 |
Rapace
Les jeunes gens ne tardèrent pas à rencontrer une des légions de feu. Au milieu des soldats à la tunique blanche marquée du phénix flamboyant, Méline aperçut un colosse à la musculature impressionnante, entièrement vêtu de peau naturelle, d'une couleur beige très douce.
- Mériel ! s'exclama-t-elle.
Le jeune homme sourit.
- Surprise de me voir ? Je me suis joint à tes légions par hasard. L'éclaireur était malade.
Il regarda Azraël, qui semblait figé sur Furnerius ;
- Au fait, Egan, je crois que je ne t'ai pas encore dit toute ma reconnaissance pour m'avoir sauvé des griffes d'Elinor.
Azraël fronça imperceptiblement les sourcils : il pensa d'abord à Elinor Gentien, puis il se souvint de la renarde-garou et il eut un léger sourire.
- Tout le plaisir était pour moi, répondit-il.
Méline regardait déjà la carte avec le chef de la légion. Celui-ci expliquait ce que faisaient les autres légions et les mouvements présumés des troupes d'Ordreth.
- Certaines tribus se sont réfugiées dans le Territoire des Ombres, ajouta-t-il. L'éclaireur est chargé de les retrouver.
- C'est moi qui joue le rôle d'éclaireur, fit Mériel avec un sourire un peu contraint. Je n'y suis pas très doué, malheureusement.
Méline se tourna vers Azraël.
- Combien de temps te faudrait-il pour retrouver les elfes, Egan ?
- Tout dépend de la distance, fit le jeune homme en hochant la tête. Cela ne devrait pas être très long.
Il descendit de Furnerius et examina soigneusement le sol. Puis il grimpa rapidement à un arbre voisin, qu'il ne choisit pas au hasard : il domina la forêt en un rien de temps et regarda autour de lui. Plus au sud, il vit des mouvements de troupe, mais cela ne correspondait pas avec les traces. Par contre, à l'est, il y avait également un groupe, mais beaucoup plus discret. Satisfait, il dégringola de l'arbre en deux temps, trois mouvements.
- Les elfes sont à l'est, annonça-t-il. Par ailleurs, les troupes d'Ordreth sont au sud. Si elles continuent sur leur trajectoire, elles les atteindront avant nous. Nous devons les griller de vitesse.
Les autres le regardèrent avec stupéfaction : il n'était pas là depuis cinq minutes qu'il savait déjà tout ! Méline fit entendre un petit rire.
- Tous en selle ! ordonna-t-elle en souriant.
Azraël hocha la tête. D'un coup d'oeil, avec Méline, ils s'étaient compris.
- Je vais essayer de retarder les troupes d'Ordreth, déclara-t-il.
Il mit Méline en selle sur le dos de Furnerius et, sans laisser aux autres le temps de réagir, il disparut dans les broussailles. Furnerius souffla fortement, mécontent d'être laissé à l'arrière-garde. Mériel prit la tête de l'expédition.
Azraël progressait à grands bonds puissants ; sitôt hors de vue, il s'était transformé en tigre et la distance défilait à une vitesse vertigineuse. Rien ne l'arrêtait ; son museau reniflait fréquemment l'air, jusqu'à ce qu'il sente les effluves de la troupe recherchée. Il remonta toute la file au petit trot, tapi dans les buissons, et bondit à la tête du premier.
Le chevalier du chaos qui menait le train n'eut pas le temps de faire le moindre geste : il eut la gorge tranchée avant de réaliser ce qu'il lui arrivait. Le deuxième n'eut pas plus de chance. Les autres aperçurent enfin un éclair roux qui bondissait d'un homme à un autre. Les chefs furent rapidement exterminés et les monstres se retrouvèrent livrés à eux-mêmes. Lorsque le gigantesque tigre s'élança de nouveau, certains, comme les kobolds, s'enfuirent sans demander leur reste ; la majorité, constituée de hobgobelins, gobelins et gobelours, resta et fit face. Mais Azraël, dans un bond prodigieux, disparut dans les profondeurs sylvestres. Décontenancés, les monstres baissèrent leurs armes.
Un rugissement effrayant retentit et, comme lancé par une catapulte, un boulet de canon tout de griffes et de crocs enfonça l'aile gauche. Les griffes impressionnantes du tigre en firent réfléchir plus d'un, alors que Azraël n'hésitait pas. Il ne lui fallut que quelques instants pour semer la zizanie dans l'armée et les monstres s'éparpillèrent rapidement.
Sans plus attendre, il reprit le chemin qu'il avait suivi précédemment. Sa foulée s'était ralentie et avait perdu en amplitude, car il avait été blessé, en particulier aux côtes, et cela le tiraillait douloureusement à chaque pas. En approchant des elfes, il entendit des bruits de lutte ; instantanément, il reprit forme humaine.
Dès son arrivée, les esprits se calmèrent : la haute stature du jeune homme imposait un certain respect et un mince rayon de soleil, traversant les épaisses frondaisons, venait jouer sur le rinceau niellé qui ornait le serre-tête en alliage de tantale et de tungstène noirci. Les elfes, bien qu'étonnés, le reconnurent pour l'un des leurs. Mais la lutte en corps à corps ne s'était pas arrêtée pour autant ; dans l'un des deux combattants, Azraël reconnut Mériel. L'autre semblait être un elfe à la carrure peu commune. Il s'avança sur l'aire de combat et, sans ménagements, souleva les adversaires par la peau du cou. Mériel protesta :
- Tu n'as pas à interrompre le combat comme cela ! J'allais gagner !
- Pas du tout ! rectifia l'autre. J'étais sur le point de te terrasser.
- Vous vous calmez, oui ou non ? gronda Azraël et à cet instant, sa voix avait les mêmes accents que les rugissements de sa forme animale. Le vainqueur, c'est moi.
L'elfe se débattit, se tordant à moitié le cou pour pouvoir le regarder.
- Tiens, Azraël ! fit-il sans manifester plus d'étonnement.
- Bonjour, Crotale, répondit aimablement Azraël.
L'elfe soupira.
- Tu n'as jamais réussi à retenir mon nom ! Combien de fois faudra-t-il que je te dise que Crotale, c'est mon frère ? Moi, c'est Rapace.
- C'est pour t'apprendre à ressembler davantage à ton frère qu'à toi-même.
- Tu sais, tu peux nous lâcher, maintenant.
Ouvrant les doigts, Azraël laissa retomber les deux jeunes hommes qui s'étalèrent par terre.
- Oh ! Pardon. Enfin, si tu n'es pas capable de tenir debout, je préférais l'autre solution. Je n'aime pas parler aux vers rampants.
Rapace se releva d'un bond.
Bien qu'étant elfe, il était aussi grand que Azraël. Sa chevelure trop longue d'un roux cuivré retombait librement sur ses épaules ; son regard était d'un brun chaud et riche qui lui donnait une expression compatissante qu'il avait rarement par ailleurs. Il portait une tunique couleur rouille, serrée à la taille par une large ceinture de cuir marron et un baudrier semblable traversait sa poitrine pour venir se fixer sur la ceinture au niveau de la hanche. Il portait de hautes bottes en peau, qui lui montaient jusqu'à mi-cuisse, très souples et épousant tous ses mouvements. Azraël le regarda longuement.
- Que fais-tu là, Rapace ?
- Ce serait plutôt à moi de te poser la question ! protesta le jeune elfe. Je protège ma tribu. Les troupes d'Ordreth nous poursuivent.
Azraël eut un sourire énigmatique.
- Elles ne t'ennuieront plus. Par contre, si tu veux protéger efficacement ta tribu, emmène-la à Slar. La ville est ouverte aux réfugiés.
Rapace eut un petit rire de dédain.
- Peu d'humains aident les elfes, Azraël !
- Il a raison, intervint une voix jeune et fraîche.
L'elfe se retourna et son regard croisa les yeux vert pâle de Méline.
- Ma dame, fit-il en s'inclinant, stupéfait de la beauté de la jeune fille.
- Je suis Méline Anaya, souveraine du feu. Je vous certifie que mon royaume vous ouvre ses portes.
Rapace était si troublé qu'il était incapable de répondre. Azraël l'attira à l'écart après un signe à Méline.
- Je te donne trois secondes pour reprendre tes esprits, dit-il, impitoyable. Un... deux...tr...
- D'accord, d'accord ! Par tous les dieux, d'où sort cette déesse ?
- De Slar, répondit Azraël ingénument.
- Elle est vraiment souveraine du feu ?
- Oh oui ! Et son offre est sincère : la plupart des elfes sont déjà venus. Ils ont été formés par le meilleur maître d'armes de tout Yslaire et sont repartis se battre pour la liberté des leurs. Seuls les plus faibles restent à Slar, ainsi que quelques défenseurs.
- Qui est ce maître d'armes ?
- Hum... ! Je préfère ne pas te le dire, tu pourrais te forger une mauvaise opinion avant de le connaître.
Rapace regarda attentivement Azraël.
- Que fais-tu par ici, frère ? demanda-t-il.
- Je viens te porter secours, répondit aimablement le jeune homme.
L'elfe haussa les épaules.
- Nous n'avons pas besoin d'aide ! trancha-t-il.
- Où est Crotale ?
- Plus au sud, chez la tribu voisine. Il y organise la défense. Que la mort emporte Ordreth et ses stupides passions !
- Tu es au courant de ce qu'il se passe ?
- Bien sûr ! Tout le monde sait que Simon Brûle-Flammes et Sha de Trembleterre sont partis affronter les dieux. Comme ils sont frères des elfes, notre peuple est plutôt fier d'eux. Mais ils ont deux compagnons : Ravage de Souffle-Vent et Laurane Scandix.
Azraël ne dit rien. Il avait compris : Ravage était le plus jeune des trois frères et Laurane, la petite dernière de la famille. Assez sauvage, Ravage avait entraîné sa soeur, qu'il adorait, au fond de la Forêt Principale, où ils vivaient en ermites.
- Pour Slar, tu penses vraiment que...
- Oui. Sérieusement, Rapace, vas-y. Ta tribu sera protégée et tu pourras te battre l'esprit tranquille.
- Qui est le maître d'armes ?
- Il s'appelle Zarth Ka'Brézil, répondit la voix de Méline.
Rapace pivota sur ses talons. Son visage était impassible.
- J'ai entendu parler de lui. Un drow, n'est-ce pas ?
- C'est exact.
Le regard brun chaud du jeune elfe remarqua la légère crispation de Méline.
- J'ai entendu parler de lui, répéta-t-il. Le geste d'Urian Zamenis en sa faveur a été favorablement interprété. On a aussi mentionné qu'une jeune humaine avait pris sa défense. Vous, je suppose.
- Zarth m'a sauvé la vie, dit-elle avec simplicité. Egan et moi avons décidé d'ouvrir Slar aux fugitifs. Les exclus de la planète se tournent naturellement vers nous et Zarth était le bienvenu.
- Pas de sélection ?
- Un juge impartial : Magira, magicienne et aveugle.
- Une elfe également. Mon peuple doit bien vous aimer.
- Les elfes n'aiment pas forcément ceux qui accueillent des drows ou des gens à la même réputation que Egan, même s'ils ont une conseillère elfe.
- Les préjugés sont maintenant vaincus.
- Grâce à Urian. D'autre part, la gentillesse de Zarth fait son effet et ses disciples font beaucoup pour sa popularité.
Sur un sourire, Méline prit congé et alla retrouver le chef de la légion et Mériel.
Rapace se retourna lentement vers Azraël, l'air admiratif.
- Quelle femme remarquable ! s'exclama-t-il, enthousiaste.
Azraël hocha la tête.
- C'est ce que pensent les autres. Pourquoi te battais-tu avec Mériel ?
- Pour le plaisir. C'est un vieil ami. En fait, nous avons fait connaissance assez récemment. Un aventurier solitaire, comme tant d'autres... Nous aimons nous mesurer l'un à l'autre. C'est un fier compagnon que Mériel Anaya. Un rapport avec Méline ? demanda-t-il, frappé d'une idée subite.
- Des amis. Elle lui a rendu sa dignité et il a voulu l'honorer en prenant son nom.
Rapace suivait des yeux la mince jeune fille qui allait d'un soldat à un autre, guérissant toutes les vieilles blessures et prodiguant maintes paroles de réconfort. Sa présence seule, illuminée de son sourire, accomplissait des miracles. Les légions de feu lui étaient directement rattachées, mais peu de soldats l'avaient vue. Ils découvraient une souveraine simple et proche d'eux ; l'expérience d'aventurière de Méline la servait bien en cette occasion. Rapace s'aperçut à sa grande surprise qu'il était en train de tomber amoureux de cette enfant. Il regarda Azraël ; l'expression des yeux sombres du jeune homme lui fit comprendre qu'il avait été percé à jour.
- J'ai des chances ? demanda-t-il de but en blanc.
- La concurrence sera rude, dit Azraël sans répondre.
Il s'éloigna.
Méline le rejoignit aussitôt.
- La légion repart à Slar, déclara-t-elle. Quant à nous, nous continuons vers le sud. Il y a d'autres tribus d'elfes et Jakez, le chef de la légion, m'assure qu'il y a encore quelques légions dans la région.
- Quand veux-tu que nous partions ? interrogea Azraël.
- Demain, dès l'aube.
Rapace s'approcha.
- Je vais escorter ma tribu jusqu'à Slar et puis je reviendrai.
- Un guerrier tel que vous sera le bienvenu, répondit Méline.
Le jeune elfe inclina la tête, très pâle, et regarda Azraël s'éloigner avec Méline.
- Il est amoureux de toi, dit brutalement Azraël.
- Je sais, répondit doucement Méline. Mais je ne veux pas l'encourager dans cette voie.
Alors qu'ils étaient cachés par un épais buisson, Azraël prit la jeune fille dans ses bras.
- Tu es un vrai diablotin, tu sais, murmura-t-il alors qu'elle se laissait aller contre lui, confiante. Je ne sais pas comment j'ai pu vivre sans toi jusqu'à maintenant.
Elle écoutait silencieusement cet aveu, la joue contre le coeur du jeune homme. Il ferma les yeux, se contentant de la sentir contre lui. Il eut l'impression que, autour de lui, la nature se faisait plus douce, comme un écrin vert et frais, au doux parfum du vent faisant trembler les feuilles ; du sol souple montait une odeur d'herbes fraîchement coupées, une envolée de senteurs légèrement piquantes. Le sous-bois ombragé se transformait en une clairière inondée de lumière, où plus rien n'existait qu'eux deux, où les notes fleuries du printemps s'exhalaient autour d'eux.
Et elle, frémissante contre lui, elle avait l'odeur enivrante des matins où la lumière de l'aube communiait avec le bleu des eaux jaillissantes, où les feux de l'Orient, halos de lumière vibrante, se fondaient dans l'ombre des rêves intérieurs. Aujourd'hui plus que jamais, il comprenait les mots célèbres de la poétesse-elfe Edlana :
- Le parfum est de la lumière.
Et là, quand il ne sentait plus que le parfum de Méline, il lui semblait que la jeune fille même était de la lumière. Il rouvrit les yeux. Le sous-bois ombragé n'avait pas changé et pourtant, une nouvelle force s'en dégageait. L'ombre semblait reculer au profit de la lumière. Ce n'était pas seulement la rosée qui irradiait, mais chaque feuille paraissait jouer le rôle d'un miroir et, juste au-dessus de leurs têtes, un trou dans les frondaisons laissait passer les derniers rayons d'Arkis qui les inondaient de lumière.
Le coucher du soleil fut extraordinaire. Il disparut derrière la ligne de l'horizon, le ciel virant lentement au bleu-vert, et il y eut soudain une explosion de lumière, une profusion d'ors et de rouges qui embrasèrent le ciel, comme si un torrent empourpré déferlait de la terre. Des lignes de feu traversèrent l'empyrée, l'enflammant de leur éclat de braise translucide. Puis, aussi soudainement que c'était apparu, tout mourut et la nuit prit possession du ciel. Azraël et Méline étaient restés silencieux. Le jeune homme ne pouvait s'empêcher d'y voir un symbole : la lumière vaincrait, il en était sûr maintenant et peut-être même tuerait-elle l'ombre qu'il avait en lui. Méline sembla comprendre ce qu'il pensait.
- La lumière vaincra, chuchota-t-elle, en écho de sa pensée. Quant à ton ombre, Sige m'a dit hier soir qu'elle ne m'était plus néfaste.
Fasciné, Azraël regardait les marques rouges sur la gorge de Méline. Elles ne prirent pas la teinte intense du rubis. La jeune fille disait la vérité.
Sans rien répondre, il se pencha et ses lèvres vinrent se poser sur celles de Méline. C'était la première fois qu'il prenait l'initiative de l'embrasser, comme si sa peur de l'attirer dans les griffes de ses ténèbres avait définitivement disparu.
- Je suis jaloux de Rapace, murmura-t-il. Il vaut bien mieux que moi et il t'a aimée au premier regard.
Méline ne dit rien et se contenta d'un petit rire très bas.
- Et quand je suis jaloux, je deviens mauvais, reprit Azraël presque sauvagement.
- Je t'aime en sauvage, Egan... C'est signe que tu tiens à moi et j'ai besoin de ton amour...
Elle se serra contre lui, enfouissant sa tête au creux de son épaule. Ils restèrent un instant silencieux, à écouter le chant des oiseaux, puis ils se séparèrent à regret pour rejoindre les autres.
Autour du feu, Mériel, Rapace et Jakez discutaient à voix basse. Azraël leur dit qu'il veillerait et tous s'allongèrent pour dormir. Le jeune homme regarda Méline ; endormie, elle ressemblait tant à une enfant fragile et vulnérable qu'il se sentait des envies de la protéger contre le monde entier. Débarrassée du masque plus ou moins marqué quasiment exigé par la société, son visage se détendait et le halo d'or rouge qui l'entourait la faisait paraître encore plus mince et plus pâle. Il se pencha et effleura le petit front pur de ses lèvres.
- Dors bien, petite Méline...
Il se redressa et redevint l'aventurier qui devait veiller sur tout un camp.
Le lendemain matin, Rapace rassembla sa tribu. Son triste regard brun fixait souvent Méline, dont la jolie tête était penchée sur la carte de Jakez. Il s'approcha d'elle, tenant son étalon par la bride.
- Ma dame, dit-il d'une voix basse.
La jeune fille se retourna, l'air interrogateur.
- Vous n'avez plus de monture, reprit-il en avalant sa salive. J'aimerais que vous me fassiez l'honneur d'accepter la mienne.
Il montra son fier étalon rouge, que Méline flatta de la main.
- Je ne peux pas accepter, Rapace. Cet étalon est une bête de valeur et vous y tenez.
- C'est pour cela que je vous l'offre, ma dame.
- Il vous sera utile si vous revenez vous battre avec mes légions.
- Et que ferai-je, ma dame, quand j'apprendrai que la souveraine du feu a péri faute d'une monture assez rapide ?
Méline regarda Rapace ; elle savait la raison de son geste.
- Très bien, Rapace, céda-t-elle. J'accepte ce merveilleux étalon. Mais à quelques conditions : tout d'abord, en arrivant à Slar, vous demanderez Santig-du et vous lui direz ce que vous avez fait. Ensuite, je vous devrai une obligation. Si vous avez une demande que je puis satisfaire, n'hésitez pas à me solliciter. Enfin, j'aimerais que vous me donniez une mèche de vos cheveux.
Sans hésiter, Rapace sortit son poignard et s'exécuta. Quand Méline eut la longue mèche d'un roux cuivré, elle la tressa rapidement et la fixa solidement au frontal de l'étalon.
- En souvenir de toi, Rapace, fit-elle en souriant. Plus de hiérarchie entre nous, n'est-ce pas ?
Rapace s'inclina.
Jakez et sa légion étaient déjà prêts à partir.
- Jakez ! cria Méline. Soyez bien prudents ! Mériel, recommande chaleureusement Rapace à Zarth et Santig-du !
Le jeune elfe baisa la main de Méline et tourna les talons.
- Comment s'appelle l'étalon ? demanda la jeune fille.
- Solitudines, ma dame, répondit Rapace, le regard plein d'une lumineuse détresse.
Méline sentit son coeur se serrer. Elle aurait aimé faire quelque chose pour Rapace. Comme Mériel venait vers elle, elle lui chuchota :
- Si tu pouvais l'aider... Rapace est trop triste...
- Je vais en parler à Estar et Urian. Je crois que ce dernier est toujours à Slar.
Méline acquiesça. Rapace fit ses adieux à Solitudines, sans songer à cacher la douleur que lui causait la séparation. La jeune fille regardait s'ébranler la longue colonne, Azraël à côté d'elle. Solitudines eut un doux hennissement d'adieu, mais il resta immobile. Rapace se retourna et fixa l'étalon aussi longtemps qu'il le put.
Quand les elfes eurent disparu, la jeune fille se retourna vers l'étalon. C'était une belle bête bien découplée, à la robe rouge, ainsi que la crinière et la queue ; la seule trace de blanc était au niveau du front. Il était entièrement harnaché de cuir rouge très souple.
- C'est un cadeau inestimable que Rapace t'a fait là, commenta Azraël.
- Je m'en suis aperçue.
- C'est sa façon d'être. Quand il a des amis, il faut qu'il leur donne quelque chose auquel il tient plus que tout. Pourtant, je ne croyais pas qu'un jour il aurait pu sacrifier Solitudines. C'était son Furnerius.
Méline caressa doucement l'étalon du bout du doigt, revoyant encore le regard d'adieu de Rapace. Azraël la souleva et la déposa sur le dos de Solitudines. D'un bond, il fut sur Furnerius. Les deux chevaux s'élancèrent en même temps dans les profondeurs sylvestres, vers le sud.
Texte © Azraël 1996 - 2002.
Bordure et boutons Black Cat, de Silverhair
|