Ravenlord

Chapitre II : Les esprits

The fairies, détail, by Stephanie Pui-Mun Law
The fairies, détail
Copyright © Stephanie Pui-Mun Law 1999.

   Quand Ravenlord reprit connaissance, il était allongé sur un lit de fourrures douces et ne sentait plus la douleur dans sa jambe ; par contre, il se sentait épuisé, si bien qu'il se tourna sur le lit et se rendormit. A ses côtés, une jeune femme sourit en le voyant faire et, sans bruit, se leva pour aller surveiller la soupe qui cuisait doucement dans une marmite suspendue dans la cheminée.
   Lors de son second réveil, Ravenlord avait déjà les idées plus claires. Il roula sur le dos et se redressa sur les coudes.
    - Doucement, l'apaisa la jeune femme. Ne faites pas de gestes brusques ainsi.
    - Qui êtes-vous ? Et où est la corneille ?
    - Je n'ai pas de nom. Quant à celle que vous voulez voir, elle viendra quand le moment sera venu.
    - Je n'ai pas le temps d'attendre ! Des gens sont en danger !
    - Voulez-vous un peu de soupe ? proposa la jeune femme, toujours aussi calme.
    - Je vous dis que je n'ai pas le temps ! s'exclama Ravenlord, irrité, en s'asseyant brutalement.
    - Tu dois manger, Corax, si tu veux pouvoir continuer ce que tu as entrepris, fit la voix craquetante que Ravenlord avait déjà entendue.
    - Qui es-tu, pour m'appeler par mon prénom dès notre première rencontre ?
    - Je suis Krähe, l'esprit de la Montagne Sacrée, et aussi l'esprit des corbeaux et des corneilles. Tu m'as rencontrée il y a bien longtemps de cela, maintenant, Corax ; rappelle-toi le premier long voyage que tu as fait. Tu es venu jusqu'ici et tu m'as rencontrée.
    - Je ne me souviens pas, fit Ravenlord en secouant la tête, acceptant un bol de soupe des mains de la jeune femme sans nom.
    - Je n'avais pas cet aspect-là. Je peux revêtir plusieurs formes.
    - Dis-moi pourquoi tu m'attendais.
    - Parce que les maîtres corbeaux ont besoin de toi. Tu es quasiment le dernier. Après toi, il n'en reste plus qu'un autre : Kuôn Cuervo Canislord.
    - Je sais. Lukos m'a parlé des derniers événements. Mais pourquoi un homme exilé vingt ans auparavant pourrait être le sauveur de ses semblables ?
    - Lukos t'a certainement expliqué aussi que la même chose est arrivée aux maîtres loups. Je ne m'occupe pas des loups, mais Lupa, l'esprit des loups, est inquiète aussi.
    - D'accord, j'en déduis que je suis visé particulièrement, puisque je crois être le seul métamorphe à être loup et corbeau. Mais encore ? fit Ravenlord, un peu irrité, laissant la jeune femme sans nom remplir une nouvelle fois son bol.
Elf of the waters, by Cheryl Mandus
Elf of the waters
Copyright © Cheryl Mandus 1998.
Used with permission

    - Une enfant a besoin de toi, continua Krähe sans se troubler.
    - Raven ? Ce n'est pas parce qu'elle porte le nom du clan des corbeaux qu'elle a quelque chose à voir avec cela. Son père a été tué avec les maîtres loups.
    - Je sais tout cela, Corax, rétorqua Krähe d'un ton légèrement suffisant. Tu veux savoir pourquoi tu as été choisi ? Parce que durant les vingt ans de mise au point de leur plan, les conspirateurs t'ont oublié. Tous les autres maîtres qui pouvaient les déranger étaient surveillés et ont été mis hors de nuire. Récemment, quelqu'un s'est souvenu de toi.
    - J'ai donc été choisi par élimination. Je préfère cela. Cela leur ressemble plus ! rétorqua Ravenlord avec un sourire tordu. Je ne comprenais guère pourquoi ils choisissaient leur bête noire pour en faire un héros.
    - Tu ne seras pas un héros. Sauf si tu meurs, peut-être. Tu seras juste là où l'on a besoin de toi.
    - C'est généralement la définition d'un héros.
    - Sauf que le reste du monde ignorera que tu étais là et que ceux qui auraient pu le savoir seront morts.
    - Réjouissant. D'autres paroles ésotériques à me dire, Krähe ?
    - Prends garde à toi, Corax, fit Krähe d'un ton légèrement tremblant. Je n'aimerais pas savoir qu'il t'est arrivé quelque chose par ma faute.
    - Ne t'inquiète pas, on vit très bien avec la culpabilité, lança Ravenlord en se levant. Les premières années, on s'accuse sans cesse, puis on finit par rejeter la faute sur les autres.
   Il allait franchir le seuil de la cabane quand il s'arrêta brusquement.
    - Au fait, Krähe, puisque tu m'envoies à la guerre, tu ne saurais pas où je pourrais trouver Raven, par hasard ? Puisqu'elle est apparemment utile à quelque chose dans cette histoire de fous...
    - Bien sûr, que je sais où elle est. Je pensais que tu ne me le demanderais jamais !
    - Et tu as le droit de me le dire ?
    - Naturellement ! Viens par là !
   Elle le mena jusqu'à une vieille carte accrochée au mur.
    - Nous sommes ici, la Montagne Sacrée, la Montagne de Krähe, commença-t-elle en désignant un massif sur la carte. Raven a été emmenée ici, ajouta-t-elle en pointant un autre massif.
    - Le Pic des Aigles, lut Ravenlord. C'est l'un des pics les plus inaccessibles !
    - Oui, pour tous ceux qui ne sont pas des aigles, naturellement.
    - Les conjurés sont principalement des aigles, n'est-ce pas ?
    - Des aigles, des faucons… des rapaces, principalement. Et ceux qui ne faisaient pas partie de la conjuration ont été éliminés.
    - Comme Fuchslord.
    - Comme Fuchslord, acquiesça Krähe. Pour réussir à approcher le Pic des Aigles, il faut d'abord traverser le territoire des loups. Ces territoires, celui des loups comme celui des aigles, sont pareils à la Montagne Sacrée : tous ceux qui ne sont pas loup ou aigle ne peuvent approcher.
    - Je ne suis pas aigle, objecta Ravenlord.
    - Je sais, je sais, fit impatiemment Krähe. Mais tu es loup ! Et il y a un petit morceau de territoire qui jouxte celui des aigles et qui appartient aux corbeaux. Pour l'atteindre, il faut passer par celui des loups. Tu vois que tu es le seul à pouvoir aller au Pic des Aigles !
    - Où est le passage ?
    - Cela, je ne peux pas te le dire. C'est à toi de le trouver par toi-même.
   Ravenlord hocha la tête et observa soigneusement le chemin à suivre. Puis, sans un mot, il marcha jusqu'à la porte. Là, il se retourna et dit :
    - Merci.
   Un corbeau s'envola avant même que Krähe ou la jeune femme sans nom ait pu répondre.

   Pour aller au Pic des Aigles, le chemin le plus rapide était celui par la voie des airs. Le chemin en loup viendrait plus tard. Comme de coutume, Ravenlord n'économisa pas ses forces : il avalait les kilomètres, dormait le strict nécessaire et mangeait peu et rarement. Il voulait atteindre le Pic des Aigles le plus tôt possible. Il n'aimait pas la notion d'héroïsme sous-jacente à toute cette histoire et, en fait, il avait hâte que tout cela soit fini.
    - Vieux grincheux ! se lança-t-il à lui-même. Tu as l'opportunité de te racheter pour ce que tu as fait il y a vingt ans, de t'éloigner de ton ermitage où tu finissais par devenir fou et tu oses prétendre que cela t'ennuie ! Oh, je te connais mieux que cela, Ravenlord ! En fait, tu es content de paraître sous un bon jour. La seule chose qui t'ennuie, c'est qu'on t'ait choisi par élimination.
   Au moment d'arriver sur le territoire des loups, Ravenlord se souvint des paroles de Krähe :
    - Pour l'atteindre, il faut passer par celui des loups.
   Dans ce cas, quel corbeau - outre lui-même - pouvait atteindre cette parcelle de territoire appartenant aux corbeaux ? A quoi rimait toute cette mise en scène ?
   Il se sentit bientôt bloqué par une force magique. Sans insister, il alla se poser au sol et se glissa dans la peau d'un loup. Aussitôt, la force disparut et le laissa passer. Une autre question se posa à lui : comment avaient-ils réussi à entraîner Raven ici ? S'il se fiait au nom que lui avait donné Melitta, la jeune fille n'avait sans doute pas la possibilité de se transformer en aigle ; en effet, à part Ornis Lagarto Mynahlord, qui pouvait se transformer en tous les oiseaux qu'il désirait, il était rare qu'un métamorphe ait deux formes de la même espèce à sa disposition. Les deux formes étaient généralement complémentaires. Il haussa les épaules : Melitta lui avait dit ce nom pour l'amadouer, ou c'était le nom de guerre pris par la jeune fille comme chef du complot qui visait à le sortir de son exil. Raven était certainement maître aigle, comme son père.
   Dans la forêt des loups, il fut aussitôt sur ses gardes : il avait senti l'aura d'un ou de plusieurs métamorphes.Ce qui signifiait que celui qui s'était souvenu de lui avait sans doute gardé quelques maîtres loups sous la main et les avait envoyés garnir leur forêt de pièges. Ravenlord n'avançait qu'après s'être soigneusement assuré que l'endroit où il allait mettre la patte n'était pas piégé. Il repéra plusieurs pièges et les désactiva, creusant autour pour enlever la chaîne qui les retenait, déposant un morceau de bois dedans pour le faire se refermer et, une fois cela fait, il creusait avec plus d'acharnement encore, pour l'enterrer profondément.
   Les autres loups, en particulier une jeune louve rousse, le regardaient faire avec étonnement. La jeune louve le suivait presque partout, le flairant à la moindre occasion et semblant beaucoup apprécier l'odeur qu'il dégageait. Etrangement, pour la première fois de sa vie, Ravenlord était incapable de dire s'il s'agissait d'une métamorphe ou d'une véritable louve. Le comportement était celui d'une louve, mais Ravenlord savait parfaitement que quelqu'un comme Wolflord, mis dans une telle forêt, aurait également eu un comportement de vrai loup.
Elf of the fire, by Cheryl Mandus
Elf of the fire
Copyright © Cheryl Mandus 1998.
Used with permission

   Une fois, une seule fois, le mystère disparut et Ravenlord l'identifia comme une vraie louve. Il tenta de lui faire comprendre qu'il ne voulait pas qu'elle le suive, mais la jeune louve rousse s'acharnait. Irrité, il la mordit - une morsure peu méchante - au cou, mais elle l'acceptait passivement, sans protester, restait assise sur son derrière tandis qu'il s'éloignait avec un regard de menace, mais, cent mètres plus loin, il entendait le bruit léger de son pas souple derrière lui.
   Lassé, il baissa les bras et la laissa le suivre comme son ombre. Si, les premières fois qu'elle l'avait vu désamorcer un piège, elle était restée comme perplexe, maintenant, elle participait activement, lui amenant le bois pendant qu'il extrayait le piton de la chaîne, puis l'aidant à creuser pour l'enterrer. Un soir, alors qu'il s'accordait un peu de repos, dormant à la manière des loups, il entendit un jappement de douleur. Aussitôt, il fut sur pieds et son flair le mena à la jeune louve rousse, qui avait une patte prise dans un piège qu'elle avait visiblement tenté de désamorcer, car le piton de la chaîne était déterré. Elle lui jeta un regard désolé, tandis qu'il s'approchait et flairait l'engin d'acier.
   Il savait qu'il ne pouvait pas l'enlever facilement en tant que loup, mais il ignorait s'il pouvait reprendre forme humaine maintenant qu'il était entré dans la forêt. Il lui fallait déloger le ressort. Il força la jeune louve à se coucher sur le sol et examina le système. Ce piège était différent de celui dont il avait délivré Wolflord. Le ressort était attaché de façon plus lâche et il pourrait peut-être le faire sauter sans trop de mal. Mais il se méfia soudainement : s'ils avaient mis des pièges ici, c'était parce que, malgré tout, ils s'attendaient à sa venue ; ils le voulaient plus férocement qu'ils ne voulaient Wolflord. Pourquoi dans ce cas l'attache du ressort était-elle plus simple à défaire sur le piège qui lui était réservé ?
   Méfiant, il évita de se servir de ses dents pour faire sauter le ressort. Il utilisa le bâton, pour faire appui, et, quand le ressort se déboîta, il comprit qu'il avait bien fait d'être prudent : le ressort était creux et de l'intérieur coula un liquide épais qu'il sut aussitôt être du poison. Une peur étreignit sa poitrine : et si les dents d'acier du piège avaient aussi été enduites de poison ? Vite, il fit jouer les mâchoires, maintenant faciles à manipuler et libéra la jeune louve rousse. Elle poussa un petit gémissement contrit en regardant sa blessure et Ravenlord répondit avec un coup de langue indulgent.
   Il examina d'abord le piège, puis la blessure. Cette dernière semblait propre et il se rassura. Il creusa un trou pour enterrer le piège, prenant bien soin du ressort, enterrant la terre touchée par le liquide pour que les loups vivant ici ne soient pas empoisonnés à cause de cela. Ensuite, il lécha soigneusement la plaie de la jeune louve qui, après ce geste qu'elle interprétait comme un geste de tendresse, le suivit plus fidèlement encore, sur trois pattes.
   Il finit par se heurter au mur de magie qui protégeait le domaine des aigles. Le problème était qu'il n'avait a priori aucun moyen de reconnaître le mur des aigles du mur des corbeaux. Il chercha la touche maintenant familière de Krähe et ne la trouva pas. Il fit le tour du pic, en sa partie la plus large, longeant le mur de force. De temps en temps, quand il sentait le mur plus faible, il essayait de se transformer en corbeau, mais cela ne passait jamais. Une fois revenu à son point de départ, il se dit qu'il n'avait pas choisi la bonne méthode.
   La jeune louve rousse le regardait avec perplexité et, paraissant comprendre son dilemme, elle lui fit signe de la suivre et le mena jusqu'à ce qui ressemblait à un terrier. Elle y entra la première et quand Ravenlord la suivit, il vit que le terrier débouchait sur quelque chose de beaucoup plus grand. La louve n'y était pas, alors il continua à avancer et, alors que le tunnel s'évasait en salle, il y trouva une jeune fille allongée sur une fourrure rousse. Il n'avait pas besoin de regarder sa cheville pour savoir qu'il s'agissait de la jeune louve et que donc, il s'était trompé sur sa véritable nature.
    - Ici, c'est une zone neutre, annonça-t-elle d'une voix claire et douce. Reprends ta forme, Lobezno.
   Le fait qu'elle l'appelle par son prénom lui mit la puce à l'oreille.
    - Je ferai comme tu me diras, Lupa, répondit-il en obéissant effectivement.
   La jeune fille ne parut même pas surprise de le voir la reconnaître.
    - Ne prononce pas mon nom, reprit-elle. Les noms des esprits s'entendent loin et les Aigles vont être alertés.
    - Pourquoi m'as-tu aidé à trouver le passage ? On m'a dit que… les esprits ne pouvaient pas les révéler.
    - Je pouvais te le révéler, car je t'avais testé auparavant.
    - La louve rousse ? devina Ravenlord.
    - Bien sûr. Au début, tu voulais la chasser, mais tu n'as jamais été vraiment brutal. Tes morsures n'étaient pas voulues pour faire mal, mais seulement pour avertir. Par contre, dès que j'ai été blessée, tu es venu à mon secours, tendre et protecteur.
   Ravenlord se sentit vaguement embarrassé.
    - Pourquoi avoir été te faire piéger ? Tu pouvais éviter le piège, n'est-ce pas ?
   La jeune fille acquiesça.
    - Mais tu aurais été pris, malgré toutes tes précautions. Et tu en aurais probablement péri, parce que tu n'aurais pas regardé aussi attentivement le mécanisme du ressort. Moi, je ne risquais rien.
   Expérimentalement, Ravenlord s'agenouilla et testa la terre ; la souillure qui la marquait lui retourna presque l'estomac.
    - Même si elle n'était pas souillée, sourit Lupa en se relevant, je t'interdirais de gaspiller ton potentiel pour moi. Va, maintenant, Lobezno, un autre esprit t'attend.
   Ravenlord hocha vaguement la tête et s'enfonça dans le tunnel. Puis, au moment de disparaître, il se retourna et eut un de ses rares sourires.
    - Même si j'ai essayé de la chasser, j'aimais vraiment beaucoup la jeune louve rousse.
   Le rire frais de Lupa l'accompagna dans les ténèbres qui se refermaient sur lui.

   Il lui fallut bientôt devenir corbeau pour pouvoir continuer à avancer, mais le tunnel était suffisamment large pour son envergure. Il n'aimait pas beaucoup voler dans ces conditions-là et fut bien content quand enfin le tunnel déboucha à l'air libre. Là, une corneille l'attendait, perchée sur une branche, lissant ses plumes. Il s'arrêta à côté d'elle, pour bien montrer qu'il l'avait reconnue, mais ne prononça pas un mot, attentif à ne pas réveiller l'attention des Aigles.
    - Juste une question, dit-il. Qui peut atteindre ce territoire, à part toi et moi ?
    - Personne, rétorqua Krähe. Je l'ai négocié avec l'esprit des aigles quand j'ai appris de quoi il s'agissait. Elle n'a pas le pouvoir de les arrêter, mais elle a été d'accord pour m'aider. Kuôn était trop sévèrement blessé pour nous être utile, alors il ne restait plus que toi.
    - Si l'esprit des aigles nous aide, pourquoi ne pas avoir créé un passage directement entre le territoire des loups et celui des aigles, plutôt que créer un territoire artificiel pour les corbeaux ?
    - Parce que la frontière entre les loups et les aigles est surveillée, répondit Krähe avec un air d'évidence. Viens, maintenant. Nous n'avons que trop tardé.
   Elle le guida jusqu'à ce qu'ils rencontrent un mur ; là, de l'autre côté du mur, Ravenlord aperçut une jeune femme aux longs cheveux aussi blonds que ceux de Krähe, malgré son âge, étaient noirs et ceux de Lupa étaient roux. Krähe reprit forme humaine également et les deux esprits mirent leurs paumes l'une contre l'autre. L'air se brouilla devant Ravenlord et l'esprit aux cheveux blonds lui sourit.
    - Viens ! dit-elle simplement.
   Krähe l'encouragea d'un signe de tête et Ravenlord franchit ce qui avait été un mur de magie. Dès qu'il fut à côté de l'esprit des aigles, il se sentit tomber et se retrouva brutalement sous la forme d'un homme. L'esprit le retint avant qu'il ne s'effondre, trop surpris par son brusque changement de forme pour retrouver son équilibre à temps.
    - Viens ! répéta l'esprit.
   Soudain, Ravenlord sut quel était le nom de l'esprit et il se retourna pour regarder Krähe qui lui répondit par un sourire énigmatique et hocha doucement la tête : elle lui avait soufflé le nom pour qu'il le connaisse, mais ne l'avait pas prononcé pour ne pas alerter les Aigles.
Elf of the air, by Cheryl Mandus
Elf of the air
Copyright © Cheryl Mandus 1998.
Used with permission

   Aquilis, l'esprit des aigles, le guidait sous forme humaine, sans même prendre la peine de se dissimuler un tant soit peu et Ravenlord se fit la réflexion que les pouvoirs des esprits étaient beaucoup plus grands que ceux qu'ils donnaient à leurs "adeptes". Puis, avec une grimace intérieure, il se souvint que le peu de pouvoir dont les métamorphes disposaient était suffisant pour déclencher des catastrophes.
    - Regarde ! murmura Aquilis d'un ton rieur. Ces idiots t'attendent !
   Elle lui montra la frontière entre le territoire des aigles et celui des loups, où un certain nombre d'aigles ou d'humains attendaient, à l'affût.
    - Comment se fait-il qu'il n'y en avait pas le long du territoire des corbeaux ?
    - Parce que le territoire des corbeaux n'a pas de frontière commune avec celui des loups ; la frontière est souterraine, mais sinon, le territoire des corbeaux est entièrement immergé dans celui des aigles. J'ai attendu qu'ils prennent leurs positions pour céder ce terrain à K... à l'esprit des corbeaux.
    - Si tu désapprouves la conduite des aigles, pourquoi n'interviens-tu pas directement ?
   Aquilis le regarda avec un léger sourire.
    - Nous vous avons créés libres et quelle serait votre liberté si nous vous contraignions à chaque pas de votre vie ? De plus, qui peut savoir si ce que nous pensons est juste ? Je me souviens, il y a très longtemps, nous réprouvions quelque chose et cela s'est avéré bénéfique. Or, si nous avions eu le pouvoir de l'empêcher, nous l'aurions fait.
    - Que viens-je faire dans cette histoire ?
   Cette fois-ci, Aquilis s'arrêta et le fixa sérieusement.
    - Asseyons-nous, veux-tu ?
   Elle fit apparaître deux coussins au sol et ils s'assirent en tailleur. Ravenlord posa ses mains sur ses genoux, comme il en avait l'habitude.
    - Je n'agis pas sur toi, ni les deux autres esprits que tu as rencontré, commença Aquilis. Nous ne pouvons pas te manipuler. Nous ne pouvons que te demander de faire ce que nous voulons. Pourquoi t'avoir choisi, quand on connaît ton passé ? Justement à côté de ce passé. Ce que nous allons te demander est dangereux et peu auraient accepté de risquer leur vie pour le faire. Personne ne souhaite autant la rédemption que toi. De plus, ton... erreur dans le passé montre bien que tu as la force de caractère et la puissance nécessaires pour accomplir ce que nous attendons de toi. Enfin... tu es le seul maître loup qui reste, à part Lukos Escarabajo Wolflord, qui a encore un lien terrestre.
    - Arakhnê Urraca Ladyaranea, dit lentement Ravenlord.
    - Exactement.
    - Donc, vous m'avez choisi parce que j'étais le seul disponible, c'est cela ?
   Aquilis soupira.
    - Ce n'est pas aussi simple que cela, mais cela serait trop compliqué de t'expliquer tout depuis le début. Autre chose aussi nous a décidées : tu as finalement accepté d'accéder à la requête de Ladybee et de retrouver sa fille Raven. Si nous avions choisi quelqu'un d'autre, vous vous seriez gênés mutuellement. Mieux valait n'avoir qu'une seule personne dans la place.
   Ravenlord hocha la tête.
    - Et maintenant ?
    - Maintenant, tu dois d'abord t'occuper de Raven avant tout. Pour cela, je vais te permettre de t'introduire dans la forteresse des Aigles. Je vais te jeter un sort qui, lorsque tu te transformeras en corbeau, les autres te verront comme un aigle. Tu passeras inaperçu la plupart du temps. Dès que tu auras trouvé Raven et que vous serez tous les deux hors de la forteresse, l'esprit des corbeaux pourra intervenir à son tour pour vous aider. Ne tarde pas, mon sort ne fera effet qu'un temps limité !
   Ravenlord se leva, imité par Aquilis.
    - Suis-moi, dit l'esprit des aigles en montrant le chemin. Ne crains rien ; détends-toi. Ils ne croient pas que tu puisses entrer, ils ne se méfieront pas.
   Ravenlord ne répondit pas : il gardait les yeux fixés sur la forteresse des Aigles, l'endroit le plus imprenable du pic. Elle était gardé par des aigles de pierre, qui pouvaient prendre vie si la forteresse était attaquée, comme des gargouilles.
    - Les gargouilles ne t'attaqueront pas ; cependant, reste sur tes gardes : il y a quasiment toujours une gargouille qui garde un oeil sur toi. Les aigles sont méfiants et belliqueux par nature.
    - Je m'en souviendrai.
   Aquilis le regarda un instant, effectua une passe magique et lui offrit un sourire quelque peu tremblant.
    - C'est bon. Que les esprits t'accompagnent.
   Ravenlord eut un sourire aigu, si amer que Aquilis le ressentit comme un reproche, et il s'éloigna sans ajouter un mot, vers la forteresse des Aigles, dont, s'il savait comment entrer dedans, il n'avait aucune idée de comment il pourrait en ressortir avec Raven.

Texte © Azraël 2000.
The fairies, détail. Copyright © Stephanie Pui-Mun Law 1999.
Elf of the waters. Copyright © Cheryl Mandus 1998. Used with permission
Elf of the fire. Copyright © Cheryl Mandus 1998. Used with permission
Elf of the air. Copyright © Cheryl Mandus 1998. Used with permission
Alphabet pour le titre Mythos, de Elon
Bordure et boutons Raven, de Silverhair

Stephanie Pui-Mun Law - Shadoswcapes

Contemporary Realism and Surrealism - Cheryl Mandus

Silverhair