Le royaume démoniaque



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   Hernst se hâtait vers la demeure du magicien Dorval. Ce dernier était le seul qui pouvait le tirer de la condition gênante où l'avait placé le roi-démon Lorky. Qui était plus distrait que Dorval au point d'oublier la réponse qu'il ne pouvait pas donner, puisqu'il était muet ? Il frappa timidement au grand portail de Dorval.
    - Il n'y a personne ! répondit une voix grincheuse.
   Le portail s'ouvrit et le long nez fouineur du magicien apparut.
    - Entrez donc, grommela-t-il.
   Hernst le suivit de bon coeur. Dorval retourna à petits pas pressés dans sa salle de travail et laissa le roi déchu seul. Celui-ci s'approcha de l'étagère où étaient soigneusement rangées toutes les bouteilles contenant les sorts du magicien. Hernst était étonné qu'un homme aussi distrait que Dorval ait pu penser à les ranger. Il ignorait que Sharantyr, quand il l'avait envoyée ici, avait été chargée de le faire, pour que le magicien puisse s'y retrouver. Dorval réapparut.
    - Au fait, j'ai oublié de vous demander ce que vous vouliez.
   Hernst était bien incapable de répondre, mais il réussit à produire un mugissement très convaincant.
    - Ah bon ? répondit poliment le magicien, qui était déjà reparti dans ses pensées.
   Il fit quelques pas vers la porte, puis se retourna, les sourcils froncés.
    - Qu'avez-vous dit, déjà ? Je crois que je n'ai pas entendu.
   Hernst se réjouit : il lui posait la même question une deuxième fois. Plus qu'une seule et la condition exigée par ce maudit Lorky serait remplie ! Il réitéra donc son mugissement et Dorval parut satisfait. Hernst regarda avec désespoir la porte qui s'était refermée sur le petit magicien. Alors, pour passer le temps, il fit le tour de la pièce et, comme Sharantyr quelques mois auparavant, il s'installa à la table et se plongea dans Le Grand Livre de la Magie. Peu de temps après, Dorval ressortit de sa pièce, la tête toujours dans les nuages, et vint droit vers la table.
    - Excusez-moi, fit-il en écartant Hernst.
   Il consulta quelque chose dans le livre, puis regarda Hernst avec étonnement.
    - Qui êtes-vous et que voulez-vous ?
   Alors Hernst retrouva la parole :
    - Pas trop tôt, vieux gnome ! grogna-t-il. Je suis le roi Hernst, que des intriguants ont chassé de son trône.
   Dorval sembla réfléchir.
    - Oui, oui ! Une jeune fille m'a dit que Cylk était mort et que Hernst le remplaçait. Maintenant, tu as été chassé de ton trône ?
    - Parle-moi avec politesse, vieux grigou ! Je suis roi !
    - Tu étais roi, rectifia paisiblement Dorval. Maintenant tu n'es plus rien.
   Le magicien n'était pas si gâteux qu'on le disait ! Hernst sentit la moutarde lui monter au nez.
    - Je suis roi ! hurla-t-il. Toi, tu n'es rien ! Tu étais magicien parce que les démons t'aidaient. Lorky t'a quitté. Tu as tout perdu !
   Dorval le regarda avec perplexité.
    - Lorky ? Oh, Lorky ! Bien sûr ! Mais non, tu as tort ! Il m'a quitté parce qu'un autre magicien existe dans le royaume de Vitruve et il a demandé à son ami le prince de Vitruve de le retrouver. Ce que le jeune Shakou a fait, bien entendu, et avec beaucoup de diligence. Aussitôt, Lorky l'a fait venir ici. Et il a enfermé un autre démon pour moi en bouteille. Non, non, tu te trompes, Hernst. Tu n'es roi de rien du tout. Allez, maintenant, tu vas me laisser travailler. Tu connais le chemin.
   Hernst abasourdi regarda le magicien lui tourner le dos et retourner dans son antre sans plus se préoccuper de lui. Un grand jeune homme à l'air peu aimable entra par une autre porte.
    - Je crois que l'invitation à partir était suffisamment claire, Hernst, dit-il. Je propose que vous obéissiez sans discussion.
   L'ancien roi supposa qu'il s'agissait du nouveau magicien et préféra partir sans protester.

    - Non, non et non ! hurla pour la troisième fois Shakou. Je ne vous marierai pas !
    - Shakou, voyons, fit sa soeur, réprobatrice. Qui veux-tu qui nous marie ? Tu as accepté de présider le mariage de Sharantyr et Lorky, tu ne peux pas me refuser de faire la même chose pour le mien !
    - Demande à Lorky de le faire ! grogna Shakou. Tu sais très bien que je déteste ce genre de cérémonie. De toute façon, c'est non ! Dis-lui, toi, Romulf : je ne peux pas à la fois présider votre mariage et lui servir d'assistant !
   Romulf, le prince d'Unak, prit sa fiancée par les épaules et murmura :
    - Voyons, ma chérie, sois raisonnable : tu ne peux pas l'empêcher de refuser. Il n'a pas envie.
    - Si ce n'est pas Shakou qui préside notre mariage, je refuse de t'épouser ! répondit Griffe, la princesse de Vitruve, en se dégageant brutalement.
   Romulf eut un air légèrement inquiet.
    - Tu n'oserais pas !
    - Tu crois cela, toi ? Eh bien, tu m'entendras répondre non, je peux te l'assurer !
    - Shakou, fais quelque chose, enfin ! Tu ne vas pas tolérer une chose pareille, tout de même !
    - Ecoute, Romulf, je t'avais laissé une chance avec les épreuves, tu n'as pas su en tirer les conclusions qu'il fallait et tu t'es entêté. Maintenant, tu assumes !
    - Alors, tu lâches prise ? fit Romulf, amer.
    - Moi ? Pas du tout. Mais ce n'est pas moi qui me marie, je te signale !
    - Shakou, reprit sa soeur d'un ton impératif, je t'ordonne de présider mon mariage !
    - Jamais ! Plutôt reprendre la mer !
    - Stralana ne laissera jamais Hugo repartir comme cela !
    - Eh bien, tu n'as qu'à demander à Hugo de présider. Je suis sûr qu'il fera cela très bien, grogna Shakou.
    - C'est toi que je veux ! répartit Griffe.
   Shakou grogna, foudroya sa soeur du regard et grogna de nouveau.
    - Je déteste les rites ! se plaignit-il. Pourquoi est-ce toujours à moi que l'on s'adresse pour ce genre de choses ?
    - Tu vas céder, Shakou, lança Griffe, triomphante.
    - Comme si tu en doutais, rétorqua Shakou avec un regard désabusé. Je suis martyrisé dans ce château. Vivement que tu t'en charges, Romulf ! Moi, je ne peux plus la supporter !
    - Alors, c'est d'accord ?
    - Mais oui ! hurla Shakou. Mais attends-toi aux pires surprises pendant la cérémonie !
   Griffe fut suffoquée.
    - Tu ne vas quand même pas...
    - Tiens, qu'est-ce que tu crois ? Il ne fallait pas me forcer, ma chère ! Je déteste cela ! Et qui va te servir d'assistant, maintenant ?
    - Stralana, bien sûr !
    - Et je suppose que Romulf va choisir Hugo, comme de juste ? Lors du mariage de Lorky et Sharantyr, vous étiez les assistants et vous êtes les premiers à vous marier. Vous choisissez Hugo et Stralana et je suppose qu'ils se marieront prochainement. Je serais sans doute obligé de le présider, ajouta-t-il avec un air féroce. Il y a des jours où je me demande ce que j'attends pour exiler tout le monde !
   Un homme entra dans la salle. Il s'agissait d'Hirkel, l'homme de confiance de Shakou et de feu son père.
    - Allons, prince, fit-il avec autorité. On vous entend hurler de l'autre bout du château. Que se passe-t-il de si terrible ?
    - La princesse de Vitruve a décidé que je devais présider son mariage.
    - Et alors ?
    - Et alors, je déteste ces cérémonies, avec toutes leurs phrases rituelles sans queue ni tête et ces invités qui n'attendent que le moment où l'on annoncera que le buffet est ouvert ! hurla Shakou.
    - Comment ferez-vous au vôtre ? demanda sagement Hirkel.
   Shakou eut l'air horrifié.
    - Je ne me marierai pas ! Ou, si je n'ai pas d'autre choix, je me ferais représenter. Par Hugo. Je suis sûr qu'il sera un marié idéal.
   Hirkel eut un petit sourire.
    - L'ambassadeur de Volkrane est ici, prince. Il voudrait discuter avec vous d'une alliance entre Volkrane et Vitruve.
    - Je lui ai déjà dit que la princesse Griffe n'était pas disponible et bientôt, son mari va prendre les armes pour aller lui faire comprendre, s'il continue à m'échauffer les oreilles. Je vais finir par commettre un meurtre, moi !
    - Hem... L'alliance n'est plus entre le gouverneur et la princesse, mais entre sa soeur et vous.
   Shakou manqua de s'étrangler de fureur.
    - Moi ! Il ose me parler mariage aujourd'hui ! Je vais lui dire ma façon de penser, moi !
    - Voyons, mon prince, un peu de dignité ! Que dois-je lui répondre ?
    - Envoyez-le aux mille diables ! Je ne veux plus qu'il remette les pieds ici ! Maintenant que Griffe est prise, il se rabat sur moi ! Non, mais pour qui se prend-il ? Le gouverneur de la province de Volkrane ! La plus petite île de toute la planète !
    - Mais la mieux gérée, remarqua Romulf.
   Shakou darda sur lui un oeil noir.
    - Toi, tu te tais, ou je pourrais bien revenir sur ce que j'ai dit tout à l'heure. Or, si je ne préside pas à ton mariage, il n'y a plus de consentement ! Dans ce cas, Griffe sera libre pour épouser le gouverneur de Volkrane !
   Romulf se tut, et plutôt deux fois qu'une. Shakou en revint à Hirkel.
    - Envoyez-le au diable, Hirkel. Je ne veux même pas le voir, je crois que je l'étranglerais.
   Enervé, le jeune prince quitta la pièce d'un pas rapide.

   La cérémonie du mariage de Romulf d'Unak et Griffe de Vitruve se passa le lendemain matin, au château de Vitruve. Shakou, revêtu de son manteau de cour bleu avec le monyure, emblème de Vitruve, attendait les fiancés sur l'esplanade avec un air d'ennui évident. Griffe et Romulf firent enfin leur apparition, longuement acclamés. Shakou soupira et vint se placer en face des fiancés.
    - Nous voici donc rassemblés pour réunir sous la protection des dieux la princesse Griffe de Vitruve, fille du roi Bohor et de la reine Siriane, et le prince Romulf d'Unak, fils du roi Leord et de la reine Amirda, dit-il.
   Il jeta un rapide coup d'oeil à la foule qui s'entassait en bas des marches du palais.
    - Si quelqu'un veut s'opposer à ce mariage, qu'il s'avance !
    - Moi ! cria une voix.
   Griffe regarda son frère d'un air soupçonneux.
    - Ah non ! protesta Shakou à mi-voix. Je suis insupportable, mais pas à ce point-là !
   Un homme hirsute gravit les marches.
    - Qui es-tu et pourquoi t'opposes-tu à ce mariage ? demanda Shakou d'une voix lasse.
    - Je suis le père de la jeune fille et je refuse de donner ma fille au premier aventurier venu !
   Shakou le regarda d'un air ahuri.
    - Vous prétendez être le roi Bohor ?
    - Je n'ai jamais dit cela. J'ai dit que j'étais son père.
   Romulf s'avança, menaçant.
    - Il va regretter les paroles qu'il vient de prononcer, je te le jure ! gronda-t-il.
   Déjà, sa main venait se poser sur la garde de l'épée qui pendait à sa ceinture. Shakou le calma aussitôt.
    - Non, c'est à moi de le faire. C'est moi qui préside le mariage, n'oublie pas ! Quelle idée ai-je eue d'accepter ! grogna-t-il à part.
   Il s'avança vers l'homme.
    - Tu prétends être le père de la princesse Griffe de Vitruve ?
    - Je prétends être le père de Griffe. Elle n'est pas plus princesse que tu n'es prince, Shakou.
    - Ecoute-moi bien : je savais qui était mon père et si c'était toi, je te reconnaîtrais. Mais il se trouve que mon père est mort. Que dis-tu de cela ?
    - Je dis que le roi Bohor n'est pas votre vrai père et que nous nous sommes entendus pour échanger nos enfants.
   Shakou sourit.
    - Bien sûr, les vrais enfants royaux te suivent ?
    - Non, ils sont morts. Je veux simplement connaître l'homme qui aspire à devenir mon gendre et vérifier s'il mérite d'épouser ma fille.
   Le jeune homme eut un sourire tordu.
    - Je l'ai déjà éprouvé et il le mérite. Mais sois logique avec toi-même : si nous ne sommes pas les héritiers de la couronne de Vitruve, alors je pense que ma soeur refusera d'épouser le prince d'Unak. Mais nous allons tirer tout cela au clair. Hirkel !
   L'homme de confiance s'avança.
    - Vous avez entendu l'histoire de cet homme, Hirkel. Maintenant, j'attends votre version. Vous avez passé toute votre vie près de mon... du roi et vous avez veillé nuit et jour sur les enfants royaux. Dites-nous la vérité.
    - Mon prince, il n'y a rien à dire, fit Hirkel, tremblant d'indignation. Cet homme est un imposteur ! Quiconque connaissant le roi Bohor et la reine Siriane comprendrait qu'il ne peut en être ainsi qu'il le dit ; jamais le roi n'aurait accepté d'échanger ses enfants contre d'autres, même si un danger énorme pesait sur eux. Il les aurait défendus lui-même. De plus, vous ressemblez tant à votre père que personne ne peut s'y tromper. Mettez la couronne et tout le monde sera convaincu que je dis la vérité !
   Hirkel fit un signe et un jeune garçon apporta la couronne royale, en or bleu, avec un monyure en métal phosphorescent au milieu. Shakou s'inclina devant Hirkel qui la posa sur les cheveux noirs du jeune homme. Celui-ci se redressa, rejetant la tête en arrière d'un geste arrogant, que tous ceux qui avaient connu le roi reconnurent. Le teint mat de Shakou, ses cheveux noirs, la mèche rebelle, les pattes, tout cela évoquait le roi Bohor, tandis que ses magnifiques yeux gris-vert à grosse pupille rappelaient la reine Siriane. Oui, personne ne pouvait réfuter le fait que Shakou était bien le fils du roi Bohor. Mais celui-ci n'était pas satisfait.
    - Pour convaincre mon peuple, qui est le premier intéressé, je propose une dernière épreuve, reprit-il. L'appel des monyures. Vous savez tous, vous qui êtes les sujets de Vitruve, que les monyures ne répondent en plein jour qu'à l'appel des personnes de sang royal. Même quelqu'un ayant vécu toute sa vie dans le palais, nourrissant les monyures la nuit, ne peut le faire en plein jour.
   Shakou regarda son peuple. Il fallait qu'il le fasse. Il savait que son peuple croyait en lui, mais il fallait lui prouver qu'il était digne de sa confiance. Il rendit la couronne à Hirkel et renversa la tête en arrière. Romulf et Hugo surveillaient de près l'imposteur, afin qu'il ne profitât pas de ce moment pour essayer de trancher la gorge à Shakou. Le jeune homme émit alors un son modulé, très étrange et reconnaissable à des kilomètres. Pendant un instant, on n'entendit que le silence et l'imposteur réagit triomphalement :
    - Je vous l'avais dit ! Ce n'est pas le fils du roi !
   Mais un glissement d'ailes se fit entendre et un oiseau bleu vint s'abattre sur l'épaule de Shakou, frottant son bec recourbé contre la joue du jeune homme. Celui-ci prit doucement l'oiseau de proie sur son poing et l'éleva dans les airs. Toutes les personnes présentes remarquèrent la fierté du prince et de l'oiseau. Romulf dégaina son épée et désigna l'imposteur.
    - A moi, peuple de Vitruve ! Cet homme voulait chasser ton prince, le déshonorer à tes yeux !
   Mais Shakou eut un geste apaisant. Il s'approcha, le monyure toujours sur son poing, et dit à l'homme :
    - Va-t'en, tu es libre. Mais ne remets jamais les pieds ici, car tous ceux qui t'ont vu aujourd'hui t'étrangleront sans pitié s'ils te revoient dans les parages.
   L'homme ne se le fit pas dire deux fois et déguerpit sans demander son reste. Les murmures hostiles qu'il entendit sur son passage ne firent que renforcer les paroles de Shakou.
    - Nous ne saurons jamais la raison de son geste, fit remarquer Griffe.
   Shakou sourit et reprit sa position en face des fiancés. Le monyure semblait donner son accord, perché sur l'épaule du jeune prince.
    - Reprenons la cérémonie. Je disais donc : si quelqu'un veut s'opposer à ce mariage, qu'il s'avance !
    - Moi ! cria une voix.
    - Le cauchemar recommence ! soupira Griffe.
   Elle regarda son frère : celui-ci avait l'air furieux. En effet, celui qui venait de parler n'était autre que l'ambassadeur de Volkrane. Shakou eut un sourire qui ne présageait rien de bon et il railla :
    - Par Sorcerak ! L'ambassadeur de Volkrane ! Vous étiez donc parmi nous ? Et en vertu de quoi pensez-vous arrêter ce mariage ?
    - Feu le roi votre père avait signé un accord avec le gouverneur de Volkrane, s'engageant à lui donner la main de sa fille la princesse Griffe lorsque celle-ci serait en âge de se marier. Voici le document.
   Shakou le prit et y jeta à peine un coup d'oeil.
    - Inutile. Ce document est un faux.
    - Vous m'accusez de tricherie !
    - Oui. Je vais vous dire pourquoi. Vous avez fabriqué un document prouvant de façon irrémédiable que mon père vous avait promis la main de ma soeur, ce qui, en soi, est déjà étonnant, puisque j'ai entendu mon père répéter très souvent qu'il espérait que ma soeur épouserait le prince d'Unak. C'est une très bonne idée que ce faux document. Le problème, c'est qu'aucun étranger ne peut accéder à la salle des sceaux et que ce document ne porte pas le sceau royal ! Or mon père n'aurait jamais signé un document de cette importance sans y apposer son sceau. Comme quoi, dommage !
   Shakou s'inclina ironiquement et rendit le document à l'ambassadeur furieux.
    - Permettez, j'ai un mariage à conclure. Je reprends : si quelqu'un veut s'opposer à ce mariage, qu'il s'avance !
   Personne ne bougea. Shakou eut un sourire satisfait.
    - Voilà qui est mieux ! Si les dieux veulent s'opposer à ce mariage, qu'ils se manifestent !
   Le ciel resta calme et il n'y eut aucune manifestation pouvant être considérée comme divine.
    - La princesse étant orpheline et sans famille, je prie la démone Stralana de venir l'assister, continua Shakou, imperturbable.
   Griffe eut une exclamation horrifiée, tandis que le peuple se regardait avec surprise. Shakou eut un rictus moqueur et sa soeur comprit que sa petite vengeance commençait.
    - Le prince étant orphelin et sans famille, à part une soeur fantôme, je prie le capitaine Hugo de Vitruve de venir l'assister.
   Les deux interpellés gravirent les escaliers et vinrent se placer aux côtés des fiancés.
    - Prince Romulf, ton amour pour la princesse est-il suffisamment puissant pour résister au temps et à toutes les épreuves que la vie pourra mettre sous tes pas ? reprit Shakou avec un air ennuyé.
    - Oui.
    - Princesse Griffe, même question.
    - Oui, répondit Griffe en fusillant son frère du regard.
    - Sortez les anneaux, continua Shakou, ignorant sa soeur.
   Stralana tendit à Griffe un large anneau d'argent tandis que Hugo en donnait un en or à Romulf. Shakou s'avança et prit l'anneau d'or. C'était la dernière occasion pour les dieux d'intervenir. Le jeune homme saisit la main gauche de Griffe et glissa l'anneau à l'annulaire. Le diamètre de l'anneau se rétrécit jusqu'à être de la taille du doigt. Il opéra de même avec Romulf. Comme pour Lorky et Sharantyr, les anneaux avaient rétréci, donc les dieux approuvaient le mariage, même si les hommes avaient tout fait pour mettre les bâtons dans les roues.
    - Je vous déclare mari et femme. Vous avez le droit d'embrasser la mariée.
   Romulf prit Griffe dans ses bras et lui donna un baiser. Shakou fit signe aux musiciens de commencer à jouer et à Lorky et Sharantyr de venir bénir les nouveaux mariés. Quant à lui, il s'éclipsa discrètement et dévala les marches pour aller saluer Kelemvor et Kerly, les deux centaures.

   Kelemvor l'accueillit avec une bourrade amicale et Kerly avec un sourire charmeur.
    - Tu t'es bien débrouillé, dit-elle.
    - Je déteste les mariages, grogna Shakou. Et Griffe le sait bien. Franchement, Lorky ne pouvait pas réclamer cet honneur ?
    - Je crois qu'il aurait bien aimé, mais je te rappelle qu'un homme marié n'a pas le droit de présider un mariage, sauf s'il est le roi de la contrée. A moins d'organiser la cérémonie à Palonar, c'était impossible.
    - Mon peuple aurait déclaré la guerre s'il n'avait pas pu veiller lui-même sur le bon déroulement de la cérémonie. Déjà, regarde tous ceux qui sont venus d'Unak pour assister au mariage de la petite Rose Noire !
   Kerly tourna la tête et rencontra le regard de Rivalen, l'ami zombie de Griffe.
    - Tous les zombies et fantômes sont venus ? s'étonna-t-elle.
    - Oui. Même Idrisiyya, la soeur de Romulf.
   Kerly sourit.
    - Kalyna, ma mère, est venue, elle aussi. Je suis sûre qu'elle serait ravie de revoir Idry.
    - Moi aussi, mais à mon avis, Griffe serait furieuse qu'une centauresse pénètre dans son château. Les fantômes sont à l'intérieur, expliqua Shakou. Ils ont du mal à supporter la lumière du jour, alors nous les avons installés dans une pièce sombre, pour qu'ils puissent néanmoins suivre la cérémonie. Griffe a toujours été fidèle.
    - Par contre, intervint Kelemvor, je ne suis pas sûr que tes invités apprécient les siens.
   Rivalen venait droit vers eux et sur son passage, les gens s'écartaient précipitamment. Le zombie avait un air légèrement triste. En compagnie de Rose Noire, il ne s'était jamais vraiment aperçu de la crainte des gens envers les zombies. Shakou fronça les sourcils.
    - Il faudrait vraiment faire quelque chose pour ce pauvre zombie. Je devrais demander à Lorky. Ainsi que pour Idrisiyya. Je suis sûr que Romulf serait ravi de retrouver sa soeur.
   Rivalen les rejoignit. Shakou lui serra la main en souriant.
    - C'est étrange la peur qu'ont les gens en face d'un zombie, remarqua Rivalen.
    - Bah ! C'est leur peur de la mort qui resurgit, fit Shakou avec une pointe de mépris.
   Lorky arriva, un bras autour des épaules de Sharantyr. Personne ne s'étonnait de la simplicité des souverains de Palonar.
    - Alors, Shakou, es-tu content du mariage princier de Griffe ?
   Le jeune homme jeta un coup d'oeil à l'esplanade où Griffe, vêtue d'une somptueuse robe de velours blanc, dansait merveilleusement dans les bras de Romulf.
    - Du moment qu'elle est heureuse... Le reste m'importe peu. Je sais qu'il l'aime, cela me suffit.
   Lorky regarda pensivement Shakou.
    - Tu es vraiment l'homme le plus étrange que je connaisse, Shakou.
    - Mon père m'avait dit que Griffe rêvait souvent de Romulf et qu'elle rougissait quand on lui en parlait. Eh oui, Romulf était déjà célèbre dans notre royaume. Nous avions tous entendu parler du combat qu'il avait mené contre les assassins de ses parents. Bien sûr, Griffe l'avait oublié, quand elle est retournée à Unak. Je savais mieux qu'elle ce qu'elle éprouvait. Enfin, maintenant, tout est fini.
   Le jeune homme haussa les épaules et Kelemvor comprit ce qu'il ressentait. Il allait se retrouver seul dans le château, après y avoir vécu dix-neuf ans avec sa soeur. Shakou se dirigea vers une petite porte.
    - Venez, Kel, Kerly et Rivalen. Appelle Kalyna, Kerly. Je vais vous emmener voir Idry. Vous nous accompagnez, Lorky et Sharantyr ?
    - Avec plaisir, acquiesça le jeune démon. Griffe est toute à son bonheur et nous ne connaissons pas beaucoup de monde ici, sauf Mordr et Liriana. Je m'étonne que tu les aies invités, d'ailleurs, Shakou.
    - J'ai à me faire pardonner : la dernière fois que la jeune princesse est montée sur mon bateau, il y a eu une tempête effroyable.
    Une centauresse à la longue chevelure blonde les rejoignit. Kalyna ressemblait étonnamment à sa fille, sauf que cette dernière avait la beauté de la jeunesse en plus. Elle murmura :
    - Il paraît que Idry est devenue fantôme ?
    - Oui, c'est normal, puisqu'elle a connu une mort violente, expliqua Shakou.
   Il ouvrit la porte et fit passer ses amis devant lui.
    - Entrez vite, Griffe ne serait pas contente de ce que je vais faire.
   Il eut un petit sourire nostalgique.
    - Quoique maintenant elle n'en ait plus grand-chose à faire.
   Il referma la porte et les mena à une grande salle plongée dans le noir. Il alluma un flambeau et tout le monde put distinguer des formes indistinctes, parmi lesquels Erzéron, le chef des fantômes et le plus ancien.
    - Idrisiyya ? Quelqu'un voudrait te voir.
   Une jeune fantôme s'approcha. Elle sembla s'illuminer en voyant les centaures.
    - J'avais une amie centaure avant, dit-elle.
    - Elle s'appelait Kalyna, si je ne m'abuse, fit Shakou.
    - Oui, vous la connaissez ?
   Shakou fit un léger signe et Kalyna s'avança. Idrisiyya fit un pas en arrière, puis s'exclama :
    - Kalyna !
   Si elle l'avait pu, elle se serait jetée au cou de la centauresse, mais elle était immatérielle et cela n'aurait servi à rien. Kalyna sourit.
    - Je suis bien contente de te revoir, Idry.
   Pendant que les deux amies d'enfance s'entretenaient, Shakou attira Lorky à l'écart.
    - Que me veux-tu donc, Shakou ?
    - Je voudrais savoir ce qu'il faut faire pour ramener Idry à la vie et pour rendre Rivalen un peu plus normal. Il souffre beaucoup d'être zombie, tu sais.
    - Je te dois beaucoup de choses, Shakou, mais ce que tu me demandes est en dehors de mes possibilités.
    - Je ne te demande pas de le faire toi-même, Lorky. Je veux simplement que tu m'indiques ce que je dois faire.
    - Comprenons-nous bien, Shakou : ce sera très dangereux et tu ne seras même pas sûr d'obtenir un résultat quelconque.
    - Mais j'aurais au moins essayé ! Et tu sais bien que le danger n'est pas fait pour me faire peur.
    - Qu'est-ce qui motive cette expédition ? Ne me dis pas que Idry t'intéresse !
    - Oh, c'est bon ! Arrêtez donc de tous vouloir me marier ! Je ne veux pas qu'elle reste en fantôme. Sa mort a été injuste, je ne peux pas rester là, les bras ballants, si je peux la sauver. Est-ce que tu comprends cela ? Si tu veux une raison qui te paraît moins chevaleresque, tu n'as qu'à te dire que c'est pour ne pas m'ennuyer !
    - Ne te vexe pas, Shakou. Mais ta demande me semblait étrange, c'est tout ! Il faut descendre dans le monde démoniaque et retrouver le démon qui garde l'assassin d'Idry. Seul ce démon-là pourra rendre la vie à Idry.
    - Et pour Rivalen ?
    - Pour son cas, il faudrait demander au nouveau magicien.
   Shakou sourit.
    - Pas de problèmes ! Elle est avec Dorval, n'est-ce pas ?
   Lorky hocha la tête.
    - Avec qui comptes-tu te lancer dans cette aventure ?
    - Ceux qui voudront. J'espère que Hugo acceptera.
    - Vas-tu demander à Liriana de venir également ?
   Shakou regarda longuement son ami.
    - Ecoute, Lorky, vous êtes tous convaincus que Liriana et moi sommes faits pour aller ensemble. Mais vous semblez oublier Mordr et lui ne m'oublie pas. Il me déteste, Lorky, et il fera tout pour séparer Liriana de moi.
    - Il fera ce que Liriana voudra ; il adore sa fille !
    - Il l'adore peut-être, mais il me déteste encore plus ! Je sais ce que je dis. Liriana finira par céder. De toute façon, elle n'a rien à faire avec nous.
   Shakou avait l'air décidé et Lorky comprit qu'il devait l'aimer plus qu'il ne le disait.
    - Viens, je vais parler à tout le monde de ma décision.
    - Aujourd'hui même, avec le mariage de Griffe et de Romulf ?
   Shakou haussa les épaules et ne répondit rien.
   Tout le monde se retrouva dans la pièce sombre où étaient les fantômes. Il y avait Lorky et Sharantyr, Griffe et Romulf, Hugo et Stralana, Kelemvor et Kerly, Kalyna et Idrisiyya, Rivalen et Hirkel, et enfin Shakou. Celui-ci portait toujours son manteau de cour bleu et il avait complètement oublié le monyure perché sur son épaule. Ses yeux gris-vert dévisagèrent tous ceux qui l'entouraient, puis il dit de sa voix grave :
    - J'ai décidé de partir dans le monde démoniaque pour rechercher ce qui permettra à Idrisiyya de revivre et à Rivalen de redevenir normal.
   Griffe ouvrit la bouche, mais ne réussit pas à prononcer une parole. Idrisiyya regardait Shakou avec des yeux effarés. Tous semblaient figés sur place, sauf Lorky, qui était au courant, et Hugo qui sifflotait l'hymne de Vitruve et qui finit par éclater de rire. Quelqu'un frappa à la porte. Shakou l'ouvrit en grand et il se trouva face à une jeune fille et deux jeunes hommes.
    - Vyélésia, Cyric et Solial ! Vous tombez bien ! Entrez donc. Je disais que je comptais aller dans le monde démoniaque pour ressusciter Idrisiyya et sortir Rivalen de sa condition de zombie.
   Vyélésia rejeta en arrière sa courte chevelure bleue.
    - Je crois que nous allons t'accompagner.
   Les yeux de Shakou eurent une brève lueur.
    - Je comptais sur vous, fit-il.
   Vyélésia sourit. Le jeune homme montra ceux qui se trouvaient avec lui.
    - Vous les connaissez déjà tous, je crois ?
   Un de ceux qui accompagnaient Vyélésia hocha la tête.
    - Oui, plus ou moins. Quant à nous, voici Vyélésia, nouveau magicien de Palonar, Solial et moi-même, Cyric.
   Le dénommé Cyric avait des cheveux bruns très courts et ses mouvements étaient très souples. Quant à Solial, sa chevelure était aussi dorée que le soleil ; une large balafre traversait son visage de la tempe droite à la mâchoire gauche. Shakou fixa Cyric.
    - Allez-vous tous nous suivre ?
   Le jeune homme sourit.
    - Bien sûr. Aucun de nous ne se permettrait de vous abandonner face au danger.
   Le jeune prince inclina imperceptiblement la tête. Griffe émit une protestation :
    - Enfin, Shakou, tu ne comptes pas partir immédiatement ?
    - Chaque instant est précieux, Griffe. Idrisiyya a suffisamment attendu et Rivalen aimerait pouvoir vivre normalement.
    - J'ai déjà mené une vie normale, objecta le zombie.
    - Je sais, Rivalen, mais je sais aussi ce que tu endures sous cette condition. Ton cerveau n'est pas celui d'un zombie et tu te rends compte de l'opinion des gens sur ceux qui sont actuellement de ton espèce. Non, Rivalen, il faut partir maintenant. Quant à toi, Griffe, je ne t'oblige pas à venir. Je sais que tu viens de te marier et je comprendrais parfaitement que tu refuses de venir, ainsi que Romulf. De plus, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser trois royaumes sans surveillance.
   Lorky approuva.
    - Très juste. Je crois que nous pouvons confier le nôtre au roi Mordr ; il est très reconnaissant à Sharantyr de lui avoir offert le trône de Reliane, mais je ne pense pas que tu puisses faire la même chose, Shakou.
    - Non, en effet. Mordr serait trop content de pouvoir exercer sa répression sur mes sujets pour se venger de moi. Mais mon problème ne se pose pas : je confierai le pouvoir à Hirkel. Il est habitué et ce ne sera pas la première fois qu'il fera ce travail. Je sais que je peux lui faire confiance. Le peuple l'aime bien et acceptera plus facilement mon départ. Il ne reste plus qu'à régler la question du trône d'Unak, si vous tenez à nous accompagner, ajouta-t-il en se tournant vers le jeune roi concerné.
   Romulf fit entendre un petit rire et ses yeux gris-bleu eurent une lueur malicieuse. Il fit un quart de tour et fixa le sol. Un nuage de fumée apparut brutalement et prit lentement forme. Sous les yeux un peu étonnés de l'assistance, un nouveau Romulf se créa. Le vrai s'arrêta, alors que sa créature n'était encore qu'une ébauche.
    - Je pourrais faire cela, dit-il calmement, mais ce serait abuser mon peuple.
   Il relâcha sa concentration et le nuage de fumée se dissipa. Il recommença, beaucoup plus rapidement, et un vieil homme, inconnu de tous, apparut devant eux.
    - Voici quelqu'un que mes sujets sont habitués à voir siéger parmi nous. Il a une sagesse qui n'est pas mienne et j'ignore d'où il la tire. Néanmoins, je n'ai pas besoin de maintenir ma concentration pour le laisser en vie. Il faut au contraire que je me concentre pour le détruire ; je l'ai appelé Leord, comme mon père. Je peux sans crainte lui confier le gouvernement. Il est impartial et il sait aussi que je ne veux que le bien de mon peuple.
    - Nous partons demain matin. Qui vient avec moi ?
   Hugo s'avança le premier et rejoignit Vyélésia, Cyric et Solial. Kelemvor, sans même consulter Kerly, vint grossir le groupe. Lorky et Sharantyr vinrent ensuite, accompagnés de Rivalen et Idrisiyya, qui, eux, venaient obligatoirement puisque la quête était pour eux. Il restait Kerly, Kalyna, Griffe, Romulf, Stralana et Hirkel. Ce dernier ne bougeait pas ; il devait rester pour s'occuper du royaume. Kerly jeta un coup d'oeil à Kelemvor et vint le rejoindre. Kalyna s'ébroua et déclara :
    - Les centaures vous emmèneront jusqu'aux portes du royaume démoniaque.
   En disant cela, elle se porta aux côtés d'Idrisiyya. Romulf eut un petit rire.
    - Nous pouvons partir, Shakou. Tout le monde vient, à ce que je vois. Stralana ? demanda-t-il, se souvenant de la présence de la jeune démone.
   Celle-ci regardait Hugo. Le jeune homme refusait de lui faire le moindre signe.
    - Choisis toi-même, Stralana, dit-il enfin. Ecoute ta conscience et fais ce que tu penses être juste. Je ne t'en voudrais pas si tu préfères ne pas nous suivre.
   La jeune démone eut un geste de l'épaule qui renvoya ses longs cheveux châtain cendré dans son dos ; Hugo savait ce que cela voulait dire et il se borna à faire un signe discret à Shakou.
    - Préparez-vous, dit celui-ci. Demain matin, nous partons.
    - Les centaures seront au rendez-vous, promit Kalyna.

   Le lendemain, le château fourmillait. Le peuple avait pris peur en voyant les hordes de centaures déferler sur la capitale. Ce n'est qu'en voyant Kerly et Kelemvor à leur tête qu'il s'était rassuré. Car il était de notoriété publique que les deux centaures étaient les plus fidèles amis du prince Shakou et que jamais ils ne le trahiraient. Shakou sortit du château. Il portait sa tenue de commandant du Griffe de Vitruve. Kelemvor se retint de rire.
    - Pas de commentaires, Kel ! gronda Shakou. Tu ne crois tout de même pas que j'allais abandonner cette tenue, non ?
    - Ce n'est vraiment cela, Shakou ! Mais le monyure est toujours sur ton épaule ! fit Kelemvor en riant.
   Shakou tourna la tête et rencontra l'oeil noir du monyure. Il haussa les épaules.
    - De toute façon, il n'est pas gênant.
   Les autres les rejoignirent rapidement. Chacun monta sur un centaure. Shakou choisit sa monture favorite, Kelemvor, tandis qu'Idrisiyya montait Kalyna. Kerly alla vers Vyélésia, qui lui sourit. Les centaures s'élancèrent vers la forêt, car Lorky leur avait annoncé que l'entrée du royaume des démons se trouvait au plus profond de la forêt. Hirkel, de l'esplanade du château, les regarda disparaître dans un nuage de poussière. Soudain, d'autres centaures se joignirent à ceux qui partaient. Les nouveaux venus étaient environ une dizaine et tous portaient des peaux de loups sur le dos et un masque en fourrure sur le visage. Certains furent étonnés, mais Shakou, un grand sourire aux lèvres, accueillit joyeusement les nouveaux venus. Il les connaissait bien. On les appelait les Loups. C'était une équipe de têtes brûlées agissant la nuit ; Shakou en avait fait partie quand il était plus jeune et la plupart d'entre eux étaient restés ses amis. Le jeune prince avait dû partir de la bande quand il avait été reconnu car il ne voulait pas porter préjudice aux agissements de ses amis. Mais son prestige avait rejailli sur l'équipe, qui lui devait sa bonne réputation. Les Loups n'hésitaient pas à se lancer dans les aventures les plus folles ; pour eux, rien n'était trop dangereux. Le chef de la bande était Cyric, qui ne portait jamais son masque. C'était lui qui avait pris la relève quand Shakou était parti. C'était par ses relations avec les Loups que le jeune prince avait rapidement pu retrouver le nouveau magicien de Palonar, Vyélésia. En effet, Cyric et Solial étaient encore enfants quand ils avaient trouvé Vyélésia à sa naissance. Elle avait été abandonnée dans la forêt et les deux jeunes hommes l'avaient prise sous leur protection. Shakou était un de ses grands amis, mais Cyric et Solial étaient ses défenseurs attitrés. Elle commandait aux loups. Car les Loups étaient accompagnés de véritables loups, raison pour laquelle ils portaient ce nom, et c'était grâce à Vyélésia que les animaux restaient avec eux. Shakou rencontra le regard d'un Loup et éclata de rire. Les Loups étaient ravis de partir à l'aventure avec eux.
   Kelemvor attira l'attention de Shakou.
    - Nous arrivons dans un endroit dangereux de la forêt. Ici, les nocturnes sont les rois.
    - Nous ne craignons rien, nous sommes en plein jour, s'étonna le jeune homme.
    - Comment ne peux-tu pas connaître les nocturnes ? Ils n'apparaissant pas que la nuit ! C'est bien évidemment la nuit qu'ils sont les plus dangereux, mais le jour aussi. Ils ont des armes étranges, contre lesquelles nous ne pouvons rien faire. Et quand le soir tombe, ils s'arment d'éclairs et partent au hasard, accompagnés des foudres de la nuit. Tu as l'impression qu'ils sont faits d'ombre. Je m'étonne que tu n'en aies jamais entendu parler.
    - Tu as bien raison de t'étonner, car je les connais. Mais je ne les ai encore jamais rencontrés.
    - Moi, si, fit Kelemvor avec une grimace. J'ai reçu un éclair sur la croupe et je peux t'assurer que c'est très douloureux.
    - Je m'en doute, répondit Shakou en évitant de rire, pour ne pas vexer son ami. Nous verrons bien ce que nous aurons à faire quand nous les verrons.
    - Nous n'aurons plus rien à faire, dit sombrement Kelemvor. Ils nous auront par surprise.
    - Par surprise ! Avec une horde de loups autour de nous ! Ils seront rapidement détectés !
    - Non. Je te rappelle qu'ils sont faits d'ombre.
   Le monyure sur l'épaule de Shakou manifesta sa présence.
    - Allons, Mony, fit gentiment le jeune homme, du calme. Tu ne crains rien. Si nous sommes attaqués, tu n'auras qu'à t'envoler.
    - Je crois que cela ne devrait pas tarder, murmura Kelemvor.
   Shakou se contenta de faire un signe, que tout le monde comprit. Les paroles de Kelemvor se révélèrent exactes : soudain, une multitude d'ombres indistinctes les entourèrent.
    - Que venez-vous faire sur notre territoire ? demanda l'un des nocturnes.
    - Nous le traversons juste, pour nous rendre au royaume des démons, répondit Shakou.
   Le nocturne tourna la tête vers lui et devint plus distinct.
    - Je te reconnais, prince de Vitruve. Pourquoi veux-tu aller voir les démons, alors que deux t'accompagnent ?
    - Je veux rendre la vie au fantôme qui m'accompagne et Lorky m'a dit que je devais aller au royaume démoniaque pour ce faire.
    - Il a raison, mais votre place n'est pas là-bas. Cette expédition nécessite-t-elle tant de gens ?
    - Ce sont mes amis, qui veulent m'aider.
    - Plus on est nombreux, plus il est difficile de passer inaperçu. Vous n'avez pas à passer ici. Vous êtes sur notre territoire ! Allez-vous-en ! Retournez d'où vous venez !
   Solial s'avança sans dire mot. Sa large balafre le rendait terrifiant. Il leva le bras et fit entendre un cri étrange. Un superbe oiseau vint s'abattre sur son poing. Shakou reconnut un aigle. Un autre nocturne s'approcha. Sa silhouette se précisa, jusqu'à devenir une jeune fille aux cheveux et aux yeux noirs, vêtue de sombre. Sa peau était très blanche. Elle semblait fascinée par les cheveux couleur or de Solial.
    - Il ressemble au soleil, murmura-t-elle.
    - Et toi, à la lune, répondit Hugo doucement.
   Le jeune capitaine du Griffe de Vitruve était un virtuose de la poésie. Kelemvor eut un petit rire. La nocturne était visiblement sensible au compliment.
    - Nyx ! fit sèchement le premier nocturne. Ne te mêle pas de cela ! Ils doivent retourner chez eux.
    - Mais ils ne pourront pas rendre la vie à leur amie ! protesta timidement Nyx.
    - Cela ne nous regarde pas. Personne n'a jamais traversé le territoire des nocturnes sans leur permission. Ils ne peuvent pas passer.
    - Et si vous nous donniez la permission ? suggéra doucement Kerly. On dira que les nocturnes ne laissent passer personne sans leur permission, mais nous, nous aurons reçu votre aval. Cela ne sert à rien d'avoir une réputation de personnes féroces.
    - Si, répondit brutalement le nocturne. A avoir la paix.
   Sharantyr s'avança.
    - Ce n'est pas la paix que vous avez, mais la solitude. Personne n'aime être seul.
    - Nous vivons entre nous, les autres ne nous intéressent pas !
    - Mais vous ne les connaissez pas ! Si vous saviez comment ils étaient, vous aimeriez peut-être les rencontrer. Envoyez quelques-uns des vôtres parmi nous, dans nos royaumes, sous notre protection. Quand ils penseront en avoir suffisamment appris, ils reviendront parmi vous et vous raconteront leurs impressions. Vous pourrez alors juger en toute connaissance de cause. Nous respecterons votre décision, quelle qu'elle soit.
   Le nocturne parut hésiter. La jeune nocturne vint vers lui.
    - Laisse-moi essayer, s'il te plaît ! Je les aiderai dans leur quête et au retour, je te dirai ce que je pense de leur idée !
    - Nous t'offrons avec joie une place parmi nous, Nyx, acquiesça Shakou, en remerciant Sharantyr d'un signe de tête et d'un sourire.
   Le nocturne parut céder.
    - Soit. Nyx peut venir avec vous. Mais si jamais il lui arrive quelque chose, je vous assure que les foudres de la nuit s'abattront sur vous sans pitié.
    - S'il n'y avait pas eu une telle condition, je vous aurais méprisé, répondit Shakou, le regard fier. Nous veillerons sur Nyx comme sur une des nôtres.
    - Passez, grogna le nocturne.
   Nyx les suivit d'abord en flottant, puis Sharantyr suggéra qu'un centaure porte une double charge. Kalyna s'avança.
    - Etant donné qu'Idrisiyya est un fantôme, elle ne pèse rien. Je ne porte en fait pas de charge. Je suis toute disposée à accueillir Nyx.
   La jeune nocturne refusa d'un geste.
    - Je devine une très forte affinité entre vous deux et je m'en voudrais de la déranger. Je ne pèse pratiquement rien quand je suis d'ombre.
    - Les centaures sont forts, lança Kelemvor. Une double charge n'est pas pour leur faire peur. Nous préférons que tu restes ainsi, sauf si c'est trop dur pour toi.
   Solial discutait avec le centaure qui lui servait de monture, puis il s'approcha de Nyx, la souleva de terre et l'assit devant lui.
    - Inutile de perdre du temps en palabres de ce genre, dit-il de sa voix basse. Nous avons des choses plus importantes que cela à faire. En avant, Kel !
   Le centaure hocha la tête et s'élança au galop. Tous les autres le suivirent.
   Ils avancèrent bien pendant cette première journée. Nyx, la nouvelle venue, ne disait pas grand-chose et se contentait d'écouter, les bras autour du cou de Solial, qui ne semblait pas trouver cela désagréable. Shakou rêvassait tranquillement sur le dos de Kelemvor qui restait aux aguets. Hugo veillait du coin de l'oeil sur Stralana qui discutait avec sa monture. Les Loups se taisaient, uniquement occupés par leurs animaux. La nuit tomba trop rapidement au goût des aventuriers. Lorky vint rejoindre Shakou qui venait d'ordonner une halte.
    - Tout va très mal, dans nos royaumes.
   Le jeune homme regarda le démon.
    - Que se passe-t-il très exactement ?
    - Hernst est de retour et il veut récupérer le trône de Palonar... ainsi que Sharantyr. Mordr exerce sa cruauté sur les hommes d'Hernst, mais ils vont bientôt conclure un accord et se lancer sur nos traces pour nous anéantir. Yliork m'a échappé et il a réussi à revenir sur le monde des vivants. Il s'est allié avec Hernst.
   Shakou éclata de rire.
    - Eh bien, tout va très bien ! Si tu dis un seul mot aux autres, je t'étrangle, ajouta-t-il à mi-voix.
   Lorky eut un sourire crispé.
    - Ils vont nous rattraper dans le royaume démoniaque et je crois que Yliork y a plus d'alliés que moi.
    - On se débrouillera. Nous sommes une bonne équipe, nous devrions nous en sortir.
   Le jeune démon eut un vague sourire.
    - Mais j'aimerais bien quand même que mon équipage soit là, soupira Shakou.
   Il lança à la cantonade :
    - Les Loups ! Nous organiserons les tours de garde !
   Les onze hommes firent un signe de la main, tout en sautant à bas de leur monture. Chaque loup s'approcha de son "double" et les petits groupes s'installèrent autour du camp. Nyx surveillait ces préparatifs avec inquiétude. Sharantyr, Griffe, Idrisiyya et Vyélésia se retrouvèrent à l'intérieur du cercle formé par les Loups. Solial y attira Nyx et resta avec elle, car elle lui semblait nerveuse. Les centaures se répartirent entre les Loups, tandis que Lorky et Stralana, les deux démons, prenaient une place auprès du feu. Hugo et Shakou sortirent leur épée et la déposèrent sur leurs genoux. Romulf rejoignit Griffe, sur l'ordre de Shakou qui estimait que le jeune roi pouvait bien rester avec sa femme alors qu'il l'avait attiré dans cette aventure le lendemain de son mariage. Nyx se releva nerveusement et aussitôt, Shakou se redressa.
    - Que se passe-t-il, Nyx ?
    - Pourquoi tous ces préparatifs ?
    - Mais pour nous protéger des attaques éventuelles. Ce n'est absolument pas pour t'emprisonner.
   La jeune nocturne retourna à sa place et Shakou fit un signe rapide à Solial pour qu'il la calmât. Le silence descendit sur le camp. Les quatre jeunes filles s'endormirent les premières, puis ce fut au tour des centaures. Enfin, seuls restèrent éveillés Cyric, Solial, contre qui était appuyée Nyx, Hugo et Shakou. Ces deux derniers parlaient à voix basse des problèmes que Lorky venait d'évoquer à propos d'Hernst et de Mordr.
    - Et Liriana, dans tout cela ? chuchota Hugo.
   Le regard de Shakou se durcit.
    - Ne la mêle pas à cette affaire ! gronda-t-il. Elle n'a rien à faire ici.
   Hugo se le tint pour dit. La nuit fut très calme et les Loups se relayèrent pour veiller sur le camp.

   Le lendemain, les centaures repartirent au galop sans hésiter. Kelemvor était en tête, ouvrant le chemin. A ses côtés, Lorky monté sur un grand centaure à la robe noire. Le jeune démon guidait son ami dans le dédale de la forêt, car il connaissait le chemin terrestre par coeur, même s'il ne l'empruntait jamais, puisqu'il lui suffisait de se dématérialiser pour se retrouver dans son royaume d'origine. Sur le soir, ils se retrouvèrent aux abords du royaume démoniaque. Les centaures repartiraient le lendemain pour rentrer dans la province de Rekia. De nouveau, l'organisation du camp se fit sans heurts, tacitement. Les Loups étaient très disciplinés et Shakou avait implicitement repris le commandement de l'équipe. Kerly vint rejoindre le jeune prince.
    - Demain, Kalyna, Kel et moi resterons avec vous, bien sûr.
    - Je le savais, Kerly. Vous n'êtes pas du genre à abandonner vos amis dans les situations difficiles.
   Nyx tournait dans le petit cercle des Loups comme une âme en peine. Solial la suivait du regard. Vyélésia vint s'asseoir à côté de lui.
    - Que se passe-t-il, Sol ?
    - Rien. Je me charge de veiller sur elle, c'est tout. Je suis le seul à ne pas avoir d'attaches, non ?
   Vyélésia rougit légèrement. Solial passa un doigt sur sa cicatrice et sur son oeil mort, sans rien ajouter de plus.
   La nuit fut loin d'être aussi calme que celle d'avant. Tout le monde dormait, sauf les quatre Loups promus au rang de veilleurs. Un hurlement strident déchira l'air. Aussitôt, Shakou fut debout, ainsi que Lorky.
    - Jette un sort sur les filles pour qu'elles ne se réveillent pas ! lança Shakou.
    - Tu es fou !
    - Non. Mais je connais Griffe. Si elle voit le monstre que nous venons d'entendre, elle va s'évanouir. Or ce n'est vraiment pas le moment.
    - Parce que tu sais ce que c'est ? demanda Hugo en dégainant son épée.
    - Bien sûr. C'est un mangeur d'âmes. Les centaures ! Vous restez là, avec les Loups. Stralana, puisque tu es réveillée, Hugo, Kel et Kerly, venez avec moi. Nous allons nous occuper de ce mangeur d'âmes.
   Les quatre interpellés suivirent Shakou, qui avait dégainé son épée. Devant eux, se dressa subitement une gigantesque forme noire, avec deux yeux glauques et une énorme bouche béante sans lèvres.
    - Le mangeur d'âmes, dit simplement Shakou.
   Stralana s'avança vers le monstre, semblant fascinée. Au début, ses amis ne réagirent pas, mais le jeune prince de Vitruve finit par comprendre ce qui se passait.
    - Elle est attirée inexorablement ! Le monstre l'appelle sans qu'elle puisse résister ! Stralana ! Par Sorcerak, essaye de lutter contre sa volonté !
   Mais les paroles de Shakou étaient inefficaces. Hugo hurla :
    - Stralana ! Stralana, je t'en prie !
    - Rien ne peut plus l'arrêter maintenant, murmura doucement Kerly. Elle est condamnée.
   Hugo se tourna comme une furie vers elle.
    - Et tu crois que je vais laisser ce monstre dévorer l'âme de Stralana sans rien faire ? Jamais !
   Une voix douce intervint dans leur dos :
    - Seul un très grand amour peut vaincre l'attirance du mangeur d'âmes.
   C'était Nyx. Hugo entra en transe des vents et un halo argenté l'enveloppa, englobant aussi ses amis. Une voix cria :
    - Stralana ! Stralana, je t'aime !
   Et tous, dans le halo, ressentirent l'amour de Hugo pour la jeune démone. Nyx secoua la tête.
    - Elle est trop loin, maintenant. Elle est en dehors du rayon d'action.
   Hugo courut comme un fou jusqu'à Stralana et la rejeta de l'attirance mortelle du mangeur d'âmes. La jeune démone était libre, mais Hugo avait pris sa place et c'était lui qui marchait inexorablement vers le monstre. Shakou, qui était jusqu'à présent comme paralysé, retrouva brusquement sa mobilité et ce fut pour se précipiter comme un désespéré sur Stralana afin de l'empêcher de rejoindre Hugo. Le monstre ne voulait qu'une victime et si Stralana venait s'offrir, il rejetterait Hugo.
    - Je ne veux pas qu'il meure ! cria Stralana. Ce n'est pas à lui de mourir, mais à moi !
    - Ni à lui, ni à toi. Fais-moi confiance, Stralana, murmura Shakou d'une voix décidée.
   Il s'élança à la poursuite de Hugo qui se rapprochait dangereusement du mangeur d'âmes ; ce dernier reculait lentement, pour retrouver le feu maléfique d'où il était issu et où il pourrait s'approprier l'âme de sa victime en toute tranquillité. Kelemvor sembla comprendre l'intention de Shakou et le rejoignit au galop.
    - Tu ne peux pas faire cela !
   Le jeune homme bondit sur le dos du centaure et s'écria :
    - Mène-moi près de Hugo ! J'ai une idée !
   Kelemvor obéit. En quelques foulées, ils avaient rejoint le jeune capitaine du Griffe de Vitruve. En deux temps, trois mouvements, Shakou jeta Hugo sur le dos du centaure et prit sa place devant le mangeur d'âmes. Hugo se débattit, mais Kelemvor le retint.
    - Shakou ! Tu ne peux pas faire cela ! cria le jeune homme.
    - Je n'ai pas d'attaches, Hugo. Mais Stralana t'attend.
    - Tu es prince de Vitruve !
    - Tu le seras à ma place !
   Luttant de toutes ses forces contre la volonté du monstre, Shakou se retourna, mit un genou en terre et fit :
    - Je vous présente mes hommages, prince de Vitruve !
   Il fut brutalement attiré par le mangeur d'âmes. Kelemvor retenait toujours Hugo, mais il avait compris que Shakou lui avait menti. Il n'avait aucune idée, il voulait juste sauver son ami de la mort, parce qu'il ne pouvait supporter que Stralana et lui soient séparés.
    - Que les dieux soient avec toi, prince de Vitruve, murmura-t-il simplement. Que ton sacrifice ne soit pas inutile.
   Shakou marchait toujours. Les yeux glauques du monstre le fixaient avec avidité, mais le jeune prince grondait entre ses dents :
    - Tu ne m'auras pas comme cela, mangeur d'âmes !
   Il sentait sa colère monter en lui, mais il devait la réfréner, car il était trop tôt. Enfin, le feu maléfique d'où était issu le monstre apparut. Ce dernier ne recula plus et Shakou se retrouva bientôt sous son emprise. Il ne pouvait plus fuir. La bouche béante s'ouvrit et... tout explosa. Shakou avait libéré sa colère. La forêt trembla et le feu s'éteignit brutalement, soufflé par la déflagration. Les conséquences de l'explosion étaient dramatiques. Le mangeur d'âmes était sérieusement touché, mais il s'avançait encore, en titubant, vers le jeune homme ; si celui-ci n'était jamais touché par l'explosion même, les effets secondaires lui étaient rarement favorables. Il gisait sur le sol, couvert de sang. Hugo, l'épée haute, s'élança en avant. Kelemvor le rattrapa, l'installa sur son dos et galopa vers le blessé. Le mangeur d'âmes se penchait vers Shakou, comptant reprendre ses forces en s'appropriant l'âme du jeune homme. Kelemvor lui envoya une superbe ruade, tandis que Hugo se jetait sur lui pour l'attaquer. Le centaure ramassa le jeune prince et retourna vers les autres, tandis que Stralana se portait au secours de Hugo. Kerly s'occupa de Shakou, nettoyant doucement les nombreuses blessures qu'il portait, dues aux objets qui avaient volé partout à cause de l'explosion. Il y avait en particulier une profonde blessure au visage, partant de la tempe gauche, passant tout près de l'oeil et s'arrêtant au niveau de la bouche. Hugo et Stralana avaient réussi à éliminer le mangeur d'âmes et revenaient lentement vers le petit groupe.
    - Comment va Shakou ?
    - Ce n'est pas très fameux. L'explosion a été très forte.
    - Mais d'où venait-elle ? demanda Nyx.
    - C'est Shakou qui l'a déclenchée. C'est son pouvoir, à chaque fois qu'il est en colère. Pour atteindre une puissance pareille, il devait vraiment être furieux.
    - Comment allons-nous annoncer cela à Griffe ?
   Hugo regarda Kelemvor, qui venait de poser la question.
    - Très juste. Je comprends maintenant pourquoi il a voulu que Lorky la laisse endormie.
    - Ramenons-le au camp.
   Shakou gémit, ouvrit les yeux et porta immédiatement la main à son visage. Il eut une grimace douloureuse.
    - Il semblerait que je sois encore en vie, articula-t-il. Le mangeur d'âmes n'a pas aimé ma colère ? Hugo et Stralana ?
    - Nous sommes là, Shakou, grâce à ton héroïque sacrifice.
    - Héroïque, tu parles ! De l'inconscience pure, oui ! Comme si j'avais une chance de m'en sortir !
    - Il devait bien en avoir une, puisque tu es avec nous. Et je peux t'assurer que le monstre s'est mordu les doigts d'avoir voulu t'affronter.
    - Trêve de compliments. En quel état suis-je, Kerly ?
    - La plupart de tes blessures ne sont pas très profondes, mais elles sont nombreuses. Deux m'inquiètent : celle au visage et une autre au niveau des côtes.
   Shakou sourit et tenta de se relever. Hugo vint l'aider et un flot de sang jaillit de la blessure au côté gauche. Kerly ne dit rien, mais fronça légèrement les sourcils. Shakou passa ses doigts sur sa blessure au visage et sourit de nouveau.
    - Que va devenir mon charme légendaire ? fit-il avec humour.
    - Ce sera une cicatrice qui sera la marque de deux vies que tu auras sauvées : celles de Stralana et la mienne, car il n'y a nul doute, nous aurions fini par être dévorés tous les deux.
    - Une cicatrice de guerre, en quelque sorte. Retournons au camp, les autres vont commencer à s'impatienter.
   Ils revinrent lentement, Shakou sur le dos de Kelemvor qui s'efforçait d'avoir un pas très souple pour ne pas trop secouer le jeune homme. Celui-ci finit par s'énerver et lui ordonna de prendre le galop. Le centaure voulut protester, mais Shakou coupa court :
    - Je ne suis pas impotent, tout de même ! Mieux vaut souffrir atrocement pendant un temps très court que longtemps presque atrocement.
   Kelemvor accepta et partit au galop. Les autres suivirent comme ils purent, Hugo et Stralana sur le dos de Kerly et Nyx flottant tranquillement derrière eux.
   Lorky et Sharantyr se tenaient debout, très pâles, quand Kelemvor fit son entrée dans le camp, Shakou presque évanoui sur son dos. Le centaure retenait le jeune homme d'un bras pour l'empêcher de s'effondrer. Sharantyr s'avança, mais Shakou, que les cahots ne secouaient plus, se redressa péniblement, le visage en sang, et descendit lentement du dos de Kelemvor.
    - Merci, Kel, souffla-t-il.
    - Que s'est-il passé, Shakou ?
    - Le mangeur d'âmes... une zone d'attirance... j'ai dû me fâcher.
   Sharantyr et Lorky se rappelèrent le désastre qu'il y avait eu dans le château de Vitruve alors occupé par Mordr quand Shakou s'était "fâché" contre les gardes qui l'empêchaient de passer : on aurait dit qu'une tornade s'était abattue sur le château.
    - Qu'aurait fait le peuple de Vitruve sans son prince ?
    - Hugo m'aurait remplacé.
   Shakou eut un sourire livide et s'effondra. Toutes ses blessures, peu profondes, mais nombreuses, laissaient couler son sang sans discontinuer et le jeune homme sentait ses forces l'abandonner peu à peu. Il tentait de rester conscient, mais la faiblesse l'emporta. Kelemvor expliqua ce qui s'était passé et Hugo, Stralana, Nyx et Kerly firent leur apparition à cet instant. Lorky annula le sortilège qui planait sur le camp et Griffe se réveilla. La première chose qu'elle vit fut le corps inerte de son frère. Elle jeta un cri désespéré qui fit sursauter tous les autres. En un instant, tout le camp fut debout. Vyélésia était à genoux à côté de Shakou, l'examinant avec attention. Romulf consolait Griffe et Idrisiyya restait immobile, comme pétrifiée.
    - Shakou se serait sacrifié dans cette quête pour me rendre la vie, songeait-elle. Il se serait sacrifié ! Pour moi, une fantôme qu'il connaît à peine !
   Cyric s'approcha de Vyélésia.
    - Qu'en penses-tu ?
    - Il faut le panser. La plupart sont anodines, à part la quantité de sang qu'il perd par là. Mais celle au niveau des côtes est plus inquiétante.
    - Je l'avais remarqué aussi, fit Kerly, mais je n'ai pas pu l'empêcher de repartir.
   Vyélésia hocha la tête avec un léger sourire.
    - Avec Shakou, c'est normal. Le jour où il admettra qu'il puisse être blessé, il aura fait un grand progrès. Mais à mon avis, ce n'est pas pour bientôt.
   Pendant le restant de la nuit, ils soignèrent Shakou qui resta longtemps inconscient, et chacun se relaya à son chevet. Quand il se réveilla, il faisait jour.

   Il se releva péniblement, sans demander l'aide de son "garde-malade", qui n'était autre que Griffe et qui somnolait. Les Loups étaient déjà debout et s'occupaient de leurs bêtes. Shakou eut un sourire aigu : il reconnaissait là l'indifférence feinte des Loups, qui semblaient être plus préoccupés par leurs animaux que par la santé des leurs. Le jeune homme fit un signe à Cyric qui se chargea de réveiller tout le monde. Sitôt les yeux ouverts, Sharantyr vint trouver Shakou. Elle le regarda attentivement, puis dit :
    - Cette nuit, je me suis souvenue d'un sort primaire que j'ai appris chez Dorval, pendant mon séjour sous sa tutelle. C'est un sort de guérison ; mais je crois que je ne parviendrai pas à tout guérir. Je te laisse le choix des blessures qui te dérangent le plus.
    - Guéris d'abord celles qui sont les moins profondes. Elles me font perdre beaucoup trop de sang à mon gré et cela ira bien mieux quand elles ne saigneront plus. Après, si tu le peux, celle au visage, car elle me tire sur l'oeil et me fatigue.
   Sharantyr s'exécuta. Toutes les plaies se refermèrent rapidement et disparurent sans laisser de traces, sauf celle du visage qui s'était transformée en une longue cicatrice blanche, bien visible sur la peau mate du jeune homme.
    - Solial et moi allons faire la paire, fit-il avec un rire nerveux.
    - Comment a-t-il reçu cette balafre ?
    - En sauvant Cyric de l'attaque d'un aigle.
   Les mouvements de Shakou étaient déjà moins heurtés et ses yeux brillaient moins que précédemment. Il sourit et ordonna :
    - Allons ! Nous partons pour le royaume des démons !
   Les centaures entourèrent le jeune prince.
    - Nous nous arrêtons ici, prince, dit un grand centaure.
    - Je le sais, mes amis. Je vous remercie de nous avoir amenés ici.
   Le grand centaure salua et fit demi-tour. Seuls, Kerly, Kalyna et Kelemvor restèrent là.
    - Nous continuons, fit Shakou.
   Il regarda les loups qui se pressaient autour de lui, eut son sourire éclatant de blancheur et s'approcha de Kelemvor. Le centaure lui serra affectueusement l'épaule et le suivit. La colonne s'ébranla derrière eux.
   Le monde démoniaque était tout proche du lieu où ils avaient dormi. Lorky déplaça magiquement le rocher qui en cachait l'entrée et ils descendirent dans le monde souterrain. Tout était très sombre, mais une lueur rougeoyante brillait au loin. Ils étaient sur un escalier de pierre taillée, les uns derrière les autres. On entendait résonner les sabots des centaures. Lorky eut un sourire amusé.
    - Avec tout ce bruit, vous pouvez être sûrs que tous les démons savent que nous sommes là.
    - A ton avis, les autres sont-ils arrivés avant nous ? demanda Shakou à mi-voix.
    - Je le pense, oui, mais je ne peux rien te promettre. Je ne peux pas vraiment connaître le futur.
   Trois démons se dressèrent brusquement devant eux.
    - Roi Lorky, tu sais que tu n'as pas le droit d'amener les vivants ici. Ils doivent y parvenir seuls pour pouvoir nous demander ce qu'ils veulent.
   Shakou regarda Lorky de biais.
    - Mm... tu t'étais bien gardé de nous le dire ! Que risques-tu ?
    - Ma tête, dit simplement le jeune démon.
   Sharantyr se rapprocha de son époux, mais celui-ci s'avança seul.
    - Je sais que j'ai désobéi. Mais ceux-ci sont venus seuls. Ils ont obtenu des nocturnes le droit de passage, ils ont vaincu un mangeur d'âmes, ils ont gagné leur audience !
    - Par ta désobéissance, tu perds ton titre de roi et tous les bannissements que tu as pu prononcer sont donc annulés.
   Un éclair passa dans les yeux-miroirs de Lorky.
    - Je crois que je commence à comprendre. Yliork doit être de retour.
    - Lorky ! s'écria Sharantyr. N'y va pas, c'est un piège !
    - En vertu de quoi, nous ferons ce que bon nous semble de tes amis, Lorky, continua imperturbablement le démon qui parlait depuis le début. Nous cherchons la dénommée Sharantyr.
   La jeune reine s'avança.
    - Que me voulez-vous ?
    - L'un de nous a demandé à te voir. Il savait que tu viendrais.
   Shakou intervint, agressif :
    - Dites tout de suite son nom ! Nous savons qu'il s'agit d'Yliork ! Je vous le demande : les humains qui sont venus avec lui ont-ils été accueillis de la même manière que nous ?
   Le démon cilla à peine.
    - Cela ne vous regarde pas. Il désire également rencontrer Griffe, Romulf, Shakou et la démone Stralana, accusée de trahison.
   Les interpellés allaient s'avancer sans protester, tête basse, mais Shakou lança :
    - En avant, les Loups ! Ne nous laissons pas faire !
   Les onze hommes, menés par Cyric, s'élancèrent sur les trois démons. Kelemvor bondit également en avant, ainsi que Solial. D'un cri, les trois démons ameutèrent tous leurs amis et le petit groupe se trouva encerclé. La tentative de "rébellion" avait échoué. Chacun fut soigneusement enchaîné et les centaures eurent les pattes entravées. Les loups furent assommés. Quant à l'aigle de Solial, il prit son envol, entraînant avec lui le monyure de Shakou, et ils disparurent par où ils étaient arrivés. Idrisiyya et Nyx parvinrent à s'échapper, la première parce qu'elle était immatérielle et la deuxième parce qu'elle se dématérialisa. Rivalen se retrouva avec les autres. Ils furent emmenés au plus profond du royaume démoniaque, là où les démons gardaient les humains morts qui avaient été de grands criminels de leur vivant. Les démons aussi avaient des cachots et le petit groupe y fut jeté sans ménagements.
   Peu de temps après, quelques démons vinrent chercher Sharantyr, Griffe et Romulf. Lorky et Stralana furent conduits dans un lieu à part. Les Loups furent séparés des autres, ainsi que Rivalen, que les démons traitaient comme un Loup. Les prisonniers restants s'apprêtaient à dormir, car leur nuit n'avait pas été très calme, quand la porte de leur cachot s'ouvrit brusquement et une jeune fille y entra précipitamment. Elle se jeta dans les bras de Shakou. Celui-ci essaya de se dégager, mais ses bras tordus en arrière et sa blessure ne lui permirent pas de le faire. La jeune fille tenta de le relever.
    - Shakou ! Viens donc !
    - Liriana ! s'exclama le jeune prince, stupéfait.
   Il réussit à se mettre debout et Liriana allait l'entraîner vers la porte qui était toujours ouverte, quand une grande ombre s'interposa.
    - Liriana ! tonna la voix de Mordr. Traîtresse ! Tu allais libérer l'ennemi !
    - Je l'aime ! répondit-elle sans hésiter.
    - Et bien si tu l'aimes tant, reste donc avec lui !
   Mordr referma la porte du cachot avec violence et l'obscurité fut de retour.
    - Je suis désolée, Shakou, murmura Liriana d'une voix misérable.
    - Ce n'est rien, princesse Liriana.
   Mais la jeune fille avait les mains libres et elle s'activa à ôter les chaînes de Shakou. Elle s'acharna longtemps et finit par faire glisser une chaîne. En un tour de main, malgré l'art savant avec lequel les démons l'avaient enchaîné, Shakou se libéra. Il se tourna vers Liriana, si belle dans sa longue robe blanche, et prit sa main dont il examina les doigts en sang.
    - De si jolies mains faire un travail aussi grossier... intolérable !
   Il embrassa le bout des doigts de la jeune fille et s'occupa de libérer ses amis. Il venait d'enlever les chaînes de Hugo, quand un bruit de pas résonna dans le couloir.
    - Ne t'occupe pas de nous, Shakou ! siffla Kelemvor. Fuis avec Hugo et Liriana. Tu nous délivreras plus tard !
   Shakou se posta derrière la porte et dès qu'elle s'ouvrit, il bondit. Il bouscula les deux démons qui venaient et se fraya un passage, suivi par Liriana et Hugo. Kelemvor les aida dans leur fuite en décochant une bonne ruade dans les jambes des deux démons, les faisant s'effondrer et le cri qu'ils s'apprêtaient à lancer leur resta dans la gorge.
   Les trois jeunes gens fuyaient dans le dédale du royaume démoniaque.
    - J'ai l'impression d'être dans un labyrinthe, grogna Shakou.
    - C'est tout à fait cela, approuva Liriana. J'ai eu l'occasion de l'explorer un peu durant mon séjour ici. Ce ne sont que galeries s'enchevêtrant dans tous les sens, gigantesques salles toutes semblables les unes aux autres...
    - Le roi Mordr va chercher à prendre sa revanche sur moi, je suppose ? fit Shakou, ironique.
    - Bien sûr. Mais je t'aiderai ! lança la jeune fille dans un cri du coeur.
    - En attendant, cherchons plutôt un endroit où nous cacher.
   Liriana aperçut alors une large tache de sang sur la chemise blanche du jeune homme.
    - Mais tu es blessé ! Viens, je sais où est la source de vie !
    - La source de vie ? répéta Shakou, ahuri.
   Mais Liriana l'entraînait déjà dans une galerie sombre. On entendait un bruit sourd qu'ils reconnurent aussitôt : celui de l'eau. En effet, ils tombèrent sur une petite cascade d'eau pure. Liriana s'agenouilla et en préleva dans ses mains mises en coupe. Elle présenta ce récipient improvisé à Shakou, qui voulut refuser, mais accepta en voyant la tristesse dans les yeux de la jeune fille. Il se pencha sur le pouce de Liriana et but l'eau fraîche. Il se sentit aussitôt revigoré et oublia complètement sa blessure au côté, qui avait d'ailleurs disparu. Hugo et Liriana se désaltérèrent également et tous se sentirent d'attaque.
    - Princesse, montrez-moi l'endroit où sont retenus Griffe, Romulf et Sharantyr, ordonna Shakou.
   La jeune fille partit d'un bon pas et les deux autres la suivirent.

   Sharantyr se tenait face à Hernst. Du coin de l'oeil, elle avait aperçu Idrisiyya et Nyx qui se cachaient derrière une colonne. Le roi déchu observait sa victime avec délectation.
    - Allons, Sharantyr, pas de mépris ! lança-t-il. Les démons estiment que ton mariage avec Lorky est nul, puisque je suis toujours vivant. Ou alors, tu es bigame. Qui donc a accepté de prononcer un mariage où la fiancée était déjà mariée ?
   Sharantyr ne daigna même pas ouvrir la bouche.
    - Réponds, maudite ! fit une voix rude.
   Le démon Yliork fit son apparition. Sharantyr frissonna. Si Yliork était indiscutablement d'ascendance démoniaque, par ses traits bien plus marqués que ceux de Lorky, il était infiniment séduisant. Il ressemblait beaucoup à sa soeur, Stralana. Malheureusement, la méchanceté de son esprit se reflétait un peu trop sur son visage.
    - Le Conseil des Anciens a décrété que notre mariage, Hernst, était nul pour non-consentement de la fiancée. J'étais donc libre.
    - Qui a prononcé ton mariage avec Lorky ? tonna Yliork.
    - Le prince Shakou de Vitruve.
   Ledit prince progressait à grands pas vers la salle où se trouvait Sharantyr. Quelques gardes humains se précipitèrent vers lui pour l'empêcher de passer, mais Shakou n'était pas d'humeur à se laisser arrêter. De quelques coups de poing bien distribués, il se fraya un passage vers son but. Il se pencha vers le dernier garde.
    - Désolé de ne pas vous accorder plus d'attention, mais mon médecin m'a prescrit de ne pas m'énerver et vous comprendrez aisément que si je restais en votre compagnie, la conversation deviendrait vite houleuse, ce qui aurait des conséquences fort regrettables. Mes salutations respectueuses au roi Mordr.
   Sur ce, il continua son chemin. Il semblait déchaîné. Rien, ni personne, ne pouvait l'arrêter. Avant d'entrer dans la salle d'où sortaient des éclats de voix, il remit soigneusement en place sa mèche et frappa poliment le garde.
    - Excusez-moi, je dois voir le démon Yliork.
   Séduit par tant de délicatesse, le garde s'inclina très bas et resta même aux pieds de Shakou. Celui-ci ouvrit en grand la porte. Sharantyr se retourna et resta sans voix devant ce grand jeune homme aux cheveux noirs, vêtu d'une chemise blanche entrouverte, d'un pantalon noir enfoncé dans des bottes noires, d'une large ceinture de tissu bleu faisant plusieurs fois le tour de la taille et d'un grand manteau bleu marine à galons d'or aux épaules. Elle eut un temps de détente avant de reconnaître Shakou. Le jeune prince s'avança un peu plus, laissant Hugo et Liriana en retrait. Tandis que le capitaine du Griffe de Vitruve ôtait les lourdes chaînes des frêles poignets de Sharantyr, Shakou déclara :
    - En écoutant un bref instant à la porte, avec une indiscrétion totale, j'en conviens, j'ai cru ouïr mon nom. Je viens donc me présenter à vous, en espérant que cette entrevue ne durera pas trop longtemps, car j'ai beaucoup de travail à accomplir dans cette journée déjà bien entamée.
   Etourdis par ces paroles volubiles, Hernst et Yliork ne réagirent pas immédiatement. Enfin, Hernst s'exclama :
    - Le prince de Vitruve !
    - En personne, répondit Shakou en s'inclinant en un salut moqueur. Je n'irai pas jusqu'à dire à votre service, mais presque.
    - Voici donc l'impudent qui a osé unir une femme déjà mariée à un démon, fit Yliork.
    - Et voici donc le démon qui a osé s'emparer du corps du prince d'Unak, maintenant roi, pour pouvoir exercer sa méchanceté sans contrainte, répliqua Shakou sur le même ton.
    - Je me disais bien que tu m'étais familier. Tu étais présent quand Lorky m'a chassé du monde des vivants, n'est-ce pas ?
    - C'était un spectacle à ne pas manquer.
    - Maintenant, c'est Lorky qui est chassé du monde extérieur, dit Yliork avec satisfaction.
    - Non, vraiment ? Voilà qui est bien étrange. Cela m'étonnerait que le peuple de Palonar accepte cette décision sans protester.
    - Je te rappelle que notre ami le roi Mordr est régent de ce royaume. Il n'aura qu'à annoncer avec beaucoup de tact que le roi et la reine de Palonar sont morts en venant dans le royaume des démons.
    - Non, non ! Juste le roi ! intervint Hernst. Je garde la reine ; c'est mon épouse, après tout !
    - Première querelle d'alliés. Continuez ainsi et vous finirez par vous détruire entre vous, fit Shakou, gouailleur.
    - Ne bouge plus, feu prince de Vitruve, lança brusquement une voix tonitruante dans son dos.
   Shakou se retourna : Hugo et Liriana étaient maîtrisés par des gardes peu avenants et Mordr se tenait derrière lui, une épée pointée vers lui.
    - Que penses-tu de cette petite merveille ? demanda Mordr en faisant miroiter l'épée. Lame en argent, poignée en or incrustée de joyaux, fil extrêmement tranchant ; un enfant tuerait un homme sans problème. La lame traverse les chairs comme un rien.
    - Merveilleux. Tout dépend de quel côté on la regarde, fit négligemment Shakou en écartant l'épée de son ventre. Je ne crois pas que mon médecin me recommanderait de telles expériences. J'ai l'estomac fragile, savez-vous, roi Mordr. Au fait, j'aimerais vous dire que je ne suis pas encore mort. Alors, feu prince de Vitruve..., cela ne correspond pas trop. Peut-être que cela va bientôt correspondre, mais je souhaiterais que nous restions exacts.
    - Tu vas mourir, Shakou, et je te tuerai de ma propre main. Je te saignerai jusqu'à la dernière goutte et enfin, je te pendrai devant mon château.
    - Voilà qui est fort intéressant. Vous me permettrez d'y assister, j'espère. Enfin, ce qui me chagrine, c'est que les nocturnes ne reverront sans doute jamais Nyx. Dommage... Mais, comme nous leur avons dit où nous l'emmenions, ils vont peut-être venir la chercher. Vous connaissez les nocturnes ? demanda-t-il avec un sourire adorable. Non ? Vous perdez quelque chose ! Ce sont des gens fort sympathiques qui, la nuit, s'arment d'éclairs et parcourent les contrées en compagnie des foudres de la nuit. Je crois qu'ils ont une légère tendance à tout détruire sur leur passage, mais je n'en suis pas sûr, remarquez.
   Son sourire s'accentua devant l'air effaré de ses ennemis.
    - Il ment ! grinça Hernst. Des monstres pareils n'existent pas !
    - Là, je suis bien d'accord avec vous, reprit Shakou, toujours avec un charmant sourire. Des monstres pareils n'existent pas. Mais les nocturnes existent. Donc ce ne sont pas des monstres. Ce que je savais déjà, par ailleurs. Mais je ne pouvais pas l'exiger d'ignares tels que vous.
   Le ton persifleur de Shakou déplut souverainement à Mordr.
    - Gardes ! Conduisez ces trois-là dans la cellule la mieux gardée et mettez tous mes hommes devant la porte. S'ils s'échappent, je ferai un massacre.
   Alors les gardes l'empoignaient sans ménagement, Shakou lança :
    - Bande de mufles ! Soyez corrects avec la jeune fille, c'est la propre fille du roi Mordr !
   Hugo, Shakou et Liriana furent jetés violemment dans une petite cellule sombre et humide.
   Liriana vint tout près de Shakou.
    - Je suis désolée, Shakou. Je n'ai pas entendu mon père arriver.
    - Mais ce n'est rien, voyons, princesse, fit le jeune homme d'une voix réconfortante en caressant les cheveux de Liriana.
   Celle-ci se blottit contre lui et murmura d'une voix entrecoupée de larmes :
    - Je m'en veux tellement !
    - Ne pleurez pas, princesse. Cela n'en vaut pas la peine.
    - Je ne pleure pas, répondit Liriana en éclatant en sanglots silencieux.
   Shakou la serra contre lui sans rien dire. Près de lui, Hugo remuait des pierres.
    - Qu'as-tu trouvé ?
    - Une cheminée donnant sur le monde supérieur. Nous pourrions peut-être appeler l'aigle de Solial et le monyure.
   Shakou repoussa doucement Liriana et vint aider Hugo. A eux deux, ils dégagèrent rapidement la cheminée. Sans hésiter, le jeune prince s'y engagea, ordonnant à son ami de rester en bas. Il grimpait lentement dans le boyau étroit, ses pieds trouvant des prises minuscules ; Hugo ne se faisait pas de soucis : il avait déjà vu son ami escalader la muraille nue du château d'Unak. Pour lui, c'était un jeu d'enfant. Shakou ne voyait rien ; devant lui, c'était le noir total. Il se demanda fugitivement comment Hugo pouvait savoir que cela menait vers le monde extérieur. Mais quand devant lui, il aperçut une lumière, il accéléra son ascension.
   Il eut une désagréable surprise : c'était bien une lumière, mais pas celle du jour ; il était tombé dans un lieu où brûlait un feu gigantesque, intolérable de luminosité et de chaleur. Quelques démons étaient là, travaillant au milieu des volutes de fumée sans y prendre garde. Mais au plafond, Shakou vit un trou. En effet, il y avait bien une sortie vers le jour, mais difficile d'accès. Un démon commença à frapper sur du métal et le bruit fut assourdissant. Shakou en profita pour émettre un son modulé, très étrange et reconnaissable à des kilomètres ; c'était l'appel du monyure. Les démons ne semblèrent pas entendre ce son, mais le monyure répondit. Il se glissa dans le trou du plafond, puis se faufila entre les zones de chaleur pour venir retrouver Shakou. Celui-ci l'envoya dans le boyau qu'il venait de gravir et observa soigneusement la salle où il avait débouché.
   Son boyau était tout contre un mur et il distingua quatre ou cinq autres ouvertures comme la sienne. Une idée démente jaillit dans son esprit : peut-être pourrait-il atteindre ses amis restés enfermés dans la première cellule. Il sortit très lentement de son boyau et rampa vers celui qui était le plus proche du sien. Il s'y engagea les pieds en premier, redoutant toujours d'entendre un cri d'alerte. Mais ces démons-là travaillaient tranquillement et ils n'étaient certainement pas au courant des derniers changements dans leur royaume. Une nouvelle idée germa dans le cerveau fertile du jeune homme. Mais pour l'instant, il s'agissait de retrouver ses amis. Il redescendit prudemment dans le boyau. Des bruits de voix lui parvenaient d'en bas, mais trop étouffés pour pouvoir les identifier. Le boyau se terminait par une sorte de petite plate-forme, où Shakou put se reposer avant d'enlever quelques pierres. Il était tombé dans la cellule de Lorky et Stralana. Son apparition les stupéfia.
    - Shakou ! s'exclama Lorky. Mais par quel miracle...
    - Chut ! Le miracle de l'intelligence. Pourquoi ne vous dématérialisez-vous pas pour vous échapper ?
    - Nous portons tous un bracelet qui est en quelque sorte le coup de pouce nous permettant d'utiliser nos pouvoirs de démon. Ils nous ont enlevé ce bracelet.
    - Tous les démons ont le même ?
    - Oui. Un démon est reconnaissable à ses yeux-miroirs et à ce bracelet.
    - Comment va Hugo ? demanda Stralana.
    - Très bien. Je lui porterai de vos nouvelles. Que vous ont-ils faits ?
    - Pas grand-chose, reprit Lorky. Ils nous ont pris le bracelet et ils ont essayé de faire avouer quelque chose à Stralana, je ne sais pas trop quoi.
    - Ils ont voulu savoir si j'étais mariée à Hugo, fit la jeune démone en rougissant.
    - Qu'as-tu répondu ?
    - Rien. Je n'ai pas desserré les dents.
    - En quoi cela peut-il bien les intéresser ?
    - Mon frère voudrait me voir épouser un démon, qui est le chef des partisans de Lorky. Ce dernier ne sait pas que Lorky est prisonnier et Yliork veut en profiter pour se l'attacher ainsi. Mais si j'avais épousé Hugo, les partisans de Lorky resteraient les ennemis de mon frère.
    - Ne bougez pas. S'ils vous reposent la question, essayez de tenir le plus longtemps sans leur répondre. Je vais aller voir Hugo.
   Le jeune homme remonta dans le boyau, tandis que Lorky remettait les pierres en place pour ne pas alerter ses gardes.
   Shakou réussit à revenir dans sa cellule d'origine sans incident. Hugo et Liriana étaient toujours là, avec le monyure.
    - J'ai vu Stralana et Lorky. Hugo, j'ai une question très importante à te poser : aimes-tu Stralana ?
    - Comme si tu ne le savais pas, grogna le jeune homme.
    - Veux-tu l'épouser ?
    - Evidemment. Je ne suis pas du genre à aimer une femme et à en épouser une autre. Mais celui que je voudrais qui préside à mon mariage ne voudra certainement pas.
    - Je suppose que c'est moi, soupira Shakou.
    - Exactement.
    - Eh bien, pour une fois, je vais être ravi de le faire. Mais nous avons un petit problème au niveau des assistants. Tu sais bien que la loi est stricte : ni le président, ni les assistants ne doivent être mariés, même s'il s'agit de la famille des fiancés. Or Lorky est marié. Il nous manque donc ton assistant. Je vais aller chercher Cyric.
    - Ce serait bien mieux si Nyx ou Idrisiyya étaient là. Enfin, moins dangereux, en tout cas.
    - Evidemment, mais je ne sais pas où elles sont. Si elles étaient dans une cellule, je pourrais les retrouver sans problème, mais elles sont libres. Enfin, je vais essayer du côté de Rivalen. Il a des affinités avec Idrisiyya. Venez, suivez-moi.
   Il retourna dans le boyau, suivi de Liriana et de Hugo. L'ascension ne fut pas sans difficultés. A chaque instant, Shakou et Hugo aidaient Liriana qui était embarrassée par sa longue robe. Enfin, ils parvinrent en haut du boyau.
    - Prenez le premier à droite, chuchota Shakou à ses amis. Quant à moi, je vais essayer le second.
   Le changement de boyau passa inaperçu. En bas, Mordr ne pourrait jamais deviner par où ils étaient passés, car Hugo avait soigneusement remis en place les pierres. Shakou se glissa dans la deuxième cheminée avec une souplesse digne d'un serpent.

   Nyx et Idrisiyya erraient dans le labyrinthe de galeries. Elles cherchaient les cellules, Idrisiyya pour retrouver Rivalen et Nyx Solial. Elles finirent par échouer dans une cellule vide où elles s'arrêtèrent pour se reposer. Elles entendirent du bruit en provenance du fond du cachot et Nyx se rematérialisa pour ôter les pierres qui étouffaient un peu le bruit. Une tête bien connue fit son apparition.
    - Ça par exemple ! s'exclama Shakou en voyant Nyx. Je ne pensais pas vous trouver ici.
   Il se tut un instant.
    - Venez avec moi. Nous allons remonter le boyau pour retrouver Hugo, Stralana, Lorky et Liriana.
    - Liriana est avec vous ? s'étonna Idrisiyya.
    - Oui. Elle a voulu me délivrer et son père nous a surpris. Dans sa colère, il l'a enfermée avec nous.
   Le jeune homme s'engagea dans le boyau, suivi d'Idrisiyya et de Nyx, qui remit bien soigneusement les pierres en place. Arrivés en haut, ils se glissèrent comme des serpents dans le boyau d'à-côté, où Hugo, les deux démons et Liriana les accueillirent. Aussitôt, Shakou se mit gravement debout en face de Stralana et de Hugo.
    - Nous voici donc rassemblés pour réunir sous la protection des dieux la démone Stralana, soeur d'Yliork, et le capitaine Hugo de Vitruve, dit-il. Si quelqu'un veut s'opposer à ce mariage, qu'il s'avance ! ajouta-t-il avec un sourire malin.
   Ne voyant aucun des présents faire un mouvement, il continua :
    - Si les dieux veulent s'opposer à ce mariage, qu'ils se manifestent !
   Le plafond resta calme.
    - La démone étant orpheline et sans famille, à part un frère indisponible, je prie la nocturne Nyx de venir l'assister, continua Shakou, habitué à prononcer ces paroles. Le capitaine étant orphelin et sans famille, je prie la princesse Liriana de Reliane de venir l'assister.
   Les deux interpellées vinrent se placer aux côtés des fiancés.
    - Capitaine Hugo, ton amour pour la démone est-il suffisamment puissant pour résister au temps et à toutes les épreuves que la vie pourra mettre sous tes pas ? reprit Shakou.
    - Oui.
    - Démone Stralana, ton amour pour le capitaine est-il suffisamment puissant pour résister au temps et à toutes les épreuves que la vie pourra mettre sous tes pas ?
    - Oui, répondit Stralana.
    - Sortez les anneaux.
   Liriana et Nyx se regardèrent.
    - Shakou... nous n'en avons pas, fit Liriana.
   Shakou eut un air ennuyé et fouilla dans une des poches.
    - Les voilà.
   Il tenait en effet un anneau d'or et un d'argent. Les assistants se les répartirent et les tendirent aux fiancés. Shakou les glissa au doigt des jeunes gens. Comme il le fallait, les anneaux rétrécirent. Shakou eut un sourire soulagé.
    - Je vous déclare mari et femme. Vous avez le droit d'embrasser la mariée.
   Hugo prit Stralana dans ses bras et lui donna un long baiser.
    - Je crois que Yliork sera mécontent, mais ce sera parfait, fit Shakou avec un petit rire. Bon. Il sera peut-être bien de laisser Lorky et Stralana seuls, pour que Yliork puisse les interroger de nouveau. Nous pourrions en profiter pour chercher la cellule des Loups et de Rivalen, ainsi que celle où nous étions auparavant.
   Hugo semblait avoir du mal à se séparer de sa femme.
    - Je te promets que nous referons un mariage correct quand nous serons sortis de ce pétrin, dit doucement le jeune homme à son ami. Maintenant, viens.
   Hugo embrassa de nouveau Stralana et la quitta avec le même regard que s'il ne devait plus jamais la revoir.
    - Je suis désolé, Hugo.
   Les jeunes gens remontèrent dans le boyau, laissant Stralana et Lorky.
   Alors que Liriana, Idrisiyya et Hugo retournaient dans leur cellule, Shakou et Nyx, dématérialisée, continuaient les recherches. Shakou, toujours rampant avec précaution, avait atteint le quatrième boyau. En bas, c'était la cellule des Loups et de Rivalen. Shakou renvoya Nyx chercher Idrisiyya et repartit dans un nouveau boyau. Il finit enfin par trouver la cellule où il avait été emprisonné au début. Là, il s'activa à enlever les chaînes de tous ses amis en attendant que Nyx vienne le rejoindre. Mais le jeune homme avait un plan. Laissant ses amis à leur joie, il disparut subrepticement dans la cheminée et remonta dans la salle où brûlait le feu ardent. Restant bien collé le long de la paroi, il rampa précautionneusement jusqu'à la porte qu'il apercevait à l'autre bout. Mais le trajet était trop long pour qu'il ne soit pas repéré. Il se sentit brusquement soulevé de terre par une poigne de fer. Tournant la tête, il vit un démon géant le regarder avec un air peu aimable. Shakou lui fit un sourire étincelant.
    - Bonjour. Je voulais justement vous parler.
   Le démon fronça les sourcils avec perplexité et le reposa à terre. Shakou le remercia d'un signe de tête et remarqua que tous les autres l'entouraient.
    - Voilà. Je voudrais d'abord savoir quels sont ceux qui sont fidèles au roi Lorky.
   Tous se désignèrent.
    - Très bien. Je suppose que vous n'avez pas été avertis. Lorky a été renversé. Son successeur est le démon Yliork, que Lorky avait exilé du monde des vivants parce qu'il avait pris possession du corps d'un prince de Palonar. Il a été aidé par deux humains, l'un qui avait assassiné son roi légal et l'autre qui veut me tuer parce que sa fille m'aime. Remarquez qu'il a peut-être raison, ajouta-t-il avec un sourire adorable. Le saviez-vous ?
   Les démons secouèrent la tête négativement.
    - Je suis sûr, reprit Shakou avec les sourcils froncés, qu'ils ont eu peur de vous et de votre fidélité à Lorky et qu'ils ne vous ont pas avertis pour cette raison. Peut-être même vous ont-ils enfermés.
   Le démon géant qui avait soulevé Shakou l'instant d'avant fit un signe et un démon se précipita sur la porte.
    - Elle est fermée.
   Les démons tournèrent leur regard avide vers Shakou.
    - Lorky savait qu'il pouvait compter sur vous, mentit Shakou avec aplomb. En fait, Yliork lui a enlevé son bracelet, ainsi qu'à Stralana, la soeur d'Yliork, qui lui est restée fidèle. Il a pensé que si deux d'entre vous acceptaient de leur prêter leur bracelet, il se faisait fort de renverser la situation, avec votre aide, bien entendu. Stralana avertira le chef des fidèles à Lorky, qui se joindra à nous pour combattre Yliork.
    - Et toi, humain, que viens-tu faire dans les histoires des démons ?
    - Premièrement, je m'appelle Shakou. Deuxièmement, Lorky est mon ami et je ne laisse jamais mes amis dans la détresse. Troisièmement, je suis directement concerné, puisque les humains qui soutiennent Yliork en veulent soit à ma vie, ce qui n'est pas très grave, soit à ma soeur, et là, c'est quelque chose que je ne tolère pas !
   Le démon géant le regarda un instant, l'air grave, comme s'il se demandait s'il pouvait lui faire confiance, et finit par déclarer :
    - Je suis le chef des fidèles de Lorky.
    - C'est à toi que Yliork comptait offrir sa soeur en mariage pour que tu ne te rebelles pas contre lui ? demanda Shakou avec étonnement.
   Les sourcils du démon géant se froncèrent violemment et le jeune homme se demanda avec inquiétude s'il n'avait pas poussé le mensonge et la rouerie un peu trop loin.
    - Il comptait faire cela ? s'écria-t-il.
    - Oui. Il pensait que la beauté de Stralana serait suffisante pour te faire abandonner la cause de Lorky. Mais il...
   Le démon géant rugit.
    - Je vais lui faire passer le goût des plaisanteries aussi stupides ! Stralana est mon amie d'enfance et je n'ai jamais eu l'intention de l'épouser.
    - De toute façon, elle est mariée.

    - Mariée ! hurla Yliork quand Stralana lui montra tranquillement sa main gauche parée de l'anneau d'or. De quel droit as-tu osé te marier sans m'en parler ?
    - Mais, puisque tu avais été banni, je ne pouvais pas t'en parler..., fit ingénument Stralana.
   Yliork poussa un hurlement qui s'entendit jusqu'aux cellules où les prisonniers se morfondaient. Hugo eut un sourire un peu inquiet.
    - Mm... On dirait que le frère et la soeur s'affrontent !
   Liriana eut un faible rire. Elle était blottie dans un coin, les yeux fixés sur l'entrée du boyau, les bras entourant ses genoux. Elle attendait Shakou, un peu angoissée, car elle ne savait pas ce qu'il faisait et elle craignait qu'il n'ait été pris par les démons de la salle à l'étage supérieur. A vrai dire, elle n'était pas loin de la vérité...
   Le démon géant avait écouté les explications de Shakou jusqu'au bout et il détacha son bracelet, le tendant au jeune homme.
    - Je te crois et je te fais confiance. Donne ce bracelet à Lorky. Je n'en ai pas besoin pour le délivrer. Ma force suffira. Je m'appelle Atrek.
   Les deux hommes se serrèrent la main. Un autre démon s'approcha et tendit également son bracelet.
    - Donne-le à Stralana.
    - Quand Lorky et Stralana seront libres, reprit Atrek, dis-leur de venir nous délivrer. Nous pouvons leur être d'un grand secours.
   Il fit un clin d'oeil à Shakou.
    - Je ne crois pas que tout ce que tu as dit soit vrai, mais tu veux délivrer Lorky et c'est tout ce qui importe. Tu as exagéré pour nous convaincre, mais ce n'est pas plus mal. Va, maintenant.
   Shakou remercia le grand démon et se glissa avec agilité dans le boyau qui menait à la cellule de Lorky. Pendant ce temps, les démons s'acharnaient contre la porte, pour essayer de la défoncer. Ils étaient en effet dans une salle dont les murs ne laissaient pas passer les démons dématérialisés. Lorky était en bas, seul, et il mit le bracelet autour de son poignet avec une joie évidente. En un instant, il retrouva la possibilité d'utiliser ses pouvoirs de démons.
    - Qui t'a donné son bracelet ?
    - Atrek. Il veut que tu ailles le délivrer. Il est juste au-dessus, enfermé avec ses fidèles. Yliork a eu une bonne idée, en les regroupant tous ici.
    - Je vais d'abord aller porter ce bracelet à Stralana, puis je vais aller délivrer Atrek.
    - Si tu pouvais avertir Hugo et Liriana d'aller les rejoindre et en même temps, en profiter pour ouvrir cette porte qui me dérange...
   Lorky sourit, passa à travers la porte et l'ouvrit quelques instants après.
    - A toi de jouer, Shakou !
    - Ne t'inquiète pas ! Tu n'as jamais vu mes Loups en action ! Au fait, Sharantyr ?
    - Je ne sais pas où elle est. Ni elle, ni Griffe, ni Romulf.
   Shakou serra les poings.
    - Vas-y, Lorky. Ne t'occupe pas de moi.
   Les deux amis se séparèrent. Shakou ne resta pas longtemps indécis. Courant dans les couloirs tortueux, il ouvrait toutes les portes des cellules, libérant les prisonniers sans distinction. Il finit par trouver la cellule des Loups et de Rivalen. Il ouvrit la porte en grand.
    - Venez ! Aidez-moi ! Nous allons délivrer Cyric et Solial !
   Cela ne prit pas de temps. Cyric se retrouva rapidement à la tête des Loups. Tous ses hommes portaient leur masque de peau ; quant à lui, se concentrant un court instant, il se transforma en loup. Son pouvoir était en effet la lycanthropie. Vyélésia le regarda un moment, puis détourna la tête. Elle poussa un gémissement qui alla en s'amplifiant, finissant par ressembler vraiment au hurlement d'un loup, à en faire dresser les cheveux sur la tête. On entendit alors une réponse en provenance d'un couloir un peu plus sombre.
    - Nos compagnons sont là, fit calmement Vyélésia.
   Les Loups s'élancèrent et défoncèrent la porte. Les bêtes sauvages se ruèrent dehors, la gueule ouverte sur des crocs impressionnants. En un cri de gorge, Cyric les entraîna sur les traces de leurs ennemis. Vyélésia et Solial restèrent là, indécis. Kelemvor et Kerly s'approchèrent d'eux.
    - Nous les suivons ? demanda ingénument la centauresse.
   Les deux amis se regardèrent rapidement et bondirent sur le dos des centaures. Mais Kalyna fit son apparition.
    - Solial ! Viens plutôt sur mon dos. Kel est la monture attitrée de Shakou.
   Solial obéit sans discuter et les deux centauresses s'élancèrent dans la même direction que Cyric et ses Loups. Nyx resta là, seule, regardant Shakou et Kelemvor.
    - J'ai l'air bête, dit-elle doucement. Solial aime Vyélésia, c'est évident.
    - C'est en disant cela que tu es bête, répondit Shakou. Vyélésia aime Cyric et Solial le sait bien.
   Nyx haussa les épaules.
    - Autant aller se battre, cela me changera les idées. Je crois qu'il fait nuit, dehors.
   Elle leva les bras vers le plafond et un gigantesque éclair noir apparut dans sa main. Elle eut un rictus et partit en courant. Shakou bondit sur le dos de Kelemvor et le lança au galop. Il fonçait droit vers la salle où il avait rencontré Hernst et Yliork.

   Sous la direction d'Atrek, les démons envahissaient les galeries, sans faire de quartiers. Tous ceux qui n'étaient pas avec eux étaient contre eux et se trouvaient balayés. Lorky avait disparu, parti à la recherche de Sharantyr. Les Loups, menés par Cyric, et soutenus par Vyélésia et Solial, faisaient un carnage parmi les gardes humains de Mordr et Hernst. L'aigle de Solial et le monyure de Shakou n'étaient pas en reste et des éclairs phosphorescents bleus brillaient un peu partout. Hugo était resté avec les démons, qui protégeaient en même temps Liriana. Mais la jeune fille profita d'un instant d'inattention pour prendre la tangente et s'enfuir sur les traces de Shakou. Nyx, prise d'une frénésie meurtrière, abattait son éclair sur tous ceux qu'elle rencontrait. Enfin, le jeune prince de Vitruve cherchait désespérément sa soeur. Il finit par rencontrer Yliork, qui fuyait devant un groupe de démons, à la tête duquel se trouvait Atrek, qui fit un clin d'oeil à Shakou au passage.
    - En avant, Kel ! Nous sommes proches du but, je le sens !
   Le centaure accéléra son galop, se faufilant entre les démons déchaînés qui ne faisaient même pas attention à lui. Dans une salle à la porte soigneusement fermée que Kelemvor défonça en deux ruades, ils trouvèrent Hernst et Mordr en compagnie de Sharantyr, Griffe et Romulf. La jeune fille faillit éclater en sanglots de soulagement.
    - Shakou ! Oh ! Je suis si contente que tu sois là !
   Le jeune homme descendit de centaure et s'approcha d'un pas assuré de ses deux ennemis.
    - Yliork est en fuite et les partisans de Lorky sont en train de prendre le contrôle du royaume. Rendez-vous et il ne vous sera fait aucun mal.
    - Qu'as-tu fait de ma fille, misérable ? rugit Mordr.
    - Rien. Elle est en sécurité, pour l'instant. Mais si cette situation dure trop longtemps, il pourrait bien lui arriver quelque chose.
   Profitant de l'inattention des autres, Hernst se leva sournoisement et leva son épée sur Shakou. Sharantyr se retourna à cet instant et poussa un cri d'alerte. Shakou pivota sur ses talons, mais l'épée s'abattait déjà sur lui...
   Il ne reçut jamais le coup fatal. Sharantyr avait tendu le doigt vers Hernst et celui-ci s'était brutalement effondré.
    - Que... que s'est-il passé ?
    - La mort du temps, fit Sharantyr, frémissante. C'est mon pouvoir. Il tue instantanément.
   Shakou déglutit péniblement. Le pouvoir de Sharantyr était extrêmement puissant et efficace.
    - Je n'aime pas l'utiliser, mais je n'avais pas le choix. Il voulait te tuer.
   Shakou hocha la tête. Il reçut à cet instant un message mental de Lorky qui lui disait que la victoire était acquise. Il en profita pour l'avertir qu'il était avec Sharantyr. La porte s'ouvrit et Liriana, Cyric, Vyélésia, Solial et Nyx entrèrent. Mordr poussa un cri de joie. Le sol trembla violemment.
    - Qu'est-ce que c'est ? demanda calmement Griffe.
   Le sol trembla de nouveau.
    - J'irais jusqu'à dire que c'est un tremblement de terre, répondit Shakou tout aussi calme.
   Le sol se fissura et, sous les secousses de plus en plus fortes, les failles s'agrandirent à une vitesse considérable. Un nouveau tremblement fit sursauter tout le monde et des cris donnèrent l'alerte : Vyélésia, Nyx et Mordr avaient glissé et se retenaient par une main au bord des gouffres. Les réactions furent les mêmes :
    - Vyélésia ! cria Cyric et se jetant à plat ventre et en tendant la main à la jeune magicienne.
    - Nyx ! fit Solial en écho, imitant son ami.
    - Papa ! hurla Liriana, incapable de réagir.
   Shakou attrapa la main de son ennemi.
    - Donnez-moi l'autre main, vite ! Je ne tiendrai pas longtemps ainsi !
   Mais Mordr se souciait peu de mourir si Shakou partageait la même peine que lui. Au lieu d'obéir au jeune homme, il dégaina son épée, sa petite merveille, comme il l'appelait, et chercha à en atteindre Shakou. Celui-ci ne se découragea pas et, tout en évitant la lame mortelle, il remonta progressivement son ennemi vers lui. Cyric avait tiré Vyélésia près de lui et il la serrait dans ses bras comme un fou. Solial avait également remonté Nyx et il la tenait contre lui avec un air féroce. Tous les yeux étaient fixés sur Shakou. Celui-ci sentait des gouttes de sueur perler à son front, mais il bandait tous ses muscles, retenant Mordr pour l'empêcher de tomber. Soudain, tout se passa très vite : il y eut un nouveau tremblement de terre, Mordr atteignit Shakou à la tête et le jeune homme, surpris des deux côtés, relâcha son étreinte sur le poignet de Mordr. Il perdit conscience et commençait à glisser dangereusement vers la faille béante. Personne ne bougeait, paralysé.
   Solial se leva brutalement et hurla un son sec et étrange. Aussitôt, tout s'immobilisa ; en effet, il avait le pouvoir de tout immobiliser, y compris un oiseau en plein vol. Alors que le sol continuait à trembler, la fissure ne s'agrandissait plus et Shakou ne bougeait plus. Cyric réagit le premier. Lâchant Vyélésia, il tira le corps inanimé du jeune homme en sécurité. La porte s'ouvrit et Lorky apparut. Il prononça quelques paroles et le sol reprit son apparence initiale. Liriana, les yeux remplis de larmes, s'agenouilla près de Shakou et nul ne pouvait dire si elle pleurait la mort de son père ou la blessure de celui qu'elle aimait tant. Shakou réussit à ouvrir les yeux et la seule chose qu'il vit fut Vyélésia dans les bras de Cyric et Nyx et Solial s'embrassant sous l'oeil noir bienveillant de l'aigle.
    - Je vais encore avoir des mariages à célébrer ! murmura-t-il avec ennui avant de s'évanouir.

   Quand il reprit conscience, ils étaient de retour dans la forêt. Nyx avait prévenu ses semblables qu'elle ne reviendrait pas parmi eux. Shakou attrapa Lorky par le bras :
    - As-tu pensé à Idrisiyya et Rivalen ?
    - Bien sûr ! Et devine qui était chargé de surveiller l'assassin d'Idry ?
    - Atrek, répondit Shakou en fermant les yeux.
    - Exactement. Le roi-démon.
   Shakou rouvrit un oeil.
    - Tu lui as offert ta place ?
    - J'ai estimé qu'il la méritait bien. De plus, il reste sans cesse dans ce monde et il est mieux placé que moi pour régner. Rivalen a été guéri aussi.
    - Tu peux me prêter tes doigts, s'il te plaît ? fut la réponse étonnante de Shakou.
    - Pour quoi faire ? demanda Lorky, ahuri.
    - Pour compter le nombre de mariages que je vais devoir présider quand nous serons rentrés. Je crois que les miens ne vont jamais suffire. Je me demande qui seront les assistants, ajouta-t-il d'un ton sarcastique. Il n'y aura jamais assez de célibataires dans le royaume !
    - Et le tien ? Quand le conclus-tu ?
   Shakou ouvrit la bouche pour répondre par une remarque acerbe, mais il préféra dire doucement :
    - Ce serait gentil d'éviter de me mettre en colère. J'ai un mal de tête intolérable.
    - Normal, lui assura Lorky. L'épée de Mordr t'a juste ôté la moitié du crâne.
    - Du moment qu'il m'en reste assez pour réfléchir... Il m'avait prévenu que son tranchant était parfait.
   Il aperçut une mince silhouette qui marchait à côté de lui.
    - La princesse Liriana nous accompagne ?
    - Eh oui. Elle est seule, maintenant. Es-tu vraiment sûr que tu ne vas pas te marier ?
    - Dis-moi, Lorky, fit Shakou d'une voix rêveuse. Est-ce que le représentant du marié doit forcément être célibataire ?
    - Euh... oui, je crois. Pourquoi me demandes-tu cela ?
    - Rien. Mais si cela continue, je serai obligé d'être mon président, mon assistant et mon représentant à la fois. C'est dur pour un seul homme.
   Lorky éclata de rire.
    - Tu y songes réellement ?
    - Il faut tout prévoir, répondit sagement Shakou.
   Il ferma les yeux et se laissa bercer par le pas régulier de Kelemvor.
    Il se retrouva au château, dans sa chambre. A son chevet, Liriana le veillait. Pour l'instant, elle dormait et Shakou remarqua les grands cernes bleus sous les yeux de la jeune fille, ainsi que les traces de larmes sur les joues amaigries. Il se leva doucement, pour ne pas la réveiller, et se glissa hors de sa chambre. Dans la grande salle du trône, tous ses amis étaient réunis et racontaient à Hirkel leurs aventures.
    - Shakou a été merveilleux, conclut Lorky.
    - Ce n'est pas parce que vous me croyez bien sagement au lit qu'il faut en profiter pour me faire des compliments dans mon dos, gouailla Shakou.
   Tous se retournèrent. Le jeune homme remarqua rapidement les nouveaux couples, mais il s'aperçut avec étonnement que Rivalen et Idrisiyya se tenaient loin l'un de l'autre.
    - Avant de recevoir toutes vos félicitations pour ma guérison, j'aimerais parler de choses sérieuses, puisque je suis en quelque sorte le donneur de coeurs, comme le disait Kerly. Romulf, au nom de Rivalen, je te demande la main de ta soeur, la princesse Idrisiyya.
    - Idry ? A Rivalen ? fit Romulf, les sourcils froncés. Mais...
    - Je t'en prie, accorde-moi cette faveur !
   Romulf regarda sa soeur. Les yeux gris-bleu de la jeune fille brillaient d'espoir.
    - C'est d'accord, dit-il, un peu à contrecoeur.
   Il en fut récompensé par le merveilleux sourire qu'il vit fleurir sur les lèvres de sa soeur. Rivalen se leva et remercia Shakou. Le jeune homme s'éclipsa et revint habillé correctement, son bandage blanc ressortissant bien sur ses cheveux noirs, portant dans ses bras Liriana endormie.
    - Vous devriez avoir honte d'avoir fait veiller une enfant comme elle sur mon sommeil.
    - C'est elle qui l'a voulu. Elle a prétendu que cela lui permettrait d'oublier un peu la mort de son père. Nous n'avons pas eu le coeur de lui refuser.
   Liriana se réveilla et Shakou la déposa par terre. Elle le regardait de ses grands yeux marron et il caressa doucement la joue creusée par la fatigue et la tristesse. Liriana vint se blottir contre lui et il la serra tendrement dans ses bras. Ses amis eurent un sourire quand ils virent la jeune fille lever la tête vers Shakou. Le jeune prince embrassa doucement les lèvres de celle qu'il se défendait tant d'aimer. Seul Hugo se permit un petit rire, que Stralana fit cesser immédiatement en l'embrassant lui aussi.
   Shakou se tenait sur l'esplanade de son château, portant son manteau de cour bleu, le monyure posé sur son épaule, comme s'il avait décidé de ne plus le quitter, la couronne royale en équilibre sur le bandage blanc. Devant lui, quelques personnes le regardaient avec un sourire légèrement ironique. En bas des marches, le peuple de Vitruve qui l'observait.
    - Nous voici donc rassemblés pour réunir sous la protection des dieux ces couples : la démone Stralana, soeur d'Yliork, et le capitaine Hugo de Vitruve, pour légaliser leur mariage ; la nocturne Nyx et Solial ; la magicienne Vyélésia et le Loup Cyric ; et enfin, la princesse Idrisiyya de Vitruve, fille du roi Leord et de la reine Amirda, et Rivalen, ancien zombie, dit-il avec un air d'ennui considérable...

Texte © Azraël 1996, 1997, 1998, 1999, 2000, 2001, 2002.
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