L'esclandre de Rapace

   Simon, Sharly et Florian venaient juste d'apercevoir une cohorte de jeunes filles elfes encadrées de monstres répugnants dirigés par deux chevaliers du chaos. Les prisonnières étaient toutes enchaînées, avec de gros fers qui leur meurtrissaient la chair. Le sang de Simon ne fit qu'un tour : il était frère des elfes et il ne pouvait pas supporter ce spectacle. Le sentant prêt à s'interposer, Florian posa une main rassurante sur son bras.
    - Attends ! fit-il d'un air mystérieux.
   Il semblait croire en une intervention divine et les événements lui donnèrent raison.
   Une troupe d'hommes armés surgit des fourrés et se rua à l'attaque. Il y avait là des elfes, des humains, hommes ou femmes, mais tous arboraient une tunique caractéristique, blanche, marquée à la poitrine d'un phénix aux ailes déployées, palpitant avec les battements du coeur. Seuls deux faisaient exception : le premier était un grand jeune homme juché sur un gigantesque cheval de guerre noir ; quant au deuxième... Il s'agissait d'une jeune fille à la longue chevelure d'or rouge, caracolant sur un fier destrier rouge ; ses doigts lançaient des myriades d'éclairs enflammés qui s'abattaient sans pitié sur les monstres qui firent courageusement face. Si la jeune fille lui rappelait douloureusement Sha, Simon ne pouvait s'empêcher d'admirer celui qu'il avait déjà surnommé "le cavalier solitaire" : l'homme et sa monture ne semblaient faire qu'un, se battant d'une façon très indépendante.
   Mais le jeune homme n'avait encore rien vu : quand l'inconnu entra vraiment dans la bataille, il le stupéfia littéralement. Des flèches volaient en tous sens, à une vitesse incroyable, atteignant leur cible à chaque fois. Il était partout à la fois, arrêtant de temps à autre un coup malheureux qui aurait blessé une prisonnière, tout en protégeant efficacement la jeune magicienne. Il semblait invulnérable.
    - Par Chyraz ! Qui est cet homme ? murmura Simon, observant le duel qui opposait l'inconnu aux deux chevaliers du chaos.
    - L'archer à la flèche enflammée, champion du feu, répondit Florian, qui ne quittait pas la jeune fille des yeux.
    - Il serait capable d'affronter Erza en personne !
    - Ne lui en parle pas, il aurait le culot d'aller la défier ! Rien ne lui est impossible. Oui... s'il y a un homme sur Yslaire capable de chasser Erza du monde des vivants et même de la tuer, c'est bien lui.
    - Merci pour moi, fit ironiquement Simon.
    - Toi, tu dois l'affronter, mais non la chasser, rétorqua sèchement Florian. Regarde !
   Les monstres avaient tous été taillés en pièces par la légion du feu qui s'occupait d'ouvrir les fers des prisonnières ; ces dernières pleuraient de joie, reconnaissant des amis ou des parents dans les rangs, alors qu'elles les croyaient morts.
   Pendant ce temps, l'inconnu, à pied, luttait contre les suppôts d'Ordreth, un cimeterre dans chaque main. Un sourire ironique retroussait sa lèvre supérieure en découvrant sa canine gauche et il semblait se jouer de ses adversaires.
    - Il anticipe tous leurs coups ! s'étonna Simon.
    - Il connaît leur technique par coeur, murmura Florian.
   La légion du feu repartait déjà, avec les prisonnières enfin libres.
    - Ils abandonnent leur chef ! protesta Simon.
    - Ce n'est pas leur chef.
   La jeune fille les avait aperçus, mais elle restait perchée sur son grand étalon rouge, caressant doucement le poil doux derrière l'oreille.
    - Egan, arrête de t'amuser, s'il te plaît, dit-elle soudainement.
   L'inconnu releva la tête.
    - Comme tu veux, répondit-il.
   Il rengaina ostensiblement un de ses cimeterres, puis tout se passa si rapidement que Simon eut du mal à tout suivre. Ce ne fut que bien plus tard qu'il parvint à reconstituer la scène : du baudrier qu'il portait, l'inconnu tira deux navajas qu'il lança si vite qu'elles vibraient encore quand les deux chevaliers du chaos s'écroulèrent morts. Tout en remettant son deuxième cimeterre au fourreau, l'inconnu se baissa pour récupérer ses armes sur le corps de ses victimes.
   Il remonta à cheval et se dirigea au petit trot vers le groupe que formaient Simon, Sharly et Florian.
    - Mille bienvenues, Florian ! s'exclama la jeune fille.
    - Permettez-moi de vous présenter Simon Brûle-Flammes et Sharly de Centaure, fit le jeune homme pour toute réponse.
   Ce dernier eut un petit rire amusé.
    - Sharly le Centaure, rectifia-t-il.
    - Voici Méline Anaya, souveraine de Slar, et Egan Pendragon.
    - On m'appelle aussi Azraël, ajouta l'intéressé.
   L'oeil bleu de Sharly s'alluma d'une lueur de compréhension.
    - C'est un nom que l'on entend beaucoup, remarqua-t-il.
    - Il a une sonorité plaisante, répliqua Azraël en souriant.
   Le regard aux eaux sombres affronta le regard couleur du ciel et les deux aventuriers se comprirent à demi-mot.
    - Je croyais que vous étiez plus nombreux ! s'étonna Méline.
    - Nous avons subi des pertes, expliqua Simon.
   En peu de mots, il résuma le début de sa quête : Laurane, la gentille elfe, gardée par Magie Noire, le roi-serpent ; Ravage, son frère, prisonnier des dieux, veillé par Indis, la déesse de la lune. Et enfin, Sha, la soeur de Simon, tuée tout récemment dans un combat.
    - Mais Illustra m'a promis de me les rendre tous si je réussis, s'anima Simon.
   Méline et Azraël hochèrent la tête ; ils savaient quels dangers courait le jeune homme.
    - Puisses-tu réussir, murmura la jeune fille.
    - Il le faut ! s'exclama Sharly avec force. Que ferait l'univers si Sorcerak était tué ?
    - Comment vont tes légions de feu, Méline ? intervint Florian, détournant le sujet pour éviter une discussion qui ne rimerait à rien.
    - Très bien. Nous avons ramené trois tribus entières d'elfes et sauvé quatre cohortes de prisonnières en comptant celle d'aujourd'hui. Les hommes sont fatigués de faire sans cesse l'aller et retour, mais les effectifs augmentent rapidement. Malheureusement, nous allons bientôt manquer de montures.
    - J'ai remarqué que tu avais changé la tienne.
    - C'est le cadeau d'un ami. Rapace s'est joint aux légions avec son frère Crotale et ils sont très efficaces. Il est parti vers l'ouest, vers la Forêt Principale, ou plutôt, de l'autre côté de la forêt. Il trouve que c'est plus rapide que de passer par le Territoire des Ombres.
    - Il a bien raison. La Forêt Principale est bien moins dangereuse que le Domaine.
    - Rapace et Crotale ? répéta Simon. Les frères de Ravage et Laurane ?
    - Oui.
    - Et cet étalon... c'est Solitudines ? Ravage m'avait dit que son frère y tenait comme à la prunelle de ses yeux !
    - Il a tenu à me l'offrir, soupira Méline, caressant du doigt la tresse de cheveux roux fixée au frontal du cheval. Solitudines est devenu pour moi un compagnon inséparable.
    - Je pense que c'est ce qu'il aurait voulu.
   La jeune fille hocha la tête. Elle se rappelait le jour où Mériel était venu lui relater ce qu'il s'était passé lors de l'arrivée de Rapace à Slar.

   Le jeune elfe avait monté durant le trajet un cheval prêté par Jakez, qui était bien loin de valoir Solitudines. Il était hanté par la vision des yeux clairs de Méline, mais il avait compris que Azraël et elle étaient faits l'un pour l'autre. Une fois à Slar, il n'avait pas attendu ; abandonnant sa tribu dans les rues de la ville, il était allé au palais. Il fut introduit sans problèmes, les gardes à la porte ne lui ayant même pas demandé ce qu'il voulait, et, au détour des couloirs, il rencontra une jeune fille qui lui rappela étrangement Azraël. Un regard noir, vif et observateur, le dévisagea avec calme.
    - Je cherche un dénommé Santig-du, dit Rapace d'un ton légèrement agressif.
    - De la part de qui venez-vous ?
   Le jeune elfe remarqua qu'elle avait la main posée sur la poignée de son épée.
    - Je savais bien que c'était stupide ! grommela-t-il entre ses dents. De la part de Méline Anaya, souveraine de Slar.
   La jeune fille ne parut pas émue le moindre du monde.
    - Où l'avez-vous rencontrée ? demanda-t-elle, toujours impassible.
    - Oh, cela suffit ! s'exclama-t-il, exaspéré contre lui-même. Je n'ai rien à faire ici.
    - Julianne, que se passe-t-il ? interrogea la voix caverneuse de Santig-du.
    - Quelqu'un veut te voir.
   Le jeune guerrier attrapa le bras de Ravage qui s'apprêtait à partir.
    - Il dit venir de la part de Méline, ajouta Julianne.
    - C'est bien possible. De toute façon, il est le bienvenu ici. Pardonne-la, ami elfe, elle est nerveuse en ce moment !
   Rapace eut un geste de mauvaise humeur.
   Mériel arriva sur ces entrefaites.
    - Ah ! Je vois que vous avez déjà fait connaissance ! fit-il d'un air satisfait.
    - Qui est-ce, Mériel ? demanda Santig-du.
   Le regard sombre et tranquille du jeune homme avait déjà remarqué la tension entre Julianne et Rapace.
    - L'ami de Méline et Azraël.
   Même Rapace sentit combien ces deux noms accolés, Méline et Azraël, semblaient former un ensemble parfait, n'appartenir qu'à un seul être. La réponse simple de Mériel eut un effet magique. La main de Julianne retomba et son visage fermé s'éclaira d'un sourire.
    - Quiconque vient de la part d'Azraël est le bienvenu, dit-elle.
   Rapace fut surpris de l'effet que produisait sur elle le nom d'Azraël, alors que celui de Méline ne la faisait aucunement réagir. La garantie de Mériel semblait suffisante à Santig-du.
    - Que veux-tu, ami elfe ?
    - Je m'appelle Rapace de Souffle-Vent. La souveraine du feu n'ayant plus de monture, je lui ai offert la mienne. Elle voulait que je vous le dise.
   Santig-du eut un air perplexe. Il ne comprenait rien et, à vrai dire, Rapace ne l'aidait pas.
   Mériel eut un sourire amusé et se pencha vers le grand guerrier.
    - Rapace a offert une bête d'une immense valeur, chuchota-t-il. Il y tenait énormément.
   Santig-du hocha la tête. Il y voyait clair, maintenant.
    - Viens avec moi, Rapace, dit-il.
   Le jeune elfe, renfrogné, le suivit. Julianne et Mériel restèrent en arrière à discuter.
   Santig-du emmena Rapace aux écuries royales.
    - Ma dame aurait sans doute aimé vous offrir une autre monture elle-même. En son absence, je le fais à sa place. Choisissez vous-même, ami elfe.
   Santig-du avait adopté le vouvoiement, qu'il jugeait plus adapté à la solennité du moment. Rapace eut un geste pour refuser, mais il songea soudain qu'il ne pouvait pas rester sans monture s'il voulait rejoindre les légions de feu. Il leva la tête et ouvrit de grands yeux devant l'étendue des écuries royales.
    - Ce sont toutes des bêtes d'une grande valeur, auxquelles ma dame n'a jamais accordé le moindre regard. Elle avait sa propre monture. Si elle a accepté la vôtre, c'est qu'elle devait avoir quelque chose d'exceptionnel.
   Rapace hocha la tête sans répondre. Solitudines était exceptionnel. Il avait été son compagnon d'errance et d'aventures, un allié fidèle sur lequel il avait pu compter à tout instant. Arriverait-il un jour à lui trouver un remplaçant dans son coeur ? Il envisagea de nouveau de refuser l'offre, mais se ravisa.
   Il parcourut les écuries en n'accordant qu'un regard rapide à chaque cheval. Et puis, il y eut cet étalon à la robe alezan brûlé et au regard qui semblait défier le monde entier. Rapace s'arrêta devant lui et contempla longuement la fine tête intelligente, l'encolure mince, le dos long, les jambes élancées, légères et bien membrées. Il avait l'air rapide, souple et courageux, un peu fantasque aussi.
    - A-t-il un nom ? demanda brusquement le jeune elfe.
    - Oui, répondit Santig-du.
   Rapace le regretta. Il aurait aimé trouver lui-même le nom de cet étalon fascinant.
    - Il s'appelle Shurram , reprit le jeune guerrier.
   Shurram ! C'était un nom qui semblait aller comme un gant à l'étalon.
    - Les palefreniers l'appellent Déshonneur.
    - Pourquoi ?
    - En pleine parade, il a fait tomber Siniak V.
   Rapace sourit et ouvrit la porte. Shurram souffla, intrigué. Les longs doigts fins de l'elfe agrippèrent la crinière et il se hissa sans peine sur le dos de l'étalon. Shurram secoua la tête, poussa la porte de son nez et sortit de sa stalle. Santig-du l'observait sans broncher et Rapace ne faisait pas le moindre geste pour l'arrêter. Il était dans l'allée de l'écurie et prit un trot souple pour aller vers la sortie. Personne ne l'en empêcha. Encouragé, Shurram passa au galop ; le cavalier sur son dos ne le gênait pas le moindre du monde et il avait hâte de revoir le soleil, libre de toute entrave.
   Santig-du déposa dehors le harnachement de cuir bicolore marron et noir réservé à l'étalon, au frontal tressé. Rapace se pencha sans ralentir Shurram et saisit la bride qu'il mit à son cheval. Il n'avait aucun envie de lui mettre une selle ; il sentait le poil soyeux de l'étalon frotter contre ses bottes. Il se pencha en avant et poussa un hurlement à glacer le sang. Galvanisé, Shurram s'élança dans un galop fou. Mêlant ses cheveux trop longs à la crinière, Rapace l'excita de la voix. Cela suffisait, Shurram vibrait à l'unisson avec lui. Il précipita son allure, virant sèchement dans les virages, mais Rapace restait collé contre lui. Enfin, il l'arrêta écumant devant Santig-du.
    - Je prends celui-là, dit-il, haletant.
   Le grand guerrier eut un léger sourire.
    - J'avais compris. C'est un excellent choix.
   Rapace se laissa glisser à terre et frotta de la paume l'encolure humide de Shurram. L'étalon lui donna quelques gentils coups de nez dans le ventre. Rapace rit, puis se figea en pensant soudain à un gigantesque étalon rouge. Shurram eut un petit hennissement plaintif ; les yeux du jeune elfe reprirent vie et il murmura :
    - Je me sens encore plus proche de toi que je ne l'étais de Solitudines...
   Il s'éloigna, la main sur l'encolure de Shurram.

   Il entendit soudain une voix mélodieuse s'exclamer avec colère :
    - Par Sirius ! Déteste-moi si tu veux, mais tant que cette situation durera, tu seras obligé de me supporter ! Quand les troupes d'Ordreth auront été anéanties, alors tu auras le droit d'essayer de me tuer.
   Rapace fit un pas en avant et vit deux elfes ; l'un des deux, celui qui venait de parler, était un drow. Il se souvint que Zarth Ka'Brézil était maître d'armes à Slar. L'elfe noir se passa une main sur le front.
    - Excuse-moi, dit-il d'un ton las à l'elfe qui le regardait sans aménité. Je sais ce que tu éprouves. Essaie néanmoins d'oublier ta haine quand tu te bats contre moi, je pourrais t'embrocher dix fois.
   L'elfe ne répondit que par un grognement. Rapace s'avança à découvert, précédé de Shurram. Zarth ne remarqua d'abord que l'étalon.
    - Eh bien, Shurram ! Que fais-tu dehors ?
   Il frotta le front du cheval de son poing fermé. Rapace remarqua que Shurram ne manifestait pas la moindre nervosité, alors que les chevaux détestaient les êtres de nature ténébreuse. Puis Zarth aperçut Rapace et fit aussitôt un pas en arrière.
    - Excusez-moi, reprit-il d'un ton beaucoup plus réservé. Je croyais que Shurram s'était enfui.
    - Shurram est à moi, expliqua Rapace.
   Immédiatement, il comprit qu'il n'avait pas présenté les choses comme il fallait. Zarth prit cela pour un reproche et son regard gris se teinta d'inquiétude.
   Soudain, il fit un bond en arrière, dégainant son sabre en même temps, et contra l'attaque que l'autre elfe lui portait par traîtrise. Calmement, sans faire le moindre reproche, il remarqua :
    - Quand tu veux attaquer quelqu'un dans le dos, assure-toi qu'il ne t'a pas vu avant et vérifie qu'il ne te surveille pas.
   Les yeux gris étaient envahis de tristesse et Rapace eut honte soudain de faire partie des elfes de la surface. Un de ses congénères venait d'attaquer en traître un être désarmé. Il fustigea le fautif du regard et entraîna Zarth par le coude. Celui-ci, méfiant, gardait son sabre à la main.
    - Je viens de la part de Méline, dit Rapace.
   Le beau visage de Zarth s'illumina d'un sourire très doux et il rengaina son sabre.
    - Comment va-t-elle ?
    - Très bien. Azraël veille sur elle. Elle ne craint rien.
    - Personne ne peut vaincre Azraël, acquiesça Zarth.
    - Pas même toi, fameux maître d'armes ?
    - Azraël et moi sommes de la même force. Pardonne-moi, mais je dois aller continuer l'entraînement.
    - Tes élèves sont-ils tous pareils ?
   Le regard de Zarth s'assombrit.
    - Au début, oui...
   Il haussa les épaules et s'en alla. Rapace avait remarqué le ton désabusé et silencieusement, il le suivit.
   Zarth faisait face à un autre de ses élèves ; il avait remplacé son sabre par un morceau de bois courbe. Il avait fait cela pour inspirer confiance à ses élèves qui, eux, avaient des armes en bon acier, mais il n'eut jamais assez confiance pour abandonner son sabre qui pendait à son côté. L'affrontement commença ; Rapace admira le jeu de Zarth. Tous ses mouvements étaient contrôlés, la danse du bâton ne s'arrêtait jamais et l'élève avait fort à faire pour le contenir surtout qu'il redoutait sans cesse une traîtrise. Zarth restait maître de lui-même, concentré sur le combat. Les autres élèves, massés en demi-cercle autour des combattants, commençaient à s'agiter un peu trop au goût de Rapace. Soudain, armes au clair, ils se jetèrent tous en avant sur Zarth. Le jeune drow fit rapidement passer son arme factice dans sa main gauche, dégaina son sabre et fit face. Il était seul contre quinze, mais il n'avait pas peur.
   Quand les élèves attaquèrent, Rapace eut un rugissement de colère et se précipita tête la première dans la bataille. Il saisit ses congénères dans ses bras puissants, les souleva au-dessus de sa tête et les envoya bouler à vingt mètres de là. En un instant, la moitié des assaillants avait été mise hors combat. Zarth, assurant sa défense avec son sabre, se débarrassait de ses adversaires avec son bâton, pour les estourbir sans les blesser. Rapace vint se placer à ses côtés.
    - Ce genre d'entraînement arrive souvent ? demanda-t-il, à moitié rieur.
    - De plus en plus. Les attaques d'Ordreth leur portent sur les nerfs.
    - Je croyais que les préjugés étaient vaincus.
    - De loin, peut-être. Dès qu'ils me voient, leur haine se ravive.
   Rapace repoussa violemment les premiers rangs et se plaça en bouclier devant Zarth.
    - Je suis Rapace de Souffle-Vent ! tonna-t-il. J'étais fier d'être un elfe de la surface et aujourd'hui, j'en ai honte ! Je croyais que les elfes blancs étaient courageux, que la lâcheté et la traîtrise étaient réservées aux drows et je vois un seul elfe noir donner une leçon de courage à quinze de mes congénères. Que la honte soit sur vous ! Maintes fois, des personnes de confiance ont montré leur amitié à cet elfe noir, tous les autres qu'il a entraînés avant vous ont été désarmés par sa gentillesse. Je me demande comment j'ai pu une seconde être fier d'appartenir à un peuple tel que le vôtre ! J'ai honte, oui, terriblement honte !
   Tout air compatissant avait disparu de son regard et son visage avait pris une expression durcie. Les autres elfes en restèrent bouche bée devant cette explosion de colère.
    - Viens, Zarth, fit Rapace sans accorder un regard à ses congénères.
   Le jeune drow se débattit.
    - Je ne peux pas, Rapace ! protesta-t-il à mi-voix. Je me suis engagé auprès d'eux !
    - Laisse-les quelques jours. Ma tribu vient d'arriver. Tu auras du travail, ne t'inquiète pas.
   Suivis de Shurram, ils s'en allèrent, très dignes.
   Santig-du avait entendu le discours de Rapace et il ne put s'empêcher de l'applaudir en son for intérieur. En un rien de temps, Mériel et Julianne furent mis au courant. Les deux jeunes gens furent ravis de l'attitude de Rapace. Toute la ville sut bientôt qu'un elfe blanc avait pris la défense de Zarth contre son propre peuple. Les partisans de Zarth, comme ses précédents élèves qui n'étaient pas encore partis, s'enthousiasmèrent et la popularité de Rapace grimpa en flèche. La prédiction du jeune elfe s'avéra exacte : Zarth négligeant ceux qui l'avaient attaqué et s'occupant exclusivement de la tribu de Rapace, avide de ses enseignements, les elfes coupables, penauds, vinrent présenter leurs excuses. Zarth eut le triomphe modeste et les réintégra parmi ses élèves sans faire de commentaires. Deux jours plus tard, la légion de Jakez, à laquelle s'étaient ajoutés Mériel et Rapace, repartait contre les troupes d'Ordreth.

Texte © Azraël 1996 - 2002.
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