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Chapitre I : Le dernier maître loup
Brother of the wolf
Copyright © William Li 1990.
Ravenlord se sentait plus libre qu'il ne l'avait jamais été ; il volait sans contrainte, libre d'aller où il voulait, et aucun oiseau dans le ciel ne le repoussait, comme le faisaient ses semblables. Certes, certains fuyaient, apeurés par ce grand oiseau qui pouvait se révéler un prédateur, mais c'était rare.
- J'aurais dû faire cela depuis des années, songea-t-il confusément. Pourquoi m'être entêté à rester sur cette montagne où je ne faisais que nourrir ma rancoeur ? Sans doute que je préférais rester en terrain connu... Ah ! Non, décidément, je ne serais jamais un grand aventurier...
Tout en volant, il discutait avec les oiseaux qu'il croisait pour savoir s'ils avaient vu une jeune fille nommée Raven. A l'insu de Melitta Avispa Ladybee, il s'était introduit chez elle - c'était si facile à faire et cela lui avait donné un sentiment de vengeance sur ses congénères stupides qui n'avaient rien trouvé de mieux que l'exiler - pour chercher un portrait de Raven. Il avait découvert que ce n'était plus une enfant ; elle ne devait pas encore avoir atteint la vingtaine, mais elle ne devait certainement pas en être bien loin et il avait senti comme une morsure au coeur : Melitta ne s'était guère montrée affligée par son exil, pour avoir eu un enfant si tôt après son départ...
Il avait maintenant le portrait de la jeune fille en tête et le communiquait aux oiseaux ; ceux-ci répondaient négativement : jamais ils n'avaient vu la jeune fille, mais tous promettaient de la chercher, car ils savaient reconnaître un des leurs dans ce grand corbeau noir solitaire.
Les contrées qu'il survolait le réjouissaient et berçaient son esprit de rêves débridés, lui qui n'avait connu que la forêt pendant vingt ans. Son regard se portait partout, vif et curieux, et il avait l'impression de revivre. Tout l'émerveillait et il se sentait comme un enfant.
Vallées, montagnes, bords de mer, rien n'échappa à son passage. Tantôt corbeau, tantôt loup, rien ne pouvait le ralentir. Il évitait les villages et les lieux trop fréquentés, mais interrogeait si souvent les animaux qu'une mouche n'aurait pas pu passer à travers de son filet. Seulement, Raven avait réussi à passer inaperçue.
Ravenlord commença à avoir des doutes : Raven avait-elle bien disparue ou s'était-elle enfuie, profitant du pouvoir de métamorphe qu'elle avait certainement reçu de ses parents, passant inaperçue parmi les animaux, qui ne savaient pas toujours reconnaître un métamorphe d'un des leurs ?
Plusieurs semaines passèrent ainsi et le royaume fut intégralement passé au peigne fin. Ravenlord faillit se décourager sérieusement, mais il n'avait jamais abandonné la voie qu'il avait choisie et il persista. De toute façon, songeait-il amèrement, cela valait mieux que rester à tourner en rond dans la forêt où il avait passé vingt ans.
Une fois, une seule, il reprit sa forme humaine et s'aventura dans une ville. Celle-ci était de taille moyenne et tout lui paraissait gris, comparé à sa forêt et aux vallées riantes qu'il avait survolées. Le ciel était couvert et les regards que lui jetaient les passants ne lui inspiraient pas confiance. Il eut un sourire amer en pensant à l'époque où il était encore jeune et où chaque visage s'illuminait en le voyant.
Il trouva quelque menue monnaie au fond de sa poche et alla dans une auberge acheter un repas chaud avant de repartir en route. Parfois, l'ordinaire du corbeau ou du loup l'écoeurait un peu et il soupirait après la cuisine humaine. Assis dans un coin sombre, un gobelet de cidre éventé entre les mains, il regardait autour de lui avec une curiosité un peu étrange pour ceux qu'il regardait.
Il avala rapidement son rôti de boeuf dégoulinant de sauce et pourtant insipide, vida son gobelet et quitta l'auberge. Dehors, il faillit heurter un grand homme mince qui entrait dans l'auberge.
- Vous pourriez faire attention ! lança l'inconnu d'un ton rogue.
- Toutes mes excuses, grommela Ravenlord en contrefaisant sa voix. Avec le changement de lumière entre l'auberge et la rue...
- Ça va, ça va ! reprit l'inconnu, agacé, en l'écartant du bras.
Ravenlord le regarda entrer dans l'auberge d'un pas pressé et s'éloigna rapidement à son tour. Il sortit de la ville en utilisant la porte des voleurs, puisque les portes étaient fermées ; dans sa jeunesse, il avait souvent utilisé de tels moyens pour sortir après la nuit, répugnant à prendre la forme d'un corbeau, qui était rare dans les environs des villes.
Dès qu'il fut hors de vue, il se métamorphosa en loup et partit au petit trop jusqu'à l'ombre protectrice. Là, il s'allongea et, le museau appuyé sur ses pattes, il réfléchit calmement : ou il était fou, ou il venait juste de voir Ornis Lagarto Mynahlord. Mynahlord était un grand métamorphe, qui avait le pouvoir de se transformer en tous les oiseaux qu'il souhaitait, contrairement aux autres métamorphes, qui ne pouvaient se transformer qu'en deux espèces très définies - le loup et le corbeau pour Ravenlord, l'aigle et le renard pour Alopekeios Aguila Fuchslord. Cela faisait de Mynahlord un homme dangereux et ambitieux, ce qui ne l'avait pas empêché de se marier avec une jeune femme adorable, prénommée Minna, et qui n'avait pas le moindre pouvoir de métamorphose. Minna était en adoration devant son mari et Ravenlord imaginait bien sa douleur si jamais elle apprenait que Mynahlord avait commis une action répréhensible.
Ravenlord n'aimait pas Mynahlord, qui était trop arrogant à son goût, mais il n'avait rien de plus à lui reprocher. Son comportement de ce soir était typique ; Ravenlord se félicita d'avoir déguisé sa voix, même si après vingt ans, Mynahlord aurait certainement eu du mal à le reconnaître. Ravenlord jugea plus prudent de s'éloigner le plus vite possible de la ville : si Mynahlord l'identifiait comme Corax Lobezno Ravenlord, exilé vingt ans auparavant, il le dénoncerait sans doute pour avoir rompu son exil... et les loups étaient rares dans la région.
Silencieux et discret, Ravenlord s'éloigna souplement ; le nombre de métamorphes qui pouvaient se transformer en loup était très réduit et, d'après ce qu'il avait appris par les loups eux-mêmes, ces métamorphes ne se montraient guère. Ravenlord s'arrêta, s'assit et enroula sa queue autour de ses pattes. Normalement, les maîtres loups communiquaient entre eux et, même s'il n'avait pas été visé comme interlocuteur, il aurait dû intercepter ces conversations. Or, non. Il se mordilla pensivement le devant d'une patte et prit sa décision : il irait voir Lukos Escarabajo Wolflord, son plus vieil ami. Il ne le dénoncerait pas et lui dirait si ses peurs étaient justifiées.
Pendant un court instant, il avait oublié Raven et l'inquiétude de Melitta ; il hésita un moment, mais ne tergiversa pas très longtemps : Raven avait maintenant disparu depuis plus de trois mois et ce n'étaient pas les deux semaines dont il avait besoin qui allaient changer quelque chose à sa situation.
Il reprit sa course, puis, une fois suffisamment éloigné de la ville pour ne pas alerter Mynahlord, il changea de forme sans même ralentir et un grand corbeau s'éleva dans le ciel pour partir à tire-d'aile.
Il connaissait par coeur le chemin qui menait chez Wolflord, même s'il ne l'avait pas emprunté depuis plus de vingt ans. Il ne lui fallut que cinq jours pour rallier l'ermitage où vivait Wolflord qui préférait la solitude à la compagnie des autres métamorphes. La cabane était d'aspect sommaire et l'intérieur en était fort rustre, vu que Wolflord y mettait rarement les pieds : le maître loup préférait sa forme animale principale et avait même été accepté dans une meute.
Pour une raison qu'il ignorait, Ravenlord reprit forme humaine avant d'entrer dans la cabane, faisant attention où il mettait les pieds, car la deuxième forme de Wolflord était le scarabée. Il n'avait pas encore poussé entièrement la porte qu'il savait déjà que quelque chose n'allait pas. Il resta sur le seuil à contempler le désastre : les maigres possessions de Wolflord - qui n'était pas du genre à s'enrichir à l'aide de son pouvoir - avaient été éparpillées partout, la paillasse avait été retournée...
Les odeurs n'étaient pas très fraîches, mais elles étaient encore assez récentes. L'oeil alerte de Ravenlord passa les objets en revue et constata aussitôt, avec soulagement, qu'il manquait quelque chose : une araignée en argent, à laquelle Wolflord tenait beaucoup, car elle lui avait été offerte par Arakhnê Urraca Ladyaranea, sa sœur, seule personne que Wolflord aimait réellement. Si l'araignée d'argent avait disparu, cela ne pouvait signifier qu'une seule chose : malgré les apparences inquiétantes, Wolflord était toujours vivant.
Ravenlord devint immédiatement un loup et son odorat si fin le renseigna vite : Wolflord n'était pas revenu depuis le saccage de sa cabane. Il s'éloigna au petit trot, attentif à suivre une piste faiblement marquée, celle d'un loup. Il remarqua distraitement que la direction était l'opposée de celle qui menait chez Arakhnê Urraca Ladyaranea. Sans doute Wolflord avait-il voulu brouiller les pistes.
Beaucoup plus loin, la piste revenait presque sur ses pas, pour prendre un chemin qui, beaucoup moins connu, permettait de rejoindre l'ermitage de Ladyaranea. Et, au milieu de la piste, un loup gisait à terre, la patte arrière prise entre deux mâchoires d'acier. Ravenlord n'avait pas besoin d'y regarder à deux fois pour savoir qu'il s'agissait de Wolflord. Il reprit forme humaine et s'agenouilla près du piège. En vingt ans, il n'avait pas perdu une once de muscle et même, en avait gagné. Saisissant les mâchoires du piège entre ses mains, il gonfla les muscles, dents serrées sous l'effort, pour écarter les dents d'acier. Le loup se traîna par terre, hors du piège, s'allongea sous un arbre et son image se brouilla pour laisser la place à celle d'un homme dans la force de l'âge, aux cheveux d'un gris argenté qui ressemblait fortement à sa fourrure de loup.
L'homme regarda Ravenlord démonter le piège et l'enterrer soigneusement à l'écart de la piste.
- Ainsi, tu es revenu, Corax, dit-il d'une voix rocailleuse, comme s'il n'avait pas parlé depuis longtemps.
Ravenlord s'assit sur ses talons et fixa son interlocuteur.
- Je suis revenu, Lukos, acquiesça-t-il. Maintenant, dis-moi ce qu'il se passe. Où sont les autres maîtres ?
Lukos Escarabajo Wolflord fit un léger mouvement et ne dissimula qu'à moitié une grimace de douleur.
- Nous avions ordre de ne plus communiquer entre nous comme nous le faisions auparavant, pour te maintenir dans l'ignorance. Les maîtres loups se sont alors alliés avec les maîtres oiseaux. Avec moi, j'avais Kuôn Cuervo Canislord.
- Un ami fidèle, interrompit Ravenlord.
- Oui... J'avais interdit à Arakhnê de s'allier avec quelqu'un, même moi, parce que quelque chose ne me plaisait pas sur ce nouveau décret : te maintenir dans l'ignorance n'avait aucun intérêt. J'appris que je n'avais pas eu tort de me méfier. Pendant longtemps, tout alla très bien et je me moquai de moi-même et de mes craintes. Et puis, voici six mois, les nouvelles des autres devinrent plus rares. Kuôn partit en reconnaissance. Il revint, je ne sais comment, en piteux état, une aile cassée... Les nouvelles étaient terribles.
Nouvelle grimace de douleur.
- Kuôn revenait de chez Ladycub. Elle avait été massacrée, ainsi que son messager Shahinlord. Lui-même n'avait échappé que de peu à la mort. Et chez les autres maîtres loups, le carnage avait été le même. Nous n'étions guère nombreux, maintenant, nous n'existons plus... à part nous deux. Kuôn comprit vite que j'étais en danger et fit tout ce qu'il put pour me prévenir à temps. Je l'ai envoyé à l'abri et j'aurais voulu prévenir Arakhnê, mais je n'avais pas le temps.
Wolflord se tut, puis fixa Ravenlord.
- C'est toi qu'ils veulent, naturellement, ajouta-t-il. Leur plan est trop ciblé pour que cela passe inaperçu.
- Est-ce que Fuchslord faisait partie des messagers ?
- Oui, il était avec Seanettlelord. Ils se sont fait massacrer, bien sûr.
Ravenlord se leva et vint s'asseoir à côté de son ami.
- Dis-moi, les maîtres avec qui vous étiez alliés... à part Fuchslord, c'étaient des maîtres corbeaux ou maîtres corneilles, n'est-ce pas ?
Wolflord hocha affirmativement la tête. Ravenlord serra les poings.
- Vingt ans ! murmura-t-il. Vingt ans d'humiliation et cela ne leur a pas encore suffi !
Voyant l'air triste de son ami, il lui mit une main consolatrice sur l'épaule.
- Nos amis seront vengés, je te le promets.
- Par qui ? Par toi ? Toi dont tous les maîtres loups et les maîtres corbeaux ont publiquement honte ? rétorqua Wolflord amèrement.
Voyant Ravenlord accuser le coup, il poursuivit :
- Mais qui, dans l'ombre, complotaient pour ton retour ?
Corax Lobezno ouvrit de grands yeux.
- Oui, quasiment tous les maîtres loups et les maîtres corbeaux étaient alliés dans un grand complot, dirigé par...
- Tais-toi ! Je sais... elle s'appelait Raven.
- Comment le sais-tu ?
- Raven est la fille de Melitta Avispa Ladybee et de Alopekeios Aguila Fuchslord. Elle a disparu il y a six mois environ. C'est trop de coïncidences...
Une fois de plus, il serra les poings, puis se tourna vers Wolflord.
- Avant tout, te soigner ! Ensuite, je partirai, pendant que tu iras avertir Arakhnê et prendre des nouvelles de Kuôn.
- Hélas ! Ne sais-tu donc rien, Corax ? Il est impossible d'utiliser la magie de la terre.
- Pourquoi ? Même si tu as épuisé tout ton potentiel, le mien est encore quasiment intact !
- La terre a été souillée en profondeur, Corax. Elle n'a plus de forces à nous donner.
Ravenlord resta abasourdi un moment par cette nouvelle, puis se redressa.
- Ta mission est la plus importante, Lukos, dit-il avec fermeté.
- Corax, que vas-tu faire ?
- La magie de la terre ne peut peut-être rien faire, mais il me reste encore... la magie de l'air !
En même temps que Wolflord protestait avec véhémence, Ravenlord effectua un mouvement complexe dans les airs et s'effondra au sol avec un cri de douleur. Son ami se pencha sur lui.
- Annule ce que tu viens de faire tout de suite ! cria-t-il.
- Non, grinça Ravenlord entre ses dents serrées. J'ai une constitution beaucoup plus solide que la tienne, je guérirai plus vite.
La magie de l'air, que Ravenlord avait utilisée, permettait, entre autres, de transmettre les blessures ; le métamorphe s'était donc transmis à lui-même la blessure de Wolflord.
- Va prévenir Arakhnê, reprit-il. Essaie aussi de prévenir nos amis... s'il en reste... Je m'occupe du reste.
- Tu es fou ! Tu vas mourir si tu restes ici sans soins !
- Va, te dis-je ! J'ai eu vingt ans pour y réfléchir, Lukos.
- Pourquoi fais-tu cela, Corax ? demanda Wolflord malgré lui en se levant.
- La rédemption, Lukos, la rédemption... Je n'arriverai jamais à pardonner à mes bourreaux, alors je veux qu'ils viennent eux-mêmes me dire qu'ils ont eu tort.
- On est déjà un certain nombre à le penser, Corax, chuchota Wolflord en serrant amicalement le bras de Ravenlord, puis en s'éloignant, devenant rapidement un loup à la fourrure argentée.
Ravenlord s'assit le plus confortablement qu'il le put sous l'arbre et regarda autour de lui. La plupart des plantes qui l'entouraient n'avaient pas de pouvoirs guérisseurs, mais il devait encore en avoir dans ses poches. Il fouilla rapidement et, dans les poches boutonnées de sa tunique de dessus, il trouva quelques restes de plantes médicinales. Il lui fallait maintenant de l'eau et il savait parfaitement où en trouver. Sans s'appuyer sur sa jambe, il se remit debout et tendit les bras en l'air pour attraper la branche qui se trouvait juste au-dessus de lui.
A la force des bras, exercice qu'il avait souvent pratiqué pour garder la forme, il se hissa sur la branche, prenant grand soin de ne pas abîmer plus sa jambe. Alors seulement il se transforma en corbeau ; ses ailes étaient en excellent état, seule sa patte gauche et une partie du ventre le faisaient souffrir. Faisant la sourde oreille aux élancements qui lui déchiraient le corps, il vola le plus vite qu'il put jusqu'à la source. Là, il fit une pâte avec ses herbes, l'appliqua sur sa blessure et la fit tenir solidement avec un bandage d'herbes neutres. Il enroula autour un tissu propre, pour protéger la blessure des saletés et se redressa une nouvelle fois.
- Veille sur Arakhnê, Lukos, murmura-t-il en tournant la tête par-dessus son épaule. Et préviens nos amis, ils ne méritent pas de mourir à cause de moi.
Alors Ravenlord se détourna et prit son essor, malgré la douleur qui venait de lui transpercer la jambe. Il s'éloigna vers une contrée lointaine, où il espérait que la terre n'avait pas été souillée. Malgré sa vantardise devant Wolflord, il n'avait guère envie de laisser cette vilaine plaie guérir toute seule, par les moyens naturels.
Tout en volant, il réfléchit aux dernières nouvelles qu'il avait apprises. D'abord, tous ceux qui auraient pu se révéler ses alliés avaient soigneusement été éliminés du jeu, avec plus ou moins d'élégance. Le meurtre impuni de tant de maîtres métamorphes le révoltait ; la disparition de Raven avait été mieux orchestrée : comme il était quasiment impossible de retrouver ses traces, on pouvait croire qu'elle avait fugué et que, rompue aux méthodes pour dissimuler sa piste, elle s'était habilement dissimulée. Ce qui le troublait plus était l'engagement de Raven dans un complot pour un homme qu'elle n'avait jamais vu. Cela lui amenait à l'esprit des idées qu'il n'aimait guère.
Ensuite, la terre était souillée. Pris tout seul, ce fait aurait pu sembler presque anodin ; alarmant dans le sens que cela signifiait clairement qu'il y avait un problème, mais anodin parce que les hommes pouvaient très bien l'avoir polluée sans intentions particulières. Mais mis en corrélation avec les meurtres des métamorphes, cela devenait beaucoup plus inquiétant ; c'était comme si l'assassin voulait signifier à ses victimes que, si jamais certaines survivaient à leurs blessures, nulle ne disposerait de la magie pour se soigner et lutter. L'assassin n'avait pour adversaires que des personnes sans méfiance ou des blessés incapables de se défendre.
Tout cela pour arriver à une seule chose, ou plutôt, une seule personne : lui. Pourquoi l'avoir laissé en paix pendant vingt ans, alors qu'il était vulnérable, et s'attaquer à lui maintenant, par des voies détournées ? Que s'était-il passé dans le monde qu'il ne savait pas et qui justifiait que la mémoire de l'exilé revienne soudain au grand jour, le faisant apparaître comme un danger ? Quel pouvoir avait-il pour lutter contre les conspirateurs ?
Tout en volant, il fouillait le sol de son regard, plongeant dès qu'il apercevait un loup ; prenant alors leur forme, sans se soucier de sa blessure, il leur disait de se méfier de tous et de prévenir tous les loups qu'un danger les menaçait. Déjà, la rumeur de la disparition des maîtres loups s'était répandue parmi eux, sans doute lancée à l'origine par Wolflord.
Enfin, un jour, devant lui se dressa son but : la Montagne Sacrée, où seuls les corbeaux et ceux de leur famille avaient le droit de se rendre. A son sommet coulait une cascade à l'eau cristalline et certainement, ici, la terre ne pouvait être souillée. En se posant au sol, il était si fatigué, il avait si mal qu'il fut incapable de rester debout et roula au sol.
- Enfin, Corax, enfin tu es venu à moi ! fit une voix craquetante.
Ravenlord leva une tête fatiguée et, perchée sur un rocher au milieu de la cascade, il y avait une vieille corneille qui le fixait.
- Voilà plus de vingt ans que je t'attends, Corax, reprit la voix craquetante. Où étais-tu pendant ce temps ?
- Exilé, murmura amèrement Ravenlord.
Il roula sur le dos et le corbeau laissa la place à un homme. A part lui, il songea qu'il ne s'était jamais autant transformé en homme que depuis ces derniers temps.
- Naturellement, exilé, continua la voix, avec un léger accent d'impatience. Mais ignorais-tu donc que ce territoire était un terrain d'asile ?
- Oui.
Sans bouger, il enfonça progressivement ses doigts dans la terre, mais la douleur et la fatigue obscurcissaient tant son cerveau qu'il était incapable d'invoquer la magie de la terre.
- Te voilà bien mal arrangé, fit la voix.
La vieille corneille s'envola et vint se poser à côté de lui ; son image se brouilla et une vieille femme souriante se dressa devant lui.
- Mère..., murmura-t-il dans son délire.
La vieille femme à l'air bienveillant se pencha sur lui et invoqua la magie de la terre. Ravenlord sentit une vague de magie refluer dans son corps.
- J'avais raison, pensa-t-il. La terre n'est pas souillée, pas ici...
Il perdit connaissance.
Texte © Azraël 2000.
Brother of the wolf. Copyright © William Li 1990.
Alphabet pour le titre Mythos, de Elon
Bordure et boutons Raven, de Silverhair
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