Dragoni

   Dragoni et David partirent donc de concert, vers les Monts des Compagnons. Après quelque temps de route, le chasseur daigna enfin desserrer les dents.
    - Chevalier, s'il est vrai que je suis une femme, je vous interdis d'agir envers moi autrement qu'avec un compagnons d'aventures.
    - Très bien. Puis-je savoir comment vous appeler ? répondit froidement David.
    - Dragoni me paraît parfaitement adapté. Il s'agit d'un titre.
    - Très bien, redit David et il se tut.
   Furiande avait réglé son pas tranquille sur celui de la monture de Dragoni, mais David sentait que son cheval restait sur ses gardes. Les muscles de Furiande étaient noués, comme s'il était prêt à prendre le galop. Le jeune chevalier frotta l'épaule de son cheval du plat de la main, pour le rassurer un peu et lui dénouer les muscles. Dragoni tourna la tête vers lui et l'acuité de son regard sombre frappa David de sa haine.
    - La monture est plus intelligente que son maître, lança-t-elle de son ton acide. Elle sait que cette entreprise est une folie.
    - Et la vôtre ? répliqua David en s'efforçant de ne pas perdre son calme.
   Dragoni flatta de la main l'encolure de son cheval.
    - Loubier est habituée, répondit-elle dédaigneusement. Elle a été dressée pour, ce qui n'est certainement pas le cas pour votre étalon.
    - Furiande m'accompagne depuis suffisamment longtemps pour ne plus rien craindre !
   Pour toute réponse, Dragoni fit entendre un ricanement moqueur.
    - Juste une question, Dragoni, reprit David, d'une façon un peu agressive. Puis-je savoir la raison de votre hostilité à mon égard ?
    - Votre fatuité, répliqua Dragoni.
    - Ma fat..., répéta David, abasourdi.
   C'était la première fois qu'on lui disait qu'il était fat ! Pourtant, durant son court séjour à Cenicien, il était resté la plupart du temps dans ses appartements ou dans les quartiers d'Antoniel à jouer aux échecs ; bien sûr, il s'était un peu amusé aux dépens d'Egbert, mais est-ce que cela valait pour autant qu'on l'affuble de l'épithète de fat ?
   Semblant sentir son désarroi, Dragon eut pitié de lui.
    - J'ai peut-être utilisé un mot trop fort, admit-elle. J'avoue que j'ai fait ma petite enquête sur vous avant de laisser Antoniel me retrouver. Et tous les rapports vous sont favorables : très courtois envers Osanne, comprenant les dragons et gagnant leur appui, sauvant Elsbeth, rabattant le caquet d'Egbert, fidèle à votre roi malgré ses tares, courageux, discret, excellent joueur d'échecs de surcroît ! J'ai horreur des gens parfaits !
    - Je ne suis pas parfait, Dragoni, loin s'en faut ! protesta David.
    - J'oubliais votre modestie ! railla Dragoni. Je n'arrive pas à vous trouver de défauts, chevalier, et cela m'irrite !
    - Eh bien, je chante très faux, je ne sais pas composer de poèmes, ni tourner de beaux compliments à une jeune dame, par exemple.
    - Parce que vous êtes un homme de guerre, fit Dragoni en haussant les épaules.
    - Les autres chevaliers d'Arasourdie savent faire tout cela, objecta David.
    - Oui, peut-être, mais c'est vous que votre roi envoie en mission.
    - Oh ! C'est différent : mon seigneur ne connaît que mon nom, rétorqua le jeune chevalier.
   Dragoni ne répondit rien tout d'abord, puis soupira.
    - Osanne vous est très favorable, ainsi que Elsbeth.
   David la regarda avec surprise. L'hostilité des yeux sombres avait disparu, pour laisser place à un vague regret.
    - Vous connaissez Osanne et Elsbeth ?
    - Tout le monde connaît Osanne, chevalier. Quant à Elsbeth, elle fait partie des chasseurs de dragons depuis deux ans et j'ai été son mentor. Mais je comprends ce que vous voulez dire. Osanne, Elsbeth et moi sommes soeurs. Dès que j'ai su quelle mission Zarastra voulait me confier, j'ai aussitôt voulu voir Osanne, qui n'a pas tari d'éloges à votre égard. Elsbeth m'a raconté que vous l'aviez sauvée deux fois des griffes d'Egbert.
   David resta silencieux. Osanne, Elsbeth et Dragoni, soeurs. Les grands yeux gris d'Elsbeth, qui lui rappelaient ceux d'Osanne... et même ceux de Dragoni, bien plus sombres, mais pourtant avec cette même expression farouche et un peu étonnée.
    - Quel est votre vrai nom ? demanda-t-il soudainement. Puisque Dragoni est un titre...
   Dragoni secoua la tête.
    - Quand on devient le meilleur chasseur, on perd son identité pour devenir Dragoni. Je ne peux pas vous dire mon nom, chevalier.
    - Osanne m'appelait David, fit le jeune chevalier. Pourquoi ne pas l'imiter ?
   Dragoni eut un léger sourire.
    - Très bien, David. Compagnons d'aventures, alors ?
    - D'accord, Dragoni.
   Le chasseur sourit de nouveau et Loubier partit au galop, droit vers les Monts des Compagnons, suivie par Furiande.

A suivre...

Texte © Azraël 1999 - 2002.
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