il repoussa la demi-elfe et sa main se referma sur le cou svelte.
    - Tu oses... ! gronda-t-il.
    - Pardonne-moi, seigneur..., gémit la demi-elfe.
    - Va-t'en ! Je veux rester seul.
   Soumise, Veranyliarasha obéit.

   Azraël arpenta sa chambre de long en large. Par tous les dieux ! Lui, Egan Pendragon, dit Azraël l'Invincible, avait failli succomber au pouvoir de cette diabolique demi-elfe ! Si la voix de Méline n'avait pas résonné dans sa tête à ce moment-là, il aurait été perdu. Nerveusement, il mit ses gants et reprit ses armes. Il sortit son cimeterre et caressa la rune des assassins. Le froid contact de l'acier le calma un peu. Il ouvrit la fenêtre en grand et entendit un doux feulement. Anthrax était toujours là. Un autre bruit alerta Azraël. Quelques instants après, la voix d'Ayel lui montra qu'il avait raison :
    - La maîtresse des lieux vous prie de bien vouloir entrer, noble voyageur, disait le fils d'Ordreth d'une voix résignée, prononçant cette phrase depuis trop longtemps.
   Aussi silencieux que les animaux dont il était le seigneur, Azraël sortit de sa chambre et retrouva sans peine la salle où Veranyliarasha l'avait accueilli.
   La demi-elfe était là, plus désirable encore s'il était possible. Et le malheureux aventurier que Ayel introduisit tomba instantanément sous le charme.
    - Relève-toi, jeune homme, fit doucement Veranyliarasha.
   Azraël nota le changement dans sa voix : l'accent suppliant avait disparu. C'était la femme idolâtrée qui parlait.
    - Commande, ma reine, et j'obéirai, répondit l'aventurier.
   Veranyliarasha s'approcha de lui et, sans pouvoir s'en empêcher, il la prit dans ses bras. La tête de la demi-elfe s'abandonna, tandis que l'aventurier couvrait de baisers l'épaule nue, le cou de Veranyliarasha.
    - Dis-moi ce que tu veux, ma reine ! murmura l'aventurier avec flamme.
    - Un homme m'a bafouée...
    - Où est-il ? Je le tue sur l'heure !
    - Vraiment ? fit-elle en relevant sa tête avec coquetterie.
    - Oui, vraiment !
   Elle pressa ses lèvres contre les siennes à les en meurtrir. Azraël sentait que toutes ces étreintes, tous ces baisers, c'était à lui qu'elle aurait voulu les donner.
    - Alors va, mon champion ! Quand tu reviendras, tu auras la récompense que tu mérites !
   Ivre de bonheur, l'aventurier cherche du regard celui qu'il devait tuer.
    - Ayel va te conduire, mon champion, fit doucement Veranyliarasha.
    - Qu'il ne se donne surtout pas cette peine, rétorqua une voix calme.
   Azraël venait d'apparaître en pleine lumière, dédaigneux, les bras croisés. Il songeait que le plan de la demi-elfe était bien organisé : s'il s'était rendormi, comme il l'aurait certainement fait s'il n'avait pas entendu les bruits en ouvrant la fenêtre, l'aventurier l'aurait surpris désarmé. Veranyliarasha se rejeta en arrière avec un cri de surprise. Ayel hocha la tête d'un air de reproche. Azraël savait ce qu'il pensait :
    - Cet homme avait réussi à se débarrasser de l'influence de Nylia et voilà qu'il va se battre pour elle ! Il ne m'a pas écouté !
   L'aventurier, sûr de son bon droit, vola un baiser à Veranyliarasha et se jeta sur Azraël, épée au clair. Les deux cimeterres apparurent comme par magie hors du fourreau. Le combat fut bref ; le premier cimeterre bloqua l'épée, tandis que l'autre frappait la poitrine découverte. Sans émotion, Azraël rengaina et remarqua :
    - Un nouveau à mettre dans ta collection, Nylia, à défaut de moi. Je crois que je vais prendre congé. Les nuits sont trop agitées dans ce palais.
   Toute fierté oubliée, Veranyliarasha se jeta à ses genoux, les étreignant avec passion.
    - Seigneur, ne pars pas, tu me tuerais !
   Azraël ne la regarda même pas.
    - Tu ne m'as même pas accordé un baiser ! gémit-elle.
    - Je ne pourrais te donner que le baiser de la mort.
    - Ah ! Je t'en conjure...
   Exaspéré, Azraël la rejeta au loin.
    - Souviens-toi de tes soixante et un prétendants, soixante-deux avec celui que je viens de tuer ! Souviens-t'en ! Tu as joué avec eux le même jeu cruel que celui que je joue avec toi. Endure maintenant les souffrances qu'ils ont endurées pour toi et comprends ce qu'il ont souffert !
   Dans les yeux noirs au dur regard, il n'y avait pas la moindre pitié pour Veranyliarasha. Si Azraël n'était pas un tendre, il était révolté en pensant au culte macabre qu'entretenait la demi-elfe. Elle les avait fait mourir d'amour, hâtant leur fin si nécessaire, quand un prétendant plus intéressant se présentait.
   Il se détourna et partit. Veranyliarasha était à genoux par terre, recroquevillée sur elle-même, le front touchant presque le sol, et sanglotait convulsivement, image même de la douleur. Ayel rejoignit Azraël.
    - Merci de ne pas l'avoir tuée, murmura-t-il. Laisse-moi te guider, tu ne sais pas où aller.
    - Tu crois cela ? ricana Azraël. Alors regarde !
   Il retrouva son chemin sans se tromper une seule fois.
    - Comment as-tu résisté ?
    - Si Nylia le savait, elle condamnerait trop d'innocents.
    - Un autre amour, n'est-ce pas ? Ceux qui ont tenu le plus longtemps contre elle aimaient ailleurs, avant...
    - Oui, un autre amour. Si profond que l'on sent l'autre veiller, quelle que soit la distance.
    - Alors remercie-la quand tu la reverras. Elle t'a sauvé de la mort.
    - Ce ne sera pas la première fois qu'elle me sauve, sourit Azraël. Adieu, Ayel.
   Une silhouette féline le rejoignit et ils se fondirent dans la nuit.

Texte © Azraël 1996 - 2002.
Bordure et boutons Black Cat, de Silverhair

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