Cassandre
Las ! Captive ! La mort m'a refusée...
Et pourtant, comme je l'ai cherchée !
Moi, moi, une princesse troyenne,
Esclave sur une terre qui était mienne !
Traînée hors du temple où je t'implorais,
Ô Pallas, je dus plier devant ton arrêt !
Et maintenant, j'appartiens à un Grec
Que je supplie et dont le coeur reste sec !
Hector, tendre frère ! Toi à l'âme si fière,
Ne crois pas que mon humble prière
Soit pour qu'il épargne ma vie !
La chute de Troie fut mon agonie
Et le trépas serait le bienvenu !
Non, j'implore pour celle qui a surcévu,
Notre mère Hécube, pauvre reine
D'un royaume qui n'est plus que peine !
Oui, je cherche la mort en vain,
Car elle se détourne de mon chemin !
C'est toi qu'elle a choisie, ma soeur,
Petite Polyxène, plus bouton que fleur,
Seule joie de notre triste mère
Qui redoute une nouvelle misère !
Ne comprend-elle pas pourtant
Que seule la mort convient à notre rang ?
Ô Agamemnon, une fois encore,
Je me jette à tes genoux et j'implore !
Ma soeur ! Sauve ma gentille soeur !
Si tu le fais, je te donne mon coeur !
Pour une vie, Cassandre se soumet !
Rends-moi Polyxène et c'est la paix !
Laisse-la mourir et je deviens furie !
Non, non, je ne menace pas, je supplie !
Ce n'est pas pour moi que je plie le genou,
Que mon ton se fait suppliant et doux !
C'est pour ma mère ! Elle n'a plus qu'elle !
Polyxène lui donne une vie nouvelle !
Si Hécube n'était plus, je te dirais :
"Prends ma soeur, il n'y a plus de regrets,
Je souhaite la mort pour elle et elle aussi,
Car seule la mort nous donnera l'oubli !"
Mais ma mère ! Esclave, elle qui fut reine,
Elle a placé tous ses espoirs en Polyxène !
Elle a vu tomber sa ville, son époux,
Ses enfants, Astyanax... En un seul coup !
Quel coeur serait plus dur que la pierre
Pour arracher une enfant à sa mère ?
Agamemnon, tu peux la sauver !
Oh, je t'en supplie, pour ma soeur, pitié !
Tu trouveras en moi une passionnée
Si jamais Polyxène a été épargnée !
Je renoncerai à la mort qui m'attire,
J'oublierai tout ce à quoi j'aspire,
Pour me dévouer entièrement à toi
Si des Grecs tu orientes le choix.
Maître ! Seigneur ! Je suis à tes genoux !
J'implore la clémence pour elle, pour nous !
Ecoute-moi, ô grand Agamemnon !
Vois s'humilier une fille d'Ilion...
Quel besoin Achille a-t-il besoin de Polyxène ?
Encore une enfant, elle ne peut être une gêne !
Pourquoi voudrait-il une princesse troyenne
Quand la belle Briséis est sienne ?
Dis-moi que les Grecs t'ont écouté
Et que ma soeur est maintenant en sécurité !
Agamemnon
Cassandre, j'ai fait ce que j'ai pu,
Mais la voix d'Ulysse a prévalu.
Il parla : "Ce n'est qu'une esclave !
Quelle puissance vous entrave ?
Voulez-vous offenser notre ami et héros ?
Ce sacrifice est pour apaiser son repos.
Ami dans la vie, oublié dans la mort ?
Ce n'est pas ainsi que doit être son sort !
Achille ordonne, il nous faut obéir !"
J'ai supplié, arrachant plus d'un soupir
Mais ils savaient qu'en sauvant ta soeur,
Je briguais aussi ta beauté et ta faveur,
Et ils ne m'ont pas écouté, Cassandre !
Et maintenant, on tire de l'eau du Scamandre
Pour laver son corps taché de sang
Avant de l'enterrer dignement.
Cassandre
Non, non, j'ai mal entendu !
Tu m'éprouves, rien n'est advenu !
Ma soeur ! Polyxène ne peut être morte
Et pourtant, c'est son corps que l'on apporte...
Ah ! Je sens ma raison qui chavire
Et j'entends ma mère qui pleure et soupire...
Petite Polyxène, née pour être reine,
Ta jeunesse n'a donc pas attendri leur haine...
Polyxène, née libre et princesse,
Toi, toute de grâce et d'adresse,
Es-tu morte esclave et captive,
Pleurant, mais restant passive ?
Non, je le sais, tu fus digne d'Hector,
Et ce furent les Grecs qui pleurèrent à ta mort !
Ma soeur ! Que j'envie ton sort fatal
Et ta place au royaume infernal !
|
