Cassandre
Le malheur est proche de s'abattre sur Troie !
Et ce peuple fou laisse éclater sa joie !
La mort rôde avec son cortège pestilentiel,
Mais la cité égarée remercie déjà le ciel,
Quand celui-ci est acharné à notre perte !
Les Grecs sont à l'affût et la ville est ouverte !
Les Grecs ! Chacun se réjouit, les croyant partis !
Las ! Malheureux ! Ils sont toujours là, tapis,
Attendant de pouvoir nous massacrer sans peine,
Comme du bétail sans défense que l'on enchaîne !
Hélénus, mon frère ! Que n'es-tu là pour leur dire !
Mes avertissements sont vains et les font rire !
Ah ! Le malheur est proche de s'abattre sur la cité !
Et viendront la mort, la honte, la captivité !
Hector, tendre frère, gentil et compatissant,
Sache-le, ta mort est survenue au bon moment !
Tu ne verras pas Troie tomber ! Mais moi...
Le sort qui m'attend me fait trembler d'effroi !
Pourtant, s'il ne s'agissait que de moi, ah !
J'ouvrirais joyeusement mes bras au trépas,
Si ma mort pouvait sauver Troie du malheur !
Las ! Qui pleurera sur Cassandre et sa douleur ?
Troie vaincue, ruines fumantes, pitoyable vestige,
Et ses femmes captives, que le chagrin afflige...
Le malheur est proche de s'abattre sur la ville !
Et pourtant, autour, tout semble tranquille...
Tous sont aveugles, les dieux leur ferment les yeux !
Moi seule peux lire le grand livre des cieux,
Mais à quoi bon ? Je crie, je donne l'alerte
Et eux, riant, se ruent droit vers leur perte !
Apollon, Apollon ! Reprends ton don de prophétie !
Je refuse de voir plus longtemps mon agonie !
Ah ! Que ne puis-je être ignorante comme eux,
Puisque je ne peux les aider ? Malheureux !
La guerre n'est pas finie, la mort vous guette,
Mais les Grecs ont disparu et c'est la fête !
Le malheur est proche de s'abattre sur Troie !
Je vois déjà son bûcher funéraire qui flamboie !
Pleurez, Troyens ! Vos larmes ne pourront l'éteindre !
Quoi que vous fassiez, la mort viendra vous étreindre !
Ô dieux cruels ! Vous leur donnez les prophètes,
Mais vous les rendez aveugles et sourds comme des bêtes !
Avons-nous manqué de constance à vos autels
Pour être punis de telle sorte, ô immortels ?
Las ! Pourquoi gémir ? Qui m'entendra pleurer ?
Allons, Cassandre, il est l'heure de te résigner !
Fille de roi, prépare-toi à voir tomber ta cité !
Fièrement, dignement, va affronter la fatalité !
|