Aleanrahel parcourait la forêt comme tous les soirs. Le prêtre ne se laissait jamais arrêter par les conseils de ses collègues et continuait à pratiquer cet exercice en dépit de tout. Le soleil rouge avait presque disparu, mais le jaune, plus lent, éclairait encore suffisamment pour permettre à Aleanrahel de distinguer les branches traîtresses.
   Soudain, un léger bruit le fit sursauter ; il connaissait assez les bruits de la forêt pour reconnaître la fuite d'un animal effarouché ou la chute d'une branche dans le lointain, mais là, c'était différent. Il y avait d'abord eu comme un bruit de chute et maintenant, il lui semblait entendre un bébé pleurer. Son pas se fit très léger, tandis qu'il se dirigeait vers l'endroit d'où provenaient les pleurs.
   Il s'arrêta à quelque distance pour découvrir, stupéfait, une mince silhouette à la longue chevelure emmêlée, vêtue sommairement d'une tunique déchirée ; de ses doigts maigres aux ongles trop longs, elle essayait de desserrer l'étroit fil métallique qui emprisonnait sa cheville.
   Aleanrahel fit un pas en avant et une branche craqua sous son pied. La créature releva la tête et, devant le regard affolé, le prêtre s'aperçut qu'il s'agissait d'une jeune fille. Elle se releva d'un bond, cherchant à fuir, oubliant qu'elle était prisonnière, glissa sur le tapis de feuilles légèrement humides et tomba avec un gémissement. Elle enserra sa cheville de ses mains et se pencha pour lécher doucement le sang qui coulait de sa jambe entamée par le fil. Aleanrahel avança un peu plus et la jeune fille recula d'autant, tirant sur sa cheville prisonnière comme une forcenée, sans se soucier de la douleur ; ses yeux étaient élargis de peur et elle ne songeait qu'à fuir ce nouveau danger.
   Avec un soupir, Aleanrahel se dit qu'il allait être obligé d'user de violence ; lentement, pour ne pas effrayer davantage la jeune fille, il porta la main à sa ceinture d'où il tira d'une sarbacane. En le voyant pointer l'arme sur elle, la jeune fille fut prise de frénésie, s'ensanglantant les doigts à force de tirer sur le fil pour le rompre ; quand la fléchette l'atteignit à l'épaule, elle l'arracha aussitôt avec un grognement sourd.
   Mais le produit fit bientôt de l'effet et elle s'affaissa au sol, endormie. Aleanrahel s'avança sans plus de précaution et entreprit de la libérer du piège. Puis il souleva la jeune fille de terre et reprit le chemin du temple, où les prêtresses s'occupèrent de la petite sauvageonne.

Texte © Azraël 1998 - 2002.
Bordure et boutons Old fashioned buttons, de Silverhair